Notre journaliste a été retenu contre son gré 4 jours durant à l’aéroport de Damas
Situation de la presse en Syrie : Témoignage vivant d’un expulsé
Jeudi 7 avril 2011, 6h35. Le vol régulier de la Syrian Arab Airlines en partance d’Alger pour la capitale syrienne, sur lequel j’avais pris une place en classe économique, atterrit tout en douceur sur le tarmac de l’aéroport international de Damas, quatre heures après le décollage.
Damas (Syrie).
De notre envoyé spécial
Aimable durant tout le vol, le personnel de bord nous souhaite, malgré une fatigue apparente, un bon séjour à Damas avec le sourire. Que demander de plus, d’autant que la météo annonce une journée radieuse ? Bien que n’étant pas du tout superstitieux, je me dis que tout cela est de bon augure pour une mission qui s’annonce, quoiqu’on en dise, compliquée. Il faut dire que par les temps qui courent, aller jusqu’à Deraa pour faire un reportage sur ce qui s’y passe et y rencontrer des militants des droits de l’homme n’est pas vraiment évident, surtout que je savais que les services de sécurité syriens – qui considèrent les journalistes étrangers comme des agents en puissance – n’allaient pas me lâcher d’une semelle. Quoiqu’il en soit, j’étais tout de même loin de m’imaginer que ma mission allait se terminer avant même d’avoir commencé. Pour chasser le cafard, je me dis que le terrain, en Syrie, ne doit pas être plus difficile qu’en Libye où je devais me rendre, une semaine auparavant, via Le Caire. D’ailleurs j’attends toujours que l’ambassade d’Egypte à Alger statue sur ma demande de visa.
Dès que la porte de l’avion s’ouvre, je saisis machinalement mon sac à dos, vérifie mes papiers (passeport, ordre de mission, carte de presse) et fais en sorte qu’ils soient à portée de main. Tout en me dirigeant vers les guichets de la police de l’air et des frontières syrienne, j’essaye de me préparer à la foule de questions auxquelles j’allais être soumis. Je m’étais fait à l’idée qu’on ne me laisserait pas entrer en Syrie sans me «cuisiner» un peu avant. C’est la règle dans tous les régimes totalitaires. Un confrère d’El Watan qui a eu à pratiquer le terrain syrien il y a trois ans m’a averti, avant mon départ, que cela n’allait pas être facile. Je décide donc de rester zen autant que possible. Le plus important étant d’arracher la permission de travailler… même si cela devait se faire au prix d’un interrogatoire serré.
Ça valait le coup. Et puis, avec ce que l’on a vécu ces 20 dernières années, le risque, on connaît un peu… Après 10 minutes d’attente, je me présente enfin devant le préposé au guichet de la PAF, un jeune homme en uniforme bleu nuit qui ne semblait pas très heureux de mettre des empreintes de cachet humide sur des passeports à 7h du matin. Visiblement harassé par la nuit blanche qu’il venait de passer à inspecter des papiers de voyageurs, c’est presque les yeux mi-fermés qu’il commence à vérifier mon passeport. Tout va bien jusqu’au moment où je le vois sursauter sur son siège, se redresser et écarquiller soudainement les yeux comme s’il venait de prendre deux tasses de café d’un coup. «Marhaban sayidi, hal anta sahafi ? (Bienvenue Monsieur. Etes-vous journaliste ? ndlr)», dit-il sur un ton neutre. Je réponds très calmement que c’est effectivement le cas et que je suis là pour une série d’articles sur la Syrie. Sans trop chercher à en savoir plus, mon interlocuteur me demande de me mettre à l’écart et d’attendre, le temps qu’il aille consulter son supérieur hiérarchique. Jusque-là, rien d’anormal. Je m’attendais à ce que l’on me réserve un «traitement» particulier. Deux minutes plus tard, le jeune pafiste revient me voir et m’invite à le suivre. Nous entrons dans un bureau où semble m’attendre de pied ferme son fameux supérieur. Lui aussi donne l’impression d’avoir été extirpé de son sommeil. Sans se présenter et sans même m’inviter à m’asseoir, l’officier en question – installé derrière un vieux bureau métallique gris sur lequel étaient posés quelques registres, une tasse de café fumant mais sans arôme et un cendrier rempli de mégots de cigarettes – me demande, tout en feuilletant méticuleusement mon passeport, pour quel journal je travaille et quel est l’objet de ma visite à Damas.
