La contribution de Idir El-Watani en 1949
(Par Sadek HADJERES) Ex-Secrétaire général du PAGS
Compte tenu de l'actualité dramatique qui s'est acharnée sur notre pays depuis trop d'années, le thème proposé pour ce colloque pourrait tout aussi bien se ramener à la question cruciale suivante : quelles sont les convergences à réaliser pour sauver l'Algérie en tant que Nation, du mal qui a commencé à la ronger il y a quelques décennies ?
Poser la question ainsi n'a rien d'une négation de la vigueur avec laquelle cette jeune nation s'est affirmée il y a un demi-siècle à travers des épreuves inouïes. Mais malgré des atouts humains et matériels énormes, le processus de développement national a montré une vulnérabilité que les plus pessimistes d'entre nous n'auraient pas imaginé, même après les premières crises qui ont suivi l'indépendance. L'Algérie continue à chercher ses repères. Certains courants ont cru les trouver dans l'aiguisement de références identitaires exclusives les unes des autres. Cette pratique a conduit à des résultats pour le moins discutables, à des impasses tragiques ou des tendances centrifuges pour le destin national.
Comment rendre viable et vivable pour tous une nation en laquelle l'ensemble des nationaux, dans leur diversité, se reconnaîtraient et trouveraient leur intérêt ? Le temps des vraies solutions presse. La mondialisation en cours, fondée sur la triple hégémonie de la finance, des armes et des grands médias sera de plus en plus impitoyable pour les peuples affaiblis et divisés.
Parmi les multiples éclairages possibles, j'ai choisi celui de la crise du PPA-MTLD de 1949. Je n'aborderai pas ici les enchaînements factuels de cette crise. Je ne sous-estime pas leur éclairage, ils font l'objet de plusieurs de mes publications précédentes et d'un ouvrage à paraître. La genèse et le déroulement des événements de 1949 m'ont paru être la matrice et le prototype des crises qui ont continué à frapper le mouvement national, y compris dans ses moments ascendants. Mais ce champ est trop vaste pour être survolé dans cette intervention.
J'ai préféré centrer l'attention sur un document capital de cette crise, que vous pouvez aujourd'hui consulter dans son intégralité, grâce à une chaîne de hasards et surtout d'initiatives et d'efforts tenaces et désintéressés qui l'ont sauvée de la disparition au cours du demi-siècle écoulé ; il s'agit de la brochure "l'Algérie libre vivra", signée de Yidir el Watani, pseudonyme collectif des trois rédacteurs: Mabrouk Belhocine, Yahia Henine et moi-même. Le document se voulait au départ non une profession de foi mais une plate-forme pour la discussion avec la direction et tous les milieux nationaux en mesure de contribuer à une réflexion plus large. Je viens d'apprendre sa réédition dans cette même capitale où l'édition originale semi-clandestine il y a cinquante ans fut la cible aussi bien des colonialistes que de certains cercles nationalistes, dans le but de la faire disparaître sans laisser de trace.
Je voudrais à ce propos rendre hommage à trois maillons de cette chaîne de solidarité patriotique et démocratique particulièrement réconfortante, dans cette question où les esprits malveillants s'efforcent d'introduire le venin de la méfiance ethno-linguistique. Ceux qui ont permis la préservation de ce document historique sont tous des arabophones ; ils aiment la langue et la culture arabe ; ils ne connaissent pas un mot de kabyle, à part peut être tamazight et a vava inouva. Ils ont agi en connaissance de cause, par esprit civique et conviction patriotique. Le premier maillon, en juillet 1949, si je me souviens bien, en tout cas par une chaleur étouffante, c'est trois membres de l'OS, mes compagnons de lutte de Larbaâ, tous trois "chaâbiyin", deux du niveau de l'école primaire française et le troisième, le plus responsable, seulement de l'école coranique. Nous avions ensemble depuis des années des discussions franches et confiantes dans lesquelles j'apprenais autant qu'ils apprenaient, ils étaient eux aussi insatisfaits des ambiguïtés, flottements et méthodes de la direction. De longue date, nous partagions la même conception de la nation, de la lutte révolutionnaire et des méthodes de débat ouvert au sein du parti. Ils m'ont laissé le souvenir inoubliable de cette fraternité de lutte qu'ont connue d'innombrables militants de ma génération.
