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Syrie, la faculté de «massacrer en paix»

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  • Syrie, la faculté de «massacrer en paix»

    En raison d’un étonnant consensus reposant sur des intérêts pourtant divergents, le pouvoir de Damas n’a pas à craindre les foudres des puissances occidentales et régionales

    Le printemps arabe va-t-il s’arrêter à Damas? Lundi, le régime de Bachar el-Assad, qui a su conquérir la rue arabe en se présentant comme le héraut du «Front du refus» face à Washington et Jérusalem, a franchi une nouvelle étape. Pour mater la rébellion, il a envoyé des chars à Deraa, épicentre de la contestation du pouvoir détenu par la minorité chiite alaouite. Depuis le 15 mars, l’insurrection a déjà fait plus de 390 morts. Dès lors, une question affleure: pourquoi la Syrie ne subit-elle pas les mêmes foudres que Mouammar Kadhafi?

    Depuis quelques jours, on assiste à un timide basculement: Washington réfléchit à des sanctions ciblées et la France ainsi que le Royaume-Uni poussent à l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité condamnant les violences. Ces mesures, déclamatoires, risquent d’être largement insuffisantes pour contraindre Bachar el-Assad à quitter un pouvoir qu’il détient depuis juillet 2000. La Syrie a été l’un des pays les plus stables du Moyen-Orient. Les Occidentaux et les puissances régionales ne sont pas prêts à sacrifier cette stabilité sur l’autel du changement. Au carrefour de toutes les contradictions de la région, la Syrie est du coup l’objet d’un étonnant consensus.

    Pour l’Iran, une chute du régime syrien signifierait la perte désastreuse du seul allié arabe. Elle mettrait en grande difficulté le Hezbollah libanais dont Damas et Téhéran sont les principaux mentors. Le Hamas entrerait aussi dans une phase d’incertitude, les dirigeants du mouvement palestinien vivant sous protection à Damas. Au Liban, en proie à un équilibre confessionnel extrêmement fragile, le spectre de la guerre civile pourrait resurgir. La Turquie, qui investit beaucoup en Syrie, verrait d’un mauvais œil son voisin plonger dans le chaos en raison de l’absence d’une alternative crédible. Israël, «techniquement» toujours en guerre contre la Syrie, juge «prévisible» l’autocrate Bachar el-Assad et relativement sûre la frontière syro-israélienne. Il craint l’avènement d’un pouvoir sunnite plus agressif.

    Les Etats-Unis enfin, qui avaient placé Damas sur l’«Axe du mal» avant de se réconcilier, marchent sur des œufs. Comme à la Conférence de Madrid de 1991 lançant le processus de paix en présence d’Hafez el-Assad, ils savent que la Syrie est incontournable. Quant à une intervention, même sous l’égide de l’ONU, comme le suggère Sarkozy, elle est illusoire. L’allié russe s’y opposerait. Face à autant de réticences extérieures, le régime syrien peut encore «massacrer en paix». Comme à Hama en 1982.

    STÉPHANE BUSSARD
    LE TEMPS.CH Mercredi 27 avril 2011
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

  • #2
    Le massacre de Hama - février 1982

    Le 2 février 1982, la Présidence de la République arabe syrienne donne l’ordre à des unités régulières de l’armée et des Forces spéciales d’investir et de pilonner Hama, la quatrième ville du pays. L’objectif de l’assaut est de répondre à une insurrection menée par la mouvance des Frères musulmans basée en Syrie. Pendant une vingtaine de jours, des combats opposent les troupes du contingent à la branche armée des Frères musulmans, mais également à la population citadine. Les frappes aériennes et les tirs de mortier causent la mort de plusieurs milliers de civils. Hama sera le théâtre de nombreuses exactions, telles des tortures, exécutions sommaires et privations en tout genre, commises par la garde prétorienne du régime à l’encontre de la population locale. Par son ampleur, sa violence, son organisation et les buts poursuivis, cette intervention militaire constitue un cas de massacre.

