Retranscription de l’interview de Paul Ariès sur Europe 1
Frédéric Taddeï (en italique dans tout le texte) : Paul Ariès bonjour, vous êtes politologue, vous avez 51 ans et vous êtes l’un des théoriciens de la décroissance, un mouvement international auquel les politiques empruntent de plus en plus d’idées, Barack Obama notamment. En 14 ans vous avez publié 25 livres, le dernier est La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance aux éditions de La Découverte. Paul Ariès, êtes-vous un descendant des hippies ? Je veux dire par là que les hippies déjà il y a une quarantaine d’années nous incitaient à consommer moins, à travailler moins, à gagner moins et à vivre mieux.
Paul Ariès : Je suis un descendant de beaucoup de courants, c’est à dire aussi bien des adeptes de la pauvreté évangélique, des adeptes du droit à la paresse, des gens qui dans les années 70 voulaient vivre et travailler au pays, et bien sur, en partie des hippies. Mais ce qui est nouveau, c’est finalement la conjoncture : aujourd’hui on sait qu’on va dans le mur. Et de ce fait là on ne peut plus continuer comme auparavant. Soit on accepte de sauter par dessus le mur sans savoir où l’on va, soit on accepte non pas de revenir en arrière, mais de faire un pas de coté.
F.T. : Je disais, Paul Ariès, la décroissance est un mouvement international aujourd’hui. Quelle en serait la capitale ? Où est-ce qu’on y réfléchit le plus ?
La décroissance est venue en partie du continent Nord-Américain mais davantage dans une démarche individuelle, ce que l’on appelle le choix de la simplicité volontaire. Lorsque ce mouvement est arrivé en Europe Latine, il a pris une coloration politique plus immédiate et Lyon constitue aujourd’hui une capitale de la réflexion, de la pensée. Je pense que si Lyon est la capitale aujourd’hui de la décroissance, cela tient aussi à toute l’histoire lyonnaise, c’est à dire une histoire de la rébellion, une ville qui s’est toujours voulue la capitale de quelque chose : la capitale de la résistance, de la gastronomie, et aujourd’hui de l’objection de croissance.
Vous appelez ça “l’objection de croissance” comme on disait les objecteurs de conscience ?
Alors bien sûr qu’il y a un petit clin d’oeil aux objecteurs de conscience, mais c’est plus sérieux que cela. Nous ne sommes pas partisans d’une décroissance à tout va. Ce que nous refusons, c’est le culte de la croissance. Et de se dire objecteurs de croissance ça veut dire que pour nous, il ne faut pas aller chercher la solution à tous les problèmes dans le “toujours plus”.
La gauche et la droite ont toujours été, en tout cas depuis 1 ou 2 siècles productivistes : ils cherchaient la solution dans la croissance. Ils pensaient, et la droite et la gauche, que le progrès allaient résoudre nos problèmes. Et en ce sens ils étaient optimistes, enfin elles étaient, la gauche et la droite, optimistes. Est-ce que vous êtes pessimistes, vous les décroissants ?
Je dirais qu’il y a toujours eu par exemple 2 gauches. Il y a toujours eu une gauche dominante, productiviste, qui avait foi dans le progrès, en fait dans le progrès technique et économique, qui avait foi dans les lendemains qui chantent, c’est à dire aussi dans les générations sacrifiées, et puis …
Pourquoi, pardonnez-moi, pourquoi les générations sacrifiées vont-elles avec les lendemains qui chantent ?
Parce qu’au nom, je dirais, d’accéder au pays de cocagne, à cette société d’abondance, on a toujours considéré que dans un premier temps il fallait accepter de se serrer la ceinture. Et je dirais que cette gauche productiviste, elle a aujourd’hui du plomb dans l’aile parce que sauf à mentir, elle ne peut pas promettre de généraliser notre mode de vie.
