Mardi 10 mai 2011 se tenait à Riyad le 13ème sommet consultatif des leaders du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). A l'issue de ce sommet, l'éventualité d'une extension de cette organisation au Maroc et à la Jordanie était annoncée.
L'effet de surprise a été général dans le monde arabe et ailleurs. Pourquoi le CCG, organisation régionale regroupant six monarchies arabes sunnites productrices d'hydrocarbures (le Bahreïn, l'Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Koweït et Oman), s'adjoindrait-il deux pays dénués de ressources naturelles importantes, exportatrices de main-d'œuvre de surcroît ?
Les interprétations politiques et géostratégiques de cette décision sont nombreuses. Mais c'est à la lumière d'un autre événement, la possible reconnaissance d'un État palestinien par l'ONU, que cette union, si elle se concrétisait, pourrait acquérir une portée sans précédent.
Les révolutions arabes ont éprouvé la stabilité politique de l'ensemble des pays de la région, mais le Bahreïn a vu son régime menacé à l'issue de sa brutale répression de la contestation populaire. Le cas de ce petit royaume, gouverné par une dynastie sunnite mais abritant une population majoritairement chiite, illustre la crainte majeure des régimes du GCC, celle d'une menace chiite "de l'intérieur", manipulée par l'Iran voisin mais aussi reliée à un "arc chiite", supposé courir de l'Iran à l'est, à Gaza (le Hamas est récipiendaire de l'aide iranienne) à l'ouest, en passant par les régions d'implantation chiite de l'est de l'Arabie saoudite, du Koweït et du Bahreïn, par l'Irak (un gouvernement en majorité chiite), la Syrie (alliée politique de l'Iran) et le Liban du Hezbollah.
Au-delà de la nécessité, évoquée par les commentateurs, de constituer un front commun de monarchies conservatrices face a ux dangers des révoltes populaires pro-démocratiques dans la région, l'incorporation de la Jordanie et du Maroc au sein du GCC pourrait constituer une stratégie tant géopolitique que démographique, en réponse à cette crainte de l'expansionnisme iranien. En effet, l'extension du CCG au Maroc donne au Conseil une profondeur stratégique nouvelle, qui lui permet de s'étendre jusqu'aux rivages de l'Atlantique tout en brisant le fameux "arc chiite" supposé enserrer cette région.
Également, les pays du CCG gagneraient un renfort démographique à l'accueil de la Jordanie et du Maroc au sein du CCG. Face au poids démographique chiite (l'Iran seule abritait plus de 73 millions d'habitants en 2009), les pays membres du Conseil ne comptent pas plus de 40 millions d'individus. Si la Jordanie reste de taille modeste, le Maroc comptait 31,5 millions de citoyens mi-2009. Un CCG étendu pourrait donc rivaliser démographiquement avec le géant iranien, mais aussi "diluer" sa composante chiite dans un ensemble sunnite plus étoffé.
Pour le Maroc et la Jordanie, au-delà des craintes de l'influence des conservatismes sociaux et politiques des monarchies du Golfe, les avantages économiques d'un tel accord seraient nombreux : l'accès aux hydrocarbures à bas prix, la libre circulation des marchandises et des capitaux mais aussi et surtout des travailleurs.
Mais l'éventuelle extension du CCG à la Jordanie présenterait une opportunité inattendue : celle d'une possible sortie de la crise née de l'impossibilité de concrétiser le droit au retour des réfugiés palestiniens dans les territoires désormais israéliens. La décision des dirigeants palestiniens d'obtenir du Conseil de Sécurité des Nations-Unies en septembre prochain la reconnaissance de leur État, sur le territoire contrôlé actuellement par l'Autorité palestinienne, consacre la construction d'une citoyenneté palestinienne sur une base politique et non territoriale, une citoyenneté de nature "transnationale".
En Jordanie, le ratio entre "Transjordaniens" et Jordaniens de souche palestinienne alimente une instabilité politique récurrente. Son insertion dans le CCG permettrait donc au Royaume de surmonter cette menace démographique, en intégrant les Jordaniens d'origine palestinienne au sein d'une entité démographique, géographique et économique plus vaste.
Également, la Jordanie cesserait d'être un "État-tampon" entre Israël et les pays producteurs de pétrole et verrait ainsi son existence sécurisée par son appartenance au CCG. Et plus extraordinaire, Israël serait donc ainsi de fait partie-prenante dans la sécurité du nouvel ensemble géopolitique. Enfin, l'accès des citoyens palestiniens "transnationaux" des autres pays d'accueil, Liban par exemple, au nouveau CCG élargirait l'horizon des opportunités offertes à ces bénéficiaires de droits sociaux, mais non politiques, dans leurs pays d'accueil.
Les révolutions arabes bouleversent les équilibres géopolitiques anciens. Si ce projet se concrétise, il pourrait consacrer l'émergence des Arabes sur la scène politique mondiale.
