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Paul Ariès : « en finir avec la société du toujours plus »

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  • Paul Ariès : « en finir avec la société du toujours plus »

    Retranscription de l’interview de Paul Ariès sur Europe 1


    Frédéric Taddeï (en italique dans tout le texte) : Paul Ariès bonjour, vous êtes politologue, vous avez 51 ans et vous êtes l’un des théoriciens de la décroissance, un mouvement international auquel les politiques empruntent de plus en plus d’idées, Barack Obama notamment. En 14 ans vous avez publié 25 livres, le dernier est La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance aux éditions de La Découverte. Paul Ariès, êtes-vous un descendant des hippies ? Je veux dire par là que les hippies déjà il y a une quarantaine d’années nous incitaient à consommer moins, à travailler moins, à gagner moins et à vivre mieux.

    Paul Ariès : Je suis un descendant de beaucoup de courants, c’est à dire aussi bien des adeptes de la pauvreté évangélique, des adeptes du droit à la paresse, des gens qui dans les années 70 voulaient vivre et travailler au pays, et bien sur, en partie des hippies. Mais ce qui est nouveau, c’est finalement la conjoncture : aujourd’hui on sait qu’on va dans le mur. Et de ce fait là on ne peut plus continuer comme auparavant. Soit on accepte de sauter par dessus le mur sans savoir où l’on va, soit on accepte non pas de revenir en arrière, mais de faire un pas de coté.


    F.T. : Je disais, Paul Ariès, la décroissance est un mouvement international aujourd’hui. Quelle en serait la capitale ? Où est-ce qu’on y réfléchit le plus ?

    La décroissance est venue en partie du continent Nord-Américain mais davantage dans une démarche individuelle, ce que l’on appelle le choix de la simplicité volontaire. Lorsque ce mouvement est arrivé en Europe Latine, il a pris une coloration politique plus immédiate et Lyon constitue aujourd’hui une capitale de la réflexion, de la pensée. Je pense que si Lyon est la capitale aujourd’hui de la décroissance, cela tient aussi à toute l’histoire lyonnaise, c’est à dire une histoire de la rébellion, une ville qui s’est toujours voulue la capitale de quelque chose : la capitale de la résistance, de la gastronomie, et aujourd’hui de l’objection de croissance.

    Vous appelez ça “l’objection de croissance” comme on disait les objecteurs de conscience ?

    Alors bien sûr qu’il y a un petit clin d’oeil aux objecteurs de conscience, mais c’est plus sérieux que cela. Nous ne sommes pas partisans d’une décroissance à tout va. Ce que nous refusons, c’est le culte de la croissance. Et de se dire objecteurs de croissance ça veut dire que pour nous, il ne faut pas aller chercher la solution à tous les problèmes dans le “toujours plus”.

    La gauche et la droite ont toujours été, en tout cas depuis 1 ou 2 siècles productivistes : ils cherchaient la solution dans la croissance. Ils pensaient, et la droite et la gauche, que le progrès allaient résoudre nos problèmes. Et en ce sens ils étaient optimistes, enfin elles étaient, la gauche et la droite, optimistes. Est-ce que vous êtes pessimistes, vous les décroissants ?

    Je dirais qu’il y a toujours eu par exemple 2 gauches. Il y a toujours eu une gauche dominante, productiviste, qui avait foi dans le progrès, en fait dans le progrès technique et économique, qui avait foi dans les lendemains qui chantent, c’est à dire aussi dans les générations sacrifiées, et puis …

    Pourquoi, pardonnez-moi, pourquoi les générations sacrifiées vont-elles avec les lendemains qui chantent ?

    Parce qu’au nom, je dirais, d’accéder au pays de cocagne, à cette société d’abondance, on a toujours considéré que dans un premier temps il fallait accepter de se serrer la ceinture. Et je dirais que cette gauche productiviste, elle a aujourd’hui du plomb dans l’aile parce que sauf à mentir, elle ne peut pas promettre de généraliser notre mode de vie.

    Il y a toujours eu une deuxième gauche, une gauche dominée, ringardisée, ridiculisée, une gauche anti-productiviste. C’était celle par exemple de ces paysans qui pendant un siècle et demi ont refusé le passage de la faucille à la faux, parce que derrière ce refus c’était la défense du droit de glanage, c’était la défense de leur mode de vie. C’est cette gauche anti-productiviste qui se retrouvait du côté des ouvriers cassant les machines, alors pas toutes les machines mais celles qui prenaient leurs places. C’est cette gauche qui était du côté du droit à la paresse, ce bouquin écrit par le gendre de Marx. C’est cette gauche qui était du côté de ce qu’on appelait au 19ème siècle “les sublimes”. Les sublimes, c’était ces ouvriers hautement qualifiés qui choisissaient de ne travailler que le strict minimum, et qui fêtaient la saint-lundi, parce qu’ils prolongeaient le week-end, parce que le lundi il y avait un avantage considérable, c’était que les cabarets étaient ouverts. Et je dirais que cette gauche anti-productiviste elle a été pessimiste parce qu’elle a été convaincue que les classes moyennes étaient définitivement perdues et intégrées à la société de consommation. Et moi je crois qu’aujourd’hui, on peut assister à la renaissance d’une gauche à la fois anti-productiviste et optimiste pour 2 raisons. La première raison c’est que l’on sait que le gâteau, le PIB mondial il ne peut plus grossir. Donc on ne peut plus refouler la grande question du partage.

    Puis la deuxième raison, est que l’on peut reprocher tout ce que l’on veut à la société du toujours plus, à la société de consommation, il faut reconnaître que c’est une société diablement efficace sur le plan anthropologique parce que, je dirais, elle sait susciter nos désirs et les rabattre sur le désir de consommation. Tant qu’on aura pas quelque chose d’aussi fort que le toujours plus à lui opposer, on ne peut pas y arriver. Et à mes yeux il y a un mouvement international qui est en train de se développer pour le partage, pour la gratuité.

