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Le mouvement du 20 Février, le Makhzen et l'Antipolitique

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  • Le mouvement du 20 Février, le Makhzen et l'Antipolitique

    LE MOUVEMENT DU 20 FEVRIER, LE MAKHZEN ET L’ANTIPOLITIQUE.
    L’IMPENSE DES REFORMES AU MAROC
    Béatrice Hibou*

    .....

    Il est frappant, pour un observateur extérieur, de constater que les conseillers du roi, le Palais et plus spécifiquement encore le Makhzen sont au centre de toutes les explications sur quelque comportement que ce soit, sur quelque événement advenu ou anticipé, sur quelque opinion exprimée. L’atonie de la vie politique ? La faute au PAM (Parti Authenticité et Modernité) et à El Himma, le conseiller politique de Mohamed VI. Les dysfonctionnements de la télévision ? La faute à Fayçal Laarichi et à Samira Sitail, les conseillers médias du Palais. Le bouleversement des ententes entre entrepreneurs ? L’absence de transparence ?,

    Encore et toujours, la faute à Majidi (conseiller économique et financier) sans que soient mentionnés les comportements de rentiers, les pratiques protectionnistes ou inversement les effets de l’ouverture à l’international, les violences de la dérégulation ou le poids des relations sociales et des arrangements historiquement constitués.

    Sous Hassan II, la faute revenait à Guedira puis à Basri, et l’on retombe, malgré les « réformes », l’ouverture et la modernisation, aux mêmes schémas explicatifs d’un Makhzen omniprésent et omniscient : des âmes damnées d’un Sultan mis à l’écart du dispositif de domination, derrière l’écran magique du Makhzen. Aujourd’hui, dans le concret des perceptions et des interprétations, dans la définition du champ du pensable politiquement, le Souverain et sa cour continuent à donner le « la » des événements politiques.

    Il est révélateur en ce sens que les grands partis politiques ne se soient intéressés et rapprochés du mouvement du « 20 février » qu’après le discours royal du 9 mars annonçant la révision de la Constitution comme réponse aux revendications du mouvement social, et par là même le légitimant en partie. De la même façon, les auditions et les présentations des partis politiques auprès de la Commission de révision de la Constitution sont d’une extrême frilosité, formatées par les anticipations faites par les uns et par les autres de ce que le Makhzen envisage comme réforme effective15.

    Le dernier exemple est donné par les débats autour des commentaires qui ont suivi l’entretien accordé à La Revue par Mohamed Tozy, l’un des membres de la Commission, par ailleurs universitaire de renom16. Ses propos sur la vie politique marocaine, sur les forces en présence, sur les possibilités de mutation du pays… sont occultés. Ne reste que l’interrogation : pourquoi un membre de la Commission, pourtant réputé intègre et indépendant, affirme-t-il que la classe politique n’est pas mûre pour l’avènement d’une monarchie parlementaire ? Avec la réponse inévitable : c’est que le Makhzen lui a dit de le dire, qu’il est en train, ainsi, de définir les limites de la réforme, et notamment de rejeter par avance la possibilité d’une monarchie parlementaire.

    Ce qui caractérise le moment actuel, c’est cette façon de penser qui s’interdit de penser par elle-même. Et qui caractérise aussi bien le monde des affaires que le mouvement social, les intellectuels que la rue, les politiques que les journalistes. Dans une vision simpliste du pouvoir absolu, le pensable politiquement resterait défini par le Makhzen. Alors même que des ouvertures sont faites, que pour la première fois le palais réagit à l’opinion publique en ouvrant le débat, que les acteurs politiques sont invités à s’exprimer, ces derniers restent strictement emmurés dans une vision étroite et figée du Pouvoir. Comme s’il était impossible de penser que le Souverain perde son monopole sur la définition du politique et de son contenu lexical ; comme s’il était inimaginable d’envisager d’autres forces capables de fournir le système politique en symboles d’autorité, en représentations et en images.

    Les acteurs politiques, qu’ils appartiennent ou non aux partis – car la presse ici joue un rôle fondamental de même que des personnes qui s’autoproclament intellectuels et diffusent leurs commentaires sur les réseaux sociaux du net – semblent ne pas vouloir se dégager des représentations et de l’imaginaire politique au coeur des pratiques de domination.

    La conception hassanienne du pouvoir – qui est un bel exemple d’ « invention de la tradition »– avait développé une idée de la légitimité au Maroc qui se mesurait à la capacité de l’État et du Makhzen à diffuser le sens des concepts politiques à l’ensemble de la société. A travers la réhabilitation de la bay’a (cérémonie d’allégeance), elle avait réduit l’importance du droit positif, disqualifié les procédures contractuelles d’exercice du pouvoir, pour conserver un rituel de soumission. Cette capacité à dominer était puissante et étendue, notamment du fait des processus d’intégration de la dissidence.

