Son père voulait l’enrôler dans les milices favorables au président Gbagbo et lui avait peur d’être tué. Il voulait devenir un homme, mais ailleurs que sur les champs de bataille. Il ne rêvait plus que de partir. Son frère n’était-il pas un modèle de réussite pour la famille ? N’était-il pas installé, depuis des années, en Italie ? Alors, il a migré vers le Nord, avec pour destination l’Algérie. De ce lointain pays, il ne savait pas grand-chose. Il savait que c’était un Etat arabe où l’on parlait le français. Il savait, surtout, que l’Europe y serait plus proche que de la Côte ivoirienne.
Il a quitté la Côte-d’Ivoire en septembre 2003. Il a traversé tout le Burkina, du sud au Nord, avant d’atterrir au Niger. A Niamey, il rencontré un compatriote qui l’a convaincu d’aller en Libye. La Libye est plus riche, lui disait-il, et le travail n’y manque pas. Pas plus que l’Algérie, il ne connaissait cet autre pays d’Afrique du Nord. Il savait seulement que de nuit, des embarcations chargées d’émigrés clandestins traversaient la Méditerranée pour quelque rivage du Continent blanc.
A Arlit, dans l’Aïr, lui et d’autres jeunes de différentes nationalités africaines ont loué les services d’un passeur. Pour atteindre la frontière libyenne, il fallait voyager, pendant sept jours, dans ce pays de la soif qu’est le Ténéré. Ils ont passé deux nuits dans un village touareg, dont il ne sait toujours pas s’il est situé en Libye ou Niger. Ils ont payé chacun dix dinars libyens à un guide touareg qui devait les conduire à pieds, à travers le désert, vers le Nord.
Mais à peine ont-ils quitté le village qu’ils ont été encerclés par un groupe de Touaregs armés de couteaux. Les agresseurs les ont mis face contre terre et, l’un après l’autre, ils les ont minutieusement dépouillés de leur argent. Lui a réussi à cacher le sien dans le sable. Lorsque les bandits encagoulés s’en sont allés avec leur butin, le guide, qui avait disparu dans la mêlée de l’attaque, est réapparu. Il était certainement de mèche avec ces voleurs modernes des grands chemins sahariens, conclura-t-il plus tard, éclairé sur sa mésaventure par les récits d’agressions similaires.
La caravane pédestre a repris sa marche mais lui devait retourner sur les lieux de l’agression chercher son argent. Il l’a retrouvé mais, désormais, il était seul. Il a marché en suivant des traces de pas qui indiquaient un chemin récemment fréquenté et lorsque la miraculeuse piste s’est évanouie dans la poussière, il s’est senti perdu. Il avait peur. C’était la première fois qu’il se retrouvait aussi loin de sa famille, sans âme qui vive alentour sinon des oiseaux de proie peuplant les crevasses béantes à fleur de montagne. Sur son chemin, il le jure, il a vu des ossements humains, de quoi s’évanouir de terreur. Les restes, blancs et décharnés, d’émigrants illégaux, morts de soif et d’épuisement sans personne pour écouter leurs dernières volontés.
Djanet, rafles et quolibets xénophobes
Il a passé la nuit dans une grotte, comme une bête traquée. Au deuxième matin de son errance, il a repris sa marche pendant des heures. Et, bonheur de la fin du calvaire à travers dunes et cailloux, sous le soleil meurtrier de l’automne saharien, il a entendu une voix qui ne lui était pas étrangère, celle du muezzin. Et cette voix qui emplissait le ciel l’a revigoré. Il était 19 heures et il n’avait plus de forces. Il s’est traîné vers les lumières de cette ville qu’il voyait scintiller au loin.
Il avançait péniblement et, miracle, personne de ces gens assis devant les cafés n’a remarqué son passage titubant. C’est d’un groupe de Nigériens rencontrés dans la rue qu’il a appris où il était, à Djanet, en Algérie, non en Libye. C’est d’eux qu’il a appris que les montagnes qu’il voyait que sur sa route, c’était ce massif en ruines appelé le Tassili. Ils n’avaient pas l’air étonné de son histoire. Ils en avaient déjà entendu d’aussi terrifiantes. L’un de ces Nigériens, un vénérable vieillard, a eu pitié de lui et l’a recueilli comme on recueille un orphelin. Il était fiévreux d’avoir tant marché durant plusieurs jours.