    Le contexte

    Le massacre de Hama, ville dénombrant à l’époque quelque 250 000 habitants, représente le point culminant d’un violent conflit entre le pouvoir syrien et l’opposition islamiste dont les premiers éclats remontent au milieu des années 1970 et dont les prémisses sont antérieures encore. Bien que recentré sur la scène politique syrienne interne, cet affrontement est également partie intégrante de la vague de turbulences qui s’abat sur le Moyen-Orient à la même époque.

    Depuis l’indépendance du pays en 1947, l’élite politique éprouve des difficultés à bâtir un régime sur les bases de nouvelles limites territoriales, tout en conciliant le réel désir d’unification de toutes les «patries» arabes. Une série ininterrompue de coups d’État témoigne des dissensions qui peuvent exister au sein d’une société multiconfessionnelle et traditionnelle – sunnites en majorité, chiites, chrétiens, alaouites, druzes, ismaéliens – et de l’échec des principales forces politiques à fédérer des populations, au-delà de leur clientèle habituelle. Des luttes sourdes opposent divers courants nationalistes jusqu’à la prise du pouvoir, en 1963, par les dirigeants du parti Ba‘th. Ce parti, qui se réclame du socialisme, vient changer la donne politique dans le sens où les structures en place depuis l’indépendance étaient plutôt d’inspiration libérale. Ce dernier parvient à gouverner le pays pendant toute la décennie 1960, nonobstant d’âpres luttes internes dont l’enjeu est le maintien de la ligne idéologique des fondateurs historiques. Celles-ci se solderont par l’accession au pouvoir du général et ancien ministre de la Défense, Hafez al-Assad, au mois de novembre 1970, à la faveur d’un coup d’État. Lasse de l’instabilité politique persistante, la bourgeoisie d’affaires de toute confession, ainsi que l’immense majorité de la petite paysannerie, apportent leur soutien au nouveau Président qui se veut progressiste et rassembleur. Toutefois, le consensus au sein de l’élite ne tarde pas à s’effriter lorsqu’il apparaît qu’une majorité des postes clefs de l’appareil d’État sont dévolus à la minorité confessionnelle alaouite, dont Hafez al-Assad est issu. Le phénomène est clairement perceptible au sein de l’armée et des services de renseignement. Les premières contestations voient le jour à travers l’action des Frères musulmans au cours des émeutes de 1973, consécutives à la tentative de promulgation d’une nouvelle Constitution.

    La formation des «Frères» en Syrie s’établit probablement à Alep en 1935. À l’instigation de leaders religieux, une partie de ses membres participent à des émeutes dirigées contre le parti Ba‘th en 1964 et qui ont lieu à Hama, ville réputée pour servir de bastion au traditionalisme sunnite. Ce soulèvement a eu lieu en réaction au lancement, par le nouveau régime, d’une vaste campagne de nationalisation et de marginalisation des anciennes élites latifundiaires.

    Sous l’impulsion de ‘Issam al-Atar, les Frères musulmans ne cessent de s’organiser au point d’apparaître, pendant l’agitation populaire de 1973, comme la seule formation capable d’opposer une résistance au monopole du Ba‘th sur la vie politique syrienne ; alors même qu’elle n’offre pas de réelle alternative sur le plan idéologique. On estime qu’après 1975, les Frères musulmans comptaient entre 5 000 et 7 000 militants actifs. Il est probable qu’après 1979, les effectifs aient augmentés malgré la répression. Le mouvement aurait rallié de nombreux partisans, car à cette époque l’affrontement entre l’organisation et le pouvoir se polarise et gagne en intensité. Tandis que ‘Issam al-Atar manœuvre depuis son exil d’Allemagne Fédérale, des groupuscules structurés autour de personnalités religieuses proposent de manière récurrente leur collaboration à des opérations terroristes, mais sans nécessairement lui prêter allégeance. L’attentat de l’école d’artillerie d’Alep constitue à cet égard l’un des événements les plus marquants. Le 16 juin 1979, un officier sunnite membre du parti Ba‘th, fait ouvrir le feu par des complices sur des cadets présents dans une salle de classe, exécutant 83 d’entre eux, tous alaouites. Cette tuerie provoque un émoi sans précédent au sein de la population et de l’élite dirigeante.