Une présentation politiquement correcte d’El Watan
Après avoir fait une présentation «politiquement correcte» d’El Watan pour ne pas heurter sa sensibilité de fonctionnaire, j’explique à nouveau, sur une note d’humour, histoire de briser la glace, que mes intentions sont bonnes et que je ne suis là que pour un reportage d’une semaine uniquement. Bien entendu, je tente de rassurer mon interlocuteur en affirmant que je ne repartirais pas de Syrie avant d’avoir pris le soin de tendre le micro aux officiels syriens. Notre officier note soigneusement mes réponses en arabe, d’une écriture minuscule, sur une petite fiche agrafée sur la couverture de mon passeport. Après avoir épuisé ses questions, il m’explique qu’il ne peut pas m’autoriser à quitter l’aéroport avant d’avoir eu le «OK définitif» du ministère syrien de l’Information. Comprendre, bien évidemment, la toute-puissante police politique syrienne. L’officier précise, en outre, qu’il va falloir attendre 8h30, heure d’ouverture des services de l’administration, pour avoir une réponse. Aussi m’invite-t-il à aller patienter gentiment en zone internationale, le temps d’avoir lui-même un retour d’écoute du pouvoir réel syrien. Sans même attendre une réaction de ma part, il se lève et met mon passeport dans une armoire métallique de la même couleur que son bureau. Armoire qu’il ferme à double tour. J’obtempère.
Avais-je choix ? Mais avant de quitter les lieux, je demande une faveur : fumer une cigarette. Après une fraction de seconde d’hésitation, l’officier me laisse faire, non sans montrer un petit signe d’agacement. Avait-il peur qu’on l’accuse de composer avec l’ennemi? Sincèrement, je n’ose pas lui poser la question de crainte de compliquer mon cas ou de compromettre mes chances d’accéder sur le territoire syrien. Je me suis donc contenté de me concentrer sur ma cigarette. Ce n’est qu’après l’avoir «grillée» entièrement que je me suis résolu à sortir. Pour éviter que l’on m’oublie, je m’installe en face du bureau de notre officier. Je m’arrange même pour rester à portée de son regard. Pour «tuer» le temps, je tire de mon sac à dos le pli de journaux que j’avais pris soin d’emporter avec moi et me met à relire, en premier, les quotidiens sportifs histoire de me changer les idées. J’avoue que sur le coup, je me suis un peu senti frustré de rater les matchs des quarts de finale de la coupe d’Algérie... Après les avoir épluchés, je me mis sans transition aux mots croisés.
Au bout de la deuxième grille (je venais certainement de tuer un peu plus d’une heure de temps), le jeune pafiste que j’avais trouvé à l’accueil à mon arrivée se dirige vers moi. Confiant, je me dis que ça allait être enfin la délivrance, surtout qu’il n’a pas l’air d’être porteur d’une mauvaise nouvelle. Arrivé à ma hauteur, il m’annonce à voix basse que ma présence en Syrie n’est pas souhaitée. Après un bref temps d’arrêt, il ajoute que la décision est irrévocable et que je suis bon pour l’expulsion. Déçu, je réplique instantanément que «sa» décision n’est rien d’autre qu’un abus et qu’elle n’a pas de sens, d’autant que les journalistes algériens ne sont soumis à aucune autorisation préalable pour entrer sur le territoire syrien. Je lui précise, par ailleurs, que l’ambassade de Syrie à Alger, avec laquelle j’ai pris attache avant de venir, n’avait émis aucune réserve. «Vous pensez bien que si j’avais su que les journalistes étaient indésirables, je ne serais pas venu, je n’aurai pas fait autant de kilomètres. Mais là, je vous répète que vous n’avez émis aucune note… Ce n’est pas normal tout ça», lui dis-je, irrité, en arabe classique pour être sûr d’être compris. Pour seule réponse, il me répète, quelque peu gêné, qu’il ne peut plus rien pour moi et qu’il ne me reste plus qu’à repartir en Algérie. La police politique syrienne venait d’émettre son verdict. Ce n’était effectivement pas la peine de me fatiguer davantage à essayer de faire entendre raison à mon interlocuteur. Sur le coup, je ne pouvais pas m’empêcher d’essayer de comprendre comment un peuple qui a inventé l’un des tout premiers alphabets de l’histoire de l’humanité et qui a bâti une dynastie qui a régné sur toute la région et même au-delà soit devenu l’un des ennemis les plus zélés de la liberté d’expression. De la liberté tout court. Mieux, je ne comprenais pas ce que «foutait» l’Algérie dans le club de dictateurs qu’est la Ligue arabe et pourquoi elle persistait à entretenir des relations avec des pays aussi infréquentables !