Une fois rétabli, il a remercié son bienfaiteur et s’est mis à chercher du travail. Il en a trouvé dans une carrière, dans de ce quartier périphérique appelé Ifri. Il devait tailler des pierres de 7 heures du matin à 16 heures de l’après-midi pour 400 dinars/jour. En Côte-d’Ivoire, il n’avait jamais fait que des petits boulots pour gagner son argent de poche. Les ouvriers, en majorité des clandestins comme lui, logeaient à proximité, dans une petite maison sommaire en parpaings nus. La police faisait de fréquentes descentes dans le quartier et, quelques fois, dans la carrière, pour cueillir les moins dégourdis. Il a failli être arrêté une fois. Il a été sauvé par un jeune Nigérien qui avait vu débarquer les policiers et lui a demandé, juste à temps, de se cacher.
Et pendant son laborieux séjour à Djanet, il voyait arriver d’autres Noirs-africains qui, probablement eux aussi, avaient manqué s’évanouir à la vue d’ossements humains sur leur route poussiéreuse. Comme lui, ils s’arrêtaient dans cette ville pour gagner de quoi continuer leur furtive pérégrination vers le Nord, où ils travailleraient tout en recherchant un moyen de passer en Europe. Alger, la vie entre dortoirs et chantiers
A Djanet, il est tombé souvent malade. Il ne supportait pas le froid glacial de la nuit saharienne dans son dortoir de fortune, lui qui avait toujours vécu en Côte-d’Ivoire, dans un village de pêcheurs. La vie en Algérie était si différente de la vie dans son pays natal. On n’avait pas, par exemple, le droit de regarder une femme dans la rue: cela il ne le comprendrait jamais.
Il se souvient que beaucoup d’Algériens se montraient ignobles envers les clandestins comme lui, qu’ils appelaient les «Africains», comme si l’Algérie était située en Amérique. Et, surprise, certains étaient des Noirs, comme lui! Comme lui, ils se faisaient rafler par la police et, au poste, ils n’étaient relâchés qu’après avoir exhibé leurs papiers. Ils devaient être furieux d’être confondus avec ces indésirables illégaux, simplement à cause de la couleur de leur peau. Les Touaregs blancs les traitent probablement avec mépris, pense-t-il. C’est pourquoi ils retournent contre les immigrés noirs leur colère d’être ainsi déconsidérés dans leur propre pays.
Après quelques mois de cache-cache avec la police, il était temps pour lui de quitter Djanet. Pour arriver à Ouargla, 1100 km au nord-ouest, il fallait s’habiller en Touareg et, surtout, louer les services de chauffeurs qui savaient contourner les barrages de police ou tromper leur vigilance. A la gare routière de Ouargla, pour lui vendre un ticket de bus pour la capitale, on a exigé de lui un passeport en règle. On ne voulait pas de problème avec les policiers. Un faussaire lui a fourni, pour 7000 dinars, un faux passeport: désormais il était malien. Un autre faussaire, pour 1000 dinars, lui a imprimé dessus un cachet de la PAF. On aurait dit un vrai. Les policiers qui le contrôleront sur la route d’Alger n’y verront que du feu.
Il se souvient d’être arrivé à Alger en mars 2004. Il a passé deux nuits à la belle étoile, en contrebas de Bab El Oued, sur une plage déserte. Il a fini par découvrir que dans la Vieille ville, à la Casbah, il existait des «dortoirs» où l’on pouvait passer la nuit pour 100 dinars. Et c’est dans un de ces dortoirs qu’il s’est installé. Il a cherché du travail pendant onze jours. Il a fini par en trouver, comme manœuvre, à Bois des Cars, quartier riche où, chaque mois, poussent de nouvelles villas plus cossues les unes que les autres. Pendant son séjour dans la Ville blanche, pour 400-500 dinars/jour, il a été employé un peu partout sur les chantiers des nouveaux quartiers. Il a travaillé comme peintre, manœuvre… Il s’est même découvert des talents de jardinier.
