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“Aube de l’odyssée”, une intervention risquée et problématique

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  • “Aube de l’odyssée”, une intervention risquée et problématique

    Lybie : “Aube de l’odyssée”, une intervention risquée et problématique
    24 Mars 2011 | Stéphane Taillat*

    L’intervention aérienne de plusieurs pays occidentaux (France, RU, EU) contre les forces de Kadhafi est problématique. Il ne s’agit pas ici d’exprimer une opinion contraire à cette opération, ce qui serait un parti-pris politique, mais plutôt d’envisager une position sceptique pour souligner les défauts — mais aussi les qualités — de l’opération « Aube de l’odyssée ». Au-delà, cet évènement est l’occasion de montrer ce qui est en jeu dans l’imaginaire stratégique et politique international.



    Sur le plan stratégique, « Aube de l’odyssée » correspond à un choix par défaut d’une option qui n’a pas montré pour le moment de succès garanti (et relève d’une certaine « pensée magique » de la stratégie). Une option par défaut car elle intervient alors que la situation a de nouveau évolué en faveur de Kadhafi. Alors que la résolution 1970 du 26 février mettait en place un embargo sur les armes selon une posture classique, la défaite de Kadhafi semblait inévitable, voire inscrite dans un certain « sens de l’histoire ».

    Le retournement de la situation militaire a ravivé les peurs « munichoises » d’une partie des dirigeants occidentaux, notamment en relation avec la répression des soulèvements chiites du sud de l’Irak par Saddam Hussein en mars-avril 1991. De fait, le recours à l’arme aérienne pour imposer le respect d’une zone d’exclusion aérienne se réfère en grande partie aux enseignements de cette époque. L’autre analogie historique mobilisée par l’imaginaire stratégique correspond aux modalités militaires des deux interventions militaires contre l’Irak en 1991 et en 2003. L’idée est d’affaiblir les forces ennemies par des frappes de précision incapacitantes d’une part et par une présence aérienne permanente générant un sentiment d’insécurité d’autre part. On peut raisonnablement penser que l’efficacité militaire de cette option est probable.

    Une stratégie aérienne indéterminée

    Cependant, le choix de recourir à la force aérienne dans une stratégie de sujétion (Airpower) est problématique. D’un côté, il semble répondre aux enseignements tirés de la décennie qui vient de s’écouler, selon lesquels une intervention militaire de stabilisation serait vouée à l’échec. De ce fait, on en vient à choisir une option plus conforme à la vision technologiste de notre culture militaire, mais aussi plus prudente politiquement. D’un autre côté, ce choix montre clairement que les questions héritées des interventions en Irak et en Afghanistan n’ont pas été intégralement intériorisées ou acceptées.

    En effet, cette opération militaire que nous souhaiterions « limitée » (pour nous) pourrait conduire à une aggravation de la situation militaire, politique et humanitaire sur place. La destruction des moyens lourds de Kadhafi pourrait ouvrir de nouveau l’espace des possibilités et permettre aux insurgés de reprendre l’initiative. Cependant, rien ne dit que cela sera effectivement le cas. Dans l’hypothèse même d’une victoire du camp insurgé, on peut raisonnablement envisager une très longue période de stabilisation et de normalisation dans ce pays. Sur le plan des conséquences, les scénarios de guerre civile (du fait des dynamiques complexes à l’œuvre dans le conflit libyen) ou de catastrophe humanitaire ne sont pas à exclure.

    En d’autres termes, la question du coup d’après n’est pas à l’ordre du jour. L’inadéquation entre les moyens militaires mis en œuvre, lesquels supposent le risque réel de dommages collatéraux et ne présupposent nullement un succès « maîtrisable », et la fin affichée démontre surtout l’absence d’objectifs clairs dans le domaine politique.

    Cela résulte de plusieurs contradictions complexes. En premier lieu, une contradiction entre l’objectif de la résolution de l’ONU (protéger les civils des représailles disproportionnées des troupes de Kadhafi) et les intérêts des États intervenants (eux-mêmes poursuivant des agendas globalement parallèles, mais pas toujours totalement synergétiques).

