Vanté jusqu'à présent comme un modèle de stabilité, le sultanat n'échappe pas à la vague de contestation qui balaie le Moyen-Orient. Si l'omniprésent monarque Qabous n'a pas perdu la main, les réformes qu'il a annoncées restent timides face à l'ampleur des défis.
Qui l'eût cru ? Même Oman, le pays du sage sultan Qabous, que l'on s'accordait à décrire comme un des plus stables du monde arabe, n'échappe pas au vent d'émancipation qui agite la région. Depuis deux mois, marches et sit-in se succèdent pour réclamer hausses des rémunérations et réformes politiques. Les premières manifestations avaient un caractère pacifique, voire bon enfant.
Au milieu des banderoles exprimant leurs doléances, les participants exhibaient même des panneaux qui proclamaient : « Nous aimons Sa Majesté ». Rodé aux ficelles politiques par ses quarante ans de règne, l'expérimenté potentat a d'abord cru pouvoir désamorcer la contestation en accordant hausse du salaire minimum et augmentation des bourses des étudiants. Mais ce contre-feu n'a pas suffi. L'explosion de violence qui a éclaté fin février à Sohar, un des principaux ports du pays, n'a rien eu à envier aux émeutes de Tunisie ou d'Egypte. Plusieurs bâtiments publics ont été incendiés, un supermarché pillé. L'hôpital de la ville a annoncé un bilan d'au moins 6 morts, avant que les autorités ne ramènent à une seule le nombre officiel des victimes.
Le ton des revendications s'est en outre singulièrement durci. « Le peuple a faim », scandaient les protestataires, tout en dénonçant la corruption et en réclamant le départ des travailleurs étrangers. En même temps, à Mascate, plusieurs centaines d'intellectuels et de militants associatifs campaient à proximité du siège de la Choura, exigeant des prérogatives élargies pour cette Chambre parlementaire élue au suffrage universel depuis 1992 mais dotée de simples pouvoirs consultatifs. Ils continuent de se retrouver tous le jours.
Tensions persistances
Face à la pression, le sultan a ouvert plus larges les vannes de la réforme. Il a annoncé la création de 50.000 emplois et le versement d'une allocation mensuelle de 390 dollars aux chômeurs. Les 5.000 salariés d'Oman Air, qui menaçaient d'interrompre le trafic aérien, ont obtenu une généreuse augmentation de salaire. Surtout, le souverain a entrepris un vaste remaniement gouvernemental, en changeant le tiers des ministres. Il s'est engagé sur le principe d'une réforme constitutionnelle destinée à doter la Choura de véritables compétences décisionnelles.
Il n'empêche. Malgré ces concessions, les braises continuent de couver. L'ambiance demeure tendue à Salalah. Un manifestant a été tué vendredi et une soixantaine de personnes ont été arrêtées. Une marche de protestation contre cette répression a eu lieu samedi à Mascate. Une telle situation révèle les faiblesses jusque-là inapparentes du système. Souverain éclairé qui a permis à Oman d'entrer sans secousses dans la modernité, Qabous n'en reste pas moins un monarque absolu. Les institutions ne comportent aucun contrepoids à sa prééminence.
Les partis politiques n'existent même pas. Grâce à son administration pléthorique et à son réseau d'informateurs, le sultan a barre sur les moindres détails de la vie de ses concitoyens. Ses portraits trônent partout, expression d'un culte qui confine à la dévotion : une oeuvre exposée au musée de l'Encens de Salalah, la deuxième ville du pays, retrace ainsi sa vie sous la forme d'un triptyque calqué sur le modèle des oeuvres religieuses européennes du Moyen Age.
L'omniprésence de cette figure tutélaire et l'infantilisation de la société civile qui en découle ont cependant pris un brutal coup de vieux avec l'explosion des révolutions arabes. Les idées neuves se diffusent d'autant mieux que le Web et les réseaux sociaux font florès dans un pays dont plus de la moitié des habitants a moins de 24 ans. Pour Oman, la jeunesse de sa population est un atout mais aussi un défi. Les capacités de formation ne sont pas à la hauteur des besoins. Alors que 55.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire, l'université publique Sultan Qabous ne peut en accueillir que moins de la moitié. Surtout, qu'ils possèdent ou non des diplômes, les arrivants se heurtent à l'étroitesse du marché du travail, où sévit pour eux un taux de chômage proche de 25 %. Les emplois publics ne suffisent pas, comme jadis, à absorber les nouveaux venus.
Fractures communautaires
Une politique d'« omanisation » de la main-d'oeuvre a certes été engagée. Des métiers comme ceux de chauffeur de taxi, pêcheur ou agent immobilier sont réservés aux seuls nationaux. Mais les effets demeurent réduits. Les étrangers constituent encore 73 % de la population active et même 85 % des effectifs du privé. « Les vieilles familles marchandes, très influentes auprès du monarque et reconverties dans les secteurs en développement, ont freiné ce processus d'omanisation, car leur intérêt est de recourir aux travailleurs immigrés, beaucoup moins bien payés », analyse l'universitaire Marc Valeri, auteur d'un ouvrage intitulé « Le Sultanat d'Oman. Une révolution en trompe-l'oeil » (1).