    Une vague de répression s’ensuit et 1979 est une année à marquer d’une pierre blanche dans le conflit, désormais ouvert, entre les dirigeants des principales institutions politiques syriennes (la Présidence, l’armée, le parti Ba‘th, le gouvernement) et les Frères musulmans. À la suite d’attentats à l’explosif commis contre les installations du régime – bâtiments officiels, aéroports militaires, divisions de la Sûreté intérieure – des émeutes éclatent à Alep, ville traditionnellement hostile au pouvoir central de Damas, au mois de septembre de la même année. Face à cette fièvre, les autorités procèdent à l’arrestation de plusieurs milliers de personnes dont les liens avec les Frères musulmans ne sont pas toujours avérés. Mais les troubles ne cessent pas pour autant. Le 26 juin 1980, alors qu’il reçoit le Président du Mali en visite officielle, Hafez al-Assad échappe à un attentat provoqué par un membre de la garde présidentielle. La riposte ne se fait pas attendre : les «Brigades de défenses», garde prétorienne du régime, exécutent environ 500 détenus de la prison de Palmyre. La raison invoquée est que ces derniers appartiennent ou sont suspectés d’appartenir à l’organisation des «Frères» syriens. Des témoignages de soldats repentis ayant participé à l’opération annoncent le double. Le 7 juillet 1980, la Présidence fait adopter par le Parlement la loi 49 qui punit de mort l’appartenance à l’organisation intégriste. En parallèle, les manifestations se multiplient dans le nord du pays et on cite de fréquents accrochages entre des membres de la tendance des «Frères» et les Forces spéciales. La situation économique catastrophique ne favorise pas le retour au calme. En ce début de décennie 1980, le régime compte ses soutiens.

    Sachant l’armée infiltrée par la formation radicale syrienne, Hafez al-Assad obtient la mise à pied de 400 officiers sunnites. L’objectif de la manœuvre est de maintenir sous contrôle l’appareil répressif, véritable gage de sa conservation à la tête de l’État. De 1979 à 1981, on estime à 300 le nombre d’assassinats politiques ayant entraîné des victimes dans les rangs du pouvoir – militaires, responsables ba‘thistes, personnalités alaouites – ou des Frères musulmans. Les tracts que ces derniers font circuler clandestinement soutiennent que les actions violentes visent à se défaire de «la tyrannie d’une minorité au pouvoir qui gouverne par l’oppression». À ces troubles qui émaillent périodiquement la scène intérieure vient s’ajouter l’instabilité de la scène régionale avec la guerre civile au Liban, la guerre contre Israël et la question palestinienne. Ajoutons que ce climat est lui-même dépendant du contexte général de guerre froide où la Syrie a choisi l’allié soviétique. Alors que les observateurs affirmaient, depuis la fin des années 1970, que le régime n’était pas sérieusement menacé par l’action des Frères musulmans, le propos change à partir de 1981. C’est une guerre particulièrement brutale qui s’installe, donnant parfois l’image que le leadership politique est aux abois.

    .../...
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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    • #3
      Le massacre de Hama - février 1982

      ... suite :

      Le déroulement des combats à Hama

      Dans la nuit du 2 au 3 février 1982, un groupe composé de 150 à 200 hommes armés évolue dans Hama sous le commandement de ‘Umar Jawad, chef local de l’organisation des «Frères», plus connu sous le nom d’«Abu Bakr». Le mot d’ordre est d’assaillir les principaux responsables politiques affiliés au pouvoir, ce qui inclut les cadres du parti Ba‘th, les hauts fonctionnaires, les chefs militaires. Des exactions sont commises à cette occasion par les membres du commando et on évoque une douzaine de cadres du Ba‘th assassinés à leur domicile avec femme et enfants. En outre, on fait état de la liquidation de cléricaux ayant publiquement dénoncé les crimes de la Tali‘a al-muqatila («l’avant-garde combattante»), la branche armée des Frères musulmans en Syrie. Au total, 90 personnes sont passées par les armes. L’état-major des Frères musulmans déclare dans un communiqué que Hama est considérée comme une «ville libérée» et exhorte la population à se soulever contre les «infidèles».

