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"Le Dialogue"

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    «Je ne dialogue avec les morts»

    par Kamel Daoud

    Pour dialoguer, il faut deux. Sinon, on est Dieu, ou on est divorcé. Pourquoi donc les régimes arabes sont incapables de dialoguer avec leur peuple ? Pourquoi le Pouvoir peut tout sauf parler ? A cause de ce que donne le pouvoir et qu'on ne veut pas redonner. Partout où il y a demande de démocratie, dans le monde arabe, le dictateur du coin commence par frapper, nier, tuer, accuser. Le lacrymogène avant les petites tapes sur le micro pour vérifier s'il fonctionne. Le pire, c'est que, souvent après avoir frappé, on propose toujours le dialogue mais avec des gens qui sont assis chez eux, personne dans la rue et seulement avec les gens qui sont proches du Pouvoir. Donc pourquoi les régimes arabes ne commencent pas par dialoguer, au début de la crise et pas vers la fin de la Révolution? Pourquoi se cabrent-ils si férocement dès qu'on leur adresse la demande ? Parce que. D'abord à cause d'eux-mêmes (les gens au Pouvoir) : le Pouvoir, ils n'y sont pas arrivés par des voies honnêtes mais par le vol. Le peuple est un bruit de pas derrière le dos du pickpocket qui se hâte vers son trou. « On ne voit le monde que comme on est » a dit Spinoza. Le voleur de Pouvoir ne voit que des voleurs qui veulent le Pouvoir qu'il a lui-même pris à un autre. Le Saint voit l'espoir. Le cordonnier voit des chaussures et le dictateur ne voit que des gens comme lui mais qui n'ont pas la possibilité d'être lui.

    Partout donc dans le monde arabe, l'usage est à celui d'inverser le bon sens : un peuple sort dans une place Tahrir Local ou une avenue Bourguiba du coin, le Pouvoir le frappe, puis le tue s'il insiste, puis l'infiltre, le divise, l'accuse, le cerne, l'isole, lui ment et lui démontre que le peuple ce n'est pas lui mais l'autre qui ne manifeste pas. Quelques jours ensuite le sang coule, l'histoire devient irréversible et les choses ont l'accent terrible du « trop tard ». Et c'est là que le Dictateur prend la posture hideuse de l'affreux voleur : il dit d'accord je pars (donc il admet qu'il n'est pas légitime) mais dans six mois, car je n'ai pas fini mon repas, je n'ai pas arrangé mes affaires ni pensé où scolariser mes enfants. Ensuite le Dictateur, annonce les réformes, les nouveaux ministres et des « canaux » de dialogues avec l'opposition. Le tout servi sous le chapitre des choses qui arrivent si tard qu'elles n'ont plus de prénoms. D'où cette question : pourquoi on ne commence pas par le dialogue mais par la matraque ? Pour démontrer qui est le mâle dans le couple Peuple/Régime ? Pour tester si le mouvement est une révolution ou une promenade ? Pour augmenter les enchères de sa réédition ? On ne sait pas. Les réponses se valent. Dans tous les cas, elles ne servent à rien. Autant que les questions. Cela se passe ainsi quand on veut transformer une routine en une histoire d'amour par exemple : un couple se rencontre puis commence une série de retards, de malentendus, de mauvais son, d'insolences et désolation. Pour l'amour cela aboutit à avoir des enfants selon le conte. Dans le cas de la révolution, cela commence par les tuer. Chez nous, le Pouvoir ne dialogue qu'avec les martyrs morts : il dit qu'il leur parle la nuit tous les jours, qu'ils lui ont dit de continuer à gouverner le pays avec le regard dur, qu'ils sont heureux, qu'ils veulent que d'autres les rejoignent, que l'indépendance a été une réussite et qu'ils embrassent tout le monde et leur disent «mangez bien !».


    Le Quotidien d'Oran

    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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