A moins d'une semaine de la remise au roi Mohammed VI des travaux de la commission de révision de la Constitution -qui débouchera ultérieurement sur la tenue d'un référendum -, le mouvement de contestation maintient la pression et prend, selon certains observateurs, «une ampleur populaire».
La pression monte au Maroc, à moins d'une semaine de la remise au roi des travaux de révision de la Constitution présidée par le juriste Abdeltif Menouni. Le roi Mohammed VI avait enclenché cette révision dans un discours à la Nation le 9 mars, quelques semaines après les premières manifestations d'un mouvement de contestation né le 20 février, dans la foulée de la révolution tunisienne. Plusieurs sources font état d'un projet constitutionnel qui devrait limiter les pouvoirs du roi au profit, affirment certains journaux marocains, d'un «super Premier ministre». Ces fuites sont évidemment à prendre avec précaution tant que le texte définitif -sur lequel les Marocains devront se prononcer par référendum -n'est pas connu.
«La contestation fait boule de neige»
Après avoir soufflé le chaud et le froid sur les contestataires du Mouvement du 20 février, le gouvernement joue gros. Il a échoué à éteindre la contestation par la répression et va désormais tenter de l'apaiser par la réforme politique. Les concessions que les autorités marocaines consentiront en termes d'avancées démocratiques favoriseront l'apaisement ou, au contraire, le durcissement de la contestation. «Tout dépendra de l'ampleur des réformes constitutionnelles, prédit l'économiste Fouad Abdelmoumni, qui soutient le Mouvement du 20 février. Si elles débouchent sur une monarchie parlementaire avec un roi symbolique, qui n'exerce pas de pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire, la contestation pourra être canalisée. Si, en revanche, de larges pans de la société considèrent que les concessions ne sont pas significatives, on aura un rejet du processus référendaire sur le texte constitutionnel. Le roi a pris la main avec son discours d'ouverture du 9 mars. Il ne peut pas se payer le luxe de sortir une carte puis d'en ressortir une autre dans trois ou quatre mois en cas, par exemple, d'ébullition à la prochaine rentrée scolaire.»
Cette contestation née à l'initiative de jeunes réunis sur les réseaux sociaux est selon lui «en train de prendre une ampleur populaire». De son côté, le Mouvement du 20 février revendiquait le mois dernier des relais dans «plus de cent villes et villages au Maroc», se disant soutenu par «plus de 100 ONG, associations, syndicats et partis politiques». A l'échelle du pays, la contestation reste minoritaire. Mais les manifestations ne se limitent plus au centre des villes, elles gagnent par exemple des quartiers populaires. A Sidi Moumen, dans cet immense bidonville d'au moins 300 000 habitants au nord-est de Casablanca, un membre de l'alliance des associations, Larbi Zahidi, évoque «les bidonvillois qui se greffent au Mouvement du 20 février». «Les revendications pour un logement décent sont anciennes. Mais le Mouvement peut être un appui pour que les choses s'accélèrent», affirmait-il dernièrement. «Les gens manifestaient bien avant le 20 février, mais ils enfilent maintenant le maillot du 20 février, abonde le directeur de la rédaction du journal indépendant «Tel quel» Karim Boukhari. La contestation fait boule de neige et gagne de plus en plus de catégories sociales.» «Le mouvement est irréversible et va révolutionner le Maroc», estime encore le coordonnateur général du réseau des associations de quartier du Grand Casablanca (Resaq) Abdellah Zaâzaâ.
«Le Maroc aussi a sa famille Ben Ali-Trabelsi»
Que veulent les contestataires ? «A bas l'absolutisme !», «A bas la corruption !», entend-on régulièrement dans les manifestations. «On ne demande pas la chute du régime, explique un membre du Mouvement du 20 février de Rabat, Nizar Bennamate. On n'est pas dans un processus révolutionnaire, mais de réforme. C'est très différent. Personne n'a dit M6 dégage, ou alors quelques cas très isolés.»