      À l’annonce de ce communiqué, Hafez al-Assad mobilise en premier lieu les Forces spéciales et des unités de l’armée, telle la 47ème brigade blindée, afin de reprendre le contrôle de la ville. L’ensemble des communications entre Hama et l’extérieur est coupé. L’action des hélicoptères se coordonne à celle de l’artillerie (chars et mortiers), des forces aériennes et des bulldozers pour mener ce qui s’apparente désormais à une offensive.

      Les combats des quatre premiers jours sont particulièrement violents et le pilonnage de l’artillerie conduit à la destruction du centre ville historique afin de faciliter l’action des unités au sol. Les Frères musulmans font savoir par l’intermédiaire de leur Bureau d’information qu’ils ont tué 1436 soldats et en ont blessé 2000 autres au cours des premiers assauts.

      Le gros des troupes du contingent est stationné à sept kilomètres du centre-ville et exerce un blocus total. Des commandos spéciaux affiliés aux services de renseignement et notamment les «Brigades de Défense» (Sirayat al-difa‘) commandées par Rif‘at al-Assad, frère benjamin du président Hafez al-Assad, procèdent à des arrestations massives de civils hamaouites, accusés de coopérer avec les Frères musulmans. Ces arrestations seront, dans la plupart des cas, accompagnées de tortures, voire d’exécutions. Du 4 au 6 février, on estime qu’environ 2000 personnes périssent sous le feu des bombardements ou sont abattues, notamment dans le stade municipal de football.

      Les ordres qui ont été donnés aux soldats du contingent, mais surtout aux Forces spéciales, s’avèrent rigoureusement précis. Des familles entières, parfaitement identifiées, sont exécutées, le plus souvent par balles. Il semble qu’à l’issue des premiers jours de bombardements, la priorité fut donnée aux assassinats ciblés et à la chasse aux insurgés potentiels. Il est procédé au regroupement des raflés, puis à leur conduite dans des centres de détention de circonstance : une usine de coton, des écoles, mais également les bureaux locaux de la Sûreté de l’État et des Renseignements militaires. Sur place, les détenus subissent de mauvais traitements incluant les privations d’eau et de nourriture pendant plusieurs jours, ainsi que d’effroyables tortures pour certains. Une grande partie des commerces est saccagée ou endommagée par les forces gouvernementales et une attention toute particulière est portée aux pharmacies. Leur mise à sac a pour effet de ralentir, voire d’empêcher que des soins adéquats soient prodigués aux blessés.

      Le 15 février, le ministre de la défense, Mustafa Tlass, déclare que la rébellion est matée, mais que Hama reste assiégée par l’armée jusqu’à nouvel ordre. Cette annonce officielle n’empêche pas que des résidents du quartier al-Hader, un secteur placé sous le contrôle des «Brigades de Défense», soient exterminés dans la seule journée du 19 février (Amnesty International). Les bombardements ont, dès lors, diminué en intensité. Pourtant, cela n’empêche pas la destruction totale d’au moins quatre rues de la ville, dont «al-Zanbaqi», ainsi que la destruction partielle de plusieurs autres. En outre, il n’est resté des principales mosquées et des églises de la ville, que ruines. Il s’agissait de frapper le symbole, le lieu de ralliement et de mobilisation des combattants islamistes, mais également le refuge de nombreux civils. Le rapport d‘ Amnesty International indique l’utilisation de gaz à base de cyanite dans une zone de la ville que des insurgés étaient soupçonnés d’occuper. Cette information n’est pas totalement fiable dans la mesure où elle n’a pu être recoupée par d’autres sources.