    Finalement, la stratégie aérienne reste relativement indéterminée : elle peut servir comme force d’interdiction (exclusion aérienne) tout comme elle peut faciliter la chute du régime, celui-ci étant fragilisé sur ses bases militaires. Cette indétermination illustre donc deux points. Elle est d’abord une marque de l’esprit de compromis, voire de marchandage, qui anime les organisations intergouvernementales. Mais elle est aussi une preuve que les intérêts des États continuent de primer. Qu’il s’agisse de mettre fin à une dictature honnie, de sécuriser une région particulièrement cruciale en termes d’hydrocarbures (le brut libyen ayant cette particularité d’être aisément raffiné), d’affirmer une position de puissance ou même de répondre à des situations intérieures complexes, le principal moteur de l’intervention git dans les gouvernements des États. L’adoption de la résolution et l’empressement à la mettre en application peut donc être interprétée comme un « coup » médiatique davantage que comme un choix stratégique rationnel.

    Le principe de la « responsabilité de protéger »

    En second lieu, une contradiction au sein même de l’esprit de la résolution qui tente de combler le fossé entre le chapitre VII de la Charte, autorisant le recours à la force en cas de « menace sur l’ordre international » (respect du principe de souveraineté) et les évolutions plus récentes du principe de la « responsabilité de protéger ». Celui-ci correspond à une prise en compte grandissante des impératifs d’un droit ou d’un devoir d’ingérence. Tout en relativisant la souveraineté, le principe de la « responsabilité de protéger » formulé en 2005 restreint également le champ de l’ingérence. En effet, il entre en action dès lors que se présentent les situations de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de « nettoyage ethnique ». Cet éventail ne prend pas en compte les revendications antérieures concernant l’usage de la force dans le cas de catastrophes humanitaires ou de guerres civiles (qui ne débouchent pas toujours sur l’un ou l’autre des cas cités ci-dessus).

    Enfin, il prête le flanc à l’accusation d’instrumentalisation. Le cas libyen semble donc donner raison à ceux qui mettent en avant le caractère biaisé de toute prétention morale en relations internationales, surtout si elle provient d’États occidentaux. On peut arguer en effet du fait qu’elle se produit en Libye mais ni en Arabie saoudite, ni au Yémen, ni en Algérie. Nous sommes ici devant un classique « dilemme de la puissance » : la puissance se mesure à l’action ou à l’adéquation entre un rôle donné et cette action. Autrement dit, si la puissance ne s’exerce pas, elle court le risque d’être dénoncée comme « impuissance ». Si elle s’exerce, elle rend visible des rapports de pouvoir et une hiérarchie (un ordre social) qui génèrent leur propre contestation.

    Ainsi, une vision plus large peut résumer cette deuxième idée : nous voyons à l’œuvre les contradictions du système international pris entre la volonté de se constituer en société (ou du moins de « domestiquer » ses interactions) et la logique des politiques de puissance. Ce dernier point montre que les relations internationales restent et demeurent caractérisées par des modes de domination matérielle, mais aussi par des interactions de discrimination normative. L’anarchie reste globalement le principe structurant des relations interétatiques. Tandis que la souveraineté, quoique relativisée par le principe de la « responsabilité de protéger », demeure prégnante. Il est frappant de constater que le recours à l’Airpower donne d’ailleurs l’illusion de se conformer au respect de la souveraineté (rappelé dans l’article 4 ainsi que dans les attendus de la résolution 1973).

    L’éthique de la guerre juste

    Tout ceci s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’éthique de la guerre et les notions de « bonnes/justes » guerres. Il est frappant de constater que seuls les arguments utilitaristes (dans leur version « conséquentialiste ») trouvent matière à mobilisation dans le discours sur la Libye. À cette aune, l’intervention ne serait pas une solution idéale, mais elle permettrait un juste équilibrage des coûts par rapport aux bénéfices attendus.

    De plus, le recours à la force comme mode de régulation de la sécurité dite « collective » résulte bien d’une logique de puissance (le droit du plus fort) qui contredit toute prétention à une quelconque éthique ontologique. Cette dernière approche consisterait à considérer la possibilité d’une moralisation et d’une pacification complète des relations internationales, en évitant les logiques internes au jeu de la puissance. Certes, la « responsabilité de protéger » prétend combler le fossé entre ce qui est légitime (au regard de l’éthique) et ce qui est légal (au regard du droit international dont l’ONU se prétend l’interprète et le représentant). Mais elle peut être contestée en tant qu’elle reflète davantage un ordre social international (certes imparfait) au bénéfice de certains et au détriment d’autres.