A mesure que la contestation s'amplifie, le roi est toutefois de moins en moins épargné. «On attribue à tort à Mohammed VI l'idée qu'il est un roi libre et ouvert, avance un autre membre du Mouvement du 20 février. Du coup, il y a une certaine sympathie du peuple envers sa personne. Mais quand on voit les chiffres de l'économie marocaine et qu'on sait qu'il est le premier opérateur du pays, il est clair qu'il a sa part dans tout ce que nous dénonçons. De fait, il cautionne cet entourage qui profite de sa proximité pour se constituer une rente. A cet égard, le Maroc aussi a sa famille Ben Ali-Trabelsi» Dans les manifestations de ces derniers mois, les hommes d'affaires proches du roi, Fouad El Himma et Mounir Majidi, ainsi que le Premier ministre, Abbas El-Fassi, ont tous eu droit à leur «Dégage !».
«Quelques petits chahuts»
L'idée selon laquelle le Maroc aurait sa famille Ben Ali-Trabelsi fait bondir certains hauts responsables français. «C'est complètement faux», lâche l'un d'eux, qui met en cause l'existence même d'une contestation : «Il n'y a pas de contestation au Maroc mais seulement des gens qui souhaitent que ça aille plus loin et plus vite.» Certains aiment à entonner la musique officielle, qui conduisait par exemple le ministre marocain de l'Industrie Ahmed Chami, le 23 mars à Paris, à déclarer : «On va avoir quelques petits chahuts mais ça va se passer dans le calme car on est en train de construire cette démocratie.» Ce discours officiel réduit aussi le Mouvement du 20 février à des «gauchistes» et des «islamistes», au motif que les jeunes du mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane se sont joints à d'autres jeunes manifestants dès le 20 février et qu'ils phagocyteraient le mouvement.
La révolution marocaine aura son propre rythme, conclut un homme d'affaires marocain qui soutient la contestation : «Le printemps arabe a été le détonateur d'un mouvement de protestation démocratique mais les contestataires n'ont pas un Ben Ali ni un Moubarak à faire tomber. Ils s'attaquent à la tumeur même du régime, au despotisme et à toute la corruption qu'il suppose. La révolution au Maroc prendra du temps. Ce mouvement est une lame de fond.»
MARIE-CHRISTINE CORBIER, ENVOYÉE SPÉCIALE À CASABLANCA ET RABAT
La pression monte au Maroc, à moins d'une semaine de la remise au roi des travaux de révision de la Constitution présidée par le juriste Abdeltif Menouni. Le roi Mohammed VI avait enclenché cette révision dans un discours à la Nation le 9 mars, quelques semaines après les premières manifestations d'un mouvement de contestation né le 20 février, dans la foulée de la révolution tunisienne. Plusieurs sources font état d'un projet constitutionnel qui devrait limiter les pouvoirs du roi au profit, affirment certains journaux marocains, d'un «super Premier ministre». Ces fuites sont évidemment à prendre avec précaution tant que le texte définitif -sur lequel les Marocains devront se prononcer par référendum -n'est pas connu.
«La contestation fait boule de neige»
Après avoir soufflé le chaud et le froid sur les contestataires du Mouvement du 20 février, le gouvernement joue gros. Il a échoué à éteindre la contestation par la répression et va désormais tenter de l'apaiser par la réforme politique. Les concessions que les autorités marocaines consentiront en termes d'avancées démocratiques favoriseront l'apaisement ou, au contraire, le durcissement de la contestation. «Tout dépendra de l'ampleur des réformes constitutionnelles, prédit l'économiste Fouad Abdelmoumni, qui soutient le Mouvement du 20 février. Si elles débouchent sur une monarchie parlementaire avec un roi symbolique, qui n'exerce pas de pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire, la contestation pourra être canalisée. Si, en revanche, de larges pans de la société considèrent que les concessions ne sont pas significatives, on aura un rejet du processus référendaire sur le texte constitutionnel. Le roi a pris la main avec son discours d'ouverture du 9 mars. Il ne peut pas se payer le luxe de sortir une carte puis d'en ressortir une autre dans trois ou quatre mois en cas, par exemple, d'ébullition à la prochaine rentrée scolaire.»
