Alger a vécu une semaine particulière au beau milieu de ce mois d’Avril. Une semaine où le blanc de la ville a été massivement strié du bleu des uniformes de la police. Ce n’est pas la première fois que la capitale est massivement prise dans un étau de représentants de l’ordre. Dans un pays où le mot « ordre » ne veut plus dire grand-chose. C’est probablement pour cette raison que les algériens ont jusqu’ici refusé de marcher pour faire tomber le régime. Peut-on demander iskat ennidham là où le désordre tient lieu de pouvoir ?
Entre l’ordre et le désordre même les citoyens lambda ont fini par déceler la secrète connivence. Avant même que le premier ministre ne vienne à la télévision se plaindre que ceux qu’il nomme les barons de l’informel dictent au gouvernement ses choix économiques. En réponse à Ouyahia dans les cafés qui ne désemplissent pas, et où les téléviseurs affichent le plus souvent le logo d’Al jazzera, on assure que ces barons sont aussi à l’origine de la longévité en poste d’un personnel dirigeant dont l’arrogance n’a d’égal que l’incompétence.
Pourtant, avec la marche des étudiants ce mardi 12 Avril un déclic s’est produit quelque part.
La ville a débordé de flics en civil, de policiers en uniformes et d’officiers talkie- walkies en main. Tandis que les véhicules de police, camions, quatre-quatre ou petites berlines traçaient une interminable chenille bleue et blanche le long des artères de la capitale.
Alger, qui en a vu d’autres et de plus terribles, a cette fois, frôlé l’indigestion sécuritaire. Un sentiment bizarre teinté d’obscène dans une ville où les agressions sont fréquentes et les règlements de compte à coup d’épées et de Pit-bull monnaie courante. Alger fait partie de ces villes où la présence policière est moins l’indice d’un renforcement sécuritaire qu’une menace d’insécurité supplémentaire. Comme dans un discours du premier ministre Ouyahia, le paradoxe n’est que de façade. Tout déploiement de force face à la société contient un aveu de faiblesse interne.
Mais les étudiants ont débordé la police dont débordait la ville. Ils ont débordé du cadre de l’enfermement. Un enfermement tel que plus rien n’ya de sens immédiat. Pas plus la force que la faiblesse. Et c’est dans ce sens différé que se glisse, à peine perceptible, l’ouverture. Cela, les étudiants l’ont compris.
Est-ce par ce qu’ils étaient nombreux ? Ils l’étaient mais pas tant que ça. Les chiffres oscillent entre 1500 et 10.000. Peu importe. L’alignement sur les trottoirs n’a pas résisté à la poussée juvénile. C’est peut-être en cela que la jeunesse est imprévisible. Elle rend aléatoires les cadres préétablis. Vient un moment où elle ne supporte plus la charge oppressive d’un pouvoir qui a peur. Vient également un moment où elle se dégage de cette main qui la retient de foncer et s’agrippe à elle. La main invisible d’une société qui se sait en convalescence. De plus d’un traumatisme.
Les journaux du lendemain ont affiché des Unes de victoire. Mais victoire sur quoi exactement ?
Sur la peur. ? Moins la leur que celle du régime. Celle de la société. Celle de la situation que chacun sait à la fois bloquée et explosive. Pourtant quelque chose a bougé.
Est-ce par ce qu’ils sont jeunes ? Peut-être mais les policiers qui leur font face sont tout aussi jeunes. Et eux sont dans la rue depuis des semaines sans rien signifier de plus que les bleus au corps et à l’âme d’une Algérie meurtrie.
Mais depuis que les algériens se sont mis en tête de ne rien faire de moins bien que les arabes. Ils se sont mis à parler. A se parler.
Et c’est fou tout ce qu’ils se disent pendant que le pouvoir ânonne des mesures incohérentes en distribuant de l’argent aux mêmes réseaux insatiables qui ont avalé les milliards des recettes pétrolières sans rien changer à la misère ambiante.
Ce n’était rien de plus qu’une marche désordonnée à travers les artères d’une capitale sous haute surveillance. Mais quelque chose a bougé cette semaine. Il ya longtemps qu’on n’avait pas vu des algériens aussi déterminés à affirmer leur non-violence. Contre tous les boutefeux imbéciles. Ils ont crié silmiya ! silmiya !
