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Sur la route bosselée des révolutionnaires libyens

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  • Sur la route bosselée des révolutionnaires libyens

    L’Armée du Peuple Libyen semble être une force enthousiaste mais remarquablement dilettante dont l’efficacité décline proportionnellement à la distance qui la sépare de Benghazi, d’où viennent la majorité de ses volontaires. La prise de conscience que l’Armée du Peuple ne va pas prendre Tripoli de sitôt semble avoir maintenant fait son chemin au sein des gouvernements occidentaux qui sont en train de la secourir avec leurs forces aériennes. Une nouvelle phase semble avoir commencé, une tentative de transformer les volontaires rebelles en une vraie armée.

    Les soldats rebelles libyens, ou du moins ceux qui sont cités dans la presse, sont en train de réclamer haut et fort un armement plus lourd, mais les responsables politiques américains et britanniques pensent que des armes plus lourdes leur seraient de très peu d’utilité; ce dont ils ont besoin c’est d’entraînement à très large échelle dans les techniques de base de l’infanterie. La question est de savoir qui va fournir cet entraînement et qui le financera.

    Où sont les déserteurs ?

    Les rares batailles que l’Armée du Peuple a gagnées semblent l’avoir été par la chance et la puissance aérienne. Pour Reuters, le journaliste David Brunnstrom décrit les troupes rebelles en des termes cinglants : «Ils auraient plus de munitions s’ils arrêtaient de les tirer en l’air… Les décisions sont souvent prises après de houleuses disputes ou alors en suivant les instructions de celui qui crie le plus fort et, en dépit du courage de quelques-uns, la tendance est à la fuite dans la confusion la plus totale. »

    Il est quelque chose qui tient du mystère sur les raisons qui font des rebelles libyens de tels amateurs : lorsque la guerre a éclaté, il y a eu des comptes rendus de désertions à large échelle d’officiers et soldats passés du côté rebelle, au moins dans l’est du pays. The Economist a rapporté, le 10 mars, qu’au moins 6 000 soldats de l’armée libyenne avaient rejoint les rebelles et de très nombreux autres comptes rendus ont rapporté les défections d’officiers de haut et moyen rangs. Et, bien sûr, une fois Benghazi, Al Bayda et Tobrouk tombées entre les mains rebelles, chacune avec ses bases militaires et ses dépôts de munitions, il a semblé qu’il allait être aisé aux rebelles de former une force de frappe de taille non négligeable et raisonnablement bien équipée pour cet effort de guerre là. 6 000 hommes, de nombreux officiers et des tas de munitions : c’est là une armée instantanée. Ajoutez à cela la meilleure puissance aérienne du monde, grâce à Nicolas Sarkozy et à la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU du 17 mars, et tout cela aurait dû rendre, dans le contexte libyen, cette prétendue armée invincible.

    Cependant c’est plutôt la discrétion qui semble avoir caractérisé ces 6 000 soldats et officiers dans les mouvements répétés d’avances et retraits à travers la ceinture pétrolière centrale de la Libye. La plupart de ceux qui ont interviewé des membres de l’Armée du Peuple, y compris ceux qui ont activement recherché ces déserteurs évanescents, semblent avoir eu le plus grand mal à en trouver. La raison est probablement qu’il n’y en a jamais eu autant que ce qui a été initialement annoncé : les estimations faites par les services secrets américains et britanniques ont été ramenées à 1000 hommes ou moins, et ils sont apparemment parsemés sur les différentes unités pour y apporter de l’aguerrissement, plutôt que d’être concentrés en une seule unité, à partir de laquelle ils seraient bien plus efficaces.

