Lorman.

[Loubia]

Dans le long feuilleton des mouvements sociaux, deux nouveaux épisodes sont apparus, et pas des moindres. Une grève à l’usine des munitions de Batna, où l’on fabrique, entre autres, des balles pour kalachnikov, et une autre grève à l’Office national des explosifs de Miliana, où l’on fabrique évidemment des explosifs. Avec des jeux de mots faciles, on pourrait dire que le régime tire ses dernières cartouches ou que la situation est devenue réellement explosive. Ce n’est pourtant pas drôle, car au même moment, à Ouargla, deux jeunes chômeurs ont tenté de s’immoler avec une bonbonne de gaz, passant à un stade supérieur de la revendication suicide. L’Algérie est-elle en train d’imploser ou d’exploser ? Ou est-on en train de la faire imploser pour ne pas qu’elle explose ? Un observateur extérieur, lisant ces trois informations, grève de munitions, d’explosifs et suicide par gaz (en bouteille), dirait qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pourtant, ces faits sont banals, normalisés par l’anormalité permanente de la situation.

Dans les rues, on ne commente même plus, et au sommet, on s’installe dans d’occultes tractations entre clans pour se faire durer en faisant croire à une transition. Il faut revenir à la définition de la normale. Est anormal ce qui n’est pas normal. Sauf que si tout est anormal, c’est que c’est la norme. Ce qui est anormal devient donc normal et ce qui est normal anormal. Demain, un Algérien tentera de s’immoler avec du whisky devant le siège de la fédération des aveugles en chantant du raï, habillé en danseuse classique. Normal. Les autorités tenteront de le «normaliser» en lui donnant de l’argent, un demi logement, un jean taille basse ou un prêt pour un frigo. Normal. Jusqu’au jour où l’on comprendra que ceux qui créent de plus en plus d’anormalités par leur gestion catastrophique sont tout à fait normaux. Normalement, ils devraient partir.

Chawki Amari, El Watan