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Situation de la presse en Syrie : Témoignage vivant d’un expulsé
Jeudi 7 avril 2011, 6h35. Le vol régulier de la Syrian Arab Airlines en partance d’Alger pour la capitale syrienne, sur lequel j’avais pris une place en classe économique, atterrit tout en douceur sur le tarmac de l’aéroport international de Damas, quatre heures après le décollage.
Damas (Syrie).
De notre envoyé spécial
Aimable durant tout le vol, le personnel de bord nous souhaite, malgré une fatigue apparente, un bon séjour à Damas avec le sourire. Que demander de plus, d’autant que la météo annonce une journée radieuse ? Bien que n’étant pas du tout superstitieux, je me dis que tout cela est de bon augure pour une mission qui s’annonce, quoiqu’on en dise, compliquée. Il faut dire que par les temps qui courent, aller jusqu’à Deraa pour faire un reportage sur ce qui s’y passe et y rencontrer des militants des droits de l’homme n’est pas vraiment évident, surtout que je savais que les services de sécurité syriens – qui considèrent les journalistes étrangers comme des agents en puissance – n’allaient pas me lâcher d’une semelle. Quoiqu’il en soit, j’étais tout de même loin de m’imaginer que ma mission allait se terminer avant même d’avoir commencé. Pour chasser le cafard, je me dis que le terrain, en Syrie, ne doit pas être plus difficile qu’en Libye où je devais me rendre, une semaine auparavant, via Le Caire. D’ailleurs j’attends toujours que l’ambassade d’Egypte à Alger statue sur ma demande de visa.
Dès que la porte de l’avion s’ouvre, je saisis machinalement mon sac à dos, vérifie mes papiers (passeport, ordre de mission, carte de presse) et fais en sorte qu’ils soient à portée de main. Tout en me dirigeant vers les guichets de la police de l’air et des frontières syrienne, j’essaye de me préparer à la foule de questions auxquelles j’allais être soumis. Je m’étais fait à l’idée qu’on ne me laisserait pas entrer en Syrie sans me «cuisiner» un peu avant. C’est la règle dans tous les régimes totalitaires. Un confrère d’El Watan qui a eu à pratiquer le terrain syrien il y a trois ans m’a averti, avant mon départ, que cela n’allait pas être facile. Je décide donc de rester zen autant que possible. Le plus important étant d’arracher la permission de travailler… même si cela devait se faire au prix d’un interrogatoire serré.
Ça valait le coup. Et puis, avec ce que l’on a vécu ces 20 dernières années, le risque, on connaît un peu… Après 10 minutes d’attente, je me présente enfin devant le préposé au guichet de la PAF, un jeune homme en uniforme bleu nuit qui ne semblait pas très heureux de mettre des empreintes de cachet humide sur des passeports à 7h du matin. Visiblement harassé par la nuit blanche qu’il venait de passer à inspecter des papiers de voyageurs, c’est presque les yeux mi-fermés qu’il commence à vérifier mon passeport. Tout va bien jusqu’au moment où je le vois sursauter sur son siège, se redresser et écarquiller soudainement les yeux comme s’il venait de prendre deux tasses de café d’un coup. «Marhaban sayidi, hal anta sahafi ? (Bienvenue Monsieur. Etes-vous journaliste ? ndlr)», dit-il sur un ton neutre. Je réponds très calmement que c’est effectivement le cas et que je suis là pour une série d’articles sur la Syrie. Sans trop chercher à en savoir plus, mon interlocuteur me demande de me mettre à l’écart et d’attendre, le temps qu’il aille consulter son supérieur hiérarchique. Jusque-là, rien d’anormal. Je m’attendais à ce que l’on me réserve un «traitement» particulier. Deux minutes plus tard, le jeune pafiste revient me voir et m’invite à le suivre. Nous entrons dans un bureau où semble m’attendre de pied ferme son fameux supérieur. Lui aussi donne l’impression d’avoir été extirpé de son sommeil. Sans se présenter et sans même m’inviter à m’asseoir, l’officier en question – installé derrière un vieux bureau métallique gris sur lequel étaient posés quelques registres, une tasse de café fumant mais sans arôme et un cendrier rempli de mégots de cigarettes – me demande, tout en feuilletant méticuleusement mon passeport, pour quel journal je travaille et quel est l’objet de ma visite à Damas.
