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Les Alaouites pris en otage par le régime syrien

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  • Les Alaouites pris en otage par le régime syrien

    Soyons clair : le régime syrien n’a jamais été alaouite. Il était jadis baathiste. Il est aujourd’hui mafieux. Il est en effet dirigé, non pas par une communauté, mais par une "famille", les Al Assad.

    Pour servir ses intérêts de pouvoir, celle-ci a recruté et réuni autour d’elle des associés dans l’ensemble des communautés religieuses et ethniques coexistant en Syrie. Elle leur a fait miroiter un rôle de partenaires, mais, dépourvus de la moindre autorité et d’emprise sur la décision, ils ne sont guère plus que des faire-valoir et des cautions.
    Issue d’une branche sans importance de la communauté alaouite, la famille Al Assad s’est naturellement entourée en priorité, pour assurer sa protection, de membres de son clan puis de sa communauté, en application du vieux dicton "moi contre mon frère, moi et mon frère contre notre cousin, moi, mon frère et notre cousin contre nos voisins, etc…". Si les sunnites et les chrétiens, d’autant mieux accueillis qu’ils disposaient de capitaux et étaient disposés à jouer les comparses pour sauvegarder l’essentiel, sont relativement nombreux parmi les hommes d’affaires constitués en holdings autour de la famille présidentielle, ce sont les alaouites qui dominent outrageusement au sein des appareils militaires et sécuritaires, dont la mission quasi exclusive est devenue avec le temps la défense du clan au pouvoir.

    Depuis le début de « l’intifada » en Syrie, le 15 mars 2011, des alaouites ont participé au côté des autres communautés au mouvement de revendication et de protestation. A Homs, en particulier, où ils sont bien implantés, les partisans de Salah Jadid et ceux de Mohammed Omran ont pris une part active à la contestation. C’est un alaouite qui a détruit, le 25 mars, l’effigie de Hafez Al Assad et de Bachar Al Assad surplombant l’entrée du Club des Officiers de la ville.
    Pour assurer sa survie au détriment du peuple syrien, lorsque celui-ci a refusé de continuer à plier le cou et a commencé à donner de la voix pour réclamer les libertés qui lui avaient été depuis des décennies confisquées, le régime de Bachar Al Assad a fait appel en priorité aux services de renseignements et aux unités de l’armée dans lesquelles les membres de la communauté alaouite étaient majoritaires. Il a ensuite engagé, dans les villes de la côte et dans certaines grandes villes de l’intérieur, d’autres alaouites, les chabbiha, agents zélés et sans morale des entreprises illégales de la famille au pouvoir.
    Les Syriens soumis depuis plus de deux mois aux exactions et aux atrocités de ces hommes ne peuvent s’empêcher de constater, même s’ils ne le disent pas, que ceux qui les répriment, qui les arrêtent, qui les torturent et qui les tuent sont en majorité "des alaouites". Ils savent que, ce faisant, soldats, moukhabarat et chabbiha exécutent les ordres de leurs chefs, Maher Al Assad, Hafez Makhlouf, Atef Najib et bien d’autres. Mais, alors qu’eux-mêmes crient en défilant "Al chaab al souri wahed, wahed, wahed, wahed" (le peuple syrien est un, un, un et un) ils s’inquiètent de voir dans l’acharnement et la sauvagerie de leur comportement une haine des autres communautés en général, et de la communauté sunnite majoritaire en particulier, qu’ils semblent vouloir anéantir par tous les moyens.
    Des cas de défection ont été signalés au sein des unités d’élite, comme la Garde Républicaine, les Forces Spéciales et la 4ème division. Des témoignages ont été recueillis qui confirment que, bravant les risques auxquels ils s’exposent, certains Alaouites ont préféré jeter les armes et chercher refuge là où ils le pouvaient plutôt que tirer sur leurs compatriotes. Les Syriens leur en savent gré. Mais ils attendent aujourd’hui davantage de la part des responsables civils et religieux de la communauté. Ils souhaitent que ceux-ci disent clairement que les Alaouites sont du côté du peuple et de la liberté, non avec le régime et l’oppression.
    Le 28 février, trois semaines avant que le soulèvement de la ville de Daraa donne une impulsion irrépressible à la contestation, un communiqué signé de cheikhs de tribus alaouites avait été publié sur le site de l’opposant alaouite Wahid Saqr. Il dénonçait les tentatives du régime en place de diviser et de dresser les unes contre les autres les différentes composantes ethniques, religieuses et communautaires de la société syrienne. Il se lisait ainsi :

