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Passepoprt lakhdar

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  • Passepoprt lakhdar

    Né en 1927 dans la tribu d'Ouled Manguer, dans la région d'Ahfir, Cheikh Younsi fréquente l'école coranique de son village et se lance dès son jeune âge dans la chanson bédouine où il va briller par ses talents d'interprète et de poète, écrivant lui même les quacidas (paroles) de ses chansons. Exerçant son art entre le Maroc et l'Algérie, Cheikh Younsi aurait émigré en France dès 1956, puis une deuxième fois en 1960, avant de retourner s'installer définitivement à Berkane, rappelle le CCME notant que les années d'exil en France vont influencer tout le parcours artistique futur de Cheikh Mohamed Younsi.
    En découvrant les conditions de vie des travailleurs immigrés et leur solitude, Cheikh Younsi va faire de l'immigration l'un des principaux thèmes de ses chansons. En 1965, il enregistre la fameuse chanson du "Passeport lakhdar" devenue l'emblème et le symbole des vicissitudes et tourments de l'immigration. Cette chanson, qui a connu un succès énorme, a été reprise par de nombreux artistes marocains et algériens comme Ahmed Liou, Abdellah Magana, Cheikh, Mohamed Mazouni, ou Cheikh Boutaiba Said. Cheikh Younsi est l'auteur de nombreuses autres chansons consacrées à l'émigration dont "Red balek Al Ghadi Ifrança", "Contrat de travail", "Rabi Yahdi A Goumri", etc.
    Il y a encore quelques semaines, des membres du CCME se rendaient à Berkane pour rencontrer le défunt et sa famille avec l'intention de préparer un hommage officiel au chanteur et à son oeuvre.
    Né en 1927 dans la tribu d'Ouled Manguer, dans la région d'Ahfir, Cheikh Younsi fréquente l'école coranique de son village et se lance dès son jeune âge dans la chanson bédouine où il va briller par ses talents d'interprète et de poète, écrivant lui même les quacidas (paroles) de ses chansons. Exerçant son art entre le Maroc et l'Algérie, Cheikh Younsi aurait émigré en France dès 1956, puis une deuxième fois en 1960, avant de retourner s'installer définitivement à Berkane,

  • #2

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    • #3
      L'immigration dans la chanson d'hier et d'aujourd'hui

      L'immigration dans sa réalité multiple de ghorba, de tracasseries administratives, de difficultés du visa, de drames de Lhrig, et aussi de rêve, est aujourd'hui l'un des thèmes les plus chantés dans la musique marocaine. Ce thème est présent dans tous les genres de la musique marocaine, de la chanson classique au rap en passant par la chanson populaire, la chanson Amazigh et Aibidat. Rares sont les chanteurs marocains qui n'ont pas abordé le thème de l'immigration et consacré une ou plusieurs chansons. Mais si le thème de l'immigration a pris ces dernières années une place de plus en plus importante, sa présence dans la chanson marocaine est ancienne.
      En effet, l'histoire de l'immigration dans la musique marocaine se divise en trois grandes périodes. La première va du début de l'émigration des populations du sud marocain vers la France avec la pénétration coloniale jusqu'à la fin des années 1950. Durant cette période, la chanson marocaine sur l'immigration est produite principalement de la musique Chleuh. La deuxième s'étend des années 60 avec l'intensification du mouvement de l'émigration marocaine vers les pays d'Europe, jusqu'au début des années 90 avec la mise en application de la politique de contrôle de Schengen. Ce sont les chioukhs de l'oriental, surtout Cheikh Mohamed Younsi, avec leurs chansons sur la ghorba des travailleurs émigrés qui représentent cette deuxième période. Quand à la troisième, elle débute avec l'installation durable des émigrés dans les pays de résidence, et l'apparition du phénomène des pateras et de l'Lhrig. La chanson sur l'immigration dans cette troisième période est à la fois le produit d'artistes du Maroc que de chanteurs émigrés installés en Europe.
