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L’Egypte sous le contre-coup de la révolution

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  • L’Egypte sous le contre-coup de la révolution

    Trois mois après la chute de Moubarak, le pays s’est enfoncé dans un marasme économique et sécuritaire qui brise l’élan impulsé place Tahrir.

    Trois doigts. Brandis dans un geste furieux, dans l’exaspérant vacarme des klaxons. Trois doigts. Comme 3 heures du matin, l’heure à laquelle Amr a embauché derrière le volant de son taxi. Jusqu’à 8 heures, il a roulé, puis entamé sa vacation à l’aéroport du Caire, où il travaille. Et à 17 heures, il a repris son taxi. La nuit est avancée, Amr fatigué. Et les soirs où ses courses le ramènent vers Tahrir, quand il voit des groupes rassemblés autour de banderoles appelant les militaires au pouvoir à garantir les idéaux de la révolution, la fin des tribunaux militaires, l’épuration des médias, la traque des anciens du régime, Amr, on le dirait, a envie de pleurer. «Qu’ils arrêtent ce kelem fadi, ces paroles creuses. Y a plus de pain, plus d’argent. Comment on va faire si ça ne s’arrête pas un jour ?» Double job, double peine : depuis la révolution, Amr ne dort plus. L’été approche, ramadan en août et son cortège de dépenses, puis la rentrée, les cours particuliers, cette plaie inévitable, à payer pour les gosses scolarisés dans le public, et cette économie qui dévisse, ces incivilités, ces embouteillages insensés, cette insécurité, inconnue avant, ces vols dont on parle, forcément, avec toute cette racaille «évadée» des prisons pendant la révolution, et tous ces types qui se mettent sur la figure, régulièrement, dans la rue, pour un oui, pour un non, et pas ou si peu de flics pour ramener le calme. Amr n’en peut plus. La breloque en carton aux couleurs de la révolution qui devait pendre naguère au rétroviseur de son taxi a atterri par terre, froissée et déchirée par les pieds des clients.

    Hôtels vides.
    Voilà plus de trois mois qu’Hosni Moubarak est parti, que le système sécuritaire - symbole de la répression - a implosé, que l’économie va mal. La gueule de bois, terrible, a remplacé l’ivresse. «On a écrit avec notre sang dans toutes les rues/ et on a cassé toutes les barrières/ la liberté est devant nous/depuis si longtemps qu’on l’a attendue/ dans toutes les rues de mon pays/ la voix de la liberté retentit.» Quand passe à la radio Sawt el Horreya, un des hymnes de la révolution, Marwa Hosni aimerait encore y croire. Agée de 27 ans, comptable, elle est descendue sur Tahrir. Désormais, c’est fini. Dans sa boîte, les patrons ont commencé à licencier. Pour l’instant, des plantons, petits salaires, mais trop nombreux. Tel autre, propriétaire d’un restaurant, se demande comment il va continuer à garder ses 20 employés.

    Marwa a fait siennes les préoccupations du cyberactiviste Wael Ghonim, l’une des figures phares de la révolution, aujourd’hui détesté du noyau dur révolutionnaire qui lui reproche ses appels à cesser la surenchère des revendications politiques. L’urgence, dit-il, est à l’économie. Le taux de croissance florissant - presque 6% avant la colère de Tahrir - a chuté à 1%. Les hôtels sont vides : 90% de touristes en moins au Caire.