Il y a toujours eu une deuxième gauche, une gauche dominée, ringardisée, ridiculisée, une gauche anti-productiviste. C’était celle par exemple de ces paysans qui pendant un siècle et demi ont refusé le passage de la faucille à la faux, parce que derrière ce refus c’était la défense du droit de glanage, c’était la défense de leur mode de vie. C’est cette gauche anti-productiviste qui se retrouvait du côté des ouvriers cassant les machines, alors pas toutes les machines mais celles qui prenaient leurs places. C’est cette gauche qui était du côté du droit à la paresse, ce bouquin écrit par le gendre de Marx. C’est cette gauche qui était du côté de ce qu’on appelait au 19ème siècle “les sublimes”. Les sublimes, c’était ces ouvriers hautement qualifiés qui choisissaient de ne travailler que le strict minimum, et qui fêtaient la saint-lundi, parce qu’ils prolongeaient le week-end, parce que le lundi il y avait un avantage considérable, c’était que les cabarets étaient ouverts. Et je dirais que cette gauche anti-productiviste elle a été pessimiste parce qu’elle a été convaincue que les classes moyennes étaient définitivement perdues et intégrées à la société de consommation. Et moi je crois qu’aujourd’hui, on peut assister à la renaissance d’une gauche à la fois anti-productiviste et optimiste pour 2 raisons. La première raison c’est que l’on sait que le gâteau, le PIB mondial il ne peut plus grossir. Donc on ne peut plus refouler la grande question du partage.
Puis la deuxième raison, est que l’on peut reprocher tout ce que l’on veut à la société du toujours plus, à la société de consommation, il faut reconnaître que c’est une société diablement efficace sur le plan anthropologique parce que, je dirais, elle sait susciter nos désirs et les rabattre sur le désir de consommation. Tant qu’on aura pas quelque chose d’aussi fort que le toujours plus à lui opposer, on ne peut pas y arriver. Et à mes yeux il y a un mouvement international qui est en train de se développer pour le partage, pour la gratuité.
Et puis, on assiste aussi à la démoyennisation de la société. Le grand coup de génie du capitalisme au 20ème siècle, c’est le développement des classes moyennes. Or aujourd’hui il suffit de regarder autour de nous, cette génération des bac+5 à 1000 euros. Et je dirais que ces bac+5 à 1000 euros, je dirais, ça peut donner le meilleur comme le pire. Le pire, cela serait bien sûr le développement du nihilisme. Et le meilleur, c’est que cette génération se rende compte qu’elle n’a rien à gagner à la société de consommation, qu’elle a rien à gagner au “toujours plus”. La génération de leurs parents pouvaient croire au travailler plus pour gagner plus”. Eux cela serait “travailler plus pour gagner moins”, donc je crois qu’ils ont tout intérêt à décrocher, et à faire un pas de coté. Et donc d’en finir avec cette idée que “plus” serai forcément égal à “mieux”.
Paul Ariès, je vous avais posé la question sur la gauche et la droite, qui étaient optimistes, et comme tout homme de gauche vous m’avez répondu sur la gauche mais jamais sur la droite. Vous croyez vraiment que la droite n’a pas d’idées, que la droite en tant que mouvement intellectuel n’existe pas ? La droite après tout a prôné ce capitalisme auquel vous êtes obligé de céder quelques compliments parce qu’il a été révolutionnaire, qu’il a inventé les classes moyennes. Et de même on pourrait dire qu’il y a une droite aussi plus réactionnaire qui elle aussi a prôné pour la paresse.
Je dirais que la gauche et la droite partagent le même bilan effroyable en matière environnementale. Ces deux systèmes ont totalement pillé la planète pour nourrir leur machine productiviste. La gauche aujourd’hui elle est aphone, on l’a vu. Mais la droite, elle, elle a un vrai projet, un grand projet, qui n’est pas le mien, c’est ce qu’on appelle le capitalisme vert. Le capitalisme vert, c’est cette volonté d’adapter la planète, l’écologie, et si nécessaire les humains au besoin du toujours plus. Alors adapter la planète, c’est tout ces projets des savants fous, c’est à dire cette idée d’inventer une sorte d’immense bouclier artificiel entre le ciel ou la terre.