Ils ont emmené les sacs de brochures en un lieu sûr dans la Mitidja après que nous en ayons pris livraison quelques heures plus tôt que prévu. Fort heureusement, car des commandos dépêchés contre nous se sont présentés à l'heure dite devant l'imprimerie, trop tard pour eux, et se sont rabattus ensuite à sa recherche au Foyer des Etudiants qu'ils ont dévasté, puis à l'atelier de tailleur du malheureux Si Djilani, ancien de l'ENA, dont ils ont éventré les matelas. Si l'heure de la livraison n'avait pas été changée, j'aurais subi le même sort que subira cinq ans plus tard devant la même imprimerie en Octobre 1954 le chauffeur de la fourgonnette du MTLD, qui eut un bras brisé et la camionnette détruite. Il était venu prendre livraison du numéro de La Nation Algérienne, organe des centralistes (dont plusieurs des dirigeants étaient alors ceux qui avaient lancé les commandos contre nous en 49). Ironie de l'histoire : ce numéro de La Nation auquel un commando messaliste s'était attaqué, reproduisait pour son propre compte, et sans citer la source, des passages entiers de notre brochure, concernant le Nationalisme et la Démocratie, sans mentionner le troisième axe, l'orientation révolutionnaire.
Fort heureusement, l'Algérie n'a pas manqué de citoyens sages, généreux et non déformés par l'étroitesse partisane. Le deuxième maillon du sauvetage de ce document historique a été l'ancien député MTLD Djilani Embarek, arabophone nationaliste, qui, retrouvant un exemplaire, l'a remis à Mabrouk Belhocine dans les années 80. Et, après que ce dernier ait, semble-t-il, espéré sa reproduction dans une revue berbère de l'époque, c'est encore un autre arabophone, internationaliste cette fois, Mohammed Harbi, qui l'a sauvée de l'oubli en la publiant dans la revue Soual N°6 en 1987.
En survivant et permettant aujourd'hui des échanges plus sereins, la brochure a eu plus de chance que ses deux initiateurs. Ouali Bennai et Ammar Ould Hammouda. Ces pionniers reconnus et respectés de la lutte nationale, ne pourront pas témoigner ni s'expliquer devant vous. Ils ont été odieusement assassinés sept ans après la crise, uniquement en raison de leurs convictions et à ce jour non encore officiellement réhabilités. Il est en tout cas regrettable que les pourfendeurs de "séparatistes", à défaut de les avoir entendus quand il était temps, ne serait-ce que pour leur demander des comptes, n'aient pas songé à se référer à ce document capital, dès sa naissance ou après qu'il ait été opportunément exhumé par la revue Soual. N'auraient-ils pas dû, en bonne logique, faire figurer cette "pièce à conviction" en première place dans le dossier du procès en sorcellerie intenté aux "berbéro-matérialistes" ?
Brochure à l'appui, ma communication sera donc centrée sur le point suivant : Quelles orientations défendait en 1949 au sein du PPA-MTLD, le courant qui se définissait triplement, comme algérianiste, révolutionnaire et démocratique?
(Par Sadek HADJERES) Ex-Secrétaire général du PAGS
Compte tenu de l'actualité dramatique qui s'est acharnée sur notre pays depuis trop d'années, le thème proposé pour ce colloque pourrait tout aussi bien se ramener à la question cruciale suivante : quelles sont les convergences à réaliser pour sauver l'Algérie en tant que Nation, du mal qui a commencé à la ronger il y a quelques décennies ?
Poser la question ainsi n'a rien d'une négation de la vigueur avec laquelle cette jeune nation s'est affirmée il y a un demi-siècle à travers des épreuves inouïes. Mais malgré des atouts humains et matériels énormes, le processus de développement national a montré une vulnérabilité que les plus pessimistes d'entre nous n'auraient pas imaginé, même après les premières crises qui ont suivi l'indépendance. L'Algérie continue à chercher ses repères. Certains courants ont cru les trouver dans l'aiguisement de références identitaires exclusives les unes des autres. Cette pratique a conduit à des résultats pour le moins discutables, à des impasses tragiques ou des tendances centrifuges pour le destin national.
Comment rendre viable et vivable pour tous une nation en laquelle l'ensemble des nationaux, dans leur diversité, se reconnaîtraient et trouveraient leur intérêt ? Le temps des vraies solutions presse. La mondialisation en cours, fondée sur la triple hégémonie de la finance, des armes et des grands médias sera de plus en plus impitoyable pour les peuples affaiblis et divisés.
Parmi les multiples éclairages possibles, j'ai choisi celui de la crise du PPA-MTLD de 1949. Je n'aborderai pas ici les enchaînements factuels de cette crise. Je ne sous-estime pas leur éclairage, ils font l'objet de plusieurs de mes publications précédentes et d'un ouvrage à paraître. La genèse et le déroulement des événements de 1949 m'ont paru être la matrice et le prototype des crises qui ont continué à frapper le mouvement national, y compris dans ses moments ascendants. Mais ce champ est trop vaste pour être survolé dans cette intervention.