    Et puis, on assiste aussi à la démoyennisation de la société. Le grand coup de génie du capitalisme au 20ème siècle, c’est le développement des classes moyennes. Or aujourd’hui il suffit de regarder autour de nous, cette génération des bac+5 à 1000 euros. Et je dirais que ces bac+5 à 1000 euros, je dirais, ça peut donner le meilleur comme le pire. Le pire, cela serait bien sûr le développement du nihilisme. Et le meilleur, c’est que cette génération se rende compte qu’elle n’a rien à gagner à la société de consommation, qu’elle a rien à gagner au “toujours plus”. La génération de leurs parents pouvaient croire au travailler plus pour gagner plus”. Eux cela serait “travailler plus pour gagner moins”, donc je crois qu’ils ont tout intérêt à décrocher, et à faire un pas de coté. Et donc d’en finir avec cette idée que “plus” serai forcément égal à “mieux”.

    Paul Ariès, je vous avais posé la question sur la gauche et la droite, qui étaient optimistes, et comme tout homme de gauche vous m’avez répondu sur la gauche mais jamais sur la droite. Vous croyez vraiment que la droite n’a pas d’idées, que la droite en tant que mouvement intellectuel n’existe pas ? La droite après tout a prôné ce capitalisme auquel vous êtes obligé de céder quelques compliments parce qu’il a été révolutionnaire, qu’il a inventé les classes moyennes. Et de même on pourrait dire qu’il y a une droite aussi plus réactionnaire qui elle aussi a prôné pour la paresse.

    Je dirais que la gauche et la droite partagent le même bilan effroyable en matière environnementale. Ces deux systèmes ont totalement pillé la planète pour nourrir leur machine productiviste. La gauche aujourd’hui elle est aphone, on l’a vu. Mais la droite, elle, elle a un vrai projet, un grand projet, qui n’est pas le mien, c’est ce qu’on appelle le capitalisme vert. Le capitalisme vert, c’est cette volonté d’adapter la planète, l’écologie, et si nécessaire les humains au besoin du toujours plus. Alors adapter la planète, c’est tout ces projets des savants fous, c’est à dire cette idée d’inventer une sorte d’immense bouclier artificiel entre le ciel ou la terre.
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

  • #2
    Vous le caricaturez, il y a aussi tout ce que l’on appelle les green-techs ou le green business, toutes ces entreprises qui naissent, en ce moment même, en Californie et qui inventent effectivement des solutions techniques aux problèmes écologiques.

    Ce que, aujourd’hui, la droite essaye de faire c’est de réconcilier l’écologie et l’économie, l’écologie et la croissance. Et ça, ça m’apparait totalement impossible. On peut bien bricoler dans le domaine technologique, tant que l’on restera effectivement dans la même logique, et bien tout gain obtenu dans un domaine sera immédiatement gaspillé dans un autre domaine. C’est ce que les économistes appellent d’ailleurs l’effet rebond.

    Paul Ariès, néanmoins j’insiste : mais les premiers qui ont refusé le progrès, les premiers qui ont refusé la consommation, les premiers qui ont refusé même la technologie parfois… C’était la droite !

    Mais bien sur et c’est vrai qu’une partie y compris, aujourd’hui, de la droite regarde avec sympathie certains thèmes de la décroissance comme la relocalisation. Mais je dirais que lorsque la nouvelle droite de Alain de Benoist, lorsque les identitaires disent le salut par la décroissance, on ne parle en fait pas de la même chose ! Parce que nous n’avons pas la même conception. La relocalisation dont ils parlent, je dirais que c’est un local claquemuré, enfermé, ouvert à la xénophobie. Nous ce que l’on prône, c’est le local sans les murs, nous ce que l’on veut ce n’est pas défendre des identités définies de façon essentialiste, c’est défendre des cultures, des cultures populaires, des cultures régionales, parce que défendre des cultures, c’est dire que l’on ne veut pas d’un monde standardisé, homogénéisé. Et c’est quand, en prenant appuis sur cette diversité que l’on pourra échapper à la logique du toujours plus. Et puis je dirais que notre symbole, notre logo, c’est l’escargot, c’est pas l’aigle …

    Cela dit, à la fois dans les droites réactionnaires, les droites conservatrices ou la nouvelle droite, vous faisiez allusion à Alain de Benoist, il y a aussi le refus du monde homogénéisé, standardisé, américanisé. Il y a aussi tout ça, et depuis longtemps, depuis 2 siècles, Joseph de Maistre, déjà !

    Mais je crois que nous partageons quelque chose avec les militants d’extrême droite, c’est la détestation de ce monde, mais en revanche on ne partage pas le même modèle de société pour le futur. Nous ce qui nous caractérise avant tout, c’est de vouloir la décroissance des inégalités sociales. Ce qui nous caractérise, finalement, c’est de marquer le retour des partageux.

    Alors Paul Ariès, pourquoi maintenant ? Pourquoi est-ce que maintenant les théories de la décroissance connaissent un succès qu’elles n’ont pas connu par exemple au moment du mouvement hippie, qui est un mouvement qui s’est plutôt réduit à une génération et qui a duré quelques années seulement. Pourquoi aujourd’hui, quel est le mur contre lequel on se cogne d’après vous, qui fait que vos idées connaissent un certain retentissement ?

    Je crois qu’il y a trois raisons fondamentales. La première raison c’est bien sûr une raison écologique : on sait qu’on a dépassé les capacités de charge de la planète, c’est à dire que notre mode de vie occidental n’est pas généralisable. Si 6 milliards d’humains vivaient comme nous, il faudrait au minimum 3 planètes.

    Ensuite il y a une deuxième raison, c’est une raison sociale. Nous nous sommes monstrueusement habitués aux inégalités sociales à un tel point que c’est l’unité même du genre humain qui est de plus en plus remise en cause. Aujourd’hui 2% des humains s’approprient 50% des ressources planétaires et les 50% d’humains restants n’ont droit eux qu’à 1%.
    Et puis il y a une troisième raison, c’est une raison je dirais anthropologique qui concerne la conception même de l’humanité. La société de croissance, cette société du toujours plus, c’est une société qui a été bâtie pour refouler nos angoisses existentielles, pour refuser tout simplement l’abord de la mort. Et je crois que tant que nous resterons dans cette logique où on aura cherché dans la dévoration du monde, dans la dévoration y compris des autres humains de quoi oublier que l’on est mortel, on ne s’en sortira pas.

