Pierre et Claudine chaulet. Un amour indéfectible pour l’Algérie
«Je fais confiance aux nouvelles générations d’Algériens»
le 14.04.11 | 01h00
zoom | ©
Quand Gilbert Meynier tentait de percer le secret de l’engagement sans faille de cette «mince frange» de pieds-noirs et de juifs d’Algérie dans le combat libérateur, il écrivit ceci : «Non-musulmans, ils avaient eux, de manière spécialement vitale, besoin d’une nation algérienne.»
(Histoire intérieure du FLN-1954-1962, p 251-252).
Du point de vue de l’identification nationale, ajoute l’historien, les pieds-noirs nationalistes algériens FLN «furent d’authentiques algériens, étrangers qu’ils étaient tant au communautarisme de base des arabo-berbères qu’au communautarisme mahométan universel ; et parce qu’ils avaient pratiquement rompu avec leur communauté originelle tant leur engagement était exceptionnel».
Couple mythique s’il en est, de la Révolution algérienne, Pierre et Claudine Chaulet abhorrent les feux de la rampe, cultivent religieusement la discrétion, la modestie sur tout ce qui a trait à leurs contributions, passées et présentes, leurs insondables sacrifices pour que triomphent les luttes émancipatrices du peuple algérien.
- Professeur Chaulet, comment épouse-t-on une cause indépendantiste lorsqu’on vient du catholicisme social ? Y a-t-il une
mécanique ?
Pierre : il n’y a rien de mécanique. Ayant baigné depuis mon enfance dans l’atmosphère familiale créée par des parents engagés dans le syndicalisme et l’action sociale — extension à l’Algérie des congés payés en 1936 et des allocations familiales en 1941, revendications pour l’égalité des salaires entre travailleurs algériens et européens, puis introduction d’un système de sécurité sociale en Algérie — j’étais sensibilisé à l’inégalité sociale, aux injustices, et au refus du racisme. Par la suite, mon engagement dans des mouvements de jeunesse, les rencontres que j’ai eu la chance de faire m’ont ouvert à d’autres horizons et m’ont fait passer du social au politique. Né et élevé en Algérie (comme mes parents) je ne m’imaginais pas une vie ailleurs et je trouvais naturel, moi aussi, comme les jeunes Algériens que je rencontrais et dont je partageais les espoirs, de revendiquer l’Algérie comme mon pays et ma patrie.
- Etait-il évident pour vous de prendre position aux côtés de ceux qui ont choisi de répondre présent à l’appel du 1er Novembre 1954 ?
P. Pour moi, c’était évident. Pour les militants anticolonialistes d’Algérie, qui avaient suivi avec anxiété la crise du mouvement national depuis 1953 et qui suivaient avec attention l’évolution de la situation au Vietnam, après la victoire de Dien Bien Phu, ainsi que les «événements» de Tunisie et du Maroc, cet appel était comme une délivrance. D’autant plus que dans cet appel, pour la première fois dans l’histoire de la décolonisation, dans un territoire qui avait été considéré comme une colonie de peuplement, les anciens colonisés offraient l’égalité des droits et des devoirs ainsi que la citoyenneté aux éléments de la minorité coloniale qui en feraient le choix. C’était une originalité algérienne. La deuxième originalité, ce sont les quelques individus comme nous qui ont fait ce choix parce qu’ils avaient confiance en le mouvement qui commençait et qu’ils ont pris au sérieux ce qui était annoncé. Mais nous n’étions qu’une petite minorité au sein de la minorité dite « européenne», marqués que nous étions par la découverte du racisme et de l’oppression coloniale, de l’apartheid larvé dans lequel nous vivions et des injustices sociales révoltantes qui en étaient les conséquences.