    Cette problématique renvoie à la manière dont les relations internationales restent perçues en dernière analyse. Le principe de l’anarchie est d’essence libérale, c'est-à-dire qu’il présuppose à la fois un état de nature conflictuel qu’il s’agit de domestiquer partiellement et un monde atomisé dans lequel les unités politiques de référence (les États) sont à la fois égaux juridiquement et inégaux en puissance. Cependant, à rebours du processus de constitution interne de l’État moderne, on observe ni espace politique unifié et unitaire, ni polarisation entre les individus (les États) et l’État (un super-État, la « communauté internationale », l’ONU). De ce fait, la monopolisation du recours légitime à la force ne peut être réalisée, tandis qu’émerge le sentiment que les plus forts font la loi, c'est-à-dire que l’ordre politique international se manifeste à travers un ordre social forcément inégalitaire et contesté.





    *Stéphane Taillat est enseignant-chercheur en relations internationales et en stratégie.

  • #2
    Merci Bachi , ! article intéressant , analysant les en dessous de cette intervention militaire en Libye .
    « une pacification complète des relations internationales, en évitant les logiques internes au jeu de la puissance. » (au regard du droit international dont l’ONU se prétend l’interprète et le représentant).
    Au-delà, cet évènement est l’occasion de montrer ce qui est en jeu dans l’imaginaire stratégique et politique international.
    La crédibilité de l ONU qui va être mis en jeu ??
    De revoir sa copie et son organigramme pour l intérêt de la stabilité et la PAIX dans le monde ..
    Sur le plan stratégique, « Aube de l’odyssée » correspond à un choix par défaut d’une option qui n’a pas montré pour le moment de succès garanti (et relève d’une certaine « pensée magique » de la stratégie)
    Elle est claire , la France veut baliser sa zone d influence , puisque le projet de l UPM n avait pas collé , elle est passé à autre chose dans la région maghrébine pour saboter une UMA puissante , qu elle peut etre forte contre l europe pour l defense de ses interets et contre l Europe quand il faut .
    .
    ( ONU ) Mais elle peut être contestée en tant qu’elle reflète davantage un ordre social international (certes imparfait) au bénéfice de certains et au détriment d’autres.
    Là ! On accuse l ONU …
    A qui sait comprendre , peu de mots suffisent

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    • #3
      Libye: "Aube de l'Odyssée" ou Cheval de Troie

      Djamel Labidi

      "Aube de l'Odyssée" est le nom de code de l'intervention militaire occidentale en Libye.

      La France, la première a bombardé en Libye, en Afrique du Nord, aux frontières de l'Algérie. Cela n'était pas arrivé depuis un demi-siècle, depuis la fin de notre guerre de libération.

      Du coup, le hurlement des réacteurs des avions de chasse français, le sifflement strident des rockets, le hurlement funèbre des missiles américains, donnent une autre réalité à l'appel des insurgés libyens à l'aide de l'Occident.
      L'enfer est pavé de bonnes intentions. Certes, il pouvait être difficile' pour les plus sincères des insurgés de faire la part des choses entre la cause nationale et celle de la démocratie. Mais désormais, ils ne peuvent plus ignorer cette réalité, celle des bombardements de forces étrangères sur leurs propres villes, sur leurs propres aéroports, sur leurs propres routes, sur leur propre peuple, car là aussi il s'agit de bombardements contre des populations civiles, et il n'y a pas un bon et un mauvais peuple. Démocratie où serait ta victoire si elle se faisait à ce prix.

      Tout petit, mon père m'avait raconté cette histoire: C'était pendant la période coloniale. Clemenceau, le président du Conseil français, visitait l'Algérie et était arrivé à la porte d'une ville'. Un bachagha algérien, l'accueillant, lui dit: "C'est mon père qui a ouvert cette ville à la France". Et Clemenceau de lui répondre: "Monsieur, chez nous, on appelle cela un traître."