    Donc le discours de la décroissance c’est aussi un discours pour dire : il faut remettre la mort au centre de la vie, et il faut remettre nos faiblesses et les faibles au coeur de la cité. Alors ce n’est pas simplement que des grandes déclarations généreuses. Ça veut dire par exemple qu’il faut en finir avec ce racisme anti-vieux. Toutes les sociétés qui nous ont précédées ont toujours accordé une place importante aux personnes âgées. Parce que les anciens se sont les symboles de la lenteur. Et je dirais que ce sont les jeunes qui en ont besoin. Regardez ces enfants de 8 ans qui ont un emploi du temps de cadre supérieur, et qui n’ont même pas le temps de s’ennuyer, alors que l’ennui est essentiel pour pouvoir se structurer. Regardez ces gamines de 12 ans que l’on déguise en petites lolitas, à qui on vole le temps spécifique de leur enfance.

    Ces enfants que l’on fait grandit trop vite, ça devient ensuite des adulescents, ça devient des ados-adultes parfaitement adaptés à cette société adolescentrique, parfaitement adaptés à cette société de consommation qui va chercher finalement une sorte de fonctionnement boulimique. Donc je crois que l’on ne pourra pas se sortir de l’impasse qui est la notre si, finalement, on n’accepte pas nos limites, si on n’accepte pas notre finitude. Et être objecteur de croissance, c’est aussi aujourd’hui chercher un chemin dans cette direction là.

    Paul Ariès, on comprend bien que les occidentaux peuvent trouver séduisant, au moins dans l’idée, on en parlera, cette utopie, là aussi on en parlera, qui consisterait à gagner moins, à se dépenser moins, à consommer moins, à travailler moins pour vivre mieux. Mais comment pensez-vous pouvoir convaincre les chinois, les indiens, les brésiliens tout ces pays qui sortent à peine …, qui sont en train de connaîtrent les premiers cadeaux de la croissance ?

    Alors déjà je ne cherche pas à leur faire la leçon, je cherche à les écouter. Et c’est vrai qu’aujourd’hui en Afrique, en Amérique latine, en Amérique centrale, un peu moins en Asie, on a énormément de débat sur la souveraineté alimentaire, sur la relocalisation, sur le prendre soin contre une société du mépris… finalement un certain nombre de thèmes qui rejoignent totalement nos préoccupations. Et puis je dirais que cette décroissance économique, matérielle, elle nous concerne nous d’abord, c’est à dire nous, pays trop opulents.

    Mais je pense cependant qu’il faut avoir le courage politique de dire aux pays du Sud “N’empruntez pas les voies qu’on a nous effectivement ouvertes parce qu’elles nous conduisent dans une impasse. Et non seulement elles nous conduisent vers un modèle qui est impossible, mais c’est un modèle qui n’est même pas jouissif. Regardez la quantité de médicaments qu’il faut consommer chaque année pour pouvoir simplement pour tenir le coup. Et ces pays du Sud que l’on a tendance à considérer comme étant finalement “en retard”, peut-être que demain ils vont être en avance. Et tout à l’heure je parlais de l’importance qu’il faut reconnaître aux anciens, allons voir en Afrique, regardons de quelle façon on reconnaît une importance à la tradition, de quelle façon on reconnaît une importance à la transmission.

    Dans nos sociétés, on cherche aujourd’hui à rendre plus vive la démocratie, et j’aurais tendance à dire d’ailleurs qu’un siècle de démocratie électorale, ça conduit au développement de l’abstentionnisme, de l’indifférence. Regardons ce qu’étaient les pratiques autour de l’arbre à palabre, moi j’ai beaucoup travaillé sur les formes d’expressions populaires aux 17ème, 18ème, 19ème siècles, on cherchait pas à faire parler le peuple, le peuple, il s’exprimait.

    Paul Ariès, on dirait que l’inquiétude écologique est une aubaine. Elle permet, elle vous permet à vous, mais vous n’êtes pas le seul, de poser la grande question finalement, ce qui est pour vous la grande question : celle du partage. Vous l’avez déjà dit depuis le début de cette émission, vous avez parlé du partage, des “partageux”. On dirait que c’est une tendance qui est à l’oeuvre en ce moment dans de nombreux mouvement intellectuels. L’idée du partage revient, que ce soit le partage des fichiers informatiques dont les jeunes génération sont aujourd’hui coutumières, du partage de la richesse, du partage du travail. Par exemple, les délocalisations, ce que l’on voit en France, ce que l’on considère comme des délocalisations, les usines qui partent en Chine ou en Inde ou en Amérique de sud, est-ce que vous pensez que cela fait partie du partage ?

    Bien sûr que non. Le partage c’est tout à fait autre chose …

    Pourtant ça en est, on leur donne du travail!

    Non, c’est à dire qu’on leur fait produire dans des conditions généralement très mauvaises sur le plan social et environnemental ce que nous allons ensuite consommer. Je dirais que si la question du partage redeviens si fondamentale, c’est qu’on ne peut plus croire que le gâteau puisse grossir démesurément. Et quand on parle de partage, ça passe par un certain nombre d’outils très simples : c’est, par exemple, l’adoption d’un revenu garanti, permettant à chacun de vivre certes frugalement, et je dirais de façon totalement sécurisé.

    Paul Ariès, avec l’idée du partage qui commence à se répandre, il y a aussi l’idée de la gratuité. La gratuité, vous avez beaucoup travaillé sur ce sujet, c’est inséparable du partage ?

    A mes yeux, la gratuité c’est la seule chance si l’on veut effectivement avoir un discours suffisamment fort pour s’opposer à cette société du toujours plus
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    Commentaire


    • #3
      Parce que ce n’est pas facile de convaincre les gens qu’il va falloir qu’ils vivent différemment, pour ne pas dire moins bien que la façon dont ils ont vécu depuis un siècle !

      C’est encore plus difficile aujourd’hui qu’il y a vingt ans. Et puis je dirais que ça ne sert à rien de culpabiliser les gens. Je crois qu’on ne pourra changer la société que si on donne envie de changer, si on suscite le désir. Or la gratuité, je dirais qu’on l’a chevillée au coeur, c’est à la fois le souvenir du paradis perdu, du sein maternel, ce sont les relations amoureuses, amicales, associatives, c’est aussi les services publics, les biens communs.

