«Un crucifix spartiate et des psaumes accrochés au mur, un intérieur cossu mais sans fioritures, ce néoprotestant, Marocain de souche, assume pleinement son identité religieuse», racontait il y a quelques années Le Journal Hebdomadaire, dans un reportage sur ces Marocains qui se convertissent au christianisme. Un coming out rarissime, tant cette communauté bourgeonnante est contrainte de vivre sa foi dans le secret pour fuir l’opprobre d’une société qui condamne fermement l’apostasie.
«La voiture de la police est en bas de chez moi. Ils sont prêts à me suivre à chaque déplacement.» «Des policiers ont perquisitionné mon domicile, ils ont confisqué ma bible!»
Ces témoignages de Marocains chrétiens régulièrement relatés par la presse prouvent à quel point évoquer sa foi chrétienne lorsque l’on est Marocain et né musulman peut mener à la case prison.
Difficile de savoir combien il y a de Marocains chrétiens. Ils seraient un bon millier, selon le Conseil œcuménique, et près de 50.000, selon un rapport parlementaire. Selon la World Christian Database, centre d’étude du christianisme dans le monde, il s'agirait de la religion dont le taux de croissance est le plus élevé au Maroc. Un fait corroboré par une enquête réalisée en 2005 sous l'égide de la Direction des affaires générales du ministère de l'Intérieur, qui a estimé que 7.000 Marocains se seraient convertis au christianisme depuis la fin des années 90. Ils seraient pour partie originaires du Moyen Atlas, une région historiquement sillonnée par les missionnaires, qui n’hésitent pas à alimenter un repli identitaire berbère contre «l’envahisseur arabe et musulman».
D’autres sont issus de la classe moyenne citadine acculturée à un mode de vie occidental qu’ils veulent forcément judéo-chrétien. Certains cèdent aux sirènes des églises par simple opportunisme, pour obtenir un visa pour les Etats-Unis ou l’Europe par exemple. D’autres sont des enfants d’immigrés revenus vivre au pays ou dont les parents avaient été convertis sous le protectorat français.
Une communauté qui vit l’anathème et l’exclusion
Dans le milieu des années 70, le régime marocain avait mené une répression féroce contre les convertis. A l’époque, Hassan II, qui menait une guerre sans merci contre la gauche radicale, avait favorisé un islamisme rampant qui ne pouvait s’accommoder d’un tel phénomène de société. La fermeture d’un temple protestant à Casablanca où ils avaient l’habitude de se recueillir les a poussés à la clandestinité et à un sectarisme dans lequel ils se complaisent, associant leur situation d’opprimés à l’imaginaire des premiers chrétiens de la Rome antique.
Condamnation et anathème sont les mots d'ordre vis-à-vis des convertis. «Les Marocains chrétiens n’ont pas droit de cité dans leur propre pays. Ils sont considérés comme des traîtres par les autorités et la population, qui les soumet à toutes sortes de pressions: insultes, crachats… les familles sont même incitées à chasser ceux de leurs membres qui sont chrétiens», témoigne Michael Païta, de l’association humanitaire chrétienne La Gerbe, qui milite pour leur reconnaissance. Le cas d'un converti martyrisé par sa propre famille (vidéo en anglais) en est l’illustration tragique.
Les réseaux sociaux sont aussi utilisés pour les persécuter. Fait notoire, certains jeunes du Mouvement du 20 février ont été attaqués pour s’être «vendus au Christ» afin de décrédibiliser leur action.
Aussi, l'inquiétude grandit dans une communauté à peine tolérée, à la condition que ses membres pratiquent leur foi dans la discrétion et s'ils ne se réunissent que par petits groupes pour prier dans des églises de maisons. Ils portent des prénoms arabo-musulmans, pourtant ils célèbrent discrètement l'office au grand dam des conservateurs et sous l’œil suspicieux de la police. Ils vivent un christianisme aux couleurs locales: chants, lectures et commentaires de la bible, projection de films chrétiens… Le tout en langue arabe ou amazighe. En somme, ce qui est souvent décrit comme un prosélytisme redoutable n'est bien souvent qu'un groupe de disciples de Jésus qui se retrouvent pour communier et exercer leur culte. Ces «églises libres» prolifèrent un peu partout au Maroc, il en existerait une dizaine par grande ville et d'autres disséminées à travers le pays.
Contraints à l'existence sectaire, les chrétiens du Maroc font preuve d'une grande cohésion communautaire. Lorsqu'ils sont en confiance, ils s'enquièrent des nouvelles des convertis des autres villes, ils se connaissent, échangent les noms de famille et les numéros de téléphone. Chaque nouvelle conversion est l'objet du plus grand soin de la part des anciens. Le phénomène pose la problématique de la limite entre le prosélytisme et le simple fait de partager sa foi.