      Les affrontements se poursuivent jusqu’à la fin du mois de février avec un avantage écrasant pour les Forces armées. Ces dernières continuent de perpétrer des massacres à l’encontre de civils et d’empêcher que la ville ne soit approvisionnée en denrées alimentaires. L’état de siège aura duré 27 jours au total. Après le mois de février, le retour à la normale s’effectue progressivement, mais avec le maintien d’une forte présence sécuritaire et d’un faible retour des habitants victimes de rafles.
      […]

      Les victimes

      Le massacre de Hama ne fait pas exception aux autres concernant la difficulté d’établir un bilan des destructions et d’évaluer le nombre de victimes.

      Les variations de chiffre dans le bilan annoncé par les différentes sources peuvent s’avérer très grandes. Tandis que Robert Fisk parle de 20 000 morts, l’hebdomadaire anglais The Economist avance le chiffre de 30 000 morts et le Comité Syrien des droits de l’homme estime qu’entre 30 000 et 40 000 personnes auraient péri.

      Le Bureau d’information des Frères musulmans indique que les Forces armées du régime ont perdu 3 412 hommes et ont dénombré plus de 5 000 blessés dans les combats qui se sont déroulés du 2 au 22 février. En revanche, ce même Bureau n’a pas fourni de chiffres précis quant au total des disparus. Le chercheur français Michel Seurat s’est appuyé sur l’enquête d’Amnesty international de novembre 1983 pour évaluer l’étendue de la catastrophe, à savoir de 10 000 à 25 000 morts selon les sources. Il est probable qu’en croisant tous les chiffres, on parvienne à établir qu’au moins 20 000 personnes ont été victimes de la répression des Forces de sécurité sur une population totale de 250 000 personnes, soit près d’un dixième.

      L’écrasante majorité des disparus sont des hommes sunnites, la confession dominante de la ville. […]

      Ce n’est pas seulement le pilonnage de l’armée qui a provoqué la disparition d’environ 10% de la population de la ville, mais également le siège qui lui a été imposé. Comme nous l’avons déjà souligné, Hama a été totalement coupée du reste du pays et l’approvisionnement en denrées alimentaires de première nécessité n’a pu s’opérer. Logiquement, ce sont les individus les plus fragiles qui ont succombé en priorité à ce traitement, c’est-à-dire les personnes âgées, les enfants, les malades.

      Les conditions de détention très dures, comprenant tortures et brutalités, entassement et rationnement, voire inanition, ont contribué à grossir les rangs des victimes. Sans compter qu’une grande partie de ceux qui furent emprisonnés ne sont jamais revenus et que le gouvernement syrien n’a jamais été capable de fournir la moindre précision les concernant. Lors du siège, les forces sécuritaires syriennes ont usé d’un instrument classique en de telles circonstances : la terreur. Les corps mutilés de civils ont été jetés dans les rues et laissés à l’abandon, à la vue de tous et sous la garde vigilante des soldats, empêchant leur inhumation. Des témoins ont rapporté qu’en les conduisant dans un centre de détention, les soldats les auraient fait traverser des allées jonchées de cadavres. Les viols, bien que non systématiques, furent fréquents, et on signale l’exécution de femmes qui auraient farouchement résisté. Les exécutions sommaires de plusieurs membres d’une même famille se sont souvent effectuées sous le regard des enfants, quand ceux-ci n’étaient pas également sacrifiés.

      À la suite des bombardements et des meurtres en masse, les soldats se sont livrés au pillage et ont mutilé de nombreux habitants afin de récupérer les bijoux qu’ils portaient. Ces pratiques ont contribué à alimenter le climat de terreur.

      […]
      Ismael Quiades
      Extraits d'un article publié le 12 octobre 2009 dans "Middle Eastern Studies"
      "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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      • #4
        A Damas, attention aux indics potentiels!