Un autre facteur joue un rôle dans le malaise actuel. Situé à mi-chemin des côtes de l'Afrique et de celles de l'Asie, Oman, qui domina jadis un vaste empire colonial, se flatte d'être un creuset où cohabitent Arabes et populations aux origines multiples. Dans la réalité toutefois, les relations entre Dhofaris de la frontière yéménite, Baloutches, Zanzibaris originaires d'Afrique de l'Est, Luwatis d'ancienne extraction indienne et Banians hindouistes, sont moins harmonieuses que ne le vantent les dépliants touristiques. Une cloison qui n'est pas seulement de verre limite les relations entre les diverses communautés, sans même parler des Indiens, Pakistanais et autres Philippins employés aux tâches les plus pénibles dans le cadre d'une immigration temporaire. Les récents mouvements sociaux recèlent dès lors deux facettes : aspiration à l'émancipation politique des milieux intellectuels, mais aussi revendications matérielles de la part des couches moins favorisées, souvent d'origine non arabe.
Jusqu'à présent, Qabous était loué pour sa politique consistant à investir les dollars issus du pétrole, source des trois quarts des recettes budgétaires du sultanat, dans les infrastructures publiques et la diversification des sources d'activité économique. Cette stratégie n'est pas remise en cause. Les événements actuels incitent même à l'accélérer, d'autant que la flambée du brut a dégagé des marges supplémentaires. Après une décennie de recul jusqu'en 2007, le débit des puits du pays a recommencé à croître, pour atteindre 860.000 barils par jour. L au nombre des habitants, ce volume est comparable à celui extrait en Arabie saoudite, avec des coûts techniques il est vrai nettement plus élevés.
« Nous produisons autant que nous le pouvons, explique Khalifa ben Mubarak Al-Hinai, conseiller du ministre du Pétrole. Les principaux gisements ont déjà été exploités, nous faisons donc de la récupération secondaire ou tertiaire. Il y a aussi quelques nouvelles découvertes et nous ouvrons des blocs à l'exploration. L'objectif est le maintien de nos réserves à un niveau constant. Nous en avons encore pour quarante à cinquante ans. » Quant au gaz, l'extraction devrait, d'ici à 2015, passer de 25 milliards de mètres cubes à 33 milliards.
La Suite...
Qui l'eût cru ? Même Oman, le pays du sage sultan Qabous, que l'on s'accordait à décrire comme un des plus stables du monde arabe, n'échappe pas au vent d'émancipation qui agite la région. Depuis deux mois, marches et sit-in se succèdent pour réclamer hausses des rémunérations et réformes politiques. Les premières manifestations avaient un caractère pacifique, voire bon enfant.
Au milieu des banderoles exprimant leurs doléances, les participants exhibaient même des panneaux qui proclamaient : « Nous aimons Sa Majesté ». Rodé aux ficelles politiques par ses quarante ans de règne, l'expérimenté potentat a d'abord cru pouvoir désamorcer la contestation en accordant hausse du salaire minimum et augmentation des bourses des étudiants. Mais ce contre-feu n'a pas suffi. L'explosion de violence qui a éclaté fin février à Sohar, un des principaux ports du pays, n'a rien eu à envier aux émeutes de Tunisie ou d'Egypte. Plusieurs bâtiments publics ont été incendiés, un supermarché pillé. L'hôpital de la ville a annoncé un bilan d'au moins 6 morts, avant que les autorités ne ramènent à une seule le nombre officiel des victimes.
Le ton des revendications s'est en outre singulièrement durci. « Le peuple a faim », scandaient les protestataires, tout en dénonçant la corruption et en réclamant le départ des travailleurs étrangers. En même temps, à Mascate, plusieurs centaines d'intellectuels et de militants associatifs campaient à proximité du siège de la Choura, exigeant des prérogatives élargies pour cette Chambre parlementaire élue au suffrage universel depuis 1992 mais dotée de simples pouvoirs consultatifs. Ils continuent de se retrouver tous le jours.
Tensions persistances
Face à la pression, le sultan a ouvert plus larges les vannes de la réforme. Il a annoncé la création de 50.000 emplois et le versement d'une allocation mensuelle de 390 dollars aux chômeurs. Les 5.000 salariés d'Oman Air, qui menaçaient d'interrompre le trafic aérien, ont obtenu une généreuse augmentation de salaire. Surtout, le souverain a entrepris un vaste remaniement gouvernemental, en changeant le tiers des ministres. Il s'est engagé sur le principe d'une réforme constitutionnelle destinée à doter la Choura de véritables compétences décisionnelles.