Un prosélytisme d’un nouveau genre
Aujourd’hui, avec la multiplication de missionnaires sur le terrain et le prosélytisme d’un nouveau genre véhiculé par Internet et par les chaînes satellitaires comme Al Hayat où Brother Rachid, un pasteur marocain, fait un tabac, leur nombre progresse.
Les médias d'évangélisation permettent un prosélytisme de masse, à caractère insaisissable, qui offre la possibilité de vivre son propre univers religieux à travers les écrans de télévision plutôt qu'à travers une insertion concrète dans un cadre donné.
Grâce à cette vision nouvelle, le converti possède les outils qui lui permettent de sortir de son milieu culturel et religieux jusque-là incontesté. Contre ce phénomène universel de mobilité des croyances, les voix les plus conservatrices de la société proposent l'élaboration d'une «politique de prévention» contre l'évangélisation, à savoir une refonte des programmes scolaires afin de «renforcer le sentiment patriotique à travers les valeurs de l'arabité et de l'islam», comme le suggère le parti de l'Istiqlal qui appelle à «soutenir les associations marocaines qui œuvrent à la propagation de l'islam, ainsi que les imams, et les groupes d'études du Coran. L'Etat ne pouvant à lui seul faire face à ces tentatives de prosélytisme a besoin du soutien de la société civile pour surveiller ces activités». A l'instar de ce qui se passe dans le reste du monde, la société marocaine n'échappe pas au phénomène de la mondialisation des croyances. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la gestion de ce fait religieux d'autant plus inédit que le pays n'a officiellement plus abrité de communauté chrétienne autochtone depuis l'époque romaine.
Prises de court, les autorités tentent d’endiguer le phénomène de conversions à la foi de Jésus, certes marginal, mais grandissant. Surveillance et descentes policières dans les lieux de réunions religieuses, expulsions de missionnaires étrangers se multiplient. Quelques bibles ou supports audio à contenu chrétien suffisent à attester les faits. Les perquisitions réalisées sur les lieux des interpellations sont l’occasion de saisies de livres et de CD à contenu chrétien en langue arabe ou amazighe, considérés comme des pièces à conviction.
Résultat, la pression exercée sur les chrétiens marocains s’est accentuée, à tel point que certains d'entre eux, réunis au sein de l’Union mondiale des chrétiens marocains, structure non officielle, ont demandé au gouvernement de cesser «tous les types de harcèlements sécuritaires systématiques, d’arrestations, de détentions et d'inspections qui ont pour seul but d'humilier les chrétiens et de mettre la pression sur eux pour les forcer à renoncer à leurs convictions religieuses». Ils souhaitent avant tout «la reconnaissance des chrétiens marocains, de leur droit de culte sans harcèlement ni restriction». Enfin, ils demandent que les Marocains aient la liberté «de se convertir à la religion qu'ils veulent, y compris le christianisme». Pour Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement, qui dénonce un catéchisme incompatible avec la tolérance, «les pouvoirs publics ont le devoir de rester en phase avec leur opinion publique. Nous ne pouvons pas nous permettre de jouer avec le feu».
Un Marocain est musulman par défaut
L’article 6 de la Constitution marocaine stipule que «l’islam est la religion de l’Etat qui garantit à tous le libre exercice des cultes». En d’autres termes, l’écrasante majorité des Marocains est musulmane, mais les autres religions monothéistes sont admises. Dans les faits, si la loi ne réprime pas les convertis, elle ne leur donne tout simplement pas les moyens juridiques d'exister en tant que tels. Lorsqu'il n'est pas de confession juive, un citoyen marocain est considéré comme musulman par défaut.
«Je dois garantir la liberté de culte et, je le précise, pas seulement celle des musulmans. Les trois religions, musulmane, juive et chrétienne, peuvent s’exprimer en toute liberté, sécurité et sérénité.»
Cette déclaration du roi Mohammed VI au Figaro en 2001 était pour le moins œcuménique, mais contredite dans les faits: depuis quelques années, les expulsions de prêcheurs de diverses nationalités se sont multipliées (plus de 130 personnes ont été invitées à quitter le territoire pour la seule année 2010). L’affaire de l’orphelinat d’Ain Leuh avait alors fait grand bruit.
Durant la vague répressive de 2009, 17 personnes dont une douzaine de Marocains avaient été interpellées près d’Oujda, ville frontalière avec l’Algérie, pour avoir participé à une «réunion publique non déclarée, qui s'inscrit dans le cadre d'une action visant à propager le credo évangéliste et à recruter des adeptes au sein des nationaux», précisait le communiqué du ministère de l'Intérieur sanctionnant leur arrestation. Ils étaient accusés de «porter atteinte aux valeurs religieuses du Royaume».