      1. Apparition du thème de l'immigration dans la chanson marocaine
      Les premiers enregistrements musicaux dont nous disposons et qui traitent des conditions de vie des immigrés marocains en France entre les deux guerres sont les chansons de Rais Hadj Belaid. En 1933 lors de sa visite de la région parisienne, Hadj Belaid a enregistré sa chanson "Amuddu s Baris" (Promenade à Paris) dans laquelle il décrit les conséquences sociales, culturelles et économiques de l'immigration marocaine en France. A l'instar de Hadj Belaid, d'autres Rais comme Rais Lahoucine ou Sihal, Hadj Omar Wahrouch, ou Hadj Mohamed Demsiri ont chanté par la suite le thème de l'immigration. Rais Lahoucine ou Sihal et Rais Mohamed Demsiri sont eux deux travailleurs immigrés. Le premier, après avoir fait le baladin dans la région de Tiznit, a émigré dans les années soixante en France où, à côté de son travail dans l'usine, il officiait avec sa troupe pendant les fêtes et les jours de repos (1). Le deuxième a séjourné de 1961 à 1964 en Allemagne, avant de retourner s'installer au Maroc pour devenir chanteur professionnel.
      Cette apparition du thème de l'immigration dans la chanson des rais s'explique par le fait que les chleuhs du Souss constituent les premiers contingents d'émigration marocaine de main d'œuvre étrangère vers l'Europe. Ce sont les populations de la région d'Agadir qui vont initier le mouvement de départ des émigrés marocains vers la France. Jusqu'à l'indépendance du Maroc, les chleuhs du Souss représentaient de 80 à 90% des immigrés marocains en France. Déjà, avant même la colonisation du Maroc, certains habitants du Souss ont transité par l'Oranais pour aller travailler dans les usines métallurgiques, les docks ou les mines du Nord en France. Mais c'est avec la première guerre mondiale que le mouvement de cette émigration va s'accélérer dans le cadre de la politique des travailleurs coloniaux (2).
      De 1914 à 1918, le nombre des travailleurs coloniaux ou des soldats marocains qui ont séjourné en France est de l'ordre de 85.000 personnes (dont 35 à 40.000 travailleurs) et de 350.000 à 400.000 personnes pour la totalité de la période couvrant le protectorat français au Maroc. Ces "travailleurs coloniaux" sont originaires pour la quasi totalité du "territoire d'Agadir" dont la politique du protectorat a transformé en principal foyer d'émigration marocain pour des raisons militaires, politiques et idéologiques (3). Pour le colonisateur, l'émigration massive est un moyen efficace pour la "pacification"du pays. Selon le premier résident général de la France au Maroc, le maréchal Lyautey, "chaque départ d'émigré marocain supprimait un fusil et chaque retour était une propagande pour la tranquillité de la France". Le sud marocain, écrit J. Ray en 1937, recevait de la France une grande partie des sommes qui lui permettaient de vivre, et sa pacification s'opérait presque autant dans nos usines que dans ses montagnes"(4) .
      L'émigration des populations du Souss était largement favorisée et orientée par le protectorat, qui interdisait en même temps, pour les besoins de l'économie coloniale au Maroc, les départs des autres régions. Ce qui marquera profondément la structure de l'immigration marocaine par sa concentration spatiale et son alimentation / reproduction à travers les rapports sociaux et familiaux. En plus de sa concentration géographique dans la région parisienne et le Pas-de-Calais, l'immigration marocaine va se regrouper par famille, par village, et par tribu. Les colonies ainsi formées, seront propices pour l'éclosion d'une chanson sur l'immigration dans la musique Soussi. D'abord par les tournées des rais en France qui vont découvrir la vie des travailleurs immigrés et chanter leur exil, et en suite par la formation de troupes de chanteurs semi professionnels au sein des immigrés.
      Cette éclosion d'une chanson sur l'immigration / pour les immigrés a été favorisée par l'existence d'un large public qui allégeait la souffrance et la nostalgie d'exil par l'écoute de la musique, et par l'accès aux supports techniques qui ont permis à cette chanson de se développer et d'acquérir une audience large. Les émissions radiophoniques et télévisées destinées aux immigrés dans leur langues d'origines ont aussi largement contribué à cette production culturelle et à sa diffusion. Ainsi, la radio berbère de Paris, les émissions de la radio publique française en Tachlhite ( 1930 -1972), ou les radios privées ou associatives depuis 1981 ont été de véritables laboratoires et supports de création culturels qui ont permis à la chanson et à la musique des immigrés de se developper.

