Nous nous demandions hier, ici même, si le mouvement parti de Tunisie pour ensuite se répercuter dans quasiment toute la région, il est vrai avec des fortunes diverses, ne serait pas par hasard en train de s’essouffler.
Sans doute ne peut-il y avoir une seule réponse, et de catégorique, à cette question. D’autant que si une même cause immédiate a été à l’origine de toutes les protestations survenues dans la région, comme si celle-ci, et à l’insu de tous, constituait un ensemble politique d’un seul tenant, révélé justement à cette occasion, il n’en est pas moins vrai que cette impulsion s’est vite prolongée suivant les lignes de forces propres à chaque pays atteint par la secousse.
Une même onde de choc modulée par la nature du terrain qu’elle aborde, qui épouse les inflexions locales.
En Tunisie et en Egypte, elle a jeté bas des présidents en apparence tout-puissants, si longtemps en fonction qu’ils en étaient devenus comme les symboles vivants de leurs pays. Ne parlait-on pas de Moubarak comme d’un pharaon ? Et Ben Ali n’avait-il pas fini par être plus que le président de son pays, sa personnification, son incarnation autant dire, la Tunisie faite homme ? Ailleurs, comme au Yémen, elle a provoqué la cassure du régime, mais sans réussir, du moins jusque-là, à renverser le chef de l’Etat, pourtant au pouvoir depuis plus de trois décennies. Plus près de nous, en Libye, c’est par la division du pays en deux régions se faisant la guerre qu’elle s’est traduite.
Mais plus encore, par l’intervention militaire étrangère dont le premier effet a été de changer complètement la nature d’un mouvement de contestation au départ de même nature qu’en Tunisie. Ailleurs encore, comme en Algérie, le feu n’a tout simplement pas pris, pour des raisons bien entendu liées aux spécificités du sol. Mais c’est probablement en Syrie que cette espèce de mouvement d’ensemble joue sa partie la plus difficile, mais en même temps la plus décisive, en ce sens que l’issue finale de ce qu’on a appelé le printemps arabe pourrait bien en dépendre. Une Syrie qui réussit, non pas à se démocratiser, car cela n’arrive jamais en une seule fois, mais seulement à faire partir la famille régnante des Assad, et à passer à un multipartisme, même grevé d’insuffisances, ce qui du reste est le cas chez nous, ne serait pas sans effet notable sur tout le monde arabe, et peut-être même au-delà.
Car le régime syrien est le pire de tous. C’est la seule monarchie républicaine arabe où le pouvoir a été transmis directement du père au fils. Le seul pays arabe où le tawrirt a effectivement eu lieu. Encore qu’il soit vrai que d’autres pays s’apprêtaient à faire de même. Ce qui se serait sans doute produit partout si Mohamed Bouazizi n’avait pas allumé sur sa personne le feu de la révolte.
Mais supposons que le vent de révolte tombe, que le régime syrien résiste à la tempête (le cas libyen devant être dissocié des autres, en raison principalement de l’intervention de l’Otan), à quoi faudrait-il raisonnablement s’attendre ? Ce ne serait tout de même pas au rétablissement des régimes ébranlés dans l’ensemble de leurs caractéristiques antérieures. Même si l’on ne peut exclure cette possibilité dans le long terme, elle n’est sans doute pas envisageable dans l’immédiat. A cet égard, tout dépend des luttes démocratiques à venir, qui, quoiqu’inéluctables, sont néanmoins imprévisibles.
Dès la chute de Ben Ali, la véritable question qui se posait (et elle l’a été ici même), c’était de savoir sur quoi allait déboucher le mouvement démocratique : est-ce sur la démocratie, comme le réclamaient les masses populaires, est-ce à quelque chose d’autre, à une sorte de moyen terme entre le régime tel qu’il se présentait auparavant et la démocratie telle qu’on la voit dans les Etats réellement de droit ? Or, de ce moyen terme, il existe déjà un exemple concret, c’est le régime algérien.
De deux choses l’une en effet : ou bien la Tunisie, qui retardait en matière de libertés sur l’Algérie, mais jusqu’à un certain point sur le Maroc également, fait un bond qui la projette à l’avant-garde sous ce rapport, ou bien, incapable de mener aussi loin sa révolution, elle se contente de s’aligner sur son voisin le plus avancé démocratiquement parlant, même si en fait lui-même est loin de constituer un modèle irréprochable.
