A l'est, une révolution, et une guerre. A l'ouest, bousculé par des manifestations, un roi s'engage dans une réforme politique qui, au passage, arrimera solidement, espère-t-il, le Sahara occidental à son royaume. Entre ses remuants voisins tunisien, libyen et marocain, l'Algérie, le plus grand pays du Maghreb, est à l'étroit dans ses frontières. Faisant ses adieux en quittant son poste le 24 mars, l'ambassadeur des Etats-Unis à Alger, David Pierce, a averti : "L'Algérie n'est pas immunisée contre les changements."
Les difficultés s'accroissent pour les autorités algériennes, qui tentent de tenir tous les bouts de la chaîne : se prémunir de la "contagion" des mouvements du monde arabe et apaiser la contestation qui monte de tous côtés sur son propre sol, maintenir des relations de bon voisinage avec des pays devenus instables, surveiller et mettre à l'abri un territoire qui a déjà connu une décennie de violence.
Le front libyen constitue aujourd'hui la première source d'inquiétude. L'organisation djihadiste Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), dont les chefs sont algériens, pourrait "s'accaparer un armement lourd et sophistiqué de nature à mettre en péril la sécurité dans cette région et bien au-delà", a fait valoir, mardi 5 avril, Abdelkader Messahel, ministre délégué algérien chargé des affaires maghrébines et africaines, en évoquant la situation en Libye.
"Les unités terroristes du Sahel vont être tentées de remonter le plus haut possible en longeant la frontière pour pénétrer sur notre territoire", affirmait au Monde, mi-mars, le ministre de l'intérieur, Daho Ould Kablia. Alger a réagi en redéployant des unités de l'armée sur un territoire trop vaste pour être vraiment contrôlé : 2 000 kilomètres de frontière séparent l'Algérie de la Libye. Or, si le risque d'infiltration existe - ce qui n'est pas avéré aujourd'hui -, il aura pour première conséquence de remettre en cause l'assurance d'un pouvoir qui se targue d'avoir mis fin, au prix d'une réconciliation nationale imposée, à un conflit qui a causé la mort de près de 200 000 personnes.
Pour les opposants au régime algérien, l'argument de la sécurité est entaché de soupçons, nourris par les rumeurs sur une aide à Mouammar Kadhafi qu'Alger s'emploie à démentir. Depuis Doha, au Qatar, où il réside depuis plusieurs années, Abbassi Madani, l'un des dirigeants du Front islamique du salut (FIS) dissous en 1992 a dénoncé, mercredi 6 avril, "la collusion entre le régime algérien et le régime libyen condamné sur la scène internationale".
Deuxième terrain de préoccupation, la Tunisie, foyer de la première révolution arabe suivie de près par de nombreux Algériens. Béji Caïd Essebsi, premier ministre du gouvernement provisoire tunisien, a réservé son premier déplacement à l'étranger, mi-mars, à Alger, pour "informer les autorités algériennes des développements en cours dans (son) pays", autant que pour rassurer son voisin.
En retour, le gouvernement d'Abdelaziz Bouteflika a accordé une aide de 100 millions de dollars (70 millions d'euros) à la Tunisie, avec laquelle des liens profonds et solidaires avaient été tissés dès la guerre d'indépendance avec la puissance coloniale française. Cet appui financier, annoncé lors de la rencontre entre les deux chefs d'Etat, s'est accompagné d'un prêt de 40 millions de dollars à 1 % sur quinze ans, "avec une période de grâce de cinq ans", et un autre de 50 millions sans intérêts. Un geste à l'image des sommes colossales versées par les autorités algériennes pour augmenter les salaires et destinées à éteindre la contestation sociale sur son propre territoire.
Troisième théâtre suivi de près par l'Algérie, le Maroc.
Bousculé depuis le 20 février par un mouvement de protestation, Mohammed VI a promis, le 9 mars, de procéder à des changements politiques en profondeur et de réformer la Constitution. A cette occasion, le roi compte bien avancer sur son projet de régionalisation du royaume, divisé en douze régions avec des représentants élus et, parmi elles, le Sahara occidental. De quoi renforcer son plan d'autonomie, au centre des négociations avec le Polisario menées sous l'égide des Nations unies.
La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a abondé dans ce sens le 23 mars à Washington en qualifiant, aux côtés du ministre des affaires étrangères marocain Taib Fassi Fihri, le plan marocain de "sérieux, réaliste et crédible". L'Algérie, qui soutient le référendum d'autodétermination du Front Polisario, a ressenti ce propos de Mme Clinton comme un camouflet. Annexé en 1975, le Sahara occidental est au coeur du conflit entre l'Algérie et le Maroc dont la frontière terrestre est toujours fermée.
Cernée sur sa droite comme sur sa gauche par des mouvements importants, l'Algérie voit donc augmenter le péril qu'il y aurait pour elle à rester immobile. D'où la levée de l'Etat d'urgence qui était appliqué depuis dix-huit ans ; d'où, aussi, la résurrection d'un vieux débat autour d'une Constituante. Mais ce que montre surtout la nouvelle donne du Maghreb, c'est l'isolement aujourd'hui, sur la scène internationale, de l'Algérie.