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      • #4
        . La chanson des raïs sur l'émigration
        Le thème de l'immigration et les conditions de vie et de ghorba des travailleurs immigrés ont été chantés par la majorité des maîtres de la chanson Soussi. Dans son étude sur la poésie des Chleuhs, Claude Lefébure, qui a sillonné le sud marocain à la recherche des oeuvres des " trouveurs ", nous trace en quelque sorte l'histoire des "migrations de travail au miroir de la poésie berbère". Le "Recueil de poèmes chleuhs" de Paulette Galand-Pernet relate aussi quelques textes des "trouveurs" ayant pour sujet le thème de la migration. Parmi ces textes la fameuse chanson "Amuddu s Baris" ou " Promenade à Paris " de Rais Hadj Belaid qui est à notre connaissance la première chanson du genre. Dans cette chanson enregistrée à Paris en 1933 en présence de Mohamed Abdelwahab, le maître Soussi décrit la vie d'exil des travailleurs immigrés et les conséquences sociales, culturelles et économiques de l'immigration dont voici quelques extraits :
        En trouver un qui ne soit pas expatrié !
        En Tunisie l'un, l'autre à Paris ou à Saint-Étienne.
        Mais qui s'en va pour le bien des siens reste irréprochable.
        Bien nés sont, et grandis vertueux,
        Ceux que leur sort ne contente pas, qui ne se résignent point à l'impuissance

        Nos ouvriers de France, si bons, si généreux
        Il y va de l'honneur de parler d'eux encore
        Nombreux sont ceux qui, partis pauvres,
        Sont revenus riches à millions
        Ne sont restés près de leurs frères que les résignés sans courage
        Mais prendre cet argent sans enfreindre la Loi
        N'est certes pas contrevenir au code de l'honneur
        Aux pauvres et miséreux, à ceux même qui ne l'étaient pas
        Aux marabouts aussi, à chacun, selon leurs moyens, ils ont donné
        J'ai parcouru le Souss, le pays des Haha, traversé les villages:
        Ce sont les ouvriers de France qui ont bâti jusqu'au cimetières
        Et les tom beaux des saints locaux ainsi qu'une bonne part des mosquées.
        Ah ! combien d'hypothèques a levé le mandat de Paris !
        Combien de miséreux - et je dis vrai - ont reçu de quoi vivre !
        À qui observe la prière tout est licite
        De ce que lui gagna la sueur du travail.
        Quelle mauvaise raison pourrait-on donc trouver
        Pour se refuser au voyage outre-mer ?
        Dans cette chanson, Hadj Belaid qui a vécu les départs massifs d'émigrés du Souss et qui a découvert sur place les conditions de vie des travailleurs immigrés, leur rend un grand hommage et met en avant leurs contributions pour alléger la pauvreté des familles et pour le développement de leur région d'origine. La chanson apporte aussi une réponse sans ambiguïté à la question centrale qui se posait à l'époque dans la société marocaine, à savoir s'il fallait s'expatrier pour vivre dans un pays non musulman au sein des chrétiens. Pour Hadj Belaid, l'émigration de ceux qui partent pour le bien des leurs reste irréprochable, et il n'y a aucune raison de refuser le voyage d'outre- mer aux personnes qui s'expatrient pour gagner leur vie par la sueur du travail.
        Cette position sur l'émigration souhaitable de Hadj Belaid n'est pas partagée par d'autres maîtres de la chanson Soussi. Se sont les rais immigrés ou anciens immigrés qui voient d'un mauvais oeil l'émigration. Pour raïs Lahoucine ou Sihal, travailleur émigré lui-même, les conséquences logiques de la vie en Europe sont à long terme la déperdition et la coupure totale avec les siens et la culture d'origine. Pour que le voyage d'outre-mer soit licite et une bonne chose, il faut qu'il soit le plus court possible, au maximum trois ans, et que l'émigré observe les rites religieux, chante Lahoucine ou Sihal.
        A peine arrivé, les yeux emplis de choses jamais vues !
        Jolies femmes, autobus et métro, mes amis,
        Et l'avenue de l'Opéra ! Il fréquente les courses.
        Quinzaine après quinzaine, l'argent lui fait défaut ;
        Le voilà même, ô malheureux, sans argent de retour !
