Le vent réformateur est-il en train de souffler sur 2M et Al Oula ? C’est ce qu’on peut se demander après avoir assisté à quelques talk shows au ton étonnamment libre. Mais les professionnels du secteur ne sont pas optimistes, redoutant un retour rapide aux vieilles méthodes. Analyse.
« Les gens ne devraient plus se plier en deux et embrasser la main du roi. » Ce mercredi 16 mars, cette phrase fait sursauter les 650 000 téléspectateurs de l’émission «Moubacharatan Maâkoum» sur 2M.
Abdelhamid Amine, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) brise en éclat un tabou encore vivace –même dans la presse écrite– et carrément inédit sur une chaîne publique: remettre en question le protocole royal.
«Quand on a vu cela, on a été choqué. On n’en croyait pas nos yeux, puis on s’est dit que le vent de la révolution soufflait peut-être sur notre chaîne!», confie cette journaliste de 2M. Et ce n’est pas fini.
La veille, le journaliste Abderrahmane Adaoui recevait dans son émission « Qadaya wa Araa » des professeurs universitaires, des associatifs, des acteurs politiques… et Ghizlane Benomar, figure de proue du mouvement du 20 février à Casablanca! Une première. Surtout que les chaînes nationales ont snobé tant les manifestations qui ont secoué le Maroc que les jeunes organisateurs du mouvement.
Ce réveil éditorial est accompagné par une dynamique sans précédant au sein des syndicats des deux chaînes ainsi que du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM). « Notre combat pour les médias audiovisuels ne s’était soldé que par une amélioration des salaires, sans que le volet politique ne soit touché », nous confie Younès Moujahid, patron du syndicat. Le SNPM se veut désormais plus offensif et a d’ailleurs adressé un mémorandum au gouvernement à ce propos.
Les journalistes n’y vont pas de main morte
Le 18 mars, le syndicat de la chaîne de Aïn Sebaâ organise un sit-in pour réclamer « des médias publics citoyens au service du peuple et consacrant les valeurs de modernité, de démocratie, de pluralisme et du droit à la différence ». Les journalistes n’y vont pas de main morte. Ils chargent tour à tour Fayçal Laraïchi, PDG du pôle audiovisuel public, et Samira Sitaïl, directrice générale adjointe de 2M, réclamant leur départ. L’objectif est clair: que les journalistes soient enfin partie prenante de la décision au sein d’une télévision dont le ton très officiel déplaît.
Et pour cause, les journalistes de la deuxième chaîne ont été particulièrement visés lors des marches de protestation des « vingtfévrieristes »
. Accusés d’être « à la solde du Makhzen », les reporters de 2M ont été bousculés à la porte du siège du PSU qui abritait une manifestation de protestation le 13 mars. Ils ont aussi été pris à partie par la foule en colère le 20 février à Al Hoceima et à Rabat, les obligeant même à retirer le logo de la chaîne pour continuer à tourner. « Je n’ose plus me balader avec le micro de la chaîne tellement les gens nous en veulent », reconnaît ce journaliste de la deuxième chaîne.
Faut-il pour autant se féliciter et considérer que la télévision est en train de basculer dans la démocratie ? Les observateurs restent prudents et arguent qu’en dehors de ces coups d’éclat, les « news » restent sclérosées.
On se rappelle de la déception née de l’opération « ça bouge à la télé », fin 1985. Durant trois mois, Hassan II avait révolutionné la liberté d’expression. Une révolution tuée dans l’œuf par Driss Basri (voir encadré).
« Hadou diawlna »
« On ne peut pas encore parler d’ouverture », tempère cette source proche du dossier. « Ce qui s’est passé, c’est que nos télévisions sont habituées à recevoir des consignes. Or après le 20 février, la confusion a régné au sein même de l’Etat.