Il a quitté la Côte-d’Ivoire en septembre 2003. Il a traversé tout le Burkina, du sud au Nord, avant d’atterrir au Niger. A Niamey, il rencontré un compatriote qui l’a convaincu d’aller en Libye. La Libye est plus riche, lui disait-il, et le travail n’y manque pas. Pas plus que l’Algérie, il ne connaissait cet autre pays d’Afrique du Nord. Il savait seulement que de nuit, des embarcations chargées d’émigrés clandestins traversaient la Méditerranée pour quelque rivage du Continent blanc.
A Arlit, dans l’Aïr, lui et d’autres jeunes de différentes nationalités africaines ont loué les services d’un passeur. Pour atteindre la frontière libyenne, il fallait voyager, pendant sept jours, dans ce pays de la soif qu’est le Ténéré. Ils ont passé deux nuits dans un village touareg, dont il ne sait toujours pas s’il est situé en Libye ou Niger. Ils ont payé chacun dix dinars libyens à un guide touareg qui devait les conduire à pieds, à travers le désert, vers le Nord.
Mais à peine ont-ils quitté le village qu’ils ont été encerclés par un groupe de Touaregs armés de couteaux. Les agresseurs les ont mis face contre terre et, l’un après l’autre, ils les ont minutieusement dépouillés de leur argent. Lui a réussi à cacher le sien dans le sable. Lorsque les bandits encagoulés s’en sont allés avec leur butin, le guide, qui avait disparu dans la mêlée de l’attaque, est réapparu. Il était certainement de mèche avec ces voleurs modernes des grands chemins sahariens, conclura-t-il plus tard, éclairé sur sa mésaventure par les récits d’agressions similaires.
La caravane pédestre a repris sa marche mais lui devait retourner sur les lieux de l’agression chercher son argent. Il l’a retrouvé mais, désormais, il était seul. Il a marché en suivant des traces de pas qui indiquaient un chemin récemment fréquenté et lorsque la miraculeuse piste s’est évanouie dans la poussière, il s’est senti perdu. Il avait peur. C’était la première fois qu’il se retrouvait aussi loin de sa famille, sans âme qui vive alentour sinon des oiseaux de proie peuplant les crevasses béantes à fleur de montagne. Sur son chemin, il le jure, il a vu des ossements humains, de quoi s’évanouir de terreur. Les restes, blancs et décharnés, d’émigrants illégaux, morts de soif et d’épuisement sans personne pour écouter leurs dernières volontés.
Djanet, rafles et quolibets xénophobes
Il a passé la nuit dans une grotte, comme une bête traquée. Au deuxième matin de son errance, il a repris sa marche pendant des heures. Et, bonheur de la fin du calvaire à travers dunes et cailloux, sous le soleil meurtrier de l’automne saharien, il a entendu une voix qui ne lui était pas étrangère, celle du muezzin. Et cette voix qui emplissait le ciel l’a revigoré. Il était 19 heures et il n’avait plus de forces. Il s’est traîné vers les lumières de cette ville qu’il voyait scintiller au loin.
Il avançait péniblement et, miracle, personne de ces gens assis devant les cafés n’a remarqué son passage titubant. C’est d’un groupe de Nigériens rencontrés dans la rue qu’il a appris où il était, à Djanet, en Algérie, non en Libye. C’est d’eux qu’il a appris que les montagnes qu’il voyait que sur sa route, c’était ce massif en ruines appelé le Tassili. Ils n’avaient pas l’air étonné de son histoire. Ils en avaient déjà entendu d’aussi terrifiantes. L’un de ces Nigériens, un vénérable vieillard, a eu pitié de lui et l’a recueilli comme on recueille un orphelin. Il était fiévreux d’avoir tant marché durant plusieurs jours.