        Vingt ans se passent, vingt ans et plus.
        La prière ? Il n'a point prié ! Le ramadan ? Il l'a croqué !

        La même position est exprimée, plus ou moins avec des nuances, par rais Mohamed Demsiri qui était un travailleur immigré en Allemagne de 1961 à 1964. Dans sa chanson "ur nsmaH i Bariz -Je ne te pardonne pas Paris-, Demsiri en veut amèrement à la France, la Belgique, et aux pays du Nord qui lui ont pris sa bien-aimée et ses proches. L'émigration permet certes à la personne d'économiser un peu d'argent et d'aider la famille au Maroc, mais vivre juste avec de l'eau, à côté de sa bien aimée et de ses des proches, est tellement suffisant. Pour Demsiri l'émigration s'apparente à la mort qui commence par le transport du corps du défunt dans une civière qui est l'avion. La seule solution pour ressusciter le mort c'est le retour de l'immigré au pays. "La vie à l étranger, chante Demsiri, n`est pas éternelle, et un jour nous serons obligés de rentrer. Même si je ne vis que d'eau dans mon pays, poursuit-il, c'est mieux que les dattes et les amandes de la Suisse et de l'Allemagne".
        A l'instar de Demsiri, Hadj Omar Wahrouch conçoit aussi la vie des travailleurs immigrés pendant longtemps à l'étranger comme la mort, quoiqu'il soit modéré dans son jugement. Dans "Ur nsamH i Tumubilat, Je ne pardonne pas à la voiture, Wahrouch accepte l'exil provisoire vu que celui-ci ne s'éternise pas et vu que le travailleur immigré reste attaché à sa famille, ses racines, son pays et sa religion.
        Je ne dénigre pas la personne
        qui part travailler pour gagner de l'argent
        pour en bénéficier son pays
        Et ses proches
        Une seule condition est exigée
        Il ne faut pas partir pour ne plus revenir
        en oubliant ses parents et son pays
        et en se détachant de sa religion

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        • #5
          Mémoire d'esclaves et négriers des temps modernes
          Avec le début de l'émigration massive des marocains vers l'Europe dans les années 60, le thème du licite /illicite chanté par les premiers rais Chleuhs va laisser la place, dans la chanson marocaine sur l'immigration, à ceux sur les conditions inhumaines du recrutement, les tracasseries administratives pour obtenir le passeport vert dans l'espoir de bâtir une vie meilleure, et à celui du Ghorba des travailleurs immigrés. En plus de la région du Souss, la chanson marocaine sur l'immigration va s'étendre à d'autres régions du Maroc, surtout la région du Maroc oriental avec les Chioukhs de Berkane et de Oujda comme Cheikh Ahmed Liou, Cheikh Mohamed Younci, ou Cheikh Ali Tinissani qui ont tous chanté des versions différentes de " Passeport Lakhdar ".
          Dans les années 60, le Maroc va signer des conventions de main d'œuvre avec les principaux pays européens importateurs de travailleurs étrangers. Au terme de ces conventions, les recruteurs vont sillonner, avec la bénédiction des autorités locales, tout le territoire marocain pour sélectionner les plus aptes physiquement. Les bureaux de recrutement de ces négriers ont été installés dans les locaux des autorités marocaines pour leur donner un caractère officiel, et les procédures d'inscription et de sélection étaient humiliantes. Ils examinaient pratiquement tout, se rappelle Moha un ancien mineur du Nord de la France, les dents, les yeux, les muscles, la colonne vertébrale... Tout pratiquement tout... Nous sommes restés pendant 3 heures sous un soleil de plomb pour expérimenter notre aptitude de résistance à la chaleur de la mine"(5).
          Les postulants sont marqués de tampon sur la poitrine, de couleur verte pour les reçus et rouge pour les refusés. Cette première sélection a été suivie, pour ceux qui avaient réussi à la passer, par une visite médicale dans les hôpitaux marocains avec des examens de sang, d'urine, de poumons... puis par la signature du contrat à l'office nationale d'immigration à Casablanca, avant d'être expédiés, par bateau ou par avion, vers les chantiers et les usines des pays européens.
