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La thérapie keynésienne et l’économie algérienne

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  • La thérapie keynésienne et l’économie algérienne

    Lorsque les pouvoirs publics avaient opté pour une série de plans de relance, juste après l’an 2000, très peu de concertations ont eu lieu, en dehors des cercles officiels. Les syndicats, le patronat, les experts, les ONG ont tout simplement eu droit aux effets d’annonce. A l’horizon 2014, nous aurions dépensé en plans de relance et toutes sortes de programmes quelque 500 milliards de dollars. Sur une base annuelle cela représente plus de 33% de la production nationale hors hydrocarbures par an sur 15 ans. Aucun pays dans le monde n’a injecté autant de ressources, comparativement, pendant si longtemps pour relancer son économie. Nous ne sommes plus dans le schéma des politiques conjoncturelles qui durent généralement entre deux et cinq ans, tout au plus. Nous avons «structuralisé la conjoncture».

    L’appellation d’un programme de cinq ans «plan de soutien à la croissance» est un non-sens. Par définition et par pratiques de politiques économiques, les programmes conjoncturels sont de courte durée. Interrogé sur la portée très à court terme de son modèle, Keynes répondit par sa fameuse boutade : «Dans le long terme, nous serons tous morts». Mais en Algérie, on a planifié de faire quinze ans de keynésianisme. Il faut simplement appeler ces choix : plans de développement quinquennaux, car c’est de cela qu’il s’agit et non d’une politique contra cyclique qui, par nature, relève du court terme. Mais trêve de sémantiques, c’est le fond qui nous intéresse.

    Grands enjeux et piètres choix

    Lorsque la stratégie de relance par les infrastructures fut annoncée plus de dix ans auparavant, nous avons noté une satisfaction générale. Les syndicats, le patronat, les partis politiques et les ONG jubilaient. Nos experts et nos laboratoires de recherche en économie avaient presque tous conforté la démarche. Je n’ai pas relevé une seule objection. C’était l’ère de «Keynes super star». En effet, nous dit-on, l’un des plus grands économistes, sinon le plus grand, ne pouvait se tromper. Sa thérapie (injecter des ressources publiques à court terme pour stimuler la demande) qui a pu juguler la crise de 1929, et produire les mêmes résultats pour la crise des subprimes, ne pouvait faire faillite en Algérie.

    En effet, Keynes avait raison, mais nos experts ont tort. La thérapie keynésienne fonctionne que sous certaines conditions très drastiques : peu d’échange avec le reste du monde, efficacité des marchés financiers et du capital, ressources humaines qualifiées, bonne gouvernance ; en bref, lorsque nous sommes en économie de marché évoluée qui connaît des problèmes de courte durée dus à des causes accidentelles (spéculations et faillites boursières des années trente ; chute de l’immobilier et défauts de paiement – subprimes - ou méfiances des consommateurs et/ou des investisseurs pour des raisons objectives ou subjectives). Les économies des pays sous-développées ont des problèmes de structures : sous qualifications humaines, insuffisance en nombre et en qualité des entrepreneurs, bureaucratie excessive, Etat inefficace, entreprises et institutions publiques très mal gérées, absence de concertations et le reste. Dans ce contexte, l’ordonnance keynésienne est inopérante. Les pays développés ont des grippes. Les pays sous-développés ont une tuberculose. Le schéma thérapeutique n’est pas le même. Les premiers ont besoin d’une ordonnance keynésienne et les seconds d’un schéma «schumpetérien». Ce n’est pas du tout la même chose.

    J’ai passé plus de neuf ans à analyser – à l’aide de mini-modèles économétriques - les ripostes de nombreux pays aux graves problèmes de conjonctures, tels que les récessions, l’inflation et la stagflation. Je n’ai pas connu de modèle ou d’économiste qui prodiguerait le keynésianisme pour un pays sous-développé. Dans un article célèbre, «Le multiplicateur keynésien et les pays sous-développés», François Perroux, le plus grand chantre du keynésianisme en France, conclut : «le keynésianisme n’a aucune validité dans les pays sous-développés». A. K. Dasgupta a non seulement fait une revue de toute la littérature sur la question mais a provoqué un colloque spécialement dédié au thème «La théorie keynésienne et les pays sous-développés». La conclusion est également évidente : «Le keynésianisme a très peu de validité pour les pays sous-