Cette contestation née à l'initiative de jeunes réunis sur les réseaux sociaux est selon lui «en train de prendre une ampleur populaire». De son côté, le Mouvement du 20 février revendiquait le mois dernier des relais dans «plus de cent villes et villages au Maroc», se disant soutenu par «plus de 100 ONG, associations, syndicats et partis politiques». A l'échelle du pays, la contestation reste minoritaire. Mais les manifestations ne se limitent plus au centre des villes, elles gagnent par exemple des quartiers populaires. A Sidi Moumen, dans cet immense bidonville d'au moins 300 000 habitants au nord-est de Casablanca, un membre de l'alliance des associations, Larbi Zahidi, évoque «les bidonvillois qui se greffent au Mouvement du 20 février». «Les revendications pour un logement décent sont anciennes. Mais le Mouvement peut être un appui pour que les choses s'accélèrent», affirmait-il dernièrement. «Les gens manifestaient bien avant le 20 février, mais ils enfilent maintenant le maillot du 20 février, abonde le directeur de la rédaction du journal indépendant «Tel quel» Karim Boukhari. La contestation fait boule de neige et gagne de plus en plus de catégories sociales.» «Le mouvement est irréversible et va révolutionner le Maroc», estime encore le coordonnateur général du réseau des associations de quartier du Grand Casablanca (Resaq) Abdellah Zaâzaâ.
«Le Maroc aussi a sa famille Ben Ali-Trabelsi»
Que veulent les contestataires ? «A bas l'absolutisme !», «A bas la corruption !», entend-on régulièrement dans les manifestations. «On ne demande pas la chute du régime, explique un membre du Mouvement du 20 février de Rabat, Nizar Bennamate. On n'est pas dans un processus révolutionnaire, mais de réforme. C'est très différent. Personne n'a dit M6 dégage, ou alors quelques cas très isolés.»
A mesure que la contestation s'amplifie, le roi est toutefois de moins en moins épargné. «On attribue à tort à Mohammed VI l'idée qu'il est un roi libre et ouvert, avance un autre membre du Mouvement du 20 février. Du coup, il y a une certaine sympathie du peuple envers sa personne. Mais quand on voit les chiffres de l'économie marocaine et qu'on sait qu'il est le premier opérateur du pays, il est clair qu'il a sa part dans tout ce que nous dénonçons. De fait, il cautionne cet entourage qui profite de sa proximité pour se constituer une rente. A cet égard, le Maroc aussi a sa famille Ben Ali-Trabelsi» Dans les manifestations de ces derniers mois, les hommes d'affaires proches du roi, Fouad El Himma et Mounir Majidi, ainsi que le Premier ministre, Abbas El-Fassi, ont tous eu droit à leur «Dégage !».
«Quelques petits chahuts»
L'idée selon laquelle le Maroc aurait sa famille Ben Ali-Trabelsi fait bondir certains hauts responsables français. «C'est complètement faux», lâche l'un d'eux, qui met en cause l'existence même d'une contestation : «Il n'y a pas de contestation au Maroc mais seulement des gens qui souhaitent que ça aille plus loin et plus vite.» Certains aiment à entonner la musique officielle, qui conduisait par exemple le ministre marocain de l'Industrie Ahmed Chami, le 23 mars à Paris, à déclarer : «On va avoir quelques petits chahuts mais ça va se passer dans le calme car on est en train de construire cette démocratie.» Ce discours officiel réduit aussi le Mouvement du 20 février à des «gauchistes» et des «islamistes», au motif que les jeunes du mouvement islamiste Al Adl Wal Ihsane se sont joints à d'autres jeunes manifestants dès le 20 février et qu'ils phagocyteraient le mouvement.
La révolution marocaine aura son propre rythme, conclut un homme d'affaires marocain qui soutient la contestation : «Le printemps arabe a été le détonateur d'un mouvement de protestation démocratique mais les contestataires n'ont pas un Ben Ali ni un Moubarak à faire tomber. Ils s'attaquent à la tumeur même du régime, au despotisme et à toute la corruption qu'il suppose. La révolution au Maroc prendra du temps. Ce mouvement est une lame de fond.»
MARIE-CHRISTINE CORBIER, ENVOYÉE SPÉCIALE À CASABLANCA ET RABAT
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