Un Sage avait un disciple laïc, celui-ci vivait dans le monde et venait régulièrement rendre visite à son instructeur. Un jour, pendant l’une de ses visites, le disciple annonça joyeusement au Maître qu’il était amoureux d’une femme, et qu’il songeait à vivre avec cette femme pour le restant de ses jours. Le Maître demanda au disciple ce qu’il entendait par être amoureux, et le disciple s’efforça d’exprimer aussi clairement qu’il en était capable la teneur et la nature de son sentiment. « Je ressens comme un feu qui me dévore, comme un vin qui m’enivre, dit le disciple. Quand je pense à ma bien-aimée, un doux frisson me traverse, et mon corps flotte comme sur un nuage, bercé par une indicible sensation de plénitude, réchauffé par une douce et ferme chaleur. Mon esprit nage dans les eaux colorées du ravissement, et ma pensée la plus douce est de me retrouver dans le sein de celle qui est l’étoile de mon cœur. ». Ainsi parla le disciple... Le Maître ne dit rien et laissa le disciple s’en aller.
Quelques semaines plus tard, le disciple revint, la mine défaite et l’esprit confus. « Que se passe-t-il donc ? » questionna le Maître. Après un long silence entrecoupé de soupirs de dépit, le disciple se confia : « La femme que j’aimais est devenue méconnaissable. Ses membres se sont déformés, au point de produire de monstrueuses infirmités. Sa peau s’est ridée et des boutons pleins de pus ne cessent de jaillir comme la lave d’un volcan déchaîné. Sa voix est devenue un croassement désagréable, et son regard n’est plus qu’une ombre sinistre. Je ne l’aime plus, mon sentiment s’est évanoui au fur et à mesure que son corps sombrait dans un cauchemar de laideur. Je reste encore avec elle seulement par devoir et par attachement atavique, mais bientôt je la quitterai. ». Le Maître se contenta ensuite de questionner le disciple sur le véritable fondement du sentiment d’amour qu’il avait éprouvé la première fois. En réfléchissant, le disciple finit par comprendre : « Son corps me paraissait une fleur belle et suave. Les traits harmonieux de son visage, le rebond adoucissant de ses formes, le timbre envoûtant de sa voix, les amusantes inflexions de sa manière de parler, l’éclat pénétrant de ses yeux... sa façon de marcher, le tendre velours de sa peau, sa façon d’être, de mouvoir son corps, la danse cadencée de ses bras, de sa tête... tout cela suscitait en moi un puissant sentiment doux et enivrant. ». Le Maître écouta en silence...
Durant les quelques jours qu’il passa auprès du Maître, le disciple prit le temps de réfléchir à ce qui lui était arrivé. Il avait vraiment cru avoir trouvé l’amour, mais il avait découvert que le sentiment éprouvé se fondait sur une sorte de réactivité instinctive par rapport au corps physique, plus précisément ce sentiment avait pour objets les caractéristiques brutes et les caractéristiques psychophysiques du corps. Après que les caractéristiques qui suscitaient en lui le sentiment amoureux aient disparu, il lui restait une sorte d’attachement instinctif, vestige persistant d’un ancien sentiment fougueux... Il résolut de demander au Maître des explications, et le Sage lui décrivit en quelques mots ce qui s’était passé : « Tu as éprouvé l’amour animal, un sentiment qui peut être vécu avec une grande intensité, d’autant plus que sa composante hormonale en fait une expérience psychophysique très concrète. Un tel sentiment découle d’un programme mental inconscient, propre au patrimoine psychogénétique de l’espèce humaine, qui accorde une grande importance à l’apparence psychophysique des Êtres. Celui qui sait que le masque psychophysique est superficiel et ne saurait avoir quelque importance, ne réagit pas face aux apparences psychophysiques, car une chose reconnue réellement comme étant sans importance ne saurait émouvoir en aucune façon, ou si peu qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’un vague et passager borborygme de la sphère instinctive de l’Être physique. Seuls des Êtres immatures connaissent ce sentiment animal, du moins en tant qu’intense expérience, et l’appellent ‘amour’. ».
