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L'idéologie antimusulmane se construit pierre à pierre

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  • L'idéologie antimusulmane se construit pierre à pierre

    Source Médiapart



    De quoi l'islam est-il le nom? Ce contre-débat, nous aurions pu tout aussi bien l'intituler: de quoi la laïcité est-elle le nom? Le 5 avril, s'ouvrait le débat de l'UMP sur la laïcité et l'islam, comme si l'un, en fait, était le nom de l'autre. Finalement, les deux mots sont devenus les vecteurs d'un discours xénophobe, quand la laïcité est d'abord un principe et une condition de la coexistence -entre croyants et non-croyants, aussi bien qu'entre les religions elles-mêmes auxquelles elle demande de se respecter et d'éviter d'envahir l'espace public et politique. Cette valeur fondamentale est aujourd'hui bafouée par ceux-là mêmes qui s'en font les chantres, et qui l'instrumentalisent pour stigmatiser les musulmans. Nombreux sont en effet ceux qui utilisent la défense de la laïcité pour cacher -ou exprimer- leur rejet des musulmans.
    Ce serait une erreur de penser qu'ils se recrutent seulement dans les rangs de la droite dure. Hélas, même plus policés, ils ne manquent pas non plus dans les rangs de la gauche, toutes tendances confondues. L'Europe retombe, en fait, dans son vieux penchant xénophobe, même si l'on a coutume de dire que l'histoire ne se répète pas. L'Europe vieillie, effrayée par la mondialisation, à court de projets novateurs et porteurs d'avenir, dans une sorte d'effet boomerang, fait, comme dans les années 1930, de la xénophobie un programme politique. Et c'est là qu'est le danger. Nous l'avons vu cet été avec les Roms.
    Depuis deux décennies, l'idéologie antimusulmane se construit pierre à pierre à l'intérieur même des institutions de l'Etat. Se diffusant, elle érige dans les esprits, sur le fonds d'un contentieux hérité de la décolonisation, comme un mur pour séparer, diviser, opposer. Ces institutions tentent de nous convaincre que les politiques anti-immigrés et anti-musulmans qu'elles ont conçues visent à calmer l'exaspération de la population française et à réduire le «choc des civilisations». Alors qu'on sait très bien que cette exaspération est cultivée par les élites dirigeantes elles-mêmes, au lieu de s'engager dans une véritable politique de la ville et de lancer des réformes en vue de l'intégration et d'un dégrippage de l'ascenseur social, pour tirer les populations stigmatisées vers le haut.
    Jusqu'à quand nos dirigeants s'autoriseront-ils des écarts de langage inadmissibles? Jusqu'à quand, même condamnés pour racisme, resteront-ils dans les sphères du pouvoir? A leur tour, certains médias encensent les racistes sans scrupules, et contribuent, conjointement avec les élites, à banaliser l'islamophobie et le racisme, et c'est là que réside sans doute la pire des menaces. Par paresse d'esprit, ils préfèrent faire leurs gros titres sur les rabatteurs de l'islamophobie et du racisme que sur ceux qui, plus nombreux pourtant qu'ils l'imaginent, appellent à raison garder. Ainsi contribuent-ils à entretenir un néo-populisme dont ils seront d'ailleurs les premières victimes si ce néo-populisme prend un jour le pouvoir.
    Dans un pays comme la France, on ne cesse hélas jamais d'être, même quand on est né sur le sol français et qu'on y réussit, un descendant d'immigrés. Faut-il donc croire que personne jamais ne peut devenir français? A défaut, on sera inéluctablement rivé à sa religion, et ce dans un pays qui se réclame haut et fort de sa laïcité.
    Ce 5 avril, le débat UMP sur la laïcité - plutôt le procès de l'islam - s'illustre comme une nouvelle manifestation d'un nationalisme xénophobe, de la radicalisation des politiques anti-immigration, du regain d'influence des partis de la droite extrême en Europe, ultime avatar d'une évolution commencée avec la création, en 2007, du premier ministère de l'immigration et de l'identité nationale.
    Il n'est pas sans évoquer, sous un verni de sécularisation, les disputations qui, au Moyen Âge, en Europe, prenaient les juifs pour cibles, préludes à des persécutions qui culmineraient avec l'Inquisition. Il n'est pas sans rappeler, non plus, la convocation par Napoléon, en France, d'une Assemblée des Notables puis d'un "grand Sanhédrin", suivie de la promulgation de décrets revenant en partie sur les acquis de la citoyenneté accordée aux juifs en 1790-1791, dont le fameux "décret infame", qui plaçait les juifs, pendant dix ans, hors du droit commun.
    La France, nous laisse-t-on entendre, souhaite « régénérer » les musulmans présents sur son sol, pour qu'émerge un « nouveau musulman », assimilé, doté d'une identité homogène, en fait un miroir pour le Français qui s'y regarderait. La France avait déjà nourri de pareils desseins pour les juifs à la fin du XVIIIe siècle, rêvant alors de faire émerger un « juif nouveau ». Méfions-nous de tels projets : on sait assez à quoi peut conduire ce genre d'aspiration totalitaire.
    A tant vouloir discriminer (et changer) le musulman, on finit d'ailleurs par créer en retour un musulman qui se croit « authentique », et fige lui-même son identité - pour résister. Dès lors, ne nous étonnons pas de la montée de la religiosité et du fondamentalisme musulmans.
    Eric Fassin et moi-même, nous avons souhaité organiser un contre-débat pour mieux saisir, avec des spécialistes, les tenants et les aboutissants de ces questions complexes et brûlantes. Nous l'avons organisé au pied levé pour réagir à notre manière et par anticipation au débat/procès du 5 avril. Pour comprendre et non pour stigmatiser. Pour dire que nous ne voulons pas nous taire, mais parler librement.
    Environ 300 personnes y ont assisté et nous avons pu dire non à l'infamie ensemble en passant par la parole partagée et par la volonté de comprendre. Ce contre-débat fut pris d'assaut, ce qui n'a pas été pas le cas pour celui organisé par le gouvernement, lui suivi avec moult bruit par la presse, qui ne brillait pas par sa présence, non plus que les politiciens de gauche. Ceux qui étaient là ont pu aussi exprimer leur engagement pour ne pas laisser faire et ils ont ainsi sauvé l'honneur de la politique de gauche. Les autres ne se plaindront pas que les masses perdent confiance dans leurs politiciens et leur presse suivistes. Le résultat des urnes leur signifiera une fois de plus l'ampleur de leur éloignement des Français, du moins d'une partie d'entre eux, de ce peuple de gauche, qui constituait jusqu'à récemment leur vivier.
    Esther Benbassa
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