    Les interprétations actuelles qui renvoient tout aux attentes supposées du palais, aux intentions du roi et aux forces de manipulation du Makhzen renouvellent ces représentations et cet imaginaire. De fait, les acteurs politiques, qu’ils appartiennent au sérail ou aux partis cooptés (au gouvernement comme dans l’opposition) recherchent avant tout l’influence et les positions leur permettant de contrôler les ressources, et donc la proximité au pouvoir central. C’est pour cela qu’ils apparaissent aujourd’hui dans leur inanité, surpris par l’initiative royale qui entend réviser la Constitution et ouvrir le débat sur la responsabilité, les modes de gouvernement et la reddition des comptes.

    Ils préfèrent suivre le Palais plutôt que d’entrer dans un rapport de force avec lui, ce qui explique la faiblesse de leurs propositions. Les populations les perçoivent d’ailleurs non comme leurs représentants, mais comme des intercesseurs auprès de la source suprême du pouvoir, le monarque, ce qui explique aussi leur rejet, alimenté par l’antipolitique institutionnalisé. Mais il en va de même de la très grande majorité des intellectuels, des journalistes, des bloggeurs et des manifestants, qui disent refuser cette relation au Makhzen et vouloir la remettre définitivement en cause mais qui, lui imputant toutes les faiblesses de la société marocaine, non seulement perpétuent une vision intentionnaliste et simpliste d’un pouvoir absolu où n’existe aucune marge de manoeuvre, mais, ce faisant, s’empêchent de modifier les relations de pouvoir.

    Paradoxalement, Ils contribuent donc à la perpétuation de ce qu’ils condamnent. En cela, ils sont aussi, à leur manière, façonnés par l’antipolitique ambiant, ce qui est particulièrement problématique pour la redéfinition des contours de l’action publique et surtout des modes d’exercice du pouvoir. Hormis la toute petite minorité des jeunes issus de Adl wal Ihssane et de Anaahj Addimocrati , d’une partie de la jeunesse de l’Ittihad al ichtiraqui (USFP) et d’une partie de la direction du Parti Socialiste Unifié (PSU) qui cherchent à encadrer le mouvement du « 20 février », ils rejettent les partis, quels qu’ils soient, et leur dénient, par avance, toute capacité de changement sans penser à se substituer à eux, ni même à se structurer et organiser des instances de représentation, de négociation et de médiation. Ils entendent mener une action avant tout politique – quoi de plus politique en effet que demander l’égalité, la justice, le respect des principes de méritocratie ? – mais expriment ces revendications en termes de slogans répétitifs et d’actions spectaculaires sans les articuler à une réflexion politique sur les services publics, la fiscalité ou l’économie politique des inégalités, et de façon plus générale sur les modes de gouvernement économiques et sociaux. L’une de leur seule position politique assumée est « Makhzen dégage »… ce qui revient là encore à le mettre au coeur de leur vision politique.

    Ce refus d’entrer ouvertement dans le jeu politique, d’animer le débat de fond, de prendre parti et de s’engager sur des options claires reste la grande fragilité du mouvement social : les frustrations et le mécontentement sont certes bien relayés par la nébuleuse hétérogène que constitue le « 20 février », mais les revendications restent éclatées, rudimentaires et souvent populistes, ne permettant pas de participer pleinement à la reconfiguration des relations de pouvoir. En l’absence d’engagement et de mutation des partis politiques, les demandes de réformes ne sont pas explicitées, l’analyse des carences, des dispositifs alimentant les sentiments d’injustice et d’humiliation, des mécanismes de production des inégalités et de l’arrêt de l’ascenseur social reste rudimentaire, pour ne pas dire inexistante.

    *Béatrice Hibou est Directrice de recherche au CNRS (CERI/SciencesPo).

    Elle est l’auteur de
    Anatomie politique de la domination, Paris, La découverte, 2011


    L'étude complète : http://www.ceri-sciencespo.com/archi...er/art_bh2.pdf
    Dernière modification par jawzia, 12 juin 2011, 15h59.

  • #2
    Juste, équilibré et pertinent !

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    • #3
      En l’absence d’engagement et de mutation des partis politiques,
      et c'est la le gros problème, on a aucun parti politique digne de ce nom, puisqu'ils sont tous à la bote de leur roi en plus d'être corrompus et affairistes.

      et la, on se retrouvera avec la même configuration d'avant, des partis faible et surtout divisés et corrompus qui ne feront que la "gueguere" entre eux et on nous présentera le roi comme l'ultime sauveur de la nation qui sans lui, l'eau ne coulera pas à khmiss wlad 7adou....

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