Une présentation politiquement correcte d’El Watan
Après avoir fait une présentation «politiquement correcte» d’El Watan pour ne pas heurter sa sensibilité de fonctionnaire, j’explique à nouveau, sur une note d’humour, histoire de briser la glace, que mes intentions sont bonnes et que je ne suis là que pour un reportage d’une semaine uniquement. Bien entendu, je tente de rassurer mon interlocuteur en affirmant que je ne repartirais pas de Syrie avant d’avoir pris le soin de tendre le micro aux officiels syriens. Notre officier note soigneusement mes réponses en arabe, d’une écriture minuscule, sur une petite fiche agrafée sur la couverture de mon passeport. Après avoir épuisé ses questions, il m’explique qu’il ne peut pas m’autoriser à quitter l’aéroport avant d’avoir eu le «OK définitif» du ministère syrien de l’Information. Comprendre, bien évidemment, la toute-puissante police politique syrienne. L’officier précise, en outre, qu’il va falloir attendre 8h30, heure d’ouverture des services de l’administration, pour avoir une réponse. Aussi m’invite-t-il à aller patienter gentiment en zone internationale, le temps d’avoir lui-même un retour d’écoute du pouvoir réel syrien. Sans même attendre une réaction de ma part, il se lève et met mon passeport dans une armoire métallique de la même couleur que son bureau. Armoire qu’il ferme à double tour. J’obtempère.
Avais-je choix ? Mais avant de quitter les lieux, je demande une faveur : fumer une cigarette. Après une fraction de seconde d’hésitation, l’officier me laisse faire, non sans montrer un petit signe d’agacement. Avait-il peur qu’on l’accuse de composer avec l’ennemi? Sincèrement, je n’ose pas lui poser la question de crainte de compliquer mon cas ou de compromettre mes chances d’accéder sur le territoire syrien. Je me suis donc contenté de me concentrer sur ma cigarette. Ce n’est qu’après l’avoir «grillée» entièrement que je me suis résolu à sortir. Pour éviter que l’on m’oublie, je m’installe en face du bureau de notre officier. Je m’arrange même pour rester à portée de son regard. Pour «tuer» le temps, je tire de mon sac à dos le pli de journaux que j’avais pris soin d’emporter avec moi et me met à relire, en premier, les quotidiens sportifs histoire de me changer les idées. J’avoue que sur le coup, je me suis un peu senti frustré de rater les matchs des quarts de finale de la coupe d’Algérie... Après les avoir épluchés, je me mis sans transition aux mots croisés.
Au bout de la deuxième grille (je venais certainement de tuer un peu plus d’une heure de temps), le jeune pafiste que j’avais trouvé à l’accueil à mon arrivée se dirige vers moi. Confiant, je me dis que ça allait être enfin la délivrance, surtout qu’il n’a pas l’air d’être porteur d’une mauvaise nouvelle. Arrivé à ma hauteur, il m’annonce à voix basse que ma présence en Syrie n’est pas souhaitée. Après un bref temps d’arrêt, il ajoute que la décision est irrévocable et que je suis bon pour l’expulsion. Déçu, je réplique instantanément que «sa» décision n’est rien d’autre qu’un abus et qu’elle n’a pas de sens, d’autant que les journalistes algériens ne sont soumis à aucune autorisation préalable pour entrer sur le territoire syrien. Je lui précise, par ailleurs, que l’ambassade de Syrie à Alger, avec laquelle j’ai pris attache avant de venir, n’avait émis aucune réserve. «Vous pensez bien que si j’avais su que les journalistes étaient indésirables, je ne serais pas venu, je n’aurai pas fait autant de kilomètres. Mais là, je vous répète que vous n’avez émis aucune note… Ce n’est pas normal tout ça», lui dis-je, irrité, en arabe classique pour être sûr d’être compris. Pour seule réponse, il me répète, quelque peu gêné, qu’il ne peut plus rien pour moi et qu’il ne me reste plus qu’à repartir en Algérie. La police politique syrienne venait d’émettre son verdict. Ce n’était effectivement pas la peine de me fatiguer davantage à essayer de faire entendre raison à mon interlocuteur. Sur le coup, je ne pouvais pas m’empêcher d’essayer de comprendre comment un peuple qui a inventé l’un des tout premiers alphabets de l’histoire de l’humanité et qui a bâti une dynastie qui a régné sur toute la région et même au-delà soit devenu l’un des ennemis les plus zélés de la liberté d’expression. De la liberté tout court. Mieux, je ne comprenais pas ce que «foutait» l’Algérie dans le club de dictateurs qu’est la Ligue arabe et pourquoi elle persistait à entretenir des relations avec des pays aussi infréquentables !
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