Ils ont affirmé haut et fort qu’ils sont des gens de science et non de violence. Etudiants ! Etudiants ! Ont-ils martelé en brandissant leurs cartes…d’étudiants.
Au pays de la bleuïte, c’est un formidable renversement de l’histoire. C’est la culture qui vient affirmer son droit et son aptitude à faire mieux, bien mieux, que la violence.
Non la culture des égos malades qui vont témoigner en faveur des tortionnaires, qui se mettent au garde à vous et lèchent les bottes des miliciens et de tout ce qui porte uniforme. La culture simple des gens simples qui vont à l’université en quête de savoir et d’un diplôme pour trouver un emploi. Choses si ordinaires. Et devenues hors de portée d’un pays malade de ses élites. Et ces dernières malades de pouvoir.
La bleuite, c’est cet épisode terrible de la guerre d’Indépendance dont l’Algérie n’est jamais complètement sortie. Le terme désigne une opération de manipulation montée par les services secrets français en 1957-58. Elle a consisté à fabriquer de toutes pièces des listes de prétendus collaborateurs de l’armée française au sein de l’Armée de libération nationale pour provoquer des purges. L’opération réussira au-delà de toutes les espérances et fera des milliers de victimes innocentes essentiellement parmi les jeunes diplômés.
Le deuxième bureau français responsable de cette ignominie écrira je cite :
« Il est matériellement impossible à l’adversaire de remplacer toutes ces pertes par du personnel de même valeur. Sans tenir compte du facteur moral, la baisse du potentiel en valeur intrinsèque des cadres de l’organisation politico-administrative est certaine. »
L’Algérie gagnera pourtant la guerre contre la France mais elle continuera à vivre dans le prolongement du traumatisme de la bleuite. Un traumatisme ravivé par la saignée opérée dans les rangs des intellectuels durant la sale guerre des années9O.
Et voici que quelque part grâce au printemps arabe, une nouvelle génération d’algériens brandit fièrement sa carte d’étudiant pour appeler au respect et à la non-violence. Et dans ce geste si simple c’est tout un pays qui peut-être entame sa résilience.
Bouteflika qui n’a pas jugé utile de répondre à la lettre de Abd El Hamid Mehri, lui qui s’était empressé de répondre au chef de maquis islamiste Madani Mezrag, n’est pas concerné par cette promesse de guérison. Ni par les changements qu’elle induira tôt ou tard.
Salima.Ghezali sur: La Nation (journal algérien).
Cette chronique a été diffusée le 14 04 11 sur radio Medi1
Entre l’ordre et le désordre même les citoyens lambda ont fini par déceler la secrète connivence. Avant même que le premier ministre ne vienne à la télévision se plaindre que ceux qu’il nomme les barons de l’informel dictent au gouvernement ses choix économiques. En réponse à Ouyahia dans les cafés qui ne désemplissent pas, et où les téléviseurs affichent le plus souvent le logo d’Al jazzera, on assure que ces barons sont aussi à l’origine de la longévité en poste d’un personnel dirigeant dont l’arrogance n’a d’égal que l’incompétence.
Pourtant, avec la marche des étudiants ce mardi 12 Avril un déclic s’est produit quelque part.
La ville a débordé de flics en civil, de policiers en uniformes et d’officiers talkie- walkies en main. Tandis que les véhicules de police, camions, quatre-quatre ou petites berlines traçaient une interminable chenille bleue et blanche le long des artères de la capitale.
Alger, qui en a vu d’autres et de plus terribles, a cette fois, frôlé l’indigestion sécuritaire. Un sentiment bizarre teinté d’obscène dans une ville où les agressions sont fréquentes et les règlements de compte à coup d’épées et de Pit-bull monnaie courante. Alger fait partie de ces villes où la présence policière est moins l’indice d’un renforcement sécuritaire qu’une menace d’insécurité supplémentaire. Comme dans un discours du premier ministre Ouyahia, le paradoxe n’est que de façade. Tout déploiement de force face à la société contient un aveu de faiblesse interne.
Mais les étudiants ont débordé la police dont débordait la ville. Ils ont débordé du cadre de l’enfermement. Un enfermement tel que plus rien n’ya de sens immédiat. Pas plus la force que la faiblesse. Et c’est dans ce sens différé que se glisse, à peine perceptible, l’ouverture. Cela, les étudiants l’ont compris.