          La mémoire collective marocaine, surtout celle des immigrés et des populations des régions d'origine, a conservée dans des chansons et des poèmes l'histoire de ces sélections et de ces traitements humiliants. Plusieurs poèmes et chansons de cette époque, surtout du sud marocain traitent de l'exil, de la désillusion, de l'éloignement et de la peine des milliers de jeunes femmes laissées dans les villages des hauts plateaux et dans des oasis, loin de leurs conjoints vendus par un négrier venu d'outre mer (6). Dans un chant populaire connu par tous, les Ait Atta du sud-est marocain décrivent les méthodes d'un ancien militaire, devenu dans les années 60 et 70 recruteur des houillères du Nord Pas-de-Calais. Pour eux Felix Mora est un négrier, et les travailleurs émigrés des esclaves vendus:
          Fut un temps où les hommes furent vendus à d'autres
          O Mora le négrier, tu les as emmenés au fond de la terre
          Mora est venu à l'étable d'Elkelaa
          Il a choisi les béliers et il a laissé les brebis
          O filles, mettez le voile du deuil
          Mora nous a humiliés et est parti
          Ceux de l'étranger que Dieu redouble vos peines
          Celui qui est en France est mort
          Il part et abandonne ses enfants.
          La France est de la magie
          Celui qui arrive appelle les autres

          Dans le même ordre d'idée Cheikh Mohamed Younci nous résume dans sa chanson sur la carte de travail et le contrat, comment s'effectuait la visite médicale des postulants à l'émigration dans la région de Oujda Berkane. Examen des yeux, prise de sang, mesure de tension, sélection physique, et en fin de parcours la corruption généralisée pour avoir le contrat de travail à l'étranger. Même avec le contrat et une fois sur place, l'immigré reste toujours soumis au contrôle médical pour avoir la carte de travail.
          Sans la carte de travail, l'emploi t'est interdit
          Si tu es embauché le matin, ils viendront te chasser le soir
          Avec le contrat, il te faut d'abord la visite médicale
          Va chez les médecins qui contrôleront tes yeux, et mesureront ta tension
          Toi tu es debout, tu les regardes, et tu peux rien dire
          Ils font une prise de sang de ton arme, tu es toujours debout et silencieux
          Le sang qu'ils ont pris c'est ta santé que tu as perdu
          S'ils te trouvent en parfaite santé, la somme 1500 Dh n'est pas suffisante
          Paye 1500 Dh, et tais toi car tout le monde l'a fait
          Tout ça pour la carte de travail.

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          • #6
            . Chansons des Chioukhs sur l'immigration: Passeport Lakhdar
            Les tracasseries de l'émigré ne s'arrêtent pas avec le départ du Maroc vers l'Eldorado. Au contraire cela marque le début du déchirement familial, le déracinement culturel, la surexploitation, et les conditions de travail et de logement miséreuses. Le rêve de l'Eldorado sera vite déçu, et l'espoir de la richesse sera vite confronté à la dure réalité du monde du travail de l'immigration. L'émigré débarque dans un monde qui lui est complètement étranger et hostile, que Cheikh Mohamed Younci nous décrit dans plusieurs chansons, à savoir le Passeport Lakhdar (le passeport vert), Qasdin Paris (Emigrés à Paris), Rabi Yahdig a Goumri (Que Dieu te guide), et Marsoul Oma ( le Messager de ma mère).
            Dans la chanson Passeport Lakhdar, Cheikh Mohamed nous mène dans un voyage qui raconte les péripéties des travailleurs émigrés pendant les années 60. Ce voyage commence par l'abandon de la famille, et se poursuit par la traversée de la Mer méditerranée en bateau, l'arrivée à Malaga en Espagne où les problèmes culturels apparaissent déjà, le sévère contrôle policier aux frontières françaises avec ses refoulement, et se termine par l'arrivée à Paris et les conditions de travail et de logement des travailleurs immigrés. Le dépaysement de l'immigré est total. Il se trouve perdu dans une grande métropole avec son métro, ses jolies filles, et ses tentations nombreuses. Après 12 ans d'exil et de travail continu sans relâche tous les jours de la semaine, l'immigré n'arrive pas a faire des économies. Ses prévisions de départ s'évaporent et il ne lui reste entre les mains que les fiches de paie. Le rêve de posséder une voiture et de conquérir les jolies filles s'éloigne, et notre immigré sombre dans l'alcool et tente de gagner des millions en jouant au Tierce, sans jamais avoir la bonne combinaison, dit la chanson.