«La voiture de la police est en bas de chez moi. Ils sont prêts à me suivre à chaque déplacement.» «Des policiers ont perquisitionné mon domicile, ils ont confisqué ma bible!»
Ces témoignages de Marocains chrétiens régulièrement relatés par la presse prouvent à quel point évoquer sa foi chrétienne lorsque l’on est Marocain et né musulman peut mener à la case prison.
Difficile de savoir combien il y a de Marocains chrétiens. Ils seraient un bon millier, selon le Conseil œcuménique, et près de 50.000, selon un rapport parlementaire. Selon la World Christian Database, centre d’étude du christianisme dans le monde, il s'agirait de la religion dont le taux de croissance est le plus élevé au Maroc. Un fait corroboré par une enquête réalisée en 2005 sous l'égide de la Direction des affaires générales du ministère de l'Intérieur, qui a estimé que 7.000 Marocains se seraient convertis au christianisme depuis la fin des années 90. Ils seraient pour partie originaires du Moyen Atlas, une région historiquement sillonnée par les missionnaires, qui n’hésitent pas à alimenter un repli identitaire berbère contre «l’envahisseur arabe et musulman».
D’autres sont issus de la classe moyenne citadine acculturée à un mode de vie occidental qu’ils veulent forcément judéo-chrétien. Certains cèdent aux sirènes des églises par simple opportunisme, pour obtenir un visa pour les Etats-Unis ou l’Europe par exemple. D’autres sont des enfants d’immigrés revenus vivre au pays ou dont les parents avaient été convertis sous le protectorat français.
Une communauté qui vit l’anathème et l’exclusion
Dans le milieu des années 70, le régime marocain avait mené une répression féroce contre les convertis. A l’époque, Hassan II, qui menait une guerre sans merci contre la gauche radicale, avait favorisé un islamisme rampant qui ne pouvait s’accommoder d’un tel phénomène de société. La fermeture d’un temple protestant à Casablanca où ils avaient l’habitude de se recueillir les a poussés à la clandestinité et à un sectarisme dans lequel ils se complaisent, associant leur situation d’opprimés à l’imaginaire des premiers chrétiens de la Rome antique.
Condamnation et anathème sont les mots d'ordre vis-à-vis des convertis. «Les Marocains chrétiens n’ont pas droit de cité dans leur propre pays. Ils sont considérés comme des traîtres par les autorités et la population, qui les soumet à toutes sortes de pressions: insultes, crachats… les familles sont même incitées à chasser ceux de leurs membres qui sont chrétiens», témoigne Michael Païta, de l’association humanitaire chrétienne La Gerbe, qui milite pour leur reconnaissance. Le cas d'un converti martyrisé par sa propre famille (vidéo en anglais) en est l’illustration tragique.
Les réseaux sociaux sont aussi utilisés pour les persécuter. Fait notoire, certains jeunes du Mouvement du 20 février ont été attaqués pour s’être «vendus au Christ» afin de décrédibiliser leur action.
Aussi, l'inquiétude grandit dans une communauté à peine tolérée, à la condition que ses membres pratiquent leur foi dans la discrétion et s'ils ne se réunissent que par petits groupes pour prier dans des églises de maisons. Ils portent des prénoms arabo-musulmans, pourtant ils célèbrent discrètement l'office au grand dam des conservateurs et sous l’œil suspicieux de la police. Ils vivent un christianisme aux couleurs locales: chants, lectures et commentaires de la bible, projection de films chrétiens… Le tout en langue arabe ou amazighe. En somme, ce qui est souvent décrit comme un prosélytisme redoutable n'est bien souvent qu'un groupe de disciples de Jésus qui se retrouvent pour communier et exercer leur culte. Ces «églises libres» prolifèrent un peu partout au Maroc, il en existerait une dizaine par grande ville et d'autres disséminées à travers le pays.
Contraints à l'existence sectaire, les chrétiens du Maroc font preuve d'une grande cohésion communautaire. Lorsqu'ils sont en confiance, ils s'enquièrent des nouvelles des convertis des autres villes, ils se connaissent, échangent les noms de famille et les numéros de téléphone. Chaque nouvelle conversion est l'objet du plus grand soin de la part des anciens. Le phénomène pose la problématique de la limite entre le prosélytisme et le simple fait de partager sa foi.