Est-ce par ce qu’ils étaient nombreux ? Ils l’étaient mais pas tant que ça. Les chiffres oscillent entre 1500 et 10.000. Peu importe. L’alignement sur les trottoirs n’a pas résisté à la poussée juvénile. C’est peut-être en cela que la jeunesse est imprévisible. Elle rend aléatoires les cadres préétablis. Vient un moment où elle ne supporte plus la charge oppressive d’un pouvoir qui a peur. Vient également un moment où elle se dégage de cette main qui la retient de foncer et s’agrippe à elle. La main invisible d’une société qui se sait en convalescence. De plus d’un traumatisme.
Les journaux du lendemain ont affiché des Unes de victoire. Mais victoire sur quoi exactement ?
Sur la peur. ? Moins la leur que celle du régime. Celle de la société. Celle de la situation que chacun sait à la fois bloquée et explosive. Pourtant quelque chose a bougé.
Est-ce par ce qu’ils sont jeunes ? Peut-être mais les policiers qui leur font face sont tout aussi jeunes. Et eux sont dans la rue depuis des semaines sans rien signifier de plus que les bleus au corps et à l’âme d’une Algérie meurtrie.
Mais depuis que les algériens se sont mis en tête de ne rien faire de moins bien que les arabes. Ils se sont mis à parler. A se parler.
Et c’est fou tout ce qu’ils se disent pendant que le pouvoir ânonne des mesures incohérentes en distribuant de l’argent aux mêmes réseaux insatiables qui ont avalé les milliards des recettes pétrolières sans rien changer à la misère ambiante.
Ce n’était rien de plus qu’une marche désordonnée à travers les artères d’une capitale sous haute surveillance. Mais quelque chose a bougé cette semaine. Il ya longtemps qu’on n’avait pas vu des algériens aussi déterminés à affirmer leur non-violence. Contre tous les boutefeux imbéciles. Ils ont crié silmiya ! silmiya !
Ils ont affirmé haut et fort qu’ils sont des gens de science et non de violence. Etudiants ! Etudiants ! Ont-ils martelé en brandissant leurs cartes…d’étudiants.
Au pays de la bleuïte, c’est un formidable renversement de l’histoire. C’est la culture qui vient affirmer son droit et son aptitude à faire mieux, bien mieux, que la violence.
Non la culture des égos malades qui vont témoigner en faveur des tortionnaires, qui se mettent au garde à vous et lèchent les bottes des miliciens et de tout ce qui porte uniforme. La culture simple des gens simples qui vont à l’université en quête de savoir et d’un diplôme pour trouver un emploi. Choses si ordinaires. Et devenues hors de portée d’un pays malade de ses élites. Et ces dernières malades de pouvoir.
La bleuite, c’est cet épisode terrible de la guerre d’Indépendance dont l’Algérie n’est jamais complètement sortie. Le terme désigne une opération de manipulation montée par les services secrets français en 1957-58. Elle a consisté à fabriquer de toutes pièces des listes de prétendus collaborateurs de l’armée française au sein de l’Armée de libération nationale pour provoquer des purges. L’opération réussira au-delà de toutes les espérances et fera des milliers de victimes innocentes essentiellement parmi les jeunes diplômés.
Le deuxième bureau français responsable de cette ignominie écrira je cite :
« Il est matériellement impossible à l’adversaire de remplacer toutes ces pertes par du personnel de même valeur. Sans tenir compte du facteur moral, la baisse du potentiel en valeur intrinsèque des cadres de l’organisation politico-administrative est certaine. »
L’Algérie gagnera pourtant la guerre contre la France mais elle continuera à vivre dans le prolongement du traumatisme de la bleuite. Un traumatisme ravivé par la saignée opérée dans les rangs des intellectuels durant la sale guerre des années9O.
Et voici que quelque part grâce au printemps arabe, une nouvelle génération d’algériens brandit fièrement sa carte d’étudiant pour appeler au respect et à la non-violence. Et dans ce geste si simple c’est tout un pays qui peut-être entame sa résilience.
Bouteflika qui n’a pas jugé utile de répondre à la lettre de Abd El Hamid Mehri, lui qui s’était empressé de répondre au chef de maquis islamiste Madani Mezrag, n’est pas concerné par cette promesse de guérison. Ni par les changements qu’elle induira tôt ou tard.
Salima.Ghezali sur: La Nation (journal algérien).
Cette chronique a été diffusée le 14 04 11 sur radio Medi1
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