Sans ligne de conduite, les télévisions ont tour a tour osé et fait preuve de frilosité. La preuve, c’est que tout le monde s’est mis subitement à fustiger Al Adl Wal Ihsane, preuve qu’il y a désormais une position officieuse, donc le parapluie tant attendu ! » poursuit notre source.
Au sein d’Al Oula, les craintes sont encore plus exacerbées. « On parle beaucoup de 2M car cette chaîne a longtemps joué le rôle de soupape des libertés au sein du paysage médiatique mais Al Oula a encore plus de besoins », explique Abdelghani Jebbar, journaliste à la « Une » et vice-secrétaire général du Syndicat démocratique audiovisuel.
Pour ce dernier, peu de talk shows sont programmés sur Al Oula, une chaîne perçue comme le porte-voix officiel. « D’ailleurs quand on nous envoie couvrir toutes les activités ministérielles, aussi insignifiantes soit-elles, les organisateurs nous narguent et nous font attendre car ils savent qu’on leur est acquis : hadou diawlna », poursuit-il.
Pourtant, l’attention est focalisée sur la deuxième chaîne. Les « vingtfévrieristes » ont prévu un sit-in devant la chaîne de Aïn Sebaâ le vendredi 25 mars tandis que les syndicats ciblent les deux chaînes. Objectif principal : protester contre Samira Sitaïl accusée de « travestir » le montage du reportage sur les manifestations du 20 mars. Ils accusent la chaîne de « sortir leurs propos de leur contexte » en gardant les passages les plus lisses et de tenter « d’incriminer Al Adl à tout prix ».
Au sein de la chaîne, une source proche de la direction recadre : « Quand on a 3 minutes de son, on fait un montage. On le fait pour Abbas El Fassi et on l’a fait pour les jeunes du 20 février. Quant à Al Adl, les chaînes européennes ont également noté leur présence et, d’un point de vue journalistique, il était légitime de traiter cet angle ».
Une campagne orchestrée contre 2M ?
Selon Abdessamad Benchrif, journaliste à 2M (et syndicaliste), « le problème se situe à deux niveaux : tout d’abord, on ne sait pas qui commande dans cette chaîne. Ensuite, les responsables actuels ont tout saboté et 2M est devenu un moyen de règlement de compte, comme on l’a noté dans l’affaire du magazine Le Journal, ou du PJD où la chaîne s’est substituée à la Justice et au ministère de l’Intérieur, adoptant un discours militaire. »
Pour cette source proche de la direction, c’est une campagne orchestrée contre 2M. « La télé fabrique l’oubli. Qui se souvient de Sajid invité au lendemain des inondations et très vertement tancé par des associatifs remontés ? Qui se rappelle de Sebbar et Amina Bouayach qui ont critiqué de manière acerbe la gestion de Gdim Izik et de Khadija Riyadi qui a parlé d’un centre de détention secret à Témara ? Toutes ces choses nous ont été reprochées, mais on a continué car il y a une liberté de ton réelle. »
« La télé fabrique l’oubli »
Au-delà de la gestion quotidienne, les déclarations prêtées à des ministres, qui auraient critiqué la récente ouverture des médias nationaux lors d’un Conseil de gouvernement, en inquiètent plus d’un.
« Pourquoi ne pas laisser le spectateur se faire son idée ? On réclame un conseil supérieur des médias publics qui dresse une ligne éditoriale claire et libre pour s’éloigner d’une gestion au jour le jour suivant les pressions », recommande Abdelghani Jebbar. Une source de la direction de 2M ne dit pas autre chose, réclamant la suppression pure et simple du ministère de la Communication. « C’est une manière de rester poli et de ne pas l’appeler ministère de l’Information. Il faut que le gouvernement comprenne enfin que l’on n’est pas une chaîne du Makhzen, mais une chaîne d’Etat. »
Pour l’heure, l’attention est très peu portée sur le gouvernement, pourtant chargé d’appliquer la loi 77-03 sur l’audiovisuel et stipulant que « les opérateurs publics appliquent la politique de l’Etat dans les médias ». Une politique… inexistante, car consignée nulle part ! Mais c’est une autre paire de manches.