      Que les insurgés libyens, et les Etats arabes qui ont appelé à l'intervention armée, prennent garde aux flatteries occidentales sur "leur courage" et "leur détermination démocratique'". Il n'y a aucun courage à compter sur des armées étrangères pour vaincre. Ces flatteries ne cachent, en réalité, que mépris pour eux. Peut-on défendre une révolution démocratique et nationale en indiquant à des forces armées étrangères les sites de son propre pays à bombarder. Espérons que les plus lucides des démocrates libyens prendront conscience du terrible engrenage dans lequel on veut les entrainer, de glissement en glissement, et qu'ils comprendront qu'on ne peut défendre la démocratie sans défendre la nation. Les peuples hiérarchisent les priorités.

      Le nouveau pouvoir Libyen, s'il est installé par l'étranger, sera marqué par les conditions de sa naissance. Il sera vulnérable, soumis à la volonté de ceux qui l'auront fait. Rien n'aura été réglé. Pire, la crise démocratique se sera transformée en crise nationale.

      Tout cela est dommage. Terriblement dommage. Si les vrais démocrates libyens ne redressent pas la situation, on pourra dire alors que la révolution démocratique libyenne aura, pour le moment, échoué. Il n'est pas d'exemple historique de révolution qui ait été véritable en étant apportée par des forces armées étrangères.

      Désinformation et manipulations

      La crise libyenne restera probablement dans l'Histoire comme l'une des plus grandes opérations de désinformation et de violation du droit international de notre époque.

      Un point est à cet égard significatif: la résolution 1973 adoptée Jeudi 17 mars par le Conseil de sécurité. Cette résolution dans son article 1, qui a donc la primauté sur tous les autres, ordonne un cessez le feu en Lybie, et dans son article 2 préconise expressément "un dialogue qui débouche sur les reformes politiques nécessaires à un règlement pacifique et durable" (souligné par nous).Ce sont ces dispositions qui vont faire que les principales grandes nations émergentes (Chine, Russie, Inde, Brésil) ne vont pas voter contre cette résolution mais s'abstenir, pour exprimer leur méfiance au fait que la résolution laisse quand même la possibilité d'une intervention extérieure (article 4).

      Mais les dispositions réelles de la résolution vont être passées sous silence dans une gigantesque campagne médiatique qui ne veut y voir que "l'autorisation du recours à la force contre le régime de Kadhafi" (journal "Le Monde" du 18 mars), et donc celle de procéder à "des frappes". Ceci n'est pourtant pas dit dans la résolution qui parle seulement " de toutes mesures nécessaires à la protection des populations civiles" sans citer nulle part le "régime de Kadhafi", c'est à dire en s'adressant à toutes les parties en conflit.

      La campagne médiatique est si violente que l'opinion est sidérée et qu'il lui est littéralement impossible de ne pas croire à ce qu'on lui dit.

      Le ministre des affaires étrangères français, Alain Juppé, tient à prendre la parole devant le Conseil de sécurité, donnant l'impression d'être triomphant à la suite de l'adoption de la résolution. Il s'essaie d'ailleurs à reprendre les accents lyriques de Dominique de Villepin lors du refus de la France à la résolution concernant l'Irak (en 2003), mais il n'en est que le négatif, la triste et pâle copie, là où l'un s'était opposé à une agression, l'autre la réclame. Alain Juppé sort, ensuite, quasiment en courant, de la réunion du Conseil de sécurité et se précipite vers les medias comme s'il venait de recevoir l'autorisation d'une intervention armée en Lybie.

      D'ailleurs les medias occidentaux s'impatientent que les frappes ne commencent pas de suite.

      Cette campagne médiatique est totalitaire, ne laisse aucun espace à l'esprit critique. Il ne doit y avoir aucune place à d'autres opinions que celle caricaturant El Gueddafi, le présentant comme un fou dangereux qui doit être éliminé. Il faut empêcher les gens de réfléchir au delà d'El Gueddafi, c'est à dire au fond de la crise actuelle, à tous ses aspects, aux véritables enjeux, bref les obliger au conformisme le plus plat.

      Les grandes chaines satellitaires et des journaux arabes, au Machrek et au Maghreb, participent à cette immense manipulation, soit parce qu'ils soutiennent les positions occidentales, soit parce qu'ils sont eux aussi impressionnés par cette pression médiatique extrême. C'est le cas de la chaine El Djazira, dont le pays d'accueil, le Qatar est partie prenante de la coalition occidentale, mais aussi d' "El Arabiya" et d'autres, dans un contexte d'unanimisme, et d'uniformisation de l'information encore jamais vu.

