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L'affaire DSK et les mécanismes de la justice américaine

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  • L'affaire DSK et les mécanismes de la justice américaine

    Source Le Monde

    DSK face aux juges : comment ses avocats préparent sa défense



    A New York, la plainte d'une femme de chambre du Sofitel a conduit à l'inculpation pour crimes sexuels, devant les caméras du monde entier, de celui qui était encore le puissant directeur du Fonds monétaire international (FMI). Les images de Dominique Strauss-Kahn encadré par des policiers et menotté, les mains dans le dos, à la sortie d'un commissariat d'Harlem, ont montré le choc des cultures.


    En France, où prime la présomption d'innocence, on s'est indigné du perp walk propre à la justice américaine : cette "marche du soupçon", volontairement spectaculaire, mise en scène pour la télévision, destinée à humilier pour l'exemple et à afficher le soupçon de culpabilité. On a eu tendance à oublier que la "victime", surnommée "Ophelia", est présumée, elle aussi, ne pas avoir menti. Une partie de l'élite française s'est émue que l'un des siens, et des plus illustres, soit ainsi mis au pilori sans répliquer, muet face à l'accusation.

    Mais au moment du procès, s'il a lieu, l'entrée en scène de la défense aura un effet boomerang. Contrairement aux apparences, la justice américaine est conçue pour privilégier l'accusé. L'acquittement de O. J. Simpson, après l'assassinat de sa femme et de son ami, est dans toutes les mémoires. De Michael Jackson au basketteur Kobe Bryant, on ne compte plus les affaires sexuelles où l'accusé est sorti libre du tribunal.

    D'abord, seul le procureur a la charge de la preuve : la défense n'a rien à faire qu'à instiller le doute. Ensuite, il doit fournir des preuves suffisamment intangibles pour convaincre les douze jurés, à l'unanimité, que l'accusé est coupable "beyond a reasonnable doubt" ("au-delà du doute raisonnable"). Le jury n'est pas requis de trancher entre coupable et innocent, mais seulement entre coupable et non coupable.

    La culpabilité est donc plus difficile à établir qu'en France, où c'est au contraire l'intime conviction qui est demandée aux jurés, et seulement à la majorité. Dans ses Douze hommes en colère, avec Henry Fonda, le réalisateur Sidney Lumet a mis en scène cette puissance du doute lors d'un délibéré à huis clos : le doute raisonnable revendiqué par un seul juré suffit à ce que la condamnation ne puisse être prononcée. Ensuite, soit il finit par retourner tous les autres, comme au cinéma ; soit les jurés se déclarent partagés et un nouveau procès doit s'engager ; soit le juge négocie une peine.

    Coupable ou non, Dominique Strauss-Kahn peut être acquitté au procès : selon ce principe propre à la justice américaine, parce qu'il est entre les mains d'un expert en causes perdues, l'avocat Benjamin Brafman, et parce que sa fortune lui permet de déployer des moyens considérables pour enquêter à charge contre la victime présumée. L'accusé, qui a jusqu'ici plaidé non coupable, peut aussi négocier à tout moment, avant le procès, une reconnaissance minorée des faits avec le procureur - si celui-ci s'incline. Il peut enfin aller au procès, et le perdre.

    Ce qui plaide contre DSK, c'est d'abord la personnalité de la plaignante. La défense ne nie pas qu'un contact sexuel ait eu lieu, mais laisse entendre qu'il aurait été consenti. Or la femme de chambre a témoigné sous serment devant le grand jury. D'origine guinéenne, elle est veuve et a immigré à New York pour y élever seule sa fille dans un appartement misérable du Bronx. La direction du Sofitel a attesté de sa bonne conduite. Ceux qui la fréquentent décrivent une personne discrète, "très gentille, très respectable, bonne musulmane", modestement habillée, avec des chaussures sans talons et un foulard sur les cheveux. Ni riche ni connue, modeste, normale, tranquille : tout pour s'attirer la sympathie d'un jury statistiquement d'origine populaire, face à l'ancien directeur du FMI, assigné à résidence dans un palace de Manhattan à 50 000 dollars (34 500 euros) par mois.

    Ce qui plaide contre DSK, c'est aussi la détermination du procureur, lequel ne décide de poursuivre que s'il dispose de preuves sérieuses. Cyrus Vance Jr., un démocrate bon teint, qui a en vue sa réélection à la tête du bureau de New York en 2013, joue sa réputation sur cette affaire de dimension internationale. D'autant plus qu'il vient de subir la relaxe de deux policiers new-yorkais, dont l'un était accusé de viol.

    Ce qui peut jouer en faveur de DSK, ce sont les rares indices favorisant l'hypothèse d'une relation entre adultes consentants. La plaignante aurait pu savoir qui était M. Strauss-Kahn : des photos des VIP sont parfois affichées dans le vestiaire des femmes de chambre du Sofitel. Selon le site The Daily Beast, elle se serait portée volontaire pour nettoyer ce jour-là le 28e étage, celui de la suite de M. Strauss-Kahn.

    Ce qui peut jouer en faveur de DSK, c'est l'éventuelle défaillance de la plaignante : la hantise du procureur, car tout l'édifice de l'accusation repose sur elle. La défense ne peut la rencontrer. Ils ne peuvent la menacer ni la payer pour l'inciter à retirer sa plainte : le procureur se retournerait contre elle pour "parjure". Mais ils peuvent l'intimider en déclarant dans les médias avoir les preuves pour obtenir l'acquittement. "Les accusations vont se révéler fausses", a asséné Me Brafman. Si le procureur sent vaciller son principal témoin, il est contraint de négocier avec la défense.

    Dans son rapport de forces avec le procureur, la défense accumule, à l'aide d'une société de détectives, tous les indices à même de salir la jeune femme, de détruire son témoignage, de la déstabiliser au procès. Elle cherchera dans son milieu new-yorkais, où celui qui se faisait passer pour son frère s'est avéré être, selon Le Monde, son ami. Elle cherchera dans son passé si elle n'a pas fraudé pour s'établir légalement aux Etats-Unis. Elle vérifiera si elle n'a pas menti pour louer à bas prix son appartement du Bronx. M. Strauss-Kahn en est là : pour sa survie judiciaire, accabler la femme de ménage.

    Marion Van Renterghem (New York, envoyée spéciale)
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