Ce qui a été déterminant, pour moi, comme pour d’autres qui militaient dans des partis politiques progressistes au cours de la période 1948-1953, cela a été la rencontre et la longue fréquentation de jeunes militants algériens de notre âge, étudiants ou membres de mouvements de jeunesse, avec lesquels nous partagions les mêmes analyses de la situation nationale, régionale et internationale, formulions des projets communs et avions les mêmes espoirs pour l’avenir de l’Algérie, que nous considérions comme notre patrie commune. Cette position était exceptionnelle parmi les jeunes Européens de la minorité coloniale, conditionnés par leur enfermement dans la «bulle coloniale», leur histoire familiale, leur éducation, leur statut et une situation de prépondérance économique, politique, sociale et culturelle qui leur paraissait naturelle.
- C’était donc un choix sans heurt...
P. Oui, au jour du 1er Novembre : je n’avais pas à choisir, j’étais déjà dans un camp. En fait, les heurts avaient eu lieu avant, quand, avec quelques responsables de mouvements de jeunesse, nous avions décidé d’organiser des rencontres de jeunes « de toutes origines» comme on disait à l’époque, pour parler librement des problèmes économiques, sociaux et politiques, et de l’avenir de l’Algérie dont nous rêvions. Dans le contexte de l’Algérie des années 1950, marquée par l’existence de deux collèges de citoyens et du truquage électoral organisé par le pouvoir colonial, réunir des jeunes qui discutaient librement de tout et se rencontraient à égalité était fondamentalement subversif : nous étions déjà surveillés et fichés par les services de police. C’est au cours de cette période que se sont opérées les décantations parmi les quelques jeunes Européens qui nous accompagnaient, entre ceux qui allaient devenir des «libéraux», ouverts à l’évolution de la situation politique, éventuellement favorables à l’idée d’indépendance — certains, comme l’avocat Pierre Popie, l’ont payé de leur vie — et ceux qui, comme nous, choisissaient de s’intégrer à la lutte de Libération nationale en revendiquant l’Algérie comme leur patrie, l’indépendance nationale nous paraissant alors la condition nécessaire et préalable à tout progrès de développement économique et de justice sociale, et de participer à égalité à la construction de l’Algérie nouvelle.
(àsuivre)
«Je fais confiance aux nouvelles générations d’Algériens»
le 14.04.11 | 01h00
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Quand Gilbert Meynier tentait de percer le secret de l’engagement sans faille de cette «mince frange» de pieds-noirs et de juifs d’Algérie dans le combat libérateur, il écrivit ceci : «Non-musulmans, ils avaient eux, de manière spécialement vitale, besoin d’une nation algérienne.»
(Histoire intérieure du FLN-1954-1962, p 251-252).
Du point de vue de l’identification nationale, ajoute l’historien, les pieds-noirs nationalistes algériens FLN «furent d’authentiques algériens, étrangers qu’ils étaient tant au communautarisme de base des arabo-berbères qu’au communautarisme mahométan universel ; et parce qu’ils avaient pratiquement rompu avec leur communauté originelle tant leur engagement était exceptionnel».
Couple mythique s’il en est, de la Révolution algérienne, Pierre et Claudine Chaulet abhorrent les feux de la rampe, cultivent religieusement la discrétion, la modestie sur tout ce qui a trait à leurs contributions, passées et présentes, leurs insondables sacrifices pour que triomphent les luttes émancipatrices du peuple algérien.
- Professeur Chaulet, comment épouse-t-on une cause indépendantiste lorsqu’on vient du catholicisme social ? Y a-t-il une
mécanique ?
Pierre : il n’y a rien de mécanique. Ayant baigné depuis mon enfance dans l’atmosphère familiale créée par des parents engagés dans le syndicalisme et l’action sociale — extension à l’Algérie des congés payés en 1936 et des allocations familiales en 1941, revendications pour l’égalité des salaires entre travailleurs algériens et européens, puis introduction d’un système de sécurité sociale en Algérie — j’étais sensibilisé à l’inégalité sociale, aux injustices, et au refus du racisme. Par la suite, mon engagement dans des mouvements de jeunesse, les rencontres que j’ai eu la chance de faire m’ont ouvert à d’autres horizons et m’ont fait passer du social au politique. Né et élevé en Algérie (comme mes parents) je ne m’imaginais pas une vie ailleurs et je trouvais naturel, moi aussi, comme les jeunes Algériens que je rencontrais et dont je partageais les espoirs, de revendiquer l’Algérie comme mon pays et ma patrie.
