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Le quart d'heure de gloire de Sarkozy

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  • Le quart d'heure de gloire de Sarkozy

    N'est pas de Gaulle qui veut. La revue américaine Foreign Policy critique l'activisme déployé par le président français dans le dossier libyen. Avec ce cruel constat : il risque bien d'avoir présumé de ses forces.

    Le soulèvement libyen vient de donner au président Nicolas Sarkozy une occasion qu'il guettait depuis longtemps : la possibilité de prendre la tête d'une mission internationale risquée qui recèle la promesse d'une gloire future. Pour le général de Gaulle, fondateur de la Ve République, la recherche de la grandeur* était la première raison d'être* d'un chef d'Etat. Ses successeurs ont entièrement partagé cette conception et défendu avec ténacité les intérêts et l'indépendance de la France. Mais l'idée que se fait Sarkozy de la grandeur diffère de celle de De Gaulle ou de Mitterrand. Ces présidents se considéraient comme des étudiants de l'Histoire, deux hommes avec une vision à long terme de l'intérêt national. Sarkozy, lui, est une créature de l'instant qui vit depuis toujours selon le cycle de l'actualité. Le risque lui fait battre le cœur plus vite et aiguise son appétit. Il s'est d'abord fait connaître lorsqu'il était maire de Neuilly, quand un fou muni d'une bombe avait pris une classe de maternelle en otage [en mai 1993]. Sarkozy était entré dans la salle, avait tenté de convaincre le forcené de se rendre et était ressorti devant les caméras un enfant dans les bras. La crise est son élément.

    Le goût du risque du président n'a cependant pas toujours payé. Avant de devenir la Némésis de Muammar Kadhafi, il avait tenté de réintégrer le colonel dans la communauté internationale en l'invitant à Paris, en décembre 2007. Cette initiative lui avait valu les critiques de sa propre secrétaire d'Etat aux Droits de l'homme [Rama Yade] et avait viré au camouflet à cause du comportement erratique du Libyen. Pis encore, il s'agissait probablement d'un échange de bons procédés, après que Kadhafi, au début de l'année, avait décidé de libérer des infirmières bulgares qu'il retenait prisonnières [depuis 1999, accusées d'avoir inoculé le virus du sida à des enfants libyens]. Entre autres tributs, le colonel avait aussi extorqué en retour la promesse de 100 millions d'euros d'armes et la construction d'une centrale nucléaire dans son pays. Malgré ces ouvertures, le dirigeant libyen avait par la suite refusé de rejoindre l'Union pour la Méditerrannée, un projet cher à Sarkozy, au motif que cela ruinerait l'unité de la Ligue arabe.

    Bien entendu, le président français avait d'autres mobiles que la déception pour réclamer une action urgente contre le dictateur libyen. Sarkozy se plaît à invoquer des considérations humanitaires, ce qui est parfaitement légitime, et les "valeurs démocratiques" partagées avec les rebelles – sans que l'on sache exactement la position des intéressés sur la question. Mais il espère aussi jeter un voile sur le désarroi que son gouvernement a affiché au début du "printemps arabe". Et il va en outre devoir se battre farouchement pour se faire réélire en 2012. Sa cote de popularité est au plus bas. Dans ces circonstances, un dirigeant qui conduit son pays à la guerre sera toujours soupçonné de rechercher l'avantage dans les sondages. La cote de Sarkozy n'a cependant pas connu d'envolée perceptible depuis que les avions français ont décollé pour la Libye.

    La grandeur gaulliste restera de toute façon hors d'atteinte si les combats dans le désert ne se déroulent pas comme prévu. Certes, les avions français ont bien été les premiers à procéder à des bombardements autour de Benghazi, avant même que les missiles de croisière américains ne frappent les sites de défense aérienne des forces loyales à Kadhafi. Mais, en réalité, les Français et les Britanniques, censés assurer le plus gros de l'opération, n'ont pas les capacités de "projection de force" des Etats-Unis. Et, même si Kadhafi est renversé, l'avenir de la Libye sera déterminé par les événements qui suivront, et la France devra affronter d'autres parties intéressées pour peser sur le processus. En bref, cette intervention risque in fine de souligner les limites de l'influence de la France dans le monde, y compris dans une région où elle était jadis un acteur dominant.

    Reste la question de l'Union européenne, où l'initiative de Sarkozy s'est déjà révélée problématique. Jusqu'à présent, le président français s'est toujours moqué des sensibilités européennes dans la plupart de ses entreprises étrangères et a fréquemment pris à rebrousse-poil la chancelière allemande Angela Merkel, guère enthousiaste à la perspective d'une opération en Libye. Sa tendance à agir avec impétuosité a peut-être bien réglé son compte à la coopération européenne, à court et à moyen terme. Mais, inversement, l'affaire libyenne a fait progresser le rapprochement de la France et de la Grande-Bretagne. Le Premier ministre David Cameron et Nicolas Sarkozy ont semblé faire cause commune, malgré un désaccord temporaire concernant le rôle de l'OTAN. Il existe toutefois une différence qu'il vaut la peine de relever : Cameron a cherché à obtenir un vote de confiance des Communes avant d'entrer en guerre. Sarkozy n'avait pas à s'embarrasser de ce genre de détail : il contrôle l'Assemblée nationale. Il a simplement agi selon son bon plaisir*, comme les Bourbons d'autrefois. La souveraineté est, dit-on, le pouvoir d'agir en cas d'urgence. S'il en est ainsi, l'intervention militaire en Libye est une démonstration frappante de la souveraineté de Sarkozy sur la grande nation*. Sarkozy s'est beaucoup exposé en demandant une intervention occidentale en Libye. Il est désormais obligé de mener la mission à son terme, quand bien même cela mettrait à très rude épreuve les capacités militaires françaises.
    Courrier International
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