Isabelle Mandraud (Service International)
Le Monde
Article paru dans l'édition du 09.04.11
Les difficultés s'accroissent pour les autorités algériennes, qui tentent de tenir tous les bouts de la chaîne : se prémunir de la "contagion" des mouvements du monde arabe et apaiser la contestation qui monte de tous côtés sur son propre sol, maintenir des relations de bon voisinage avec des pays devenus instables, surveiller et mettre à l'abri un territoire qui a déjà connu une décennie de violence.
Le front libyen constitue aujourd'hui la première source d'inquiétude. L'organisation djihadiste Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), dont les chefs sont algériens, pourrait "s'accaparer un armement lourd et sophistiqué de nature à mettre en péril la sécurité dans cette région et bien au-delà", a fait valoir, mardi 5 avril, Abdelkader Messahel, ministre délégué algérien chargé des affaires maghrébines et africaines, en évoquant la situation en Libye.
"Les unités terroristes du Sahel vont être tentées de remonter le plus haut possible en longeant la frontière pour pénétrer sur notre territoire", affirmait au Monde, mi-mars, le ministre de l'intérieur, Daho Ould Kablia. Alger a réagi en redéployant des unités de l'armée sur un territoire trop vaste pour être vraiment contrôlé : 2 000 kilomètres de frontière séparent l'Algérie de la Libye. Or, si le risque d'infiltration existe - ce qui n'est pas avéré aujourd'hui -, il aura pour première conséquence de remettre en cause l'assurance d'un pouvoir qui se targue d'avoir mis fin, au prix d'une réconciliation nationale imposée, à un conflit qui a causé la mort de près de 200 000 personnes.
Pour les opposants au régime algérien, l'argument de la sécurité est entaché de soupçons, nourris par les rumeurs sur une aide à Mouammar Kadhafi qu'Alger s'emploie à démentir. Depuis Doha, au Qatar, où il réside depuis plusieurs années, Abbassi Madani, l'un des dirigeants du Front islamique du salut (FIS) dissous en 1992 a dénoncé, mercredi 6 avril, "la collusion entre le régime algérien et le régime libyen condamné sur la scène internationale".
Deuxième terrain de préoccupation, la Tunisie, foyer de la première révolution arabe suivie de près par de nombreux Algériens. Béji Caïd Essebsi, premier ministre du gouvernement provisoire tunisien, a réservé son premier déplacement à l'étranger, mi-mars, à Alger, pour "informer les autorités algériennes des développements en cours dans (son) pays", autant que pour rassurer son voisin.
En retour, le gouvernement d'Abdelaziz Bouteflika a accordé une aide de 100 millions de dollars (70 millions d'euros) à la Tunisie, avec laquelle des liens profonds et solidaires avaient été tissés dès la guerre d'indépendance avec la puissance coloniale française. Cet appui financier, annoncé lors de la rencontre entre les deux chefs d'Etat, s'est accompagné d'un prêt de 40 millions de dollars à 1 % sur quinze ans, "avec une période de grâce de cinq ans", et un autre de 50 millions sans intérêts. Un geste à l'image des sommes colossales versées par les autorités algériennes pour augmenter les salaires et destinées à éteindre la contestation sociale sur son propre territoire.
Troisième théâtre suivi de près par l'Algérie, le Maroc.
Bousculé depuis le 20 février par un mouvement de protestation, Mohammed VI a promis, le 9 mars, de procéder à des changements politiques en profondeur et de réformer la Constitution. A cette occasion, le roi compte bien avancer sur son projet de régionalisation du royaume, divisé en douze régions avec des représentants élus et, parmi elles, le Sahara occidental. De quoi renforcer son plan d'autonomie, au centre des négociations avec le Polisario menées sous l'égide des Nations unies.
La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, a abondé dans ce sens le 23 mars à Washington en qualifiant, aux côtés du ministre des affaires étrangères marocain Taib Fassi Fihri, le plan marocain de "sérieux, réaliste et crédible". L'Algérie, qui soutient le référendum d'autodétermination du Front Polisario, a ressenti ce propos de Mme Clinton comme un camouflet. Annexé en 1975, le Sahara occidental est au coeur du conflit entre l'Algérie et le Maroc dont la frontière terrestre est toujours fermée.
Cernée sur sa droite comme sur sa gauche par des mouvements importants, l'Algérie voit donc augmenter le péril qu'il y aurait pour elle à rester immobile. D'où la levée de l'Etat d'urgence qui était appliqué depuis dix-huit ans ; d'où, aussi, la résurrection d'un vieux débat autour d'une Constituante. Mais ce que montre surtout la nouvelle donne du Maghreb, c'est l'isolement aujourd'hui, sur la scène internationale, de l'Algérie.
Isabelle Mandraud (Service International)
Le Monde
Article paru dans l'édition du 09.04.11
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