Frédéric Taddeï (en italique dans tout le texte) : Paul Ariès bonjour, vous êtes politologue, vous avez 51 ans et vous êtes l’un des théoriciens de la décroissance, un mouvement international auquel les politiques empruntent de plus en plus d’idées, Barack Obama notamment. En 14 ans vous avez publié 25 livres, le dernier est La simplicité volontaire contre le mythe de l’abondance aux éditions de La Découverte. Paul Ariès, êtes-vous un descendant des hippies ? Je veux dire par là que les hippies déjà il y a une quarantaine d’années nous incitaient à consommer moins, à travailler moins, à gagner moins et à vivre mieux.
Paul Ariès : Je suis un descendant de beaucoup de courants, c’est à dire aussi bien des adeptes de la pauvreté évangélique, des adeptes du droit à la paresse, des gens qui dans les années 70 voulaient vivre et travailler au pays, et bien sur, en partie des hippies. Mais ce qui est nouveau, c’est finalement la conjoncture : aujourd’hui on sait qu’on va dans le mur. Et de ce fait là on ne peut plus continuer comme auparavant. Soit on accepte de sauter par dessus le mur sans savoir où l’on va, soit on accepte non pas de revenir en arrière, mais de faire un pas de coté.
F.T. : Je disais, Paul Ariès, la décroissance est un mouvement international aujourd’hui. Quelle en serait la capitale ? Où est-ce qu’on y réfléchit le plus ?
La décroissance est venue en partie du continent Nord-Américain mais davantage dans une démarche individuelle, ce que l’on appelle le choix de la simplicité volontaire. Lorsque ce mouvement est arrivé en Europe Latine, il a pris une coloration politique plus immédiate et Lyon constitue aujourd’hui une capitale de la réflexion, de la pensée. Je pense que si Lyon est la capitale aujourd’hui de la décroissance, cela tient aussi à toute l’histoire lyonnaise, c’est à dire une histoire de la rébellion, une ville qui s’est toujours voulue la capitale de quelque chose : la capitale de la résistance, de la gastronomie, et aujourd’hui de l’objection de croissance.
Vous appelez ça “l’objection de croissance” comme on disait les objecteurs de conscience ?
Alors bien sûr qu’il y a un petit clin d’oeil aux objecteurs de conscience, mais c’est plus sérieux que cela. Nous ne sommes pas partisans d’une décroissance à tout va. Ce que nous refusons, c’est le culte de la croissance. Et de se dire objecteurs de croissance ça veut dire que pour nous, il ne faut pas aller chercher la solution à tous les problèmes dans le “toujours plus”.
La gauche et la droite ont toujours été, en tout cas depuis 1 ou 2 siècles productivistes : ils cherchaient la solution dans la croissance. Ils pensaient, et la droite et la gauche, que le progrès allaient résoudre nos problèmes. Et en ce sens ils étaient optimistes, enfin elles étaient, la gauche et la droite, optimistes. Est-ce que vous êtes pessimistes, vous les décroissants ?
Je dirais qu’il y a toujours eu par exemple 2 gauches. Il y a toujours eu une gauche dominante, productiviste, qui avait foi dans le progrès, en fait dans le progrès technique et économique, qui avait foi dans les lendemains qui chantent, c’est à dire aussi dans les générations sacrifiées, et puis …
Pourquoi, pardonnez-moi, pourquoi les générations sacrifiées vont-elles avec les lendemains qui chantent ?
Parce qu’au nom, je dirais, d’accéder au pays de cocagne, à cette société d’abondance, on a toujours considéré que dans un premier temps il fallait accepter de se serrer la ceinture. Et je dirais que cette gauche productiviste, elle a aujourd’hui du plomb dans l’aile parce que sauf à mentir, elle ne peut pas promettre de généraliser notre mode de vie.