      L'un des instruments essentiels de la désinformation va être de cacher, non seulement le contenu réel de la résolution, mais aussi que l'essentiel de l'humanité est contre une intervention militaire étrangère. D'abord les grandes nations émergentes: la Chine, l'Inde, le Brésil, la Russie. Il faut y ajouter la Turquie. Ces pays ont dénoncé le détournement de la résolution et l'usage qui en a été fait. C'est le cas aussi de l'Union Africaine qui s'oppose aux attaques militaires actuelles et qui n'a pas voulu participer au sommet de Samedi à Paris. Et c'est le cas même de la Ligue arabe, dont le Secrétaire général vient de dénoncer l'interprétation qui a été faite de la notion "de zone d'exclusion aérienne". La résolution adoptée par la Ligue arabe à ce sujet a été surtout le fait des monarchies du Golfe, Etats à faible population et représentant une minorité du monde arabe. Parmi les pays voisins, l'Algérie a voté contre. L'Egypte et la Tunisie sont en période de transition mais, notamment la première, prend de plus en plus ses distances avec la coalition occidentale. Il n'y reste que le Qatar, qui s'y retrouve aujourd'hui seul, isolé.

      Un autre aspect de la désinformation va consister à présenter l'intervention armée comme la seule alternative. "Pouvait on laisser des populations civiles être massacrées", voilà ce qui va être le leitmotiv. Rien n'est là aussi plus faux. Le président Chavez avait présenté, dés le début de la crise un plan de dialogue qui avait été accepté par El Gueddafi, la Ligue arabe et l'Union africaine. Et comme on l'a vu l'article 2 de la résolution du conseil de sécurité privilégiait aussi le dialogue.

      L'opinion a donc été désinformée de la véritable décision de l'ONU. Chauffée à blanc, elle va même s'impatienter du retard à lancer l'attaque. Mais il était difficile de violer à ce point la lettre de la résolution du Conseil de sécurité qui accordait la priorité à un cessez le feu, et donc de violer d'évidence le droit international. Or le pouvoir libyen déclare de suite accepter la résolution de l'ONU, qu'il s'y soumet et il décrète un cessez le feu immédiat. Il fallait donc prouver à tout prix que le régime libyen ne respectait pas le cessez le feu.

      Les fameux témoins oculaires

      Le relai est alors pris par des chaines satellitaires arabes, notamment El Djazira, la chaine Qatari. C'est la fameuse utilisation de la source des "témoins oculaires" (en arabe chouhoud ayan) qui restera probablement comme l'une des caractéristiques des méthodes d'information (et de désinformation) durant cette crise. Et c'est ainsi qu'à l'ère du règne des images et des évènements suivis en direct, ce sont des "témoins" (qu'on entend souvent sans les voir) qui nous donnent des informations… sans images. Et lorsqu'on a des images, on a l'impression gênante souvent de mises en scènes: soldats et hommes armés accoutrés de façon disparate, pièces de DCA dont les servants semblent s'amuser comme avec un jouet, en les tournant dans tous les sens et en tirant au hasard comme contre des avions devant les cameras, armées de mercenaires noirs signalées dans un langage qui confine au racisme mais invisibles etc.

      Dans la nuit du Jeudi 17 mars au Vendredi 18 mars, "El Djazira" (et aussi "El Arabiya" mais avec plus de retenue) va créer une atmosphère dramatiquement intense de témoignages oculaires affirmant que le cessez le feu n'est pas respecté et que les troupes gouvernementales sont "entrées dans les faubourgs de Benghazi". Le soir, El Djazira, aux environs de 19h (heure d'Alger), interviewe en direct l'ambassadrice américaine Susan Rice pour lui affirmer que le cessez le feu n'est pas respecté et lui reprocher avec véhémence de ne pas se porter au secours de Benghazi "avant qu'il ne soit trop tard". Quelques minutes après, l'ambassadrice américaine, comme si elle n'attendait que cela, reprenant El Djazira, dira que le cessez le feu n'est pas respecté et France 24 reprendra ceci comme une information officielle. Les envoyés spéciaux de France 24 utiliseront eux aussi le procédé du "témoin oculaire". Ils n'ont pas d'images, n'ont rien vu, bien qu'ils soient "sur le terrain" mais le fait "d'être sur le terrain" a ici pour fonction de leur donner plus de crédibilité. La pression devient le Samedi matin de plus en plus intense, au fur et à mesure qu'on s'approche du sommet international réuni à Paris ce jour et qui doit décider des frappes militaires. On donne l'image d'un avion de chasse qui s'écrase en feu sur Benghazi, dont on dira après qu'il n'est vraisemblablement pas un avion sous contrôle du gouvernement libyen, mais on préféra bizarrement ne plus le dire.