            J'ai laissé mon pays fort loin pour venir à Paris, Et me voilà au travail.
            Pour devenir riche, avoir une auto, et moi aussi conquérir les belles.
            Je travaillais les samedis et les dimanches, les vendredis et le jour de l'an.
            J'ai beau préserver, mais les jours pèsent sur moi.
            Douze années de travail à Paris, et ce n'est pas fini.
            Trente cinq mille, je les gagne toutes les semaines.
            Et toutes les fois je me dis:
            C'est cette fois que j'aurai mon auto, parmi les meilleures.
            Je ne m'arrête pas de me tracasser ;de faire mes comptes, je suis effrayé.
            Je joue au tiercé, j'éprouve ma chance pour gagner le million.
            Mais le cheval que je joue gagnant, se retrouve parmi les derniers.
            J'insiste encore une fois, peut-être aurais-je deux millions.
            J'ai beau travailler en ce monde ,je n'ai point de chance.
            Cette chanson du Passeport Lakhdar qui est devenu un symbole et une référence pour tous les immigrés marocains, est l'œuvre de l'un d'entre d'eux. L'auteur des paroles du Passeport Lakhdar est Ahmed Ben Amar el Benharri originaire de Beni Snassen campagne d'Ahfir/Oujda, et qui a émigré en France pendant l'hiver de 1958. Dans cette qacida Amar el Benharri raconte son histoire personnelle et son vécu dans l'exil, mais les chanteurs qui ont interprété son œuvre ont parfois apporté des modifications au texte original. Ainsi nous avons trois versions de la chanson du passeport Lakhdar : la première, qui est la plus courante, est celle de Younci Mohamed, La deuxième de Cheikh Ahmed Liou, et la troisième d'Ali Tinissani. Dans la version d'Ahmed Liou et Tinissani, le départ pour la France se fait non pas à travers l'Espagne, mais à travers l'Algérie et la traversée de la Méditerranée par bateau, d'Oran à Marseille. Cette fois, notre travailleur immigré au lieu de jouer le Tiercé, deviendra boucher puis cafetier, mais sans faire fortune.
            La version d'Ahmed Liou et d'Ali Tinissani est complétée par une autre chanson que chantent ces deux Chioukhs, et qui a pour titre Lokan Aandi Passeport (Si j'avais le passeport). Elle est sous la forme d'un dialogue entre un postulant à l'émigration et sa femme à qui il promet une vie de château avec l'achat d'une auto, des domestiques, et la construction d'une villa s'il avait le passeport lui permettant d'aller s'enrichir dans les pays du Nord. En réponse à ces promesses, sa femme lui rappelle tout simplement de ne pas oublier ses parents et ses enfants et de penser aux dépenses de la vie quotidienne comme la nourriture, l'habillement, et le remboursement des dettes. Car, pour couvrir les frais du voyage, l'émigré a vendu tous ses biens et s'est endetté.
            Si j'avais le passeport j'irai en France pour devenir mieux
            Mais comme le passeport me manque, je ne peux rien faire o h femme
            Si j'avais le passeport, je voyagerais en avion et je traverserais les océans
            Je travaille, et j'aurai des millions pour acheter une voiture que je transporterai par bateau
            Si j'avais le passeport, j'irais en France travailler au Nord
            Je deviendrai riche, et je retournerai à Oujda pour te construire un bain et aussi des remparts.
            J'ai présenté la demande du passeport, et ils m'ont dit pourquoi
            J'ai répondu pour le voyage à l'étranger et le retour au pays
            Dieu a répondu à ma demande et ils ont accepté
            Ils m'ont dit de ne pas faire comme les autres
            Garde ton passeport et ne le vend pas, car tu le regretteras sur le coup
            J'ai reçu le passeport, et j'ai couru chez mes enfants qui étaient contents
            C'est notre ressource de vie ne le perd pas m'ont dit les enfants
            J'ai dit pardonnez moi, j'ai besoin de l'argent du voyage
            J'ai vendu la radio, le plateau et même la bouilloire
            Ma femme m'a dit va travailler, moi je resterai éduquer les enfants
            N'oublie pas mes conseils, et fais attention que le fleuve ne t'avale
            Ne tarde pas et rappelle toi de temps en temps de tes parents
            Si tu veux que la vache te donne le lait, donne lui la bonne herbe
            Tu as laissé la fille dans les couches, et moi les yeux en larme
            Excuse moi, si tu veux réussir ne nous laisse pas endettés
            Le boulanger appelle, et l'épicier a besoin d'argent
            Le dépenses du vendeur de tissu sont comme ceux de l'agneau et du loup.