Zakaria Choukrallah ( actuel journal marocain)
« Les gens ne devraient plus se plier en deux et embrasser la main du roi. » Ce mercredi 16 mars, cette phrase fait sursauter les 650 000 téléspectateurs de l’émission «Moubacharatan Maâkoum» sur 2M.
Abdelhamid Amine, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) brise en éclat un tabou encore vivace –même dans la presse écrite– et carrément inédit sur une chaîne publique: remettre en question le protocole royal.
«Quand on a vu cela, on a été choqué. On n’en croyait pas nos yeux, puis on s’est dit que le vent de la révolution soufflait peut-être sur notre chaîne!», confie cette journaliste de 2M. Et ce n’est pas fini.
La veille, le journaliste Abderrahmane Adaoui recevait dans son émission « Qadaya wa Araa » des professeurs universitaires, des associatifs, des acteurs politiques… et Ghizlane Benomar, figure de proue du mouvement du 20 février à Casablanca! Une première. Surtout que les chaînes nationales ont snobé tant les manifestations qui ont secoué le Maroc que les jeunes organisateurs du mouvement.
Ce réveil éditorial est accompagné par une dynamique sans précédant au sein des syndicats des deux chaînes ainsi que du Syndicat national de la presse marocaine (SNPM). « Notre combat pour les médias audiovisuels ne s’était soldé que par une amélioration des salaires, sans que le volet politique ne soit touché », nous confie Younès Moujahid, patron du syndicat. Le SNPM se veut désormais plus offensif et a d’ailleurs adressé un mémorandum au gouvernement à ce propos.
Les journalistes n’y vont pas de main morte
Le 18 mars, le syndicat de la chaîne de Aïn Sebaâ organise un sit-in pour réclamer « des médias publics citoyens au service du peuple et consacrant les valeurs de modernité, de démocratie, de pluralisme et du droit à la différence ». Les journalistes n’y vont pas de main morte. Ils chargent tour à tour Fayçal Laraïchi, PDG du pôle audiovisuel public, et Samira Sitaïl, directrice générale adjointe de 2M, réclamant leur départ. L’objectif est clair: que les journalistes soient enfin partie prenante de la décision au sein d’une télévision dont le ton très officiel déplaît.
Et pour cause, les journalistes de la deuxième chaîne ont été particulièrement visés lors des marches de protestation des « vingtfévrieristes »
. Accusés d’être « à la solde du Makhzen », les reporters de 2M ont été bousculés à la porte du siège du PSU qui abritait une manifestation de protestation le 13 mars. Ils ont aussi été pris à partie par la foule en colère le 20 février à Al Hoceima et à Rabat, les obligeant même à retirer le logo de la chaîne pour continuer à tourner. « Je n’ose plus me balader avec le micro de la chaîne tellement les gens nous en veulent », reconnaît ce journaliste de la deuxième chaîne.
Faut-il pour autant se féliciter et considérer que la télévision est en train de basculer dans la démocratie ? Les observateurs restent prudents et arguent qu’en dehors de ces coups d’éclat, les « news » restent sclérosées.
On se rappelle de la déception née de l’opération « ça bouge à la télé », fin 1985. Durant trois mois, Hassan II avait révolutionné la liberté d’expression. Une révolution tuée dans l’œuf par Driss Basri (voir encadré).
« Hadou diawlna »
« On ne peut pas encore parler d’ouverture », tempère cette source proche du dossier. « Ce qui s’est passé, c’est que nos télévisions sont habituées à recevoir des consignes. Or après le 20 février, la confusion a régné au sein même de l’Etat.
Sans ligne de conduite, les télévisions ont tour a tour osé et fait preuve de frilosité. La preuve, c’est que tout le monde s’est mis subitement à fustiger Al Adl Wal Ihsane, preuve qu’il y a désormais une position officieuse, donc le parapluie tant attendu ! » poursuit notre source.