    Un indescriptible désordre

    L’Armée du Peuple est ainsi constituée presque entièrement de volontaires inexpérimentés dont l’âge varie entre 15 et 50 ans ou plus, et qui n’ont reçu presque aucun entraînement. Cela explique pourquoi ils roulent dans des pick-up en faisant des signes de victoire et en tirant avec leurs Kalashnikovs en l’air, ce qui occasionnellement pousse les pilotes nerveux de l’OTAN à les bombarder.
    Plus important encore, cela explique pourquoi ils sont visiblement incapables d’accomplir les deux piliers des opérations militaires modernes : tir et manœuvre, à savoir la capacité de petits groupes de soldats à coopérer en avançant vers une position ennemie ; commandement et contrôle, à savoir la capacité d’une unité militaire à recevoir et suivre des instructions d’officiers supérieurs. Tirer et manœuvrer est une technique de base de l’infanterie qui doit être enseignée sur une période de plusieurs semaines ou mois d’entraînement intensifs. Il en va de même pour le contrôle et le commandement qui nécessite un entraînement intensif en infanterie ainsi que des officiers qualifiés et des équipements en communication.

    Les combattants de l’armée rebelle – ou du moins ceux qui sont cités dans la presse – disent presque tous que ce dont ils ont besoin pour renverser Kadhafi ce sont des armements en plus grands nombre et de plus grande taille. Mais leur manque visible de connaissances de base en techniques d’infanterie suggère que de plus grosses armes ne seraient d’aucun secours ; si un groupe de cinq soldats est incapable d’ouvrir le feu et de manœuvrer tout en avançant à travers les banlieues de Ras Lanuf avec des fusils, ils ne seront pas capables de le faire avec des pièces d’artillerie non plus. De même, s’ils sont incapables de respecter la chaîne de commandement et de contrôle en marchant à pied, ils seront tout aussi incapables de le faire dans un tank.

    La plupart des rapports suggèrent que l’entraînement des volontaires de l’Armée du Peuple est hasardeux, bref ou inexistant ; les volontaires à Benghazi et ailleurs passent quelques jours à aller et venir de camps d’entraînement où on leur apprend, en groupe, comment porter un fusil et comment tirer, rien de plus. Ceci contraste avec les entraînements basiques que les soldats subissent dans toute armée moderne – y compris celle de Kadhafi – : deux mois ou plus de rigoureuses journées passées à s’entraîner à la discipline militaire et aux techniques qui permettent à des hommes de faire partie d’unités qui peuvent avancer ensemble et prendre des territoires tenus par l’ennemi.

    Un leadership en conflit

    Le dernier problème de l’Armée du Peuple semble résider dans le fait qu’elle ait un leadership extrêmement instable, ce qui est certainement un reflet de l’aspect informe et ambigu du gouvernement «civil» à Benghazi. Dans le courant d’une existence longue de deux mois seulement, l’armée rebelle a eu au moins trois commandants militaires ; à ce jour, il n’est pas encore clair si elle est supposée recevoir ses ordres du dernier commandant en date Khalifa Haftar ou du ministre des Affaires militaires, le bien nommé Omar Mokhtar Al Hariri (Omar Mokhtar, le Abdelkader libyen qui a mené la résistance contre les colonisateurs italiens jusqu’à ce qu’il soit pendu en 1931, devenu le symbole du gouvernement de Benghazi). Entre-temps, selon certains comptes rendus, le nouveau commandant Haftar est toujours en pleine lutte pour le contrôle contre l’homme qu’il est supposé avoir remplacé, Abdelfattah Younis. Ce dernier, qui était ministre de l’Intérieur de Kadhafi jusqu’au 22 février, n’a jamais réussi à gagner la confiance des responsables rebelles, ce qui explique pourquoi ils ont essayé de le remplacer par Haftar, mais l’ex-ministre de l’Intérieur, qui supposément aurait ramené à la cause rebelle des centaines de troupes bien entraînées, refuse apparemment de se soumettre à l’autorité de Haftar.

    Le colonel Haftar et la CIA

    Haftar a, de son côté, un passé plutôt intéressant ; sa désignation montre clairement l’intense désir des responsables de Benghazi de se faire bien voir de Washington. Cet homme était un colonel très en vue de l’armée libyenne jusqu’à l’aventure malheureuse de Kadhafi au Tchad dans les années 80, pendant laquelle Haftar était l’un de ses plus importants commandants militaires. Lorsque l’effort libyen au Tchad s’est effondré, Haftar s’est enfui aux Etats-Unis, où il aurait établi des liens étroits avec la CIA et a commencé à diriger une armée d’insurgés anti-Kadhafi financée par les Américains. Dans un article daté du 26 mars 1996, le Washington Post rapporte qu’un soulèvement avait lieu près d’Al Bayda mené par un «groupe de style Contra, basé aux Etats-Unis, appelé l’Armée nationale libyenne» mené par Haftar. Les Contras étaient un groupe rebelle armé, illégalement financé par la CIA dans le Nicaragua dans les années 80. Les proches liens de Haftar avec la CIA ont clairement survécu au bref rapprochement avec Kadhafi ; avant d’arriver à Benghazi en mars pour prendre le commandement de l’Armée du Peuple, il rencontra longuement des officiels américains appartenant aux cercles de la diplomatie et des services secrets.