            Les mêmes conseils de cette femme à son mari contre le danger du gouffre de la vie occidentale et l'abandon de la famille sont formulés aussi par Cheikh Mohamed Younci dans sa chanson "A Qasdin Baris"- Emigrés à Paris-. En effet, la grande majorité des travailleurs émigrés étaient de jeunes paysans qui venaient de quitter l'adolescence, et le grand danger qui les guettaient dans la terre d'exil était l'oubli de la raison essentielle de leur émigration et d'être emportés par les fléaux des loisirs et les vices de la modernité. "La terre d'exil est dure et difficile ", dit un couplet de Qasdin Paris, "car elle handicape l'émigré, l'affaiblit et le marque avec le feu. J'ai peur mon enfant que tu deviennes accro et alcoolique. L'alcool ne soulage pas, au contraire il ne fait qu'attiser le feu de l'exil et détruire la personne, et conduit en fin de compte à sa déperdition".
            Nombreux sont les exilés qui se sont perdus et n'ont laissé aucune trace
            Sa mère a été fatiguée de rechercher ses traces, sans avoir de nouvelles
            Ni messager, ni lettre, ni quelqu'un pour lui dire ce qui s'est passé
            Elle ignore si il est mort ou vivant sur cette terre vivant
            Elle souffre beaucoup de la séparation avec son fils,
            et les larmes ruissellent de ses yeux.
            L'autre face de la médaille de l'émigration, comme il ressort de ces versets et dont on parle peu, c'est le phénomène des "disparitions"et des "coupures" des liens des travailleurs émigrés avec leur milieu familial et leur pays d'origine. Nombreux sont les émigrés qui, pour des raisons multiples et diverses, ont rompu les contacts, pour une durée plus ou moins longue, avec leur milieu et leur famille. Les uns pensent décevoir les attentes de départ de leur famille, et ils ont honte de retourner au pays ou de donner de leurs nouvelles. Les autres ont refait tout simplement leur vie en terre d'exil et tentent d'effacer le passé. Quant à certains, c'est la vie moderne avec ses vices et ses plaisirs qui les ont engloutis.
            Dans la chanson "le Messager de ma mère" -"Marsoul Oma"- Cheikh Younsi nous raconte l'histoire d'une mère à la recherche de son fils dont elle n'a pas de nouvelles depuis son départ. La chanson est sous forme d'un dialogue entre la mère et son fils par l'intermédiaire d'un messager qui tente de restaurer les liens. La mère se sent abandonnée par son fils et n'arrête de penser à lui et d'espérer son retour. Ce qui accentue ses souffrances et ses malheurs, d'autant plus qu'elle a peur de mourir sans que son fils n'assiste à son enterrement. La réponse du fils c'est la demande du pardon tout en expliquant à sa mère les raisons de cet oubli dont il n'est pas la seule victime.
            Viens mon enfant me voir, n'aie pas honte
            Te voir c'est mon bonheur et ma chance
            Pour venir ma mère, l'argent me fait défaut
            L'alcool et le tiercé m'ont coupé les pieds
            J'ai les deux numéros gagnants, le troisième toujours me manque
            Chaque jours le jeu coûte à ton fils 10.000 francs.
            Le samedi avec le dimanche je les passe dans les soirées
            Il y a beaucoup de tentations dans ce monde
            Les plaisirs sont nombreux, et l'exil un handicap
            C'est ça ma mère la vie à Paris.