Au sein d’Al Oula, les craintes sont encore plus exacerbées. « On parle beaucoup de 2M car cette chaîne a longtemps joué le rôle de soupape des libertés au sein du paysage médiatique mais Al Oula a encore plus de besoins », explique Abdelghani Jebbar, journaliste à la « Une » et vice-secrétaire général du Syndicat démocratique audiovisuel.
Pour ce dernier, peu de talk shows sont programmés sur Al Oula, une chaîne perçue comme le porte-voix officiel. « D’ailleurs quand on nous envoie couvrir toutes les activités ministérielles, aussi insignifiantes soit-elles, les organisateurs nous narguent et nous font attendre car ils savent qu’on leur est acquis : hadou diawlna », poursuit-il.
Pourtant, l’attention est focalisée sur la deuxième chaîne. Les « vingtfévrieristes » ont prévu un sit-in devant la chaîne de Aïn Sebaâ le vendredi 25 mars tandis que les syndicats ciblent les deux chaînes. Objectif principal : protester contre Samira Sitaïl accusée de « travestir » le montage du reportage sur les manifestations du 20 mars. Ils accusent la chaîne de « sortir leurs propos de leur contexte » en gardant les passages les plus lisses et de tenter « d’incriminer Al Adl à tout prix ».
Au sein de la chaîne, une source proche de la direction recadre : « Quand on a 3 minutes de son, on fait un montage. On le fait pour Abbas El Fassi et on l’a fait pour les jeunes du 20 février. Quant à Al Adl, les chaînes européennes ont également noté leur présence et, d’un point de vue journalistique, il était légitime de traiter cet angle ».
Une campagne orchestrée contre 2M ?
Selon Abdessamad Benchrif, journaliste à 2M (et syndicaliste), « le problème se situe à deux niveaux : tout d’abord, on ne sait pas qui commande dans cette chaîne. Ensuite, les responsables actuels ont tout saboté et 2M est devenu un moyen de règlement de compte, comme on l’a noté dans l’affaire du magazine Le Journal, ou du PJD où la chaîne s’est substituée à la Justice et au ministère de l’Intérieur, adoptant un discours militaire. »
Pour cette source proche de la direction, c’est une campagne orchestrée contre 2M. « La télé fabrique l’oubli. Qui se souvient de Sajid invité au lendemain des inondations et très vertement tancé par des associatifs remontés ? Qui se rappelle de Sebbar et Amina Bouayach qui ont critiqué de manière acerbe la gestion de Gdim Izik et de Khadija Riyadi qui a parlé d’un centre de détention secret à Témara ? Toutes ces choses nous ont été reprochées, mais on a continué car il y a une liberté de ton réelle. »
« La télé fabrique l’oubli »
Au-delà de la gestion quotidienne, les déclarations prêtées à des ministres, qui auraient critiqué la récente ouverture des médias nationaux lors d’un Conseil de gouvernement, en inquiètent plus d’un.
« Pourquoi ne pas laisser le spectateur se faire son idée ? On réclame un conseil supérieur des médias publics qui dresse une ligne éditoriale claire et libre pour s’éloigner d’une gestion au jour le jour suivant les pressions », recommande Abdelghani Jebbar. Une source de la direction de 2M ne dit pas autre chose, réclamant la suppression pure et simple du ministère de la Communication. « C’est une manière de rester poli et de ne pas l’appeler ministère de l’Information. Il faut que le gouvernement comprenne enfin que l’on n’est pas une chaîne du Makhzen, mais une chaîne d’Etat. »
Pour l’heure, l’attention est très peu portée sur le gouvernement, pourtant chargé d’appliquer la loi 77-03 sur l’audiovisuel et stipulant que « les opérateurs publics appliquent la politique de l’Etat dans les médias ». Une politique… inexistante, car consignée nulle part ! Mais c’est une autre paire de manches.
Zakaria Choukrallah ( actuel journal marocain)
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