Le disciple ne fut pas content de s’entendre dire qu’il était immature, il en voulut au Maître durant quelques jours pour cela. Lorsque son mécontentement céda la place à une lucide réflexion, il dût reconnaître qu’effectivement il avait fait preuve d’une navrante immaturité, il s’était laissé affecter par des apparences transitoires. Il résolut de retirer aux apparences transitoires l’importance inconsciente qu’il leur accordait, et décida d’aiguiser son regard et de chercher à saisir l’essentiel... Mais qu’était l’essentiel chez un Être ? Le Maître ne voulut lui fournir aucune explication en ce domaine, et le disciple fut contraint de retourner à son existence quotidienne sans aucune directive... Quelques mois plus tard, par le biais des jeux des relations humaines, il fit la connaissance d’une femme à l’allure extérieure presque neutre : elle n’était pas spécialement belle, sans être particulièrement laide, et ses caractéristiques psychophysiques ne correspondaient en rien aux canons du disciple. Cela aida le disciple à entrer en relation avec cette femme sans soubresauts psychophysiques... Au bout de plusieurs semaines de fréquentation, le disciple se rendit compte qu’il éprouvait un étrange sentiment envers cette femme. Cela était très différent de l’amour animal. A première vue il s’agissait d’une expérience moins intense, du point de vue du vécu physique/hormonal ; mais d’un autre point de vue, cette expérience avait une profondeur, une pureté et une grandeur indéniable. Troublé, le disciple alla voir son instructeur afin d’avoir quelques éclaircissements sur cette étonnante étrangeté.
C’est avec un évident sourire que le Maître l’accueillit. Comme à son habitude, le Maître demanda au disciple de bien vouloir expliciter clairement ce qui le préoccupait, et le disciple s’efforça de dire les choses telles qu’il paraissait les vivre : « J’éprouve comme une brise légère qui me caresse le cœur lorsque je pense à cette femme. Une brise légère, mais solide, forte d’une force tranquille. Cette brise me fait l’effet d’un sentiment d’admiration, de grandeur et de profondeur dont cette femme est la cause. Quelque part au-dedans de moi, c’est comme s’il existait un lien subtil entre elle et moi, une familiarité secrète, une silencieuse participation à quelque étrange fraternité intemporelle. C’est si étrange et si différent du sentiment animal que je ne saurais dire qu’il s’agit d’amour. ». Le Maître ne répondit rien et laissa le disciple repartir. Au moins le disciple avait-il essayé de mettre des mots sur ce qu’il ressentait, cet effort devait suffire pour l’instant à apaiser son questionnement à propos de cet inclassable sentiment. Quelques semaines plus tard, la femme subit les mêmes difformités que la première. Mais, au lieu du rejet éprouvé lors de la première expérience, le disciple découvrit que son sentiment paraissait encore plus éclatant lorsque l’éclat du corps physique palissait. Il découvrit qu’au fond de lui-même, il aspirait à partager sa vie avec cette femme, non pas qu’il la désirait physiquement, mais parce qu’il éprouvait un sain plaisir à jouir de sa présence de conscience. C’est avec un cœur heureux qu’il prit soin de cette femme, et au bout de quelques mois les problèmes physiques se dissipèrent, et la femme reprit son ancienne apparence.
Tout naturellement, le disciple et la femme se mirent ensemble, au sens où ils formaient désormais un couple... Le disciple découvrit que, par la vertu de cet étrange sentiment, il trouvait cette femme d’une exquise beauté, non qu’elle fût belle selon des critères extérieurs, encore que si elle l’eusse été cela n’aurait eu aucune incidence, mais son corps devenait beau parce que c’était elle qui l’habitait...
Quelques semaines plus tard, le disciple revint, la mine défaite et l’esprit confus. « Que se passe-t-il donc ? » questionna le Maître. Après un long silence entrecoupé de soupirs de dépit, le disciple se confia : « La femme que j’aimais est devenue méconnaissable. Ses membres se sont déformés, au point de produire de monstrueuses infirmités. Sa peau s’est ridée et des boutons pleins de pus ne cessent de jaillir comme la lave d’un volcan déchaîné. Sa voix est devenue un croassement désagréable, et son regard n’est plus qu’une ombre sinistre. Je ne l’aime plus, mon sentiment s’est évanoui au fur et à mesure que son corps sombrait dans un cauchemar de laideur. Je reste encore avec elle seulement par devoir et par attachement atavique, mais bientôt je la quitterai. ». Le Maître se contenta ensuite de questionner le disciple sur le véritable fondement du sentiment d’amour qu’il avait éprouvé la première fois. En réfléchissant, le disciple finit par comprendre : « Son corps me paraissait une fleur belle et suave. Les traits harmonieux de son visage, le rebond adoucissant de ses formes, le timbre envoûtant de sa voix, les amusantes inflexions de sa manière de parler, l’éclat pénétrant de ses yeux... sa façon de marcher, le tendre velours de sa peau, sa façon d’être, de mouvoir son corps, la danse cadencée de ses bras, de sa tête... tout cela suscitait en moi un puissant sentiment doux et enivrant. ». Le Maître écouta en silence...
