A propos de la position algérienne sur la crise Libyenne
Préservation du système au détriment de la sécurité nationale.
Préservation du système au détriment de la sécurité nationale.
De nombreux patriotes s’inquiètent devant la position algérienne sur le dossier libyen. Exprime-t-elle une démarche cohérente de défense de nos intérêts nationaux? Ou cède-t-elle à d’autres intérêts, inavouables, qu’il faut débusquer derrière les camouflages et autres rideaux de fumée ?
Le ministre des Affaires étrangères malgré ses multiples interventions ne réussit ni à rassurer, ni à convaincre une opinion publique inquiète et désorientée par une position qui lui parait brouillée. Dans la presse, des articles se multiplient pour dire cette incompréhension. Les révélations sur des tensions antérieures avec le leader libyen ; les prises de positions de militaires en retraites, dans le cadre des débats du Centre de recherche stratégique et sécuritaire (Crss), et nombre d’autres avis s’accordent pour dire que la position algérienne est confuse et illisible ; ou, pour le moins, mal défendue. Mais ces inquiétudes portent-elles sur ce qu’il y a de réellement problématique dans cette position ? S’il y a mollesse et inconséquence de la part de la diplomatie algérienne est-ce dans la communication de la position arrêtée ?
Les réserves exprimées reflètent le profond malaise qui marque notre société. Elles illustrent le fossé qui sépare les gouvernés et les gouvernants ; elles n’amorcent pas pour autant le débat, vital, qui aurait dû s’enclencher au moment même du basculement de la situation libyenne, les 19-20 février 2011[i]. Un moment à partir duquel les pouvoirs publics algériens se devaient de prendre conscience du glissement de cette question du registre de la politique étrangère à celui de la sécurité nationale.
Ce glissement s’est opéré dès lors que le « fou de Tripoli » avait fait preuve de détermination à se maintenir au pouvoir. Cela s’est traduit par le déploiement d’une aviation de guerre et d’une artillerie lourde pour réprimer, dans le sang, une population désarmée qui n’a fait que manifester pacifiquement son désir de changement de régime. El Kadhafi montre ainsi qu’il ne recule devant rien pour rester au pouvoir, quel qu’en soit le prix pour les Libyens et la région. C’est à la tête d’une armée de mercenaires qu’il proclame sa volonté de dompter les Libyens « zenqa, zenqa ». À partir de là, la gravité et la nature de la question libyenne ne peuvent échapper à personne, et surtout pas à ceux qui sont en charge du sort de notre pays. Les conditions d’une crise majeure en Libye et dans la région sont réunies. Le pire des scénarios se déroule sous nos yeux, porteur de menaces et dangers.
Le choix génocidaire d’El Kadhafi met aux prises les tenants du pire. Ce choix jette les bases d’une escalade armée sanglante. Désormais, toutes les forces porteuses d’une issue politique à la crise se retrouvent soumises aux pressions des courants guerriers.
Au plan régional, l’aventurisme du Néron de Tripoli, ouvre à la mouvance du GSPC des perspectives d’extension et de renforcement de ses capacités d’action ; peut-être même, d’une potentielle jonction avec des segments de la société libyenne. Au plan international, il offre aux États-Unis d’Amérique, et aux puissances occidentales une opportunité de redéploiement dans cette partie du continent. C’est sans surprise que subversion islamiste et puissances impériales occidentales s’invitent dans la crise libyenne pour mettre en branle leurs plans respectifs.
Loin de ces évidences, le pouvoir algérien se montre insensible à la détresse des populations de Libye. Négligeant les risques majeurs qui pèsent sur la sécurité de l’Algérie, il se cramponne à une incompréhensible « approche diplomatique conforme à ses positions traditionnelles ». Les risques avérés d’extension du terrorisme islamiste. Les prétentions impériales d’un occident toujours aussi conquérant dans la réalisation de ses intérêts, l’effondrement d’un état avec lequel l’Algérie partage une frontière longue de plusieurs centaines de kilomètres, dont la majeure partie se trouve sur la bande sahélienne abritant, depuis quelques années, une nouvelle distribution du grand jeu… sont autant de facteurs majeurs qui n’ont en rien ébranlé les certitudes de notre diplomatie. Elle ne ressent aucun besoin de s’interroger et ne voit dans cette nouvelle situation aucune raison d’innover. Devant une situation totalement inédite elle dit reconduire ses positions traditionnelles, et affirme une fidélité sans faille à une orthodoxie diplomatique fossilisée à laquelle aucune évolution, aussi majeure soit-elle, ne peut insuffler un soupçon de vivacité.
Que les transitions Tunisienne et Égyptienne, nonobstant les évolutions qu’elles induisent sur la scène régionale, et l’importance de leurs impacts sur la scène politique nationale, soient perçues comme des questions de politique étrangère est à la limite recevable. Mais que l’évolution catastrophique de la crise libyenne soit traitée de la même façon défie toute rationalité. Cette dernière demande des prises de responsabilités courageuses et déterminées à même d’éviter l’apparition d’un point d’instabilité durable dans la région. La position algérienne est, de ce point de vue, loin des impératifs. Au final, elle ne contente que les acteurs étrangers à la région. Elle suscite inquiétude à l’intérieur du pays et animosité chez les acteurs libyens. Une position perdante sur les deux fronts Libyens, et qui coupe l’Algérie non seulement des protagonistes de la crise, mais surtout du peuple de Libye, lui-même. Il y a, donc, un réel besoin à interroger cette position et à en déterminer la finalité « vraie ».
La position du pouvoir algérien est remarquable par son décalage par rapport à la situation. Elle apparaît comme un mélange singulier des deux approches, opposées, qu’il est donné aux Algériens d’adopter. Ni souverainiste, ni interventionniste ; elle concocte un mix des deux. Exprimée à l’opinion nationale, elle est souverainiste. Explicitée à l’opinion internationale elle se révèle interventionniste.
À l’intérieur du pays, le discours de l’alliance islamo-nationaliste tente d’enfermer l’opinion publique dans une fausse problématique de conformité à « la ligne diplomatique traditionnelle ». Elle ressasse à satiété les immuables principes fondateurs de l’action diplomatique algérienne, sans les rapporter aux réalités concrètes de la crise présente : le respect des souverainetés, le principe de non-ingérence, celui de l’autodétermination des peuples, et de l’intangibilité des frontières héritées de la colonisation. L’impasse est faite sur les massacres de populations civiles, sur la responsabilité de la communauté internationale et ses outils de traitement de crises similaires. Tout est réduit au respect d’un État voisin et à la circulation d’armes récupérées par les groupes islamistes ou des contrebandiers.
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