Après des années de sit-in, de bastonnades et autres manifestations, des milliers de diplômés chômeurs sont en passe de rejoindre la fonction publique. Les détails d’une mesure extraordinaire.
24 février 2011. La date restera dans les annales du mouvement des diplômés chômeurs. Ce jour-là, le gouvernement leur ouvre grandes les portes de la fonction publique. Au lendemain des manifestations du 20 février, le Conseil de gouvernement a adopté un décret autorisant les
administrations et autres ministères à recruter, sans concours, les diplômés chômeurs. Un décret en totale contradiction avec le nouveau statut de la fonction publique, voté il y a quelques semaines à la deuxième chambre, et qui fait du concours un passage obligé pour tout recrutement dans le secteur public. Une victoire donc pour les 12 groupes de diplômés chômeurs qui campaient chaque semaine devant le parlement, au point de se fondre dans le décor urbain de la capitale. Et ce n’est qu’un début...
Les 4400, ou presque
Six jours après cette première annonce, l’Etat, qui emploie chaque année quelque 1100 fonctionnaires, décide de quadrupler son effort avec l’annonce de la création de 4304 postes budgétaires. Mieux encore, ces nouveaux emplois tombés du ciel sont dédiés aux diplômés chômeurs et permettent d’accéder directement à l’échelle 11. Du jamais vu ! Coût estimé pour le contribuable : quelque 600 millions de dirhams par an au bas mot. Mais c’est aussi le prix de la paix sociale en cette période de haute tension. “L’intégration des 4304 diplômés chômeurs signifie la fin du mouvement de protestation. L’Etat a même promis l’intégration de jeunes qui n’ont jamais manifesté dans la rue. Et c’est tant mieux !”, nous assure un membre de la Coordination nationale des diplômés chômeurs, organe qui représente les différents groupes et qui a mené les négociations avec le gouvernement.
Mais un autre combat reste à livrer, celui des affectations. “L’Etat nous a promis ces postes avant le 15 mars. Jusque-là, il n’y a rien encore. Nous ne serons apaisés qu’à partir du jour où nous serons dans nos bureaux”, témoigne cet autre membre de la coordination. Le gouvernement, de son côté, se veut rassurant : “La promotion 2010 des diplômés, qui compte quelque 1400 personnes, a été affectée le 23 mars dans les différents départements du ministère de l’Education et de l’Enseignement supérieur”, assure Abdesslam Bekkari, conseiller à la primature. Pour le reste, “les affectations sont prévues le lundi 30 mars au plus tard”, ajoute-t-il. En attendant, nos jeunes diplômés chômeurs restent méfiants et n’hésitent pas à brandir la menace d’un “retour aux manifs si l’Etat ne tient pas ses engagements”.
Le choix du poste
Titulaire d’un master en philosophie de la communication, Badreddine Fattouchi, 28 ans, est au chômage depuis 2008. Après une brève expérience dans un lycée privé où il officiait en tant qu’enseignant, il a décidé de monter avec des amis le groupe Annidal pour revendiquer leur droit à la fonction publique. “Le travail dans le privé est très précaire. Je percevais 35 dirhams de l’heure, ça me faisait tout au plus 900 dirhams par mois”, précise-t-il. Le groupe de Badreddine fisait partie des 12 groupes super-actifs qui ont décidé d’investir la rue pour revendiquer le droit au travail. Après trois ans de lutte, de bastonnades et autres assauts des forces de l’ordre, l’heure est aujourd’hui à l’apaisement. L’échelle 11 lui garantira automatiquement un salaire mensuel de 7 000 à 8 000 dirhams, sans compter les primes trimestrielles et annuelles, qui varient selon les ministères.
Mais, comme lui, les 4304 futurs fonctionnaires ne savent pas encore dans quel département ils vont atterrir. Super-diplômés, ils sont issus de plusieurs branches : biologie, chimie, droit, mathématiques, littérature… Et chacun aspire à travailler dans son propre domaine. Mais les ministères les plus prisés restent sans conteste les Finances, pour les généreuses primes et autres avantages sociaux, l’Education nationale, l’Intérieur, la Justice ou encore les Affaires étrangères. “Les affectations ne se font pas de manière arbitraire. Elles sont basées sur les besoins en ressources de chaque département. Pour l’instant, tous les ministères sont concernés, en plus de pas moins de 50 établissements publics”, signale le conseiller de Abbas El Fassi. Mais peut importe la fonction, certains diplômés ne demandent qu’à être employés.”Nous n’allons pas faire la fine bouche. Nous sommes avant tout de hauts cadres, et une simple formation peut nous permettre de maîtriser n’importe quel boulot”, nous confie Badreddine, qui admet toutefois avoir une nette préférence pour l’enseignement de sa matière de prédilection : la philo.