Durant les quelques jours qu’il passa auprès du Maître, le disciple prit le temps de réfléchir à ce qui lui était arrivé. Il avait vraiment cru avoir trouvé l’amour, mais il avait découvert que le sentiment éprouvé se fondait sur une sorte de réactivité instinctive par rapport au corps physique, plus précisément ce sentiment avait pour objets les caractéristiques brutes et les caractéristiques psychophysiques du corps. Après que les caractéristiques qui suscitaient en lui le sentiment amoureux aient disparu, il lui restait une sorte d’attachement instinctif, vestige persistant d’un ancien sentiment fougueux... Il résolut de demander au Maître des explications, et le Sage lui décrivit en quelques mots ce qui s’était passé : « Tu as éprouvé l’amour animal, un sentiment qui peut être vécu avec une grande intensité, d’autant plus que sa composante hormonale en fait une expérience psychophysique très concrète. Un tel sentiment découle d’un programme mental inconscient, propre au patrimoine psychogénétique de l’espèce humaine, qui accorde une grande importance à l’apparence psychophysique des Êtres. Celui qui sait que le masque psychophysique est superficiel et ne saurait avoir quelque importance, ne réagit pas face aux apparences psychophysiques, car une chose reconnue réellement comme étant sans importance ne saurait émouvoir en aucune façon, ou si peu qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’un vague et passager borborygme de la sphère instinctive de l’Être physique. Seuls des Êtres immatures connaissent ce sentiment animal, du moins en tant qu’intense expérience, et l’appellent ‘amour’. ».
Le disciple ne fut pas content de s’entendre dire qu’il était immature, il en voulut au Maître durant quelques jours pour cela. Lorsque son mécontentement céda la place à une lucide réflexion, il dût reconnaître qu’effectivement il avait fait preuve d’une navrante immaturité, il s’était laissé affecter par des apparences transitoires. Il résolut de retirer aux apparences transitoires l’importance inconsciente qu’il leur accordait, et décida d’aiguiser son regard et de chercher à saisir l’essentiel... Mais qu’était l’essentiel chez un Être ? Le Maître ne voulut lui fournir aucune explication en ce domaine, et le disciple fut contraint de retourner à son existence quotidienne sans aucune directive... Quelques mois plus tard, par le biais des jeux des relations humaines, il fit la connaissance d’une femme à l’allure extérieure presque neutre : elle n’était pas spécialement belle, sans être particulièrement laide, et ses caractéristiques psychophysiques ne correspondaient en rien aux canons du disciple. Cela aida le disciple à entrer en relation avec cette femme sans soubresauts psychophysiques... Au bout de plusieurs semaines de fréquentation, le disciple se rendit compte qu’il éprouvait un étrange sentiment envers cette femme. Cela était très différent de l’amour animal. A première vue il s’agissait d’une expérience moins intense, du point de vue du vécu physique/hormonal ; mais d’un autre point de vue, cette expérience avait une profondeur, une pureté et une grandeur indéniable. Troublé, le disciple alla voir son instructeur afin d’avoir quelques éclaircissements sur cette étonnante étrangeté.
C’est avec un évident sourire que le Maître l’accueillit. Comme à son habitude, le Maître demanda au disciple de bien vouloir expliciter clairement ce qui le préoccupait, et le disciple s’efforça de dire les choses telles qu’il paraissait les vivre : « J’éprouve comme une brise légère qui me caresse le cœur lorsque je pense à cette femme. Une brise légère, mais solide, forte d’une force tranquille. Cette brise me fait l’effet d’un sentiment d’admiration, de grandeur et de profondeur dont cette femme est la cause. Quelque part au-dedans de moi, c’est comme s’il existait un lien subtil entre elle et moi, une familiarité secrète, une silencieuse participation à quelque étrange fraternité intemporelle. C’est si étrange et si différent du sentiment animal que je ne saurais dire qu’il s’agit d’amour. ». Le Maître ne répondit rien et laissa le disciple repartir. Au moins le disciple avait-il essayé de mettre des mots sur ce qu’il ressentait, cet effort devait suffire pour l’instant à apaiser son questionnement à propos de cet inclassable sentiment. Quelques semaines plus tard, la femme subit les mêmes difformités que la première. Mais, au lieu du rejet éprouvé lors de la première expérience, le disciple découvrit que son sentiment paraissait encore plus éclatant lorsque l’éclat du corps physique palissait. Il découvrit qu’au fond de lui-même, il aspirait à partager sa vie avec cette femme, non pas qu’il la désirait physiquement, mais parce qu’il éprouvait un sain plaisir à jouir de sa présence de conscience. C’est avec un cœur heureux qu’il prit soin de cette femme, et au bout de quelques mois les problèmes physiques se dissipèrent, et la femme reprit son ancienne apparence.
Tout naturellement, le disciple et la femme se mirent ensemble, au sens où ils formaient désormais un couple... Le disciple découvrit que, par la vertu de cet étrange sentiment, il trouvait cette femme d’une exquise beauté, non qu’elle fût belle selon des critères extérieurs, encore que si elle l’eusse été cela n’aurait eu aucune incidence, mais son corps devenait beau parce que c’était elle qui l’habitait...
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