- Etait-il évident pour vous de prendre position aux côtés de ceux qui ont choisi de répondre présent à l’appel du 1er Novembre 1954 ?
P. Pour moi, c’était évident. Pour les militants anticolonialistes d’Algérie, qui avaient suivi avec anxiété la crise du mouvement national depuis 1953 et qui suivaient avec attention l’évolution de la situation au Vietnam, après la victoire de Dien Bien Phu, ainsi que les «événements» de Tunisie et du Maroc, cet appel était comme une délivrance. D’autant plus que dans cet appel, pour la première fois dans l’histoire de la décolonisation, dans un territoire qui avait été considéré comme une colonie de peuplement, les anciens colonisés offraient l’égalité des droits et des devoirs ainsi que la citoyenneté aux éléments de la minorité coloniale qui en feraient le choix. C’était une originalité algérienne. La deuxième originalité, ce sont les quelques individus comme nous qui ont fait ce choix parce qu’ils avaient confiance en le mouvement qui commençait et qu’ils ont pris au sérieux ce qui était annoncé. Mais nous n’étions qu’une petite minorité au sein de la minorité dite « européenne», marqués que nous étions par la découverte du racisme et de l’oppression coloniale, de l’apartheid larvé dans lequel nous vivions et des injustices sociales révoltantes qui en étaient les conséquences.
Ce qui a été déterminant, pour moi, comme pour d’autres qui militaient dans des partis politiques progressistes au cours de la période 1948-1953, cela a été la rencontre et la longue fréquentation de jeunes militants algériens de notre âge, étudiants ou membres de mouvements de jeunesse, avec lesquels nous partagions les mêmes analyses de la situation nationale, régionale et internationale, formulions des projets communs et avions les mêmes espoirs pour l’avenir de l’Algérie, que nous considérions comme notre patrie commune. Cette position était exceptionnelle parmi les jeunes Européens de la minorité coloniale, conditionnés par leur enfermement dans la «bulle coloniale», leur histoire familiale, leur éducation, leur statut et une situation de prépondérance économique, politique, sociale et culturelle qui leur paraissait naturelle.
- C’était donc un choix sans heurt...
P. Oui, au jour du 1er Novembre : je n’avais pas à choisir, j’étais déjà dans un camp. En fait, les heurts avaient eu lieu avant, quand, avec quelques responsables de mouvements de jeunesse, nous avions décidé d’organiser des rencontres de jeunes « de toutes origines» comme on disait à l’époque, pour parler librement des problèmes économiques, sociaux et politiques, et de l’avenir de l’Algérie dont nous rêvions. Dans le contexte de l’Algérie des années 1950, marquée par l’existence de deux collèges de citoyens et du truquage électoral organisé par le pouvoir colonial, réunir des jeunes qui discutaient librement de tout et se rencontraient à égalité était fondamentalement subversif : nous étions déjà surveillés et fichés par les services de police. C’est au cours de cette période que se sont opérées les décantations parmi les quelques jeunes Européens qui nous accompagnaient, entre ceux qui allaient devenir des «libéraux», ouverts à l’évolution de la situation politique, éventuellement favorables à l’idée d’indépendance — certains, comme l’avocat Pierre Popie, l’ont payé de leur vie — et ceux qui, comme nous, choisissaient de s’intégrer à la lutte de Libération nationale en revendiquant l’Algérie comme leur patrie, l’indépendance nationale nous paraissant alors la condition nécessaire et préalable à tout progrès de développement économique et de justice sociale, et de participer à égalité à la construction de l’Algérie nouvelle.
(àsuivre)
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