Le veto du patronat
Le dossier des diplômés chômeurs est-il donc clos ? “Non”, répond notre conseiller à la primature : “Nous avons liquidé une bonne partie du passif. Mais nous continuons toujours de recevoir les dossiers de nouveaux groupes de diplômés chômeurs. Le dialogue reste donc ouvert…”. Mais la nouvelle ne fait pas que des heureux. Pour plusieurs observateurs, l’intégration des 4304 diplômés chômeurs est une simple “mesure cosmétique”, qui a pour seul objectif de “calmer les ardeurs de la rue” et qui “ne résout nullement le problème structurel de la précarité des jeunes diplômés”.
“Nous sommes bien sûr contents pour ces jeunes diplômés qui ont souffert des années durant de la hogra. Mais nous sommes contre l’approche du gouvernement, s’alarme cet économiste ultra-libéral. Au lieu de lancer des mesures aspirine, l’Etat doit plutôt s’attaquer au fond du problème : réunir les conditions nécessaires à la croissance économique, seule caution durable pour la création d’emplois productifs”. Le patronat épouse également ce point de vue, et n’hésite pas à l’exprimer publiquement : “L’emploi ne se décrète pas. Et c’est aux entreprises de le créer, pas à l’Etat”, explique le président de la CGEM, Mohamed Horani, qui appelle aujourd’hui le gouvernement à “accélérer le rythme de projets comme l’indemnité pour perte d’emploi, la flexibilité du travail, l’assainissement du climat des affaires…”. “C’est comme ça qu’on peut véritablement favoriser la création de richesse et donc de l’emploi”, conclut le patron des patrons.
Création d’emploi. Le grand échec de Abbas El Fassi
Créer 250 000 emplois tous les ans ! Abbas El Fassi avait surpris tout le monde en annonçant cet objectif lors de sa déclaration gouvernementale, au lendemain de son investiture en octobre 2007. Pour y parvenir, avait-il expliqué, il fallait maintenir un cap de 6% de croissance annuelle à l’horizon 2012.
A moins de deux ans de la fin de son mandat, il n’a même pas atteint la moitié du chiffre cible avancé. Pourtant, la croissance a bel et bien été au rendez-vous, avec une moyenne annuelle de 5% sur les trois dernières années. Abbas était-il trop optimiste ? Ou a-t-il mal calculé ses objectifs ? Peut être les deux à la fois. En tout cas, le gouvernement doit désormais compter sur le patronat pour accélérer le rythme de création d’emploi. La confédération de Horani vient en effet de voler au secours de l’Exécutif en lui proposant l’adoption de 20 mesures concrètes pour favoriser la création d’emploi. Le patronat se veut même plus ambitieux en annonçant la création de 2,5 millions de nouveaux postes d’ici 2020.
telquel
24 février 2011. La date restera dans les annales du mouvement des diplômés chômeurs. Ce jour-là, le gouvernement leur ouvre grandes les portes de la fonction publique. Au lendemain des manifestations du 20 février, le Conseil de gouvernement a adopté un décret autorisant les
administrations et autres ministères à recruter, sans concours, les diplômés chômeurs. Un décret en totale contradiction avec le nouveau statut de la fonction publique, voté il y a quelques semaines à la deuxième chambre, et qui fait du concours un passage obligé pour tout recrutement dans le secteur public. Une victoire donc pour les 12 groupes de diplômés chômeurs qui campaient chaque semaine devant le parlement, au point de se fondre dans le décor urbain de la capitale. Et ce n’est qu’un début...
Les 4400, ou presque
Six jours après cette première annonce, l’Etat, qui emploie chaque année quelque 1100 fonctionnaires, décide de quadrupler son effort avec l’annonce de la création de 4304 postes budgétaires. Mieux encore, ces nouveaux emplois tombés du ciel sont dédiés aux diplômés chômeurs et permettent d’accéder directement à l’échelle 11. Du jamais vu ! Coût estimé pour le contribuable : quelque 600 millions de dirhams par an au bas mot. Mais c’est aussi le prix de la paix sociale en cette période de haute tension. “L’intégration des 4304 diplômés chômeurs signifie la fin du mouvement de protestation. L’Etat a même promis l’intégration de jeunes qui n’ont jamais manifesté dans la rue. Et c’est tant mieux !”, nous assure un membre de la Coordination nationale des diplômés chômeurs, organe qui représente les différents groupes et qui a mené les négociations avec le gouvernement.
Mais un autre combat reste à livrer, celui des affectations. “L’Etat nous a promis ces postes avant le 15 mars. Jusque-là, il n’y a rien encore. Nous ne serons apaisés qu’à partir du jour où nous serons dans nos bureaux”, témoigne cet autre membre de la coordination. Le gouvernement, de son côté, se veut rassurant : “La promotion 2010 des diplômés, qui compte quelque 1400 personnes, a été affectée le 23 mars dans les différents départements du ministère de l’Education et de l’Enseignement supérieur”, assure Abdesslam Bekkari, conseiller à la primature. Pour le reste, “les affectations sont prévues le lundi 30 mars au plus tard”, ajoute-t-il. En attendant, nos jeunes diplômés chômeurs restent méfiants et n’hésitent pas à brandir la menace d’un “retour aux manifs si l’Etat ne tient pas ses engagements”.