Une fois rétabli, il a remercié son bienfaiteur et s’est mis à chercher du travail. Il en a trouvé dans une carrière, dans de ce quartier périphérique appelé Ifri. Il devait tailler des pierres de 7 heures du matin à 16 heures de l’après-midi pour 400 dinars/jour. En Côte-d’Ivoire, il n’avait jamais fait que des petits boulots pour gagner son argent de poche. Les ouvriers, en majorité des clandestins comme lui, logeaient à proximité, dans une petite maison sommaire en parpaings nus. La police faisait de fréquentes descentes dans le quartier et, quelques fois, dans la carrière, pour cueillir les moins dégourdis. Il a failli être arrêté une fois. Il a été sauvé par un jeune Nigérien qui avait vu débarquer les policiers et lui a demandé, juste à temps, de se cacher.
Et pendant son laborieux séjour à Djanet, il voyait arriver d’autres Noirs-africains qui, probablement eux aussi, avaient manqué s’évanouir à la vue d’ossements humains sur leur route poussiéreuse. Comme lui, ils s’arrêtaient dans cette ville pour gagner de quoi continuer leur furtive pérégrination vers le Nord, où ils travailleraient tout en recherchant un moyen de passer en Europe. Alger, la vie entre dortoirs et chantiers
A Djanet, il est tombé souvent malade. Il ne supportait pas le froid glacial de la nuit saharienne dans son dortoir de fortune, lui qui avait toujours vécu en Côte-d’Ivoire, dans un village de pêcheurs. La vie en Algérie était si différente de la vie dans son pays natal. On n’avait pas, par exemple, le droit de regarder une femme dans la rue: cela il ne le comprendrait jamais.
Il se souvient que beaucoup d’Algériens se montraient ignobles envers les clandestins comme lui, qu’ils appelaient les «Africains», comme si l’Algérie était située en Amérique. Et, surprise, certains étaient des Noirs, comme lui! Comme lui, ils se faisaient rafler par la police et, au poste, ils n’étaient relâchés qu’après avoir exhibé leurs papiers. Ils devaient être furieux d’être confondus avec ces indésirables illégaux, simplement à cause de la couleur de leur peau. Les Touaregs blancs les traitent probablement avec mépris, pense-t-il. C’est pourquoi ils retournent contre les immigrés noirs leur colère d’être ainsi déconsidérés dans leur propre pays.
Après quelques mois de cache-cache avec la police, il était temps pour lui de quitter Djanet. Pour arriver à Ouargla, 1100 km au nord-ouest, il fallait s’habiller en Touareg et, surtout, louer les services de chauffeurs qui savaient contourner les barrages de police ou tromper leur vigilance. A la gare routière de Ouargla, pour lui vendre un ticket de bus pour la capitale, on a exigé de lui un passeport en règle. On ne voulait pas de problème avec les policiers. Un faussaire lui a fourni, pour 7000 dinars, un faux passeport: désormais il était malien. Un autre faussaire, pour 1000 dinars, lui a imprimé dessus un cachet de la PAF. On aurait dit un vrai. Les policiers qui le contrôleront sur la route d’Alger n’y verront que du feu.
Il se souvient d’être arrivé à Alger en mars 2004. Il a passé deux nuits à la belle étoile, en contrebas de Bab El Oued, sur une plage déserte. Il a fini par découvrir que dans la Vieille ville, à la Casbah, il existait des «dortoirs» où l’on pouvait passer la nuit pour 100 dinars. Et c’est dans un de ces dortoirs qu’il s’est installé. Il a cherché du travail pendant onze jours. Il a fini par en trouver, comme manœuvre, à Bois des Cars, quartier riche où, chaque mois, poussent de nouvelles villas plus cossues les unes que les autres. Pendant son séjour dans la Ville blanche, pour 400-500 dinars/jour, il a été employé un peu partout sur les chantiers des nouveaux quartiers. Il a travaillé comme peintre, manœuvre… Il s’est même découvert des talents de jardinier.
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