Un prosélytisme d’un nouveau genre
Aujourd’hui, avec la multiplication de missionnaires sur le terrain et le prosélytisme d’un nouveau genre véhiculé par Internet et par les chaînes satellitaires comme Al Hayat où Brother Rachid, un pasteur marocain, fait un tabac, leur nombre progresse.
Les médias d'évangélisation permettent un prosélytisme de masse, à caractère insaisissable, qui offre la possibilité de vivre son propre univers religieux à travers les écrans de télévision plutôt qu'à travers une insertion concrète dans un cadre donné.
Grâce à cette vision nouvelle, le converti possède les outils qui lui permettent de sortir de son milieu culturel et religieux jusque-là incontesté. Contre ce phénomène universel de mobilité des croyances, les voix les plus conservatrices de la société proposent l'élaboration d'une «politique de prévention» contre l'évangélisation, à savoir une refonte des programmes scolaires afin de «renforcer le sentiment patriotique à travers les valeurs de l'arabité et de l'islam», comme le suggère le parti de l'Istiqlal qui appelle à «soutenir les associations marocaines qui œuvrent à la propagation de l'islam, ainsi que les imams, et les groupes d'études du Coran. L'Etat ne pouvant à lui seul faire face à ces tentatives de prosélytisme a besoin du soutien de la société civile pour surveiller ces activités». A l'instar de ce qui se passe dans le reste du monde, la société marocaine n'échappe pas au phénomène de la mondialisation des croyances. La question qui se pose aujourd'hui est celle de la gestion de ce fait religieux d'autant plus inédit que le pays n'a officiellement plus abrité de communauté chrétienne autochtone depuis l'époque romaine.
Prises de court, les autorités tentent d’endiguer le phénomène de conversions à la foi de Jésus, certes marginal, mais grandissant. Surveillance et descentes policières dans les lieux de réunions religieuses, expulsions de missionnaires étrangers se multiplient. Quelques bibles ou supports audio à contenu chrétien suffisent à attester les faits. Les perquisitions réalisées sur les lieux des interpellations sont l’occasion de saisies de livres et de CD à contenu chrétien en langue arabe ou amazighe, considérés comme des pièces à conviction.
Résultat, la pression exercée sur les chrétiens marocains s’est accentuée, à tel point que certains d'entre eux, réunis au sein de l’Union mondiale des chrétiens marocains, structure non officielle, ont demandé au gouvernement de cesser «tous les types de harcèlements sécuritaires systématiques, d’arrestations, de détentions et d'inspections qui ont pour seul but d'humilier les chrétiens et de mettre la pression sur eux pour les forcer à renoncer à leurs convictions religieuses». Ils souhaitent avant tout «la reconnaissance des chrétiens marocains, de leur droit de culte sans harcèlement ni restriction». Enfin, ils demandent que les Marocains aient la liberté «de se convertir à la religion qu'ils veulent, y compris le christianisme». Pour Khalid Naciri, porte-parole du gouvernement, qui dénonce un catéchisme incompatible avec la tolérance, «les pouvoirs publics ont le devoir de rester en phase avec leur opinion publique. Nous ne pouvons pas nous permettre de jouer avec le feu».
Un Marocain est musulman par défaut
L’article 6 de la Constitution marocaine stipule que «l’islam est la religion de l’Etat qui garantit à tous le libre exercice des cultes». En d’autres termes, l’écrasante majorité des Marocains est musulmane, mais les autres religions monothéistes sont admises. Dans les faits, si la loi ne réprime pas les convertis, elle ne leur donne tout simplement pas les moyens juridiques d'exister en tant que tels. Lorsqu'il n'est pas de confession juive, un citoyen marocain est considéré comme musulman par défaut.
«Je dois garantir la liberté de culte et, je le précise, pas seulement celle des musulmans. Les trois religions, musulmane, juive et chrétienne, peuvent s’exprimer en toute liberté, sécurité et sérénité.»
Cette déclaration du roi Mohammed VI au Figaro en 2001 était pour le moins œcuménique, mais contredite dans les faits: depuis quelques années, les expulsions de prêcheurs de diverses nationalités se sont multipliées (plus de 130 personnes ont été invitées à quitter le territoire pour la seule année 2010). L’affaire de l’orphelinat d’Ain Leuh avait alors fait grand bruit.
Durant la vague répressive de 2009, 17 personnes dont une douzaine de Marocains avaient été interpellées près d’Oujda, ville frontalière avec l’Algérie, pour avoir participé à une «réunion publique non déclarée, qui s'inscrit dans le cadre d'une action visant à propager le credo évangéliste et à recruter des adeptes au sein des nationaux», précisait le communiqué du ministère de l'Intérieur sanctionnant leur arrestation. Ils étaient accusés de «porter atteinte aux valeurs religieuses du Royaume».
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