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Maroc : Youcef Jajili. Rédacteur en chef du journal Awel

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  • Maroc : Youcef Jajili. Rédacteur en chef du journal Awel

    Dans sa chronique quotidienne «Chouf Tchouf», Rachid Nini adopte un ton critique et satirique pour dénoncer le milieu des affaires et les services qui gravitent autour du makhzen et même qui y occupent une bonne place. Arrêté le 28 avril, malgré le tollé provoqué par son incarcération, le journaliste est maintenu en détention.
    Le rédacteur en chef d’un des hebdomadaires appartenant au groupe El Massae Media nous livre, dans cet entretien, son sentiment que l’arrestation de Nini vise à entraver le cours des réformes politiques engagées par son pays, le Maroc.




    - Rachid Nini n’en est pas à sa première affaire avec la justice…

    Bien sûr. Il y a déjà eu des procès intentés contre notre journal. Notre ligne éditoriale a pour objectif de démasquer les corrompus et les corrupteurs et de dénoncer la dilapidation des biens publics. El Massae est un journal indépendant, critique et professionnel. Sa voix a commencé à déranger lorsque nous avons atteint des niveaux de tirage importants, les plus importants que connaît le pays. Nous avons même atteint une fois les 200 000 exemplaires, ce qui est très important compte tenu du nombre limité du lectorat au Maroc. Les intimidations sont devenues légion contre Nini.
    Il a même été poignardé une fois et on lui a subtilisé son téléphone et son micro portable, il y a deux ans. El Massae s’est imposé comme le journal le plus controversé au Maroc parce qu’il analyse la situation en usant d’un style qui lui est propre et force les portes fermées. Rachid Nini, son directeur de publication, a une chronique quotidienne très appréciée par les lecteurs pour son ton satirique et critique. Ces facteurs font qu’il y a de nombreuses parties qui veulent la chute du journal El Massa, qui représente la voix de la presse libre.

    - Quelles sont ces parties ?

    Des parties qui n’ont pas intérêt à ce que les réformes aboutissent au Maroc. Le roi, dans son discours du 9 mars, avait semé l’espoir de voir une réelle et effective entrée du Maroc dans une nouvelle ère. Ces réformes politiques et constitutionnelles doivent déterminer et définir les responsabilités et les pouvoirs de chacun et notamment avoir une justice indépendante du pouvoir exécutif. Mais il se trouve qu’il existe des parties qui ne veulent pas de cette voie de la démocratie.
    Je ne peux vous dire exactement qui sont ces parties, ce que nous savons, c’est qu’elles sont nombreuses et représentent des hommes d’affaires et des responsables au niveau du pouvoir. Il existe des lobbys qui veulent entraver le cours des réformes. Pour nous, l’arrestation de Nini dans la conjoncture actuelle, après le discours du roi, est une atteinte et un coup asséné à ce projet de réforme pour un nouveau Maroc. La liberté d’expression étant le premier garant d’une réelle ouverture, on ne peut pas emprisonner des journalistes et prétendre faire des réformes.

    - Nini a été arrêté le jour même de l’attentat de Marrakech. Peut-il y avoir un lien entre les deux affaires ? On dit que Nini avait critiqué, dans ses articles incriminés, la gestion sécuritaire…

    Je ne veux pas lier les deux événements. L’acte terroriste de Marrakech est un crime qui a endeuillé et attristé tous les Marocains. Je ne veux pas entrer dans ce genre de lecture, ce qui m’importe c’est que le procès de Rachid est un procès politique et n’est nullement une simple affaire de justice. Rachid Nini est jugé par le code pénal, alors qu’au Maroc il existe un code de la presse qui est plus à même de juger des écrits journalistiques. Quel rôle peut avoir ce code de la presse si les journalistes sont poursuivis pénalement comme tout criminel ou délinquant ? Nous considérons cela comme de l’abus de pouvoir. Nous rejetons même l’idée d’emprisonner un journaliste, alors que dire lorsqu’elle devient effective.

    - Que reproche-t-on à Nini ?

    Il y a deux accusations principales dans cette affaire. Il est accusé de «mépriser des décisions de justice» et de «dénonciation de crimes qui n’ont pas eu lieu». Des accusations qui n’ont pas de sens. Deux agents de la police judiciaire sont venus au siège arrêter Nini, c’était le jour même de l’attentat de Marrakech. Alors qu’il était en plein interrogatoire, le procureur général a lancé un communiqué annonçant l’interdiction de quitter le territoire pour Nini. Le procureur justifie cette décision par des accusations très lourdes, dont celle consistant à dire que ses idées incitent à l’atteinte à la sûreté de l’Etat et des citoyens. Ce qui est une accusation qui peut mener à un emprisonnement certain avec une peine très lourde. Pis encore, dans le même communiqué, on insinue que le journaliste fait l’apologie du terrorisme.
    C’est très grave. Nous avons toujours dénoncé tout acte de violence et de terrorisme, dire que Nini fait l’apologue au terrorisme est un non-sens. Plus encore, l’interrogatoire a été accès sur cette question d’incitation au terrorisme. Nous estimons que ce sont des questions étranges et insultantes. Il est clair qu’il y a une volonté de maintenir Nini en prison encore longtemps.

    - Comment voyez-vous la suite de cette affaire ?

    Rachid Nini est poursuivi pour avoir écrit 9 chroniques et non pour avoir volé 9 milliards. Il doit donc être jugé selon ce que prévoit le code de la presse et non pas le code pénal. Ce qui est sûr, c’est que nous allons continuer à écrire à El Massae Media, en faisant comme Nini, en dénonçant la corruption et les lobbys qui sont derrière la dilapidation des biens publics.
    L’incarcération de Nini ne nous fera pas reculer ou revoir notre ligne éditoriale. Nous espérons que les sages interviendront pour régler cette affaire, que nous considérons comme un incident de parcours sur le chemin de la réforme politique et constitutionnelle.
    Ce grand débat ouvert depuis le discours du roi, le 9 mars dernier, ne peut évoluer avec de tels incidents. Ce qui est malheureusement patent, c’est que ses détracteurs semblent déterminés à aller jusqu’au bout de leur mauvais desseins. Le refus de la liberté provisoire à deux reprises en est un signe.
    Nous demandons réellement que les sages interviennent. Nous exigeons que Nini soit jugé par le code de la presse.
    Nini n’est pas un criminel. Notre interrogation est de savoir s’il est dans l’intérêt de qui que ce soit que les réformes politiques s’arrêtent. Si nous sommes convaincus qu’il y a une réelle volonté du roi d’aller loin dans ces réformes, nous constatons aussi que cela dérange, semble-t-il, des lobbys.
    Ce qui nous conforte, c’est la grande campagne de soutien qui se manifeste quotidiennement à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Personne ne peut nous faire taire. On ne peut engager des réformes et emprisonner un journaliste. Nous constatons qu’il y a des gens qui veulent nous faire revenir en arrière. Et nous ne l’accepterons pas.
    Nadjia Bouzeghrane

    El Watan
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