On peut voir aujourd’hui que cette alternative ne vaut pas que pour la Tunisie, mais pour tous les pays arabes secoués par la vague partie de Tunisie.
Par Mohamed Habili
Sans doute ne peut-il y avoir une seule réponse, et de catégorique, à cette question. D’autant que si une même cause immédiate a été à l’origine de toutes les protestations survenues dans la région, comme si celle-ci, et à l’insu de tous, constituait un ensemble politique d’un seul tenant, révélé justement à cette occasion, il n’en est pas moins vrai que cette impulsion s’est vite prolongée suivant les lignes de forces propres à chaque pays atteint par la secousse.
Une même onde de choc modulée par la nature du terrain qu’elle aborde, qui épouse les inflexions locales.
En Tunisie et en Egypte, elle a jeté bas des présidents en apparence tout-puissants, si longtemps en fonction qu’ils en étaient devenus comme les symboles vivants de leurs pays. Ne parlait-on pas de Moubarak comme d’un pharaon ? Et Ben Ali n’avait-il pas fini par être plus que le président de son pays, sa personnification, son incarnation autant dire, la Tunisie faite homme ? Ailleurs, comme au Yémen, elle a provoqué la cassure du régime, mais sans réussir, du moins jusque-là, à renverser le chef de l’Etat, pourtant au pouvoir depuis plus de trois décennies. Plus près de nous, en Libye, c’est par la division du pays en deux régions se faisant la guerre qu’elle s’est traduite.
Mais plus encore, par l’intervention militaire étrangère dont le premier effet a été de changer complètement la nature d’un mouvement de contestation au départ de même nature qu’en Tunisie. Ailleurs encore, comme en Algérie, le feu n’a tout simplement pas pris, pour des raisons bien entendu liées aux spécificités du sol. Mais c’est probablement en Syrie que cette espèce de mouvement d’ensemble joue sa partie la plus difficile, mais en même temps la plus décisive, en ce sens que l’issue finale de ce qu’on a appelé le printemps arabe pourrait bien en dépendre. Une Syrie qui réussit, non pas à se démocratiser, car cela n’arrive jamais en une seule fois, mais seulement à faire partir la famille régnante des Assad, et à passer à un multipartisme, même grevé d’insuffisances, ce qui du reste est le cas chez nous, ne serait pas sans effet notable sur tout le monde arabe, et peut-être même au-delà.
Car le régime syrien est le pire de tous. C’est la seule monarchie républicaine arabe où le pouvoir a été transmis directement du père au fils. Le seul pays arabe où le tawrirt a effectivement eu lieu. Encore qu’il soit vrai que d’autres pays s’apprêtaient à faire de même. Ce qui se serait sans doute produit partout si Mohamed Bouazizi n’avait pas allumé sur sa personne le feu de la révolte.
Mais supposons que le vent de révolte tombe, que le régime syrien résiste à la tempête (le cas libyen devant être dissocié des autres, en raison principalement de l’intervention de l’Otan), à quoi faudrait-il raisonnablement s’attendre ? Ce ne serait tout de même pas au rétablissement des régimes ébranlés dans l’ensemble de leurs caractéristiques antérieures. Même si l’on ne peut exclure cette possibilité dans le long terme, elle n’est sans doute pas envisageable dans l’immédiat. A cet égard, tout dépend des luttes démocratiques à venir, qui, quoiqu’inéluctables, sont néanmoins imprévisibles.
Dès la chute de Ben Ali, la véritable question qui se posait (et elle l’a été ici même), c’était de savoir sur quoi allait déboucher le mouvement démocratique : est-ce sur la démocratie, comme le réclamaient les masses populaires, est-ce à quelque chose d’autre, à une sorte de moyen terme entre le régime tel qu’il se présentait auparavant et la démocratie telle qu’on la voit dans les Etats réellement de droit ? Or, de ce moyen terme, il existe déjà un exemple concret, c’est le régime algérien.
De deux choses l’une en effet : ou bien la Tunisie, qui retardait en matière de libertés sur l’Algérie, mais jusqu’à un certain point sur le Maroc également, fait un bond qui la projette à l’avant-garde sous ce rapport, ou bien, incapable de mener aussi loin sa révolution, elle se contente de s’aligner sur son voisin le plus avancé démocratiquement parlant, même si en fait lui-même est loin de constituer un modèle irréprochable.
On peut voir aujourd’hui que cette alternative ne vaut pas que pour la Tunisie, mais pour tous les pays arabes secoués par la vague partie de Tunisie.
Par Mohamed Habili
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