    « Nous, représentants des tribus soussignées, nous dénonçons les relations qui nous sont à tort attribuées avec les présidences de Hafez Al Assad et de son héritier. L’un et l’autre se sont efforcés de faire croire aux autres communautés que les tribus alaouites se tenaient derrière eux et appuyaient leur régime corrompu. Tout le monde sait que ce régime cherche à accréditer l’idée qu’il représente tous les alaouites, en mettant en avant les positions octroyées à quelques officiers et chefs politiques de notre communauté, promus à des postes de haute responsabilité dans le pays.
    Nous affirmons que les tribus que nous représentons n’ont rien à voir à cette situation. Nous, chefs de ces tribus, nous n’avons pas d’autre fonction qu’administrative et religieuse, et nous n’intervenons jamais dans les questions politiques. Nous ne nous estimons pas "représentés" par des officiers corrompus et hors-la-loi, même appartenant à nos tribus. Ceux qui participent au pouvoir le font à titre personnel, sans avoir notre accord et notre bénédiction. Nous n’avons rien à voir non plus avec les membres de nos tribus qui, à des postes militaires, sécuritaires ou dirigeants, nuisent aux Syriens de toutes communautés, de toutes religions et de toutes origines.
    Comme nos ancêtres avant nous, nous appuyons depuis toujours l’unité de la nation syrienne… En tant que tribus et en tant que cheikhs de la communauté alaouite, nous nous considérons comme des musulmans à part entière et nous n’entretenons aucun différend avec nos frères en islam…
    Dans ce communiqué commun, nous affirmons avec insistance que nous n’avons rien à voir avec les agissements qui nous sont ou qui pourraient nous être attribués.
    Nous affirmons que nos intentions sont pures. Et nous nous en tenons à nos engagements ».

    Au cours des deux mois écoulés, plus d’un millier de Syriens ont été victimes d’une répression d’une cruauté sans nom, à laquelle, que cela plaise ou non, les officiers, militaires, agents des services de renseignements et voyous issus de la communauté alaouite, se conformant aveuglément aux ordres du régime, ont pris une part prépondérante. Ils ont ainsi gravement porté atteinte à l’honneur de leurs tribus. Il apparaît urgent que les signataires de ce communiqué, cheikhs des Numaïtila, Haddadin, Kalbiyeh et Haydariyeh, mais également l’ensemble des responsables et des membres de la communauté, confirment ce qu’ils disaient alors. Il en va de l’intérêt et de l’avenir des alaouites dans leur ensemble. Car, lorsque le régime de Bachar Al Assad aura disparu, emporté par la soif de liberté et de dignité des Syriens, les alaouites continueront de cohabiter avec ceux, parfois leurs voisins, leurs amis et leurs parents par alliance, qui ont subi les violences et les humiliations dont les images ont fait le tour du monde. Pour ne pas être considérés comme les complices des tortionnaires et des bourreaux, dans une période postrévolutionnaire qui risque de se révéler compliquée, les alaouites pris en otages par le régime syrien doivent tout faire pour se libérer et prendre leurs distances. Il leur faut au plus vite sortir de leur silence et, en dépit des risques qu’une telle dénonciation induit pour eux, se désolidariser de leurs agissements et les appeler à abandonner un régime privé de légitimité pour rejoindre le peuple.

    Par Ignace Leverrier, ancien diplomate
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