      ...
      وإن هذه أمتكم أمة واحدة

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      • #4
        ...

        Il est clair que le pouvoir libyen a intérêt à respecter le cessez le feu et à ne donner aucun prétexte aux frappes. Mais qu'importe. Quand on veut noyer son chien, on l'accuse de la rage. "El "Gueddafi est un menteur, on ne peut faire confiance à ce régime", cette affirmation va désormais être répétée sans arrêt et servir d'argument générique, permettant l'économie de toute argumentation, de toute preuve. Soit. Il n'est pas digne de confiance, mais alors pourquoi ne pas avoir recours à des observateurs chargés de contrôler le cessez le feu. C'est ce que proposent les libyens mais en vain.

        Après les frappes, et comme par enchantement, on ne parlera plus de troupes de El Gueddafi "dans les faubourgs de Benghazi". Et lorsqu'on annoncera les premières victimes des missiles américains sur Tripoli, les journalistes de France 24 et d'El Djazira, devenus soudains sceptiques et professionnels, diront qu'il est nécessaire de vérifier ces informations.

        Comme à la "belle époque"

        Quel que soit le comportement du gouvernement libyen, la cause était entendue d'avance. Il fallait éliminer El Gueddafi, et si besoin est physiquement, comme on le verra suggéré. La façon dont ont été déclenchées les frappes, les cibles visées, prouvent la préméditation et que les préparatifs ont été faits bien à l'avance, déjà au moins lorsque les bâtiments de guerre américains, français et anglais sont venus croiser au large des côtes libyennes. L'évolution même du langage des medias et des officiels occidentaux montrent les buts réels de l'opération: on passe successivement de "zone d'exclusion aérienne" à "frappes ciblées" puis à "frappes préventives", puis à "l'appui à donner aux insurgés pour renverser El Gueddafi qui est de toute façon fini politiquement". La partition de la Lybie, entre d'une part la Tripolitaine et d'autre part la Cyrénaïque est déjà évoquée comme une option .Certains intellectuels français, comme Antoine Sfeir , qui a réclamé avec acharnement avec Bernard Henry Lévy une intervention militaire, va jusqu'à envisager sur la chaine France 5 ( émission "C dans l'air",16 mars) l'éventualité "que quelqu'un mette à Gueddafi une balle dans la tête". Un autre "spécialiste des pays arabes", Antoine Basbous suggère sur France 2 ("Telématin", 21 mars) que la disparition de El Gueddafi résoudrait bien des problèmes. La crise libyenne révèle d'un seul coup l'état culturel d'une grande partie de l'intelligentsia française. Certains ne se contentent pas seulement de justifier l'intervention armée en Lybie, ils vont même jusqu'à prendre un plaisir inquiétant à donner des conseils sur la manière de mener l'action militaire, comme le font Pascal Boniface, Pierre Hesner, Paul Pancracio, Jean François Daguzan, des intellectuels et chercheurs français dans le journal "Le Monde" du 16 mars 2011. S'il y a une contradiction trop évidente, comme l'étrange tolérance sur ce qui se passe à Bahreïn, le problème est écarté d'un revers de la main, et on propose là une grille de lecture d'un conflit entre sunnites et chiites, en oubliant de dire qu'ils sont avant tout tous arabes.