Le choix du poste
Titulaire d’un master en philosophie de la communication, Badreddine Fattouchi, 28 ans, est au chômage depuis 2008. Après une brève expérience dans un lycée privé où il officiait en tant qu’enseignant, il a décidé de monter avec des amis le groupe Annidal pour revendiquer leur droit à la fonction publique. “Le travail dans le privé est très précaire. Je percevais 35 dirhams de l’heure, ça me faisait tout au plus 900 dirhams par mois”, précise-t-il. Le groupe de Badreddine fisait partie des 12 groupes super-actifs qui ont décidé d’investir la rue pour revendiquer le droit au travail. Après trois ans de lutte, de bastonnades et autres assauts des forces de l’ordre, l’heure est aujourd’hui à l’apaisement. L’échelle 11 lui garantira automatiquement un salaire mensuel de 7 000 à 8 000 dirhams, sans compter les primes trimestrielles et annuelles, qui varient selon les ministères.
Mais, comme lui, les 4304 futurs fonctionnaires ne savent pas encore dans quel département ils vont atterrir. Super-diplômés, ils sont issus de plusieurs branches : biologie, chimie, droit, mathématiques, littérature… Et chacun aspire à travailler dans son propre domaine. Mais les ministères les plus prisés restent sans conteste les Finances, pour les généreuses primes et autres avantages sociaux, l’Education nationale, l’Intérieur, la Justice ou encore les Affaires étrangères. “Les affectations ne se font pas de manière arbitraire. Elles sont basées sur les besoins en ressources de chaque département. Pour l’instant, tous les ministères sont concernés, en plus de pas moins de 50 établissements publics”, signale le conseiller de Abbas El Fassi. Mais peut importe la fonction, certains diplômés ne demandent qu’à être employés.”Nous n’allons pas faire la fine bouche. Nous sommes avant tout de hauts cadres, et une simple formation peut nous permettre de maîtriser n’importe quel boulot”, nous confie Badreddine, qui admet toutefois avoir une nette préférence pour l’enseignement de sa matière de prédilection : la philo.
Le veto du patronat
Le dossier des diplômés chômeurs est-il donc clos ? “Non”, répond notre conseiller à la primature : “Nous avons liquidé une bonne partie du passif. Mais nous continuons toujours de recevoir les dossiers de nouveaux groupes de diplômés chômeurs. Le dialogue reste donc ouvert…”. Mais la nouvelle ne fait pas que des heureux. Pour plusieurs observateurs, l’intégration des 4304 diplômés chômeurs est une simple “mesure cosmétique”, qui a pour seul objectif de “calmer les ardeurs de la rue” et qui “ne résout nullement le problème structurel de la précarité des jeunes diplômés”.
“Nous sommes bien sûr contents pour ces jeunes diplômés qui ont souffert des années durant de la hogra. Mais nous sommes contre l’approche du gouvernement, s’alarme cet économiste ultra-libéral. Au lieu de lancer des mesures aspirine, l’Etat doit plutôt s’attaquer au fond du problème : réunir les conditions nécessaires à la croissance économique, seule caution durable pour la création d’emplois productifs”. Le patronat épouse également ce point de vue, et n’hésite pas à l’exprimer publiquement : “L’emploi ne se décrète pas. Et c’est aux entreprises de le créer, pas à l’Etat”, explique le président de la CGEM, Mohamed Horani, qui appelle aujourd’hui le gouvernement à “accélérer le rythme de projets comme l’indemnité pour perte d’emploi, la flexibilité du travail, l’assainissement du climat des affaires…”. “C’est comme ça qu’on peut véritablement favoriser la création de richesse et donc de l’emploi”, conclut le patron des patrons.
Création d’emploi. Le grand échec de Abbas El Fassi
Créer 250 000 emplois tous les ans ! Abbas El Fassi avait surpris tout le monde en annonçant cet objectif lors de sa déclaration gouvernementale, au lendemain de son investiture en octobre 2007. Pour y parvenir, avait-il expliqué, il fallait maintenir un cap de 6% de croissance annuelle à l’horizon 2012.
A moins de deux ans de la fin de son mandat, il n’a même pas atteint la moitié du chiffre cible avancé. Pourtant, la croissance a bel et bien été au rendez-vous, avec une moyenne annuelle de 5% sur les trois dernières années. Abbas était-il trop optimiste ? Ou a-t-il mal calculé ses objectifs ? Peut être les deux à la fois. En tout cas, le gouvernement doit désormais compter sur le patronat pour accélérer le rythme de création d’emploi. La confédération de Horani vient en effet de voler au secours de l’Exécutif en lui proposant l’adoption de 20 mesures concrètes pour favoriser la création d’emploi. Le patronat se veut même plus ambitieux en annonçant la création de 2,5 millions de nouveaux postes d’ici 2020.
telquel
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