      La gratuité, elle n’a pas disparue de la société. Et pour moi, le grand combat, c’est pas défiler pour l’augmentation du pouvoir d‘achat, c’est aujourd’hui de manifester pour défendre et étendre la sphère de la gratuité, parce que ça ne peut pas être la gratuité de n’importe quoi. C’est à dire que poser la question de la gratuité, c’est faire de la politique, ça nous oblige à choisir : est-ce qu’on veut que ce soit le stationnement des voitures qui soit gratuit, ou est-ce qu’on préfère que ça soit la cantine pour nos gosses. Dire que la gratuité elle a un coût. L’école publique, elle est gratuite mais elle est payée par l’impôt.

      Je crois qu’il y a deux types de gratuité. Il y a une première gratuité qui est une gratuité d’accompagnement du système : la gratuité pour ceux qui ne peuvent pas payer, mais cette gratuité d’accompagnement du système, elle ne va jamais sans un minimum de condescendance voire de flicage. Est-ce que vous êtes un vrai pauvre méritant? Est-ce que vous êtes un vrai chômeur?

      Et puis, il y a une deuxième gratuité. C’est une gratuité conçue comme, je dirais, une émancipation. Ce qui est beau dans l’école publique, c’est qu’on ne demande pas à un gamin si il est gosse de riche ou gosse de pauvre, c’est qu’on l’accueille en tant qu’enfant. Ce qui sera beau dans une société de la gratuité, c’est que chacun devrait avoir droit, je dirais, à un logement, à de quoi s’alimenter, à de quoi se soigner, et à la culture. Et je dirais que ces 4 piliers fondamentaux de l’humanité, aujourd’hui, la planète est assez riche pour pouvoir effectivement les offrir à tout le monde. Vous savez, moi, je ne suis pas venu à l’écologie par amour de Gaya. Je ne suis pas venu à l’écologie par l’amour des petits oiseaux, je suis venu à la décroissance pour préserver une terre pour l’humanité. Et je mets des tirets entre ces 3 mots, c’est à dire préserver une terre pour l’humanité, c’est la condition pour avoir ce que les grecs anciens appelaient l’Eudaimonia, c’est à dire une vie bonne.

      Et j’irai plus loin, même s’il était possible de pouvoir produire et consommer toujours plus, à mes yeux ce serait une raison suffisante de le refuser pour pouvoir rester simplement des humains. Notre société a totalement sombré dans ce que les grecs anciens appelaient Lubris – la démesure. Nous avons perdu la capacité à nous donner des limites. Lorsqu’un enfant n’est pas capable d’avoir des limites, eh bien, il va les chercher dans le réel ; c’est le développement des conduites à risques, c’est le développement de la toxicomanie, ou du suicide. Et lorsque une société n’est pas capable non plus de se donner des limites, eh bien, elle va les chercher dans le réel : c’est l’épuisement des ressources, c’est le réchauffement planétaire, c‘est l’explosion des inégalités.

      Donc la grande question pour le 21ème siècle, c’est pas de savoir quel va être le montant du baril, c’est cette capacité à renouer avec le sens des limites, c’est à dire de faire primer le politique et la culture, parce que la politique, la politique, c’est la définition de la loi. C’est la première limite que je rencontre tous les matins dans la rue. C’est peut-être pas marrant, mais c’est nécessaire. ça pose bien sûr la question du contenu de cette loi. Est-ce que c’est une loi qui est faite dans l’intérêt du plus grand nombre ou d’une petite majorité. Et puis, je crois qu’on ne pourra pas en finir non plus avec ce formatage économique qui nous fait chercher dans la croissance toutes les solutions. Si n’y a pas un retour à la culture, parce que la culture quelle qu’elle soit, c’est toujours ce qui nous immunise contre les fantasmes les plus archaïques, le culte de la toute-puissance, l’idée d’un monde sans limite, et puis vous savez ces fantasmes archaïques, c’est ceux qu’exploitent aussi bien la publicité que les sectes.

      Paul Ariès, pardonnez-moi d’être un peu pragmatique, mais quand vous parlez de limites, forcément, je me dis, va-ton vers, si les objecteurs de croissance, un jour, étaient suffisamment populaires pour qu’on les suive, que tout un pays comme la France puisse les suivre, est-qu’on irait vers des tickets de rationnement, c’est à dire que je ne pourrai utiliser mon ordinateur, par exemple, gros consommateur d’énergie, etc etc … je ne pourrai l’utiliser qu’une journée par an, est-ce que je n’aurai plus droit qu’à un voyage en avion par an … est-ce que c’est ce type de limites que vous imaginez ?

      On ira vers un rationnement choisi, volontaire et non pas le rationnement imposé.

      Volontaire, choisi, les soviétiques disaient aussi que c’était choisi et volontaire, on sait bien que c’était imposé …

      Je crois effectivement qu’il faut tirer toutes les leçons de ce qu’a été l’échec du modèle de l’Union Soviétique. Ce dont est mort l’Union Soviétique, ce n’est pas de la gratuité, ce dont est mort l’union soviétique, je dirais, c’est de la bureaucratisation, et moi la seule conviction que j’ai c’est qu’on ne pourra pas résoudre à la fois la crise environnementale ou la crise sociale sans un surcroît de démocratie. Mais l’idéal de partage, l’idéal d’une certaine gratuité me semble effectivement plus que jamais d’actualité.

      Paul Ariès, on imagine qu’il faudrait aussi une bureaucratie pour faire vérifier, pondre les règlements qui interdiraient, parce qu’il faudrait bien interdire, par exemple, à certains de remplir leur piscine avec l’eau qui sert à d’autres pour se laver et pour boire.