Il n'empêche. Malgré ces concessions, les braises continuent de couver. L'ambiance demeure tendue à Salalah. Un manifestant a été tué vendredi et une soixantaine de personnes ont été arrêtées. Une marche de protestation contre cette répression a eu lieu samedi à Mascate. Une telle situation révèle les faiblesses jusque-là inapparentes du système. Souverain éclairé qui a permis à Oman d'entrer sans secousses dans la modernité, Qabous n'en reste pas moins un monarque absolu. Les institutions ne comportent aucun contrepoids à sa prééminence.
Les partis politiques n'existent même pas. Grâce à son administration pléthorique et à son réseau d'informateurs, le sultan a barre sur les moindres détails de la vie de ses concitoyens. Ses portraits trônent partout, expression d'un culte qui confine à la dévotion : une oeuvre exposée au musée de l'Encens de Salalah, la deuxième ville du pays, retrace ainsi sa vie sous la forme d'un triptyque calqué sur le modèle des oeuvres religieuses européennes du Moyen Age.
L'omniprésence de cette figure tutélaire et l'infantilisation de la société civile qui en découle ont cependant pris un brutal coup de vieux avec l'explosion des révolutions arabes. Les idées neuves se diffusent d'autant mieux que le Web et les réseaux sociaux font florès dans un pays dont plus de la moitié des habitants a moins de 24 ans. Pour Oman, la jeunesse de sa population est un atout mais aussi un défi. Les capacités de formation ne sont pas à la hauteur des besoins. Alors que 55.000 jeunes sortent chaque année du système scolaire, l'université publique Sultan Qabous ne peut en accueillir que moins de la moitié. Surtout, qu'ils possèdent ou non des diplômes, les arrivants se heurtent à l'étroitesse du marché du travail, où sévit pour eux un taux de chômage proche de 25 %. Les emplois publics ne suffisent pas, comme jadis, à absorber les nouveaux venus.
Fractures communautaires
Une politique d'« omanisation » de la main-d'oeuvre a certes été engagée. Des métiers comme ceux de chauffeur de taxi, pêcheur ou agent immobilier sont réservés aux seuls nationaux. Mais les effets demeurent réduits. Les étrangers constituent encore 73 % de la population active et même 85 % des effectifs du privé. « Les vieilles familles marchandes, très influentes auprès du monarque et reconverties dans les secteurs en développement, ont freiné ce processus d'omanisation, car leur intérêt est de recourir aux travailleurs immigrés, beaucoup moins bien payés », analyse l'universitaire Marc Valeri, auteur d'un ouvrage intitulé « Le Sultanat d'Oman. Une révolution en trompe-l'oeil » (1).
Un autre facteur joue un rôle dans le malaise actuel. Situé à mi-chemin des côtes de l'Afrique et de celles de l'Asie, Oman, qui domina jadis un vaste empire colonial, se flatte d'être un creuset où cohabitent Arabes et populations aux origines multiples. Dans la réalité toutefois, les relations entre Dhofaris de la frontière yéménite, Baloutches, Zanzibaris originaires d'Afrique de l'Est, Luwatis d'ancienne extraction indienne et Banians hindouistes, sont moins harmonieuses que ne le vantent les dépliants touristiques. Une cloison qui n'est pas seulement de verre limite les relations entre les diverses communautés, sans même parler des Indiens, Pakistanais et autres Philippins employés aux tâches les plus pénibles dans le cadre d'une immigration temporaire. Les récents mouvements sociaux recèlent dès lors deux facettes : aspiration à l'émancipation politique des milieux intellectuels, mais aussi revendications matérielles de la part des couches moins favorisées, souvent d'origine non arabe.
Jusqu'à présent, Qabous était loué pour sa politique consistant à investir les dollars issus du pétrole, source des trois quarts des recettes budgétaires du sultanat, dans les infrastructures publiques et la diversification des sources d'activité économique. Cette stratégie n'est pas remise en cause. Les événements actuels incitent même à l'accélérer, d'autant que la flambée du brut a dégagé des marges supplémentaires. Après une décennie de recul jusqu'en 2007, le débit des puits du pays a recommencé à croître, pour atteindre 860.000 barils par jour. L au nombre des habitants, ce volume est comparable à celui extrait en Arabie saoudite, avec des coûts techniques il est vrai nettement plus élevés.
« Nous produisons autant que nous le pouvons, explique Khalifa ben Mubarak Al-Hinai, conseiller du ministre du Pétrole. Les principaux gisements ont déjà été exploités, nous faisons donc de la récupération secondaire ou tertiaire. Il y a aussi quelques nouvelles découvertes et nous ouvrons des blocs à l'exploration. L'objectif est le maintien de nos réserves à un niveau constant. Nous en avons encore pour quarante à cinquante ans. » Quant au gaz, l'extraction devrait, d'ici à 2015, passer de 25 milliards de mètres cubes à 33 milliards.
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