Il y a toujours eu une deuxième gauche, une gauche dominée, ringardisée, ridiculisée, une gauche anti-productiviste. C’était celle par exemple de ces paysans qui pendant un siècle et demi ont refusé le passage de la faucille à la faux, parce que derrière ce refus c’était la défense du droit de glanage, c’était la défense de leur mode de vie. C’est cette gauche anti-productiviste qui se retrouvait du côté des ouvriers cassant les machines, alors pas toutes les machines mais celles qui prenaient leurs places. C’est cette gauche qui était du côté du droit à la paresse, ce bouquin écrit par le gendre de Marx. C’est cette gauche qui était du côté de ce qu’on appelait au 19ème siècle “les sublimes”. Les sublimes, c’était ces ouvriers hautement qualifiés qui choisissaient de ne travailler que le strict minimum, et qui fêtaient la saint-lundi, parce qu’ils prolongeaient le week-end, parce que le lundi il y avait un avantage considérable, c’était que les cabarets étaient ouverts. Et je dirais que cette gauche anti-productiviste elle a été pessimiste parce qu’elle a été convaincue que les classes moyennes étaient définitivement perdues et intégrées à la société de consommation. Et moi je crois qu’aujourd’hui, on peut assister à la renaissance d’une gauche à la fois anti-productiviste et optimiste pour 2 raisons. La première raison c’est que l’on sait que le gâteau, le PIB mondial il ne peut plus grossir. Donc on ne peut plus refouler la grande question du partage.
Puis la deuxième raison, est que l’on peut reprocher tout ce que l’on veut à la société du toujours plus, à la société de consommation, il faut reconnaître que c’est une société diablement efficace sur le plan anthropologique parce que, je dirais, elle sait susciter nos désirs et les rabattre sur le désir de consommation. Tant qu’on aura pas quelque chose d’aussi fort que le toujours plus à lui opposer, on ne peut pas y arriver. Et à mes yeux il y a un mouvement international qui est en train de se développer pour le partage, pour la gratuité.
Et puis, on assiste aussi à la démoyennisation de la société. Le grand coup de génie du capitalisme au 20ème siècle, c’est le développement des classes moyennes. Or aujourd’hui il suffit de regarder autour de nous, cette génération des bac+5 à 1000 euros. Et je dirais que ces bac+5 à 1000 euros, je dirais, ça peut donner le meilleur comme le pire. Le pire, cela serait bien sûr le développement du nihilisme. Et le meilleur, c’est que cette génération se rende compte qu’elle n’a rien à gagner à la société de consommation, qu’elle a rien à gagner au “toujours plus”. La génération de leurs parents pouvaient croire au travailler plus pour gagner plus”. Eux cela serait “travailler plus pour gagner moins”, donc je crois qu’ils ont tout intérêt à décrocher, et à faire un pas de coté. Et donc d’en finir avec cette idée que “plus” serai forcément égal à “mieux”.
Paul Ariès, je vous avais posé la question sur la gauche et la droite, qui étaient optimistes, et comme tout homme de gauche vous m’avez répondu sur la gauche mais jamais sur la droite. Vous croyez vraiment que la droite n’a pas d’idées, que la droite en tant que mouvement intellectuel n’existe pas ? La droite après tout a prôné ce capitalisme auquel vous êtes obligé de céder quelques compliments parce qu’il a été révolutionnaire, qu’il a inventé les classes moyennes. Et de même on pourrait dire qu’il y a une droite aussi plus réactionnaire qui elle aussi a prôné pour la paresse.
Je dirais que la gauche et la droite partagent le même bilan effroyable en matière environnementale. Ces deux systèmes ont totalement pillé la planète pour nourrir leur machine productiviste. La gauche aujourd’hui elle est aphone, on l’a vu. Mais la droite, elle, elle a un vrai projet, un grand projet, qui n’est pas le mien, c’est ce qu’on appelle le capitalisme vert. Le capitalisme vert, c’est cette volonté d’adapter la planète, l’écologie, et si nécessaire les humains au besoin du toujours plus. Alors adapter la planète, c’est tout ces projets des savants fous, c’est à dire cette idée d’inventer une sorte d’immense bouclier artificiel entre le ciel ou la terre.
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