      Il faudrait, j’allais dire, un système de lois radicalement nouveau, ça c’est évident, mais je m’oppose totalement à toute idée de gouvernance mondiale. Pour moi, la vraie démocratie c’est toujours de postuler la compétence des incompétents. Je dirais, la vraie démocratie c’est donner les moyens aux gens de peu de comprendre les questions que l’on pose et de se sentir effectivement investis. Et je peux vous assurer que toutes les expériences menées dans un certain nombre de municipalités où l’on dit “est-ce qu’on peut donner à chacun un certain volume d’électricité ou d’eau gratuite”, et bien, ces gens qui croyaient être incompétents pour la politique y reviennent, parce qu’à ce moment là, on va parler de choses concrètes, de choses quotidiennes, ordinaires. Et c’est dans cette ordinarité même que peut, effectivement, s’inventer les nouveaux démocrates dont une société de la décroissance, dont une société de gratuité ont besoin.

      Paul Ariès, avant de devenir l’un des grands théoriciens de la décroissance, vous avez consacré à peu près treize années de votre vie à lutter contre les sectes. Très rapidement, expliquez-nous pourquoi les sectes, c’est si dangereux, que ça a monopolisé votre attention pendant si longtemps.

      Mais parce que je crois qu’une société s’invente toujours dans ses marges et dans ses franges. C’est la raison pour laquelle, dans les milieux de la décroissance, par exemple, j’aime beaucoup les AMAP, les SEL, les services de troc, donc le meilleur peut sortir des franges, mais le pire aussi peut sortir. Pour moi, les sectes c’est pas un cancer sur un corps sain, les sectes, c’est les métastases d’une société malade. On a en quelque sorte les sectes que l’on mérite. Et quand on regarde de quelle façon un certain nombre de groupes, comme la scientologie, fantasment l’homme de demain, c’est à dire un humain réduit à la technologie, à ce qu’ils appellent les techs (pas sûre du mot là), moi c’est quelque chose qui me fait froid dans le dos, et ça me fait froid dans le dos, parce que, effectivement, c’est un avenir possible.

      De même, Paul Ariès, vous vous êtes beaucoup intéressé à la malbouffe, vous avez écrit, entre autre, “Les Fils de McDo”, c’était sur la “Mcdisation” du monde, vous avez également écrit sur la “disneylandisation” du monde, toujours en toile de fond, il y a la mondialisation. La mondialisation n’a produit que du mauvais à vos yeux ?

      Je crois que cette mondialisation est une immondialisation. C’est à dire que le monde en latin, mundus, c’est à la fois les humains et être propre. or on voit très bien que ce qu’on appelle la mondialisation aujourd’hui ce n’est rien d’autre que l’appropriation par une petite minorité, dont je suis peut être, des richesses de la planète.

      Et puis ce qui m’embête aussi fondamentalement dans cette mondialisation, c’est qu’elle produit une standardisation, une homogénéisation. Regardons la façon dont on s’habille aujourd’hui à l’échelle planétaire, regardons la façon dont on mange. Et cela me semble effectivement très grave. Prenons par exemple la question de l’alimentation. Les pays les plus pauvres sont souvent les pays qui ont la table est la plus riche. Comme s’il fallait compenser cette pauvreté au niveau des nutriments par une symbolisation, une ritualisation particulièrement importante. Alors que les pays riches, eh bien, les pays riches ont souvent la table la plus pauvre sur le plan humain. Ce n’est pas par hasard que McDo, ça été la bouffe unique de la pensée unique. De la même façon que l’humanité a mis finalement quelques millénaires pour arriver effectivement à humaniser sa table, eh bien, ce que je peux craindre, c’est qu’aujourd’hui on déshumanise l’homme à travers la déshumanisation de sa table.

      Et Disney dans tout ça ? Disney, après tout, a imaginé des dessins animés qui, heu, font rêver, c’est quand même assez exceptionnel, font rêver, on doit en être à la 6ème ou 7ème génération qui rêve sur les mêmes films.

      Mais vous savez, Eisner, le PDG de Disney a raconté qu’il n’a découvert l’existence des grands films de Disney que le jour de sa nomination en tant que PDG. Disney aux Etats-Unis ce sont les parcs d’attraction. Or les parcs d’attraction Disney, cela n’a rien à voir avec les grands films. Ce qui est beau dans les grands films de Disney, c’est la symbolique. C’est par exemple que vous allez découvrir que c’est l’amour qui fait grandir, c’est l’amour qui rend beau. Alors que dans les parcs d’attraction, lorsque vous avez la grande parade, vous avez le char des gentils et le char des méchants. C’est une vision binaire de la réalité. C’est une vision très très appauvrie. Moi il me semble que Disney n’est pas un royaume enchanté mais désenchanté au niveau des valeurs et des symboles mis en oeuvres.
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      Commentaire


      • #4
        Vous avez beaucoup travaillé également sur le harcèlement au travail, j’aimerai que vous nous expliquiez ce que vous voyez comme différence entre l’entreprise d’hier, qu’on commence à mythifier, c’était l’entreprise «Fordiste», on a l’impression qu’elle a toutes les qualités, alors que l’entreprise d’aujourd’hui, où on se tutoie, elle a tous les défauts, expliquez-nous pourquoi.

        Alors, bien sûr, il ne s’agit sûrement pas de magnifier l’entreprise d’hier, mais il s’agit de comprendre une mutation. C’est à dire que l’entreprise à toujours flirté avec le modèle de la famille. Elle s’est toujours voulu une famille, mais il y a deux types de famille. Je dirais que il y a la bonne famille, la bonne mère, c’est celle qui nourrit ses enfants et qui a pour objectif de les faire grandir. C’est l’ancien modèle où je commençait par être apprenti, puis je devenais compagnon, et je pouvais accéder à la position de maître. Et puis, il y a la mauvaise famille, la mauvaise mère, celle qui aime tellement ses enfants qu’elle fait tout pour les empêcher de grandir. Eh bien, cette entreprise mauvaise mère, c’est celle qui aujourd’hui pratique le tutoiement systématique, le port du prénom. C’est une entreprise où l’on se fait la bise …

        Pourquoi c’est génant ?

        Mais, parce qu’on confond finalement 2 logiques. C’est à dire une logique qui est une logique économique, qui a tout à fait sa place, et une autre logique qui est une logique sentimentale, parce que votre patron, il aura beau effectivement vous tutoyer et vous appeler par son prénom, eh bien, je dirais qu’il n’en reste pas moins votre employeur. Moi, ce qui me semble important, c’est de défendre ce mur que l’on a mis un siècle et demi, deux siècles à construire et qui sépare effectivement, je dirais la vie privée et d’un autre côté la vie publique. Mais je dirais qu’il n’y pas que l’entreprise qui est responsable de cet ébranlement de ce mur. Regardons de quelle façon avec nos insu-portables, nos téléphones portables, eh bien, on remet de plus en plus en cause, je dirais cette différence entre ce qui était intime et ce qui peut être public.