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            • #7
              Cheikh Mohamed Younsi est celui qui a chanté le plus le thème de l'immigration, de sorte qu'on ne peut pas évoquer cette dernière sans citer son nom. Tous les travailleurs marocains de la première génération, voire ceux de la deuxième génération, se rappellent du Passeport Lakhdar et connaissent ce maître qui a chanté tous les aspects de vie d'exil. Dans sa chanson " Rabi Yahdiq a Gomri " -Que Dieu te guide- Cheikh Mohamed Younsi décrit les formes de logement des émigrés durant les années 60, à commencer par l'entassement de 8 personnes dans une chambre et 35 personnes dans une maisonnette délabrée, et en passant par la vie dans les pensions où les interdictions de cuisiner ou de recevoir sont la règle.
              La chanson décrit aussi, avec précision, le salaire et les dépenses de l'émigré qui gagne 200 mille francs par mois dont la moitié est réservée au logement. Le reste se partage entre le mandat à la famille au Maroc (40 mille), la nourriture (20 mille), les cafés et les bars (20 mille), et les cigarettes (10 mille). Si on ajoute les dépenses de transport et d'habillement, le travailleur immigré est obligé de s'endetter pour subvenir à ses besoins.
              Je travaille à l'usine et je gagne 6 mille franc par jour
              Je reçois ma paye le samedi, et le lundi je devient chômeur
              Je gagne 200 mille, je fais mes calculs et je reste soucieux
              Le propriétaire me prend 100 mille, et il me reste 90 mille nets
              20 mille pour la nourriture, et 40 mille du mandat pour la famille
              Le jour même je m'endette alors que je ne manque pas un jour de travail
              20 mille comme tu le sais pour les cafés et les bars
              10 mille dans le superflu entre Shema et cigarettes
              Le jour même je m'endette alors que je ne manque pas un jour de travail
              Dieu te guide a Gomri, approche toi de moi pour raconter mes nouvelles
              Passe le bonjour à mes biens aimés, et raconte leur ma réalité.
              Conclusions
              La chanson populaire, comme forme artistique et moyen d'expression orale utilisant le dialecte, a été le lieu privilégié pour traiter du thème des migratoires, surtout dans les régions fournisseurs d'émigrés. Le thème de l'immigration a fait son apparition dans la chanson marocaine dans les années 20 du siècle dernier dans la musique des Chleuhs qui constituaient les premiers contingents d'émigration marocaine de main d'œuvre étrangère vers l'Europe. Ce sont les populations du "territoire d'Agadir" qui vont initier le mouvement de départ des immigrés marocains vers la France, et les rais chleuhs qui vont introduire le thème de l'immigration dans la chanson marocaine. Les premiers traces connues sont les enregistrements de Baidaphone ou des émissions berbères de la radio publique française, mais cela n'exclut pas l'existence d'autres œuvres antérieures qui n'ont pas eu la chance d'être conservées.
              Dans les années 50 avec le début de l'émigration massive des Marocains vers l'Europe, le thème de l'immigration va s'étendre à la musique du Maroc oriental qui est devenu la deuxième région pourvoyeur de travailleurs émigrés. Ce sont les chansons des chioukhs qui vont illustrer ce développement prodigieux aidées dans cela par l'accès aux supports techniques d'enregistrement d'une part, et d'autre part par l'existence des moyens de diffusion de masse (jet- box, disque microsillon, cassettes, radio) qui ont permis à ces chansons d'acquérir une audience large, au niveau national et auprès des communautés de travailleurs immigrés.
              Cependant, malgré la différence temporelle, les chansons des chioukhs sur l'immigration s'inscrivent en continuité et prolongement de la tradition des rais. C'est une chanson d'auteur où le poète est à la fois chanteur et musicien qui exécute son œuvre accompagné d'une troupe. La majorité de ces auteurs sont d'anciens immigrés ou des artistes qui ont été sur place, lors des tournées dans les pays d'Europe, pour s'enquérir des conditions de vie des travailleurs émigrés et du monde de l'exil. En suite, ce sont des chansons qui véhiculent, à quelques différences près, la même perception de l'émigration comme souffrance, malaise, et source de dégradation morale. A quelques exceptions, rares sont les chansons qui louent l'émigration et portent hommage aux travailleurs exilés. L'émigration est source de douleur et de souffrance pour ceux qui s'exilent, mais aussi pour ceux qui restent dans le pays, surtout les femmes symbolisées souvent par la mère.

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