Françoise De Bel-Air, sociologue et Khairi Janbek, Historien
Le Monde
L'effet de surprise a été général dans le monde arabe et ailleurs. Pourquoi le CCG, organisation régionale regroupant six monarchies arabes sunnites productrices d'hydrocarbures (le Bahreïn, l'Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis, le Koweït et Oman), s'adjoindrait-il deux pays dénués de ressources naturelles importantes, exportatrices de main-d'œuvre de surcroît ?
Les interprétations politiques et géostratégiques de cette décision sont nombreuses. Mais c'est à la lumière d'un autre événement, la possible reconnaissance d'un État palestinien par l'ONU, que cette union, si elle se concrétisait, pourrait acquérir une portée sans précédent.
Les révolutions arabes ont éprouvé la stabilité politique de l'ensemble des pays de la région, mais le Bahreïn a vu son régime menacé à l'issue de sa brutale répression de la contestation populaire. Le cas de ce petit royaume, gouverné par une dynastie sunnite mais abritant une population majoritairement chiite, illustre la crainte majeure des régimes du GCC, celle d'une menace chiite "de l'intérieur", manipulée par l'Iran voisin mais aussi reliée à un "arc chiite", supposé courir de l'Iran à l'est, à Gaza (le Hamas est récipiendaire de l'aide iranienne) à l'ouest, en passant par les régions d'implantation chiite de l'est de l'Arabie saoudite, du Koweït et du Bahreïn, par l'Irak (un gouvernement en majorité chiite), la Syrie (alliée politique de l'Iran) et le Liban du Hezbollah.
Au-delà de la nécessité, évoquée par les commentateurs, de constituer un front commun de monarchies conservatrices face a ux dangers des révoltes populaires pro-démocratiques dans la région, l'incorporation de la Jordanie et du Maroc au sein du GCC pourrait constituer une stratégie tant géopolitique que démographique, en réponse à cette crainte de l'expansionnisme iranien. En effet, l'extension du CCG au Maroc donne au Conseil une profondeur stratégique nouvelle, qui lui permet de s'étendre jusqu'aux rivages de l'Atlantique tout en brisant le fameux "arc chiite" supposé enserrer cette région.
Également, les pays du CCG gagneraient un renfort démographique à l'accueil de la Jordanie et du Maroc au sein du CCG. Face au poids démographique chiite (l'Iran seule abritait plus de 73 millions d'habitants en 2009), les pays membres du Conseil ne comptent pas plus de 40 millions d'individus. Si la Jordanie reste de taille modeste, le Maroc comptait 31,5 millions de citoyens mi-2009. Un CCG étendu pourrait donc rivaliser démographiquement avec le géant iranien, mais aussi "diluer" sa composante chiite dans un ensemble sunnite plus étoffé.
Pour le Maroc et la Jordanie, au-delà des craintes de l'influence des conservatismes sociaux et politiques des monarchies du Golfe, les avantages économiques d'un tel accord seraient nombreux : l'accès aux hydrocarbures à bas prix, la libre circulation des marchandises et des capitaux mais aussi et surtout des travailleurs.
Mais l'éventuelle extension du CCG à la Jordanie présenterait une opportunité inattendue : celle d'une possible sortie de la crise née de l'impossibilité de concrétiser le droit au retour des réfugiés palestiniens dans les territoires désormais israéliens. La décision des dirigeants palestiniens d'obtenir du Conseil de Sécurité des Nations-Unies en septembre prochain la reconnaissance de leur État, sur le territoire contrôlé actuellement par l'Autorité palestinienne, consacre la construction d'une citoyenneté palestinienne sur une base politique et non territoriale, une citoyenneté de nature "transnationale".
En Jordanie, le ratio entre "Transjordaniens" et Jordaniens de souche palestinienne alimente une instabilité politique récurrente. Son insertion dans le CCG permettrait donc au Royaume de surmonter cette menace démographique, en intégrant les Jordaniens d'origine palestinienne au sein d'une entité démographique, géographique et économique plus vaste.
Également, la Jordanie cesserait d'être un "État-tampon" entre Israël et les pays producteurs de pétrole et verrait ainsi son existence sécurisée par son appartenance au CCG. Et plus extraordinaire, Israël serait donc ainsi de fait partie-prenante dans la sécurité du nouvel ensemble géopolitique. Enfin, l'accès des citoyens palestiniens "transnationaux" des autres pays d'accueil, Liban par exemple, au nouveau CCG élargirait l'horizon des opportunités offertes à ces bénéficiaires de droits sociaux, mais non politiques, dans leurs pays d'accueil.
Les révolutions arabes bouleversent les équilibres géopolitiques anciens. Si ce projet se concrétise, il pourrait consacrer l'émergence des Arabes sur la scène politique mondiale.
Françoise De Bel-Air, sociologue et Khairi Janbek, Historien
Le Monde
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