        Votre patron, non seulement vous tutoie mais vous appelle chez vous pour vous faire travailler.

        Mais, ce qui est particulièrement dangereux, c’est de laisser croire que l’entreprise pourrait jouer avec l’ordre du désir. L’ordre du désir, c‘est ce qui relève, j’allais dire, de l’intime. Moi, ce qui me gêne dans l’usage du prénom, c’est plusieurs choses. Déjà l’histoire nous enseigne que pendant très longtemps, ceux qu’on appelaient les vilains, c’est à dire les paysans, le peuple, n’avaient qu’un prénom. Le prénom, c’est ce qui vient avant le nom. Le nom de famille, ça marque effectivement une identité. Et puis le prénom, c’est l’ordre du désir, c’est le choix des parents alors que le nom de famille, c’est effectivement quelque chose sur lequel on a pas prise, quelque chose que l’on hérite.

        Et le fait que l’entreprise s’amuse aujourd’hui à jouer effectivement avec ces éléments, eh bien, ça montre, j’allais dire, une stratégie de harcèlement. Je crois qu’on a eu raison de beaucoup dénoncer le harcèlement pour exclure, pour se débarrasser de ceux dont on ne veut plus. Mais un autre type de harcèlement, c’est le harcèlement pour intégrer, pour dévorer l’autre, c’est à dire pour ne lui laisser effectivement aucune place. Et personne dans l’entreprise est protégé. Je dirais que les premières victimes souvent de ce management affectif maternant, ceux sont les cadres dirigeants de l’entreprise et pas simplement ceux qu’on appelle aujourd’hui les opérateurs.

        Paul Ariès, en tant que professeur de faculté, ce que vous avez été à Lyon pendant de nombreuses années, vous y enseigniez les sciences politiques, je vous imagine bien tutoyer vos élèves par exemple, ou les appeler par leur prénom, je me trompe ?

        Non, j’ai toujours vouvoyé mes élèves et ils m’ont toujours effectivement vouvoyé sauf cas tout à fait particulier lorsqu’on rentre dans une relation je dirais …

        Et vous les appeliez monsieur Dupont ou mademoiselle Duval ?

        Mais moi je crois beaucoup aux rites. Je me souviens lorsque j’étais enfant, dès la classe de 6ème on nous appelait effectivement monsieur. Dans le cadre de la cantine scolaire, dès la classe de 2nde on avait le droit effectivement à de la bière le jour où on avait de la choucroute, et lorsqu’on était en terminale, on avait droit à la bouteille de vin. Je ne dis pas qu’il faudrait ré-alcooliser la jeunesse aujourd’hui mais je crois qu’on est dans une société qui est totalement déritualisée, qui est totalement désymbolisée. Moi, je suis pour une décroissance économique mais je suis pour une croissance en humanité. Et cette croissance en humanité, elle ne peut se produire que si on invente des institutions, que si on re-développe des rituels, que si on re-développe des symboles.

        Alors justement ces symboles qui vous manquent, Paul Ariès, les entreprises voudraient les incarner; les entreprises se veulent symboliques et très souvent d’ailleurs ce qu’elles font payer dans le prix de tel ou tel objet que nous achetons, c’est plus le symbole que le savoir-faire, plus que le prix de la fabrication. Or ces marques, ces publicités qui inventent du symbole vous les combattez violemment, pourquoi ?

        Ben, je les combat violemment parce que je dirais que la fonction d’une entreprise dans notre société actuelle c’est de faire du profit, c’est à dire que lorsque les entreprises vont utiliser ces symboles, c’est simplement pour généraliser leur emprise sur la société. Regardons de quelle façon a évolué la publicité. La publicité, elle a toujours entretenue une double illusion. La vieille illusion c’est l’illusion que le bonheur serait dans la consommation comme si le fait de posséder sept paires de basket permettait de courir sept fois plus vite.

        Et puis, il y a une deuxième illusion, beaucoup plus récente mais peut-être beaucoup plus dangereuse, c’est l’illusion qu’il serait possible de compenser les repères de sens, les identités par la consommation de produit de marques identitaires. Regardez de quelle façon aujourd’hui un gamin qui va porter un produit avec une marque, finalement se sert de cette marque comme une sorte de béquille, je dirais pour cacher, pour compenser ce qui est ressenti comme une sorte de déficit. Je ne m’aime pas, j’ai le sentiment de ne pas être aimé mais je vais chercher dans le marché de quoi tenir debout. Et ça, ça me semble effectivement, non seulement sur le plan environnemental mais sur le plan humain, dramatique parce que l’objectif d’une éducation c’est d’arriver à l’autonomie. Et je ne crois pas qu’on puisse arriver à l’autonomie à travers cette dictature du marché ni même à travers la dictature de la mode.

        N’oublions jamais que la mode c’est ce qui se démode. Le coup de génie aujourd’hui, je dirais des publicitaires, c’est d’avoir fait que la mode ne concerne plus simplement, je dirais les femmes et les vêtements mais l’ensemble des biens de consommation. Nous sommes dans une société du jetable. Et ma grande peur, c’est qu’après les objets jetables nous ayons demain les humains jetables, et qu’après les objets interchangeables nous ayons aussi les humains interchangeables.

        Paul Ariès, vous parliez toute à l’heure d’un revenu minimum garanti qui est prôné effectivement par un certain nombre de théoriciens de la décroissance dont vous faites partie. Vous n’avez pas parlé du revenu maximum, mais il va de pair, vous imaginez aussi qu’il pourrait y avoir un revenu maximum ? Souvent d’ailleurs, vous n’êtes pas le seul, beaucoup le disent, je crois même que Obama l’a dit, mais alors qui est-ce que ça concerne, les patrons d’accord, tout le monde est d’accord pour dire que les patrons doivent avoir un revenu maximal, mais est-ce que ça concerne aussi les professions libérales, les acteurs de cinéma ? Est-ce que Johnny Depp n’aura plus le droit de gagner 25 milllions de dollars par film, est-ce qu’il sera obligé de se contenter de 200000 comme Yvan Attal ou Samuel Le Bihan, on va dire ? Et puis dernière question, est-ce que Paul McCartney qui a gagné des milliards en droit d’auteur avec Les Beatles, lui aussi, est-ce que son revenu sera plafonné ?