    «Salafistes».
    «D’ici aux législatives [fin septembre, ndlr], tout est bloqué. Les investisseurs ont peur. Personne ne met une piastre dans le moindre projet.» L’homme qui parle est cadre commercial dans une multinationale de l’agroalimentaire. Il ne veut pas parler à la presse, «on va me reprocher d’être trop pessimiste, de ne pas être patriote». Il est loin d’être le seul. Par-dessus la table, un couple se jette un regard furtif. Leurs passeports ont été refaits. Leurs biens mis pour partie à l’étranger. S’il faut partir, ils partiront. «C’est normal que certains y pensent, n’est-ce pas, vous comprenez», plaident-ils. Ils sont sexagénaires et catholiques, la minorité de la minorité copte, majoritairement orthodoxes, qui représente environ 10% de la population. Avant, seuls les Frères musulmans les inquiétaient. Leur peur tient en un mot, «salafiste», découvert, ces derniers mois. Sous ce vocable, ils mettent tous les extrémistes, y compris ces anciens des mouvements terroristes tels que la Jamaa al-Islamiya, qui vient d’annoncer la création de son propre parti.
    Cet islam radical qui a désormais pignon sur rue, s’incarne dans le visage, barbu, des cousins Tarek et Aboud el-Zommor, entôlés pendant presque trente ans, longtemps après avoir purgé leur peine, pour leur participation à l’assassinat d’Anouar el-Sadate. Ils ont été libérés à la faveur de la révolution. Ce sont eux, ces «salafistes» dont la presse et la vox populi dénoncent l’implication dans tous les affrontements interconfessionnels de ces derniers mois qui n’ont jamais été aussi fréquents et meurtriers, s’étendant des provinces au Caire. Ainsi, le 9 mars, 13 personnes ont été tuées au pied de la butte du Moqqatam.

    Début mai, dans le quartier populaire d’Imbaba, ce sont encore les salafistes qui auraient été à la manœuvre dans les émeutes ayant fait des bords du Nil un décor d’apocalypse. Deux églises en feu, au moins 15 morts, des dizaines de blessés. Sous le regard de l’armée, quasi-paralysée par son incapacité à gérer la rue. Certains témoins ont mis en doute l’implication des salafistes, rappelant que la majorité d’entre eux sont quiétistes, uniquement préoccupés par leur salut.
    Ils voient là des manipulations de la contre-révolution, de membres de l’ancien régime qui cherchent à sauver les meubles, à revenir en force en semant le chaos, en provoquant la terreur afin de reprendre le pouvoir. Peu importe que parmi ces islamistes aux divers visages, certains, notamment les jeunes Frères musulmans, se fassent les hérauts de la démocratie. Beaucoup d’Egyptiens, effrayés, ne font plus le tri. Ils le constatent : l’aile dure de la confrérie qui, à l’issue de la révolution, a gagné le droit d’être considérée comme un acteur politique à part entière, se met à flirter avec les revendications populistes de groupes salafistes.

    «L’uTOPIE».
    Au milieu de la place Falaki, à quelques encablures de Tahrir, des graffeurs ont bombé le visage d’un martyr de la révolution. Devant, un tas de papiers gras. Les Egyptiens fourmis industrieuses, qui avaient empoigné leurs balais pour nettoyer Tahrir et l’Egypte de l’ordure, se réappropriant ainsi l’espace public dans leur quête de citoyenneté, semblent avoir disparu, écrasés par le poids du quotidien. L’opposition voit se profiler les législatives avec inquiétude, bien consciente que le temps est court pour battre les provinces à la conquête d’un électorat qu’il faut éduquer au jeu démocratique. Pas une tête n’émerge pour incarner cette Egypte révolutionnaire, divisée entre ceux, conciliants avec l’armée qu’ils ne veulent pas pousser à bout, et les jusqu’au-boutistes, gardiens du souffle révolutionnaire aujourd’hui hoquetant.

    A en croire un sondage, 95% des Egyptiens, pourtant, gardent une vision positive de la révolution. Une écrasante majorité, encore, se tient aux côtés de l’armée, qu’elle dit, comme Mohammed, étudiant rencontré au centre culturel français, «garante des intérêts de la nation». L’annonce du procès d’Hosni Moubarak - tellement réclamé par les révolutionnaires - a été perçue comme un geste de bonne volonté du pouvoir militaire, soupçonné d’avoir cherché à préserver son ancien chef. «Il y a tant d’années, j’avais rêvé cette révolution, se souvient l’écrivain Mohammed Osman. Aujourd’hui, j’ai vécu mon rêve deux fois, en l’écrivant, puis en le vivant sur Tahrir. Comment oublier que j’y ai vu l’utopie devenir réalité ?» Quand Amr, dans son taxi, voudrait lui simplement pouvoir dormir.

    Libération
    Claude Guibal

  • #2
    Avec les salafistes ça va etre L'EGYPTANISTAN...

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