    C’est ainsi que Haftar est arrivé à Benghazi avec un pédigrée idéal pour un mouvement rebelle qui tente de se lier aussi étroitement que possible à Washington ; il semble être idéalement positionné pour puiser dans les fonds américains destinés aux opérations secrètes. Le président Obama a récemment signé un ordre secret autorisant de tels financements pour soutenir les rebelles. Si Haftar réussit à établir un contrôle incontesté sur l’armée rebelle et la réorganise sous le commandement d’officiers fiables, la difficile tache de l’entraînement des volontaires en hommes d’infanterie commencera bientôt.

  • #2
    Sur la route bosselée des révolutionnaires libyens -suite

    Le 3 avril, Al Jazeera a affirmé de manière plutôt hyperbolique que des agents secrets américains et égyptiens avaient déjà commencé à entraîner les troupes rebelles mais le scénario décrit par la chaîne de télévision – quelques soldats apprenant à lancer des roquettes – n’est pas le genre d’entraînement qui fera la différence dans le cours général de la guerre ; ce qui sera nécessaire ce sont des camps à grande échelle où des milliers de troupes rebelles peuvent être entraînées simultanément pendant des semaines. Les récentes dépositions d’officiels américains devant le comité du Congrès chargé des questions militaires suggèrent en plus que le rôle de militaires américains dans de tels entraînements sera limité. Le Secrétaire à la Défense américain, Robert Gates n’a pas cessé d’affirmer, depuis plusieurs semaines, le besoin d’entraînement et non d’armement des rebelles libyens ; aux congressmen qui l’ont questionné sur la Libye, il a déclaré que l’armée rebelle avait besoin d’être entraînée et organisée mais que «beaucoup d’autres pays peuvent faire cela, les Etats-Unis ne sont pas les seuls à pouvoir remplir cette tache, et en ce qui me concerne, j’estime que quelqu’un d’autre devrait s’en charger». Le commandant militaire américain sur le théâtre libyen a ensuite affirmé à ce comité qu’un gouvernement arabe qu’il n’a pas nommé – probablement l’Egypte – était déjà engagé dans le processus d’érection de camps d’entraînement des troupes libyennes. Les journaux britanniques ont, entre-temps, rapporté que des officiels britanniques étaient en train d’essayer de faire financer l’entraînement d’infanterie par des pays du Golfe, à travers une combinaison de sociétés privées et d’instructeurs militaires arabes.

    La dernière campagne de «bombardement humanitaire» de l’Amérique, au Kosovo – dont on devrait se souvenir qu’elle a résulté dans l’épuration ethnique des Serbes et l’installation d’une mafia d’Etat kleptocratique à Pristina – a réussi dans ses objectifs militaires parce qu’il y avait sur le terrain une armée rebelle expérimentée et assez disciplinée, prête à prendre et contrôler le territoire une fois le travail de dégagement accompli par la puissance aérienne. Un scénario similaire en Afghanistan a débouché sur la rapide défaite des Talibans.
    Sans une vraie armée rebelle sur le terrain en Libye, il n’est pas étonnant que Kadhafi ne se soit pas encore évaporé. Mais, comme nous le rappellent les exemples du Kosovo et de l’Afghanistan, une fois que Kadhafi sera mis dehors par une armée rebelle enfin constituée, il ne devrait pas être étonnant si le résultat humanitaire tournait au mirage et que toutes les morts et destructions l’aient été, en fait, pour très peu.

    Écrit par Jack Brown Lundi, 18 Avril 2011 11:08

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