        Le revenu garanti est nécessairement couplé à un revenu maximal autorisé. Je dirais ce revenu garanti pourrait être versé de 3 façons, une partie en monnaie européenne, en euros, une partie en monnaie régionale à inventer pour faciliter la relocalisation, une partie sous forme de droit de tirage sur les services publics, tant de kilowatt-heure d’électricité, tant de mètre-cube d’eau. Et je dirais que ce revenu garanti, il ira nécessairement avec un revenu maximal autorisé. Là où aujourd’hui avec le fameux bouclier fiscal de Sarkozy, on dit au-dessus de 50% on ne prend rien, nous on a tendance à dire au-dessus d’un certain montant à définir démocratiquement on prend tout. Et si on prend tout, c’est pour deux raisons.

        Première raison, qui n’est pas la raison essentielle, c’est bien sûr pour financer le revenu garanti, je dirais ça c’est une pure raison comptable. Mais je crois qu’il y a un deuxième enjeu, c’est tout simplement de dire qu’il est inadmissible sur le plan humain d’avoir une telle obscénité des inégalités sociales aujourd’hui. J’avais été très marqué il y a deux ans par les propos du ministre de la santé du Brésil, qui disait si on poursuivait les tendances actuelles en matière d’inégalité d’accès à la santé, à l’alimentation, en matière d’inégalité d’espérance de vie, on ne pourrait plus bientôt parler du genre humain au singulier.

        Parler d’un revenu maximal autorisé, c’est finalement instaurer un sorte de tabou, de tabou d’une trop grande division dans la société comme on a instauré un tabou de l’inceste. Et je dirais qu’on va bientôt vivre à 8 milliard sur la planète, je dirais qu’une planète avec 8 milliard d’humains est obligée de se donner des règles de vie, est obligée de se donner, je dirais, des valeurs, et de se donner peut-être un inconscient collectif qui correspond tout simplement à cette démographie, sinon, sinon, nous allons vraiment vers une barbarie.
        Rebbi yerrahmek ya djamel.
        "Tu es, donc je suis"
        Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

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        • #5
          Alors vous n’avez pas vraiment répondu, mais je crois deviner la réponse, oui, on limite les revenus des droits d’auteur de Paul McCartney et les salaires mirobolants des stars de cinéma, qui par ailleurs ne volent pas leur argent, c’est parce que Pirate des Caraïbes a été vu dans le monde entier que Johnny Depp peut prétendre gagner autant d’argent ….

          Personne ne doit être exclu de l’humanité, pas même Johnny Depp, ce que je veux dire par là, c’est que avoir aujourd’hui des revenus qui sont aussi importants, c’est ouvrir la porte vers ce qu’on appelle le transhumanisme. C’est à dire cette idée qu’il faudrait en finir avec l’humanité telle qu’elle est, avec ses petites limites physiques ou ses petites limites financières, pour arriver à une post-humanité, et ça, moi, c’est une évolution qui véritablement m’effraie.

          Vous savez, je ne crois pas qu’on fasse de la politique, qu’on s’engage avant tout pour des raisons intellectuelles. Je crois que ce qui est premier c’est les tripes, c’est le coeur. Je suis convaincu que le jour où l’écologie, le jour où la gauche retrouveront la capacité de parler avec leurs tripes, et bien, ce jour là, nous aurons la capacité de parler aux gens de peu.
          Je me souviens de la place de la poésie dans la résistance, je veux qu’on en finisse à gauche avec ce discours des experts que l’on oppose aux experts de droite, pour laisser la place aux philosophes et pour laisser la place aux poètes.


          Vous avez poussé la cohérence très très loin, Paul Ariès, la décroissance, je dirai, c’est presque une idée à la mode aujourd’hui mais vous, vous la poussez véritablement dans ce que vous croyez être sa cohérence et on voit bien que c’est quelque chose qui peut sembler monstrueux, heu, à bien des gens qui doivent être en train de nous écouter là, se dire qu’ils ne pourraient plus se servir de leur ordinateur, leur téléphone portable comme ils le voudraient, plus prendre l’avion, qu’ils ne pourront plus non plus, s’ils sont vedettes de cinéma, gagner autant d’argent qu’ils en gagnaient, parce que ce n’est pas décent à votre avis ?

          Pour un individu qui accepte d’être réduit à une seule dimension de son existence, je dirai, l’économie, être un forçat du travail, un forçat de la consommation, je comprends que ça puisse apparaître comme quelque chose de monstrueux. Mais pour un individu qui accepte d’ouvrir les autres facettes de sa personnalité, de redevenir un citoyen, de redevenir un artiste, et bien à ce moment là, je dirai au contraire que c’est beaucoup de bonheur, c’est beaucoup de joie. Et chacun en fait l’expérience, quand nous sommes en vacances, on retrouve ce plaisir des choses simples et moi je préfère sacrifier un objet de consommation et gagner un ami parce que je crois que les relations humaines c’est ce qui est fondamental. D’où le slogan de la décroissance “moins de biens, mais plus de liens”, ce qu’on propose c’est une sorte de troc, c’est de dire, il faut en finir avec cette société du toujours plus mais pour retrouver une société de la plénitude sur le plan de l’humanité.


          Paul Ariès, au fond, vous êtes un intellectuel anticapitaliste et on a l’impression qu’après 20 ans pendant lesquels les intellectuels anticapitalistes faisaient le gros dos, ils reprennent du poil de la bête, alors à la fois, parce qu’il y a l’écologie, la crise environnementale, la crise économique et financière, alors ça se traduit pas encore dans les urnes, parce que les partis anticapitalistes ne font pas tellement de voix, mais chez les intellectuels, ça grossit, vous le sentez ?

          Mais je ne suis pas seulement anticapitaliste parce que le pétrole socialiste n’est pas plus écolo que le pétrole capitaliste et le nucléaire socialiste ne serait pas plus autogérable. Mais moi, j’avais lançé un appel au NPA, au moment de sa fondation, …, j’avais proposé qu’il s’appelle NP2A Nouveau Parti Anticapitaliste et Antiproductiviste. Jusqu’à présent ils n’ont pas suivi. J’avais aussi lancé un appel à Jean-Luc Mélenchon, au moment de la fondation du Parti de Gauche, en disant «moi je veux bien te croire Jean-Luc, mais donnes-nous des signes forts, deviens le parti de gauche écologique».


          Je considère que pour l’instant le compte n’y est pas tout à fait. Mais l’ensemble des forces de gauche, l’ensemble des forces écologiques, je crois, aujourd’hui, sont questionnées par, tout simplement, l’impossibilité de continuer avec nos vieilles recettes.


          Mais vous êtes aussi un empêcheur de tourner en rond, puisque c’est le titre de la collection dans laquelle vous avez édité votre dernier livre, auprès des écologistes eux-mêmes, vous avez écrit un livre, un pamphlet très virulent contre Daniel Cohn-Bendit et vous dites le plus grand mal de Nicolas Hulot et de Yann Arthus-Bertrand par exemple, vous êtes le plus radical de tous.

          Le plus radical, c’est à dire, je crois qu’il est important de prendre les choses à la racine, quand on parle de radicalité, ça signifie, effectivement, si on pense qu’on souffre seulement de petits dysfonctionnements et que quelques pansements permettraient de régler les choses, on se trompe. Je dirai, mais je n’annonce pas le grand soir, ce qui me semble utile c’est une série de dynamiques de ruptures. Je crois que l’heure est venue de coupler un certain nombres de mots obus, la décroissance, l’antiproductivité, l’anticapitalisme, avec des mots chantier, la relocalisation, le ralentissement, la coopération, le prendre soin, la gratuité. Et à ce moment là, on se rend compte que ce que propose finalement les objecteurs de croissance, …., est très très loin de faire peur à la très grande majorité des gens.


          Merci Paul Ariès d’avoir été mon invité sur Europe 1, “La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance” c’est le titre de votre dernier livre qui vient de paraître à La Découverte, et puis je le rappelle, vous êtes le directeur du Sarkophage qui est un bimestriel qui paraît en kiosque.
          Rebbi yerrahmek ya djamel.
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          Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

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          • #6
            Vous avez poussé la cohérence très très loin, Paul Ariès, la décroissance, je dirai, c’est presque une idée à la mode aujourd’hui mais vous, vous la poussez véritablement dans ce que vous croyez être sa cohérence et on voit bien que c’est quelque chose qui peut sembler monstrueux, heu, à bien des gens qui doivent être en train de nous écouter là, se dire qu’ils ne pourraient plus se servir de leur ordinateur, leur téléphone portable comme ils le voudraient, plus prendre l’avion, qu’ils ne pourront plus non plus, s’ils sont vedettes de cinéma, gagner autant d’argent qu’ils en gagnaient, parce que ce n’est pas décent à votre avis ?

            Pour un individu qui accepte d’être réduit à une seule dimension de son existence, je dirai, l’économie, être un forçat du travail, un forçat de la consommation, je comprends que ça puisse apparaître comme quelque chose de monstrueux. Mais pour un individu qui accepte d’ouvrir les autres facettes de sa personnalité, de redevenir un citoyen, de redevenir un artiste, et bien à ce moment là, je dirai au contraire que c’est beaucoup de bonheur, c’est beaucoup de joie. Et chacun en fait l’expérience, quand nous sommes en vacances, on retrouve ce plaisir des choses simples et moi je préfère sacrifier un objet de consommation et gagner un ami parce que je crois que les relations humaines c’est ce qui est fondamental. D’où le slogan de la décroissance “moins de biens, mais plus de liens”, ce qu’on propose c’est une sorte de troc, c’est de dire, il faut en finir avec cette société du toujours plus mais pour retrouver une société de la plénitude sur le plan de l’humanité.
            Je voudrais éclaircir la notion de cohérence que ressent Frédéric Teddeï dans le discours de Paul Ariès.

            En fait, cette cohérence veut dire : vivre en conformité avec ses propres valeurs. Un individu qui prône la justice, devrait lui même d'abord arrêter d'être injuste.

            Cette justice s'incarne d'abord dans sa propre manière de vivre, càd vivre de manière juste, autrement dit vivre de manière à ne pas nuire ni de prêt, ni de loin, ni directement, ni indirectement aux autres êtres humains et aux générations futures.

            Exemples:

            à chaque fois qu'on accélère, on creuse, on agrandit les inégalités, on augmente notre dette écologique et on épuise les ressources naturelles.

            Travailler toujours plus creuse, agrandit les inégalités, augmente notre dette écologique et épuise les ressources naturelles.

            Chercher à gagner toujours plus d'argent creuse, agrandit les inégalités, augmente notre dette écologique et épuise les ressources naturelles.

            Consommer toujours plus creuse, agrandit les inégalités, augmente notre dette écologique et épuise les ressources naturelles.
            Dernière modification par Gandhi, 14 mars 2011, 16h50.
            Rebbi yerrahmek ya djamel.
            "Tu es, donc je suis"
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            • #7
              Paul Ariès .. Un mec dont je peux boire les paroles pendant des heures.

              La première fois que j'ai vu Ariès, dans l'emission de Taddei justement, sur France 3, et j'ai tout de suite été saisi par le personnage. Son discours mêlant humanisme et économie était d'une telle cohérence.

              Alain Madelein, libéral convaincu venu ce soir-là lui apporté la contradiction, était totalement dépassé intellectuellement. Franchement un régal, Ariès était tellement rationnel, cohérent que personne en face ne réussissait à lui répondre. Il en a énervé plus d'un mec de droite ce soir-là.

              Bref, Ariès, un homme sincère qui réflechit à toutes les manières possibles et imaginables de réduire l'inégalité entre les hommes.

              Et quelle ironie de parler de Paul Ariès en cette période de panique nucléaire japonaise.

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