J'ai préféré centrer l'attention sur un document capital de cette crise, que vous pouvez aujourd'hui consulter dans son intégralité, grâce à une chaîne de hasards et surtout d'initiatives et d'efforts tenaces et désintéressés qui l'ont sauvée de la disparition au cours du demi-siècle écoulé ; il s'agit de la brochure "l'Algérie libre vivra", signée de Yidir el Watani, pseudonyme collectif des trois rédacteurs: Mabrouk Belhocine, Yahia Henine et moi-même. Le document se voulait au départ non une profession de foi mais une plate-forme pour la discussion avec la direction et tous les milieux nationaux en mesure de contribuer à une réflexion plus large. Je viens d'apprendre sa réédition dans cette même capitale où l'édition originale semi-clandestine il y a cinquante ans fut la cible aussi bien des colonialistes que de certains cercles nationalistes, dans le but de la faire disparaître sans laisser de trace.
Je voudrais à ce propos rendre hommage à trois maillons de cette chaîne de solidarité patriotique et démocratique particulièrement réconfortante, dans cette question où les esprits malveillants s'efforcent d'introduire le venin de la méfiance ethno-linguistique. Ceux qui ont permis la préservation de ce document historique sont tous des arabophones ; ils aiment la langue et la culture arabe ; ils ne connaissent pas un mot de kabyle, à part peut être tamazight et a vava inouva. Ils ont agi en connaissance de cause, par esprit civique et conviction patriotique. Le premier maillon, en juillet 1949, si je me souviens bien, en tout cas par une chaleur étouffante, c'est trois membres de l'OS, mes compagnons de lutte de Larbaâ, tous trois "chaâbiyin", deux du niveau de l'école primaire française et le troisième, le plus responsable, seulement de l'école coranique. Nous avions ensemble depuis des années des discussions franches et confiantes dans lesquelles j'apprenais autant qu'ils apprenaient, ils étaient eux aussi insatisfaits des ambiguïtés, flottements et méthodes de la direction. De longue date, nous partagions la même conception de la nation, de la lutte révolutionnaire et des méthodes de débat ouvert au sein du parti. Ils m'ont laissé le souvenir inoubliable de cette fraternité de lutte qu'ont connue d'innombrables militants de ma génération.
Ils ont emmené les sacs de brochures en un lieu sûr dans la Mitidja après que nous en ayons pris livraison quelques heures plus tôt que prévu. Fort heureusement, car des commandos dépêchés contre nous se sont présentés à l'heure dite devant l'imprimerie, trop tard pour eux, et se sont rabattus ensuite à sa recherche au Foyer des Etudiants qu'ils ont dévasté, puis à l'atelier de tailleur du malheureux Si Djilani, ancien de l'ENA, dont ils ont éventré les matelas. Si l'heure de la livraison n'avait pas été changée, j'aurais subi le même sort que subira cinq ans plus tard devant la même imprimerie en Octobre 1954 le chauffeur de la fourgonnette du MTLD, qui eut un bras brisé et la camionnette détruite. Il était venu prendre livraison du numéro de La Nation Algérienne, organe des centralistes (dont plusieurs des dirigeants étaient alors ceux qui avaient lancé les commandos contre nous en 49). Ironie de l'histoire : ce numéro de La Nation auquel un commando messaliste s'était attaqué, reproduisait pour son propre compte, et sans citer la source, des passages entiers de notre brochure, concernant le Nationalisme et la Démocratie, sans mentionner le troisième axe, l'orientation révolutionnaire.
Fort heureusement, l'Algérie n'a pas manqué de citoyens sages, généreux et non déformés par l'étroitesse partisane. Le deuxième maillon du sauvetage de ce document historique a été l'ancien député MTLD Djilani Embarek, arabophone nationaliste, qui, retrouvant un exemplaire, l'a remis à Mabrouk Belhocine dans les années 80. Et, après que ce dernier ait, semble-t-il, espéré sa reproduction dans une revue berbère de l'époque, c'est encore un autre arabophone, internationaliste cette fois, Mohammed Harbi, qui l'a sauvée de l'oubli en la publiant dans la revue Soual N°6 en 1987.
En survivant et permettant aujourd'hui des échanges plus sereins, la brochure a eu plus de chance que ses deux initiateurs. Ouali Bennai et Ammar Ould Hammouda. Ces pionniers reconnus et respectés de la lutte nationale, ne pourront pas témoigner ni s'expliquer devant vous. Ils ont été odieusement assassinés sept ans après la crise, uniquement en raison de leurs convictions et à ce jour non encore officiellement réhabilités. Il est en tout cas regrettable que les pourfendeurs de "séparatistes", à défaut de les avoir entendus quand il était temps, ne serait-ce que pour leur demander des comptes, n'aient pas songé à se référer à ce document capital, dès sa naissance ou après qu'il ait été opportunément exhumé par la revue Soual. N'auraient-ils pas dû, en bonne logique, faire figurer cette "pièce à conviction" en première place dans le dossier du procès en sorcellerie intenté aux "berbéro-matérialistes" ?
Brochure à l'appui, ma communication sera donc centrée sur le point suivant : Quelles orientations défendait en 1949 au sein du PPA-MTLD, le courant qui se définissait triplement, comme algérianiste, révolutionnaire et démocratique?
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