        Sur les plateaux des medias français se succèdent intellectuels, experts militaires et hommes politiques, dans une alliance sacrée qui va de la droite à la gauche. Chacun adresse des louanges à la lucidité et à "l'audace" du président Sarkozy. L'atmosphère est à une hystérie guerrière, à une frénésie militaire, à un sentiment de puissance au spectacle des Mirages qui décollent pour une proie si facile, pour une guerre sans risques. Tout ce monde laisse l'impression de respirer un moment, euphorique, l'air de la "la belle époque", celle de la domination coloniale. Le chauvinisme se cache comme toujours, et comme déjà à cette époque, derrière des arguments humanitaires et civilisationnels. Des mots méprisants et révélateurs sont parfois lâchés comme ce journaliste de France 24, Silvain Attal, qui veut justifier le rôle leader de la France dans cette opération, en revendiquant le Maghreb comme "l'arrière cour de la France". Le plaisir guerrier, est ici d'autant plus fort que la France doute d'elle même dans un monde qui change inexorablement et où les pays occidentaux auront à accepter leur nouvelle place, une place égale aux autres.

        Les interventions militaires se suivent et se ressemblent, en Irak, en Afghanistan etc. On ne change même pas le script et presque pas le casting du côté des acteurs occidentaux. "opérations humanitaires, défense des populations civiles", les justifications sont les mêmes. C'est chaque fois la catastrophe et d'immenses souffrances pour les peuples victimes, mais on recommence chaque fois.

        Irak replay

        C'est le remake des deux guerres contre l'Irak. Tout y est, exactement, comme s'ils n'avaient rien appris depuis 20 ans. Le premier ministre anglais, David Cameron, retrouve exactement les mêmes mots que Bush et Tony Blair et commence son discours de justification de l'attaque contre la Lybie en disant "Nous avons des informations fiables que…". On affirme à nouveau que les frappes des missiles Cruise et Tomawak sont des "frappes chirurgicales" pour une nouvelle "guerre propre". Dans la nuit de Tripoli recommence le feu d'artifice monstrueux, comme à Bagdad.

        Le plus douloureux est de retrouver des chaines et des journaux arabes justifier tout cela et avec des arguments semblables. La Chaine El Djazira a représenté, pour l'opinion arabe, un grand espoir d'esprit critique, de pluralité de l'information, bref de démocratie. Avec la crise libyenne, elle devient brusquement une chaine gouvernementale arabe comme les autres, un instrument de propagande. On se souvient soudain qu'elle est la chaine du Qatar. Où est El Djazira qui représentait une source d'informations, une alternative à la désinformation pendant les guerres contre l'Irak, contre le Liban, contre Gaza. Le 19 mars, 110 missiles tomahawks avaient été tirés sur la Lybie. Le soir, les journalistes de "El Djazira" nous expliquaient, admiratifs, que les missiles tomahawks coûtent extrêmement chers mais qu'ils sont très précis, et qu'il est donc à l'honneur des américains de les utiliser contre Tripoli pour faire le moins possible de victimes civiles. C'est là aussi dommage, bien dommage pour l'avenir et la crédibilité d'El Djazira auprès de l'opinion arabe mais aussi pour nous tous car les chaine satellitaires arabes ont été, malgré tout, l'un des plus grands progrès de ces dernières années. Mais espérons qu'il ne s'agisse que d'un épisode. En tout cas, il prouve comment la cause nationale et la cause démocratique sont profondément imbriquées dans le monde arabe et que tout recul de l'une est le recul de l'autre.

        Les Etats occidentaux ont baptisé leur opération militaire contre la Lybie "Aube de l'Odyssée". Est ce un lapsus car on pense invinciblement alors au Cheval de Troie. La Démocratie pourra-t-elle être utilisée comme Cheval de Troie d'un retour du colonialisme, comme peut le faire croire ce qui se passe en Lybie. C'est ce que pourraient penser les nostalgiques des régimes nationalistes autoritaires. Mais rien n'est plus faux. En réalité, les Etats occidentaux dominants sont inquiets, désemparés devant cette intervention massive des Arabes sur la scène historique. La révolution démocratique arabe murit partout y compris lorsqu'elle échoue momentanément ici et là. En Tunisie et en Egypte, elle ne tardera pas à fournir ses fruits au bénéfice de tout le monde arabe. Elle est aujourd'hui un formidable outil de libération nationale et sociale, le seul fourni finalement par l'Histoire. Il n'y a pas d'autre alternative, y compris pour le pouvoir libyen actuel, qui ne doit pas comprendre que l'hostilité, qui se développera certainement dans l'opinion mondiale et arabe à l'agression étrangère, signifie un soutien à lui.

        Djamel Labidi - Le Quotidien d'Oran
        24 mars 2011
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