        Depuis le début des troubles, les différents services de renseignement recrutent à tout va pour surveiller de près la population
        Dès qu’il la voit tendre sa main manucurée pour écraser sa cigarette, le serveur s’avance pour remplacer le cendrier. Il n’a pas quitté des yeux les quatre femmes élégantes installées à la terrasse du café dans un quartier cossu de Damas. Pendant qu’il époussette quelques cendres avec une lenteur appuyée, les clientes interrompent leur conversation et échangent des regards entendus. Tout le monde le sait ici: la plupart des garçons travaillent pour les renseignements syriens. Ils ne s’en cachent presque pas d’ailleurs, cumulant souvent leur métier du soir avec un poste de fonctionnaire. La surveillance fait partie de leurs obligations et est la base de leurs rapports du lendemain à leur supérieur hiérarchique.

        «Garçons de café, chauffeurs de taxi, coiffeuses ou même mendiants handicapés… Faites toujours attention à ce que vous dites! prévient-on le visiteur à Damas. Ils sont tous moukhabarat [ndlr: terme générique pour désigner les services de renseignement].» Les habitants de Damas sont habitués depuis des années à voir des hommes postés jour et nuit devant chaque immeuble résidentiel, une mitraillette courte à peine cachée sous leur veste. Mais ces derniers temps, leurs concierges ont été armés de bâtons soi-disant «pour veiller à leur sécurité».

        La surveillance prend un visage inédit depuis le début de la vague de protestations, en mars. Interdits de souk depuis des années, les vendeurs à la sauvette ont fait une réapparition remarquée. D’un bout à l’autre de Hamidyeh, le souk historique qui mène à la mosquée des Omeyyades, ils ont installé à même le sol leurs étalages de jouets chinois ou de chemises de nuit féminines. Leur alignement sépare en deux la grande rue marchande où avait eu lieu en février un bref mouvement de protestation des commerçants contre les abus de la police. Contre le droit d’exercer leur commerce, ces vendeurs ont pour mission d’empêcher tout attroupement et de rapporter tout incident aux forces de l’ordre postées non loin de là. Ils gardent un œil sur les magasins et sur les passants – bien moins nombreux que d’habitude en ces jours tendus.

        Les différents services de sécurité, dirigés notamment par le frère et le cousin du président Bachar el-Assad, recrutent à tout va informateurs, indics et vigiles. Une aubaine pour les chômeurs et journaliers! S’inquiétant de ne pas voir revenir sur son chantier deux jeunes menuisiers, un architecte d’intérieur s’est vu expliquer par ses autres ouvriers qu’ils avaient été embauchés dans les «comités populaires» pour 10 000 livres syriennes (15 euros) par jour, soit plus du double de leur salaire habituel.

        Formés d’hommes armés de fusils ou de revolvers de gros calibre, ces «comités» se multiplient dans les quartiers depuis le début de la protestation. Sous prétexte de protéger les habitants contre les «malfaiteurs», ils interviennent en amont puis aux côtés des forces de sécurité pour réprimer les manifestants. La dissolution de ces comités est d’ailleurs devenue l’une des revendications des protestataires.

        La surveillance tous azimuts touche bien évidemment les lieux de rassemblement incontournables que sont les mosquées. Selon les habitués des prières du vendredi, près d’un fidèle sur trois est un moukhabarat. «On les repère facilement, affirme un pieux septuagénaire damascène. Surtout à la sortie, quand ils s’interposent entre nous et nous bousculent pour hâter notre dispersion. L’autre jour, je me suis emporté contre l’un d’entre eux qui m’empêchait de discuter avec mon voisin. Je lui ai dit: «Mon fils, je sais que c’est ton travail, mais tu vois bien que je n’ai ni l’âge ni les jambes de faire la révolution!»

        Autre occasion de rassemblement, les cortèges funéraires verraient leurs rangs grossir étrangement ces derniers temps, même quand il ne s’agit pas de l’enterrement d’un «martyr», comme on désigne ici les victimes de la répression. Réalité ou paranoïa? Les yeux, les oreilles et les armes braqués sur eux se révèlent particulièrement efficaces pour entretenir la peur chez les Damascènes. Mais cette omniprésence contribue aussi au ressentiment envers un régime qui doit acheter et armer une grande partie de sa population pour survivre.

        HALA KODMANI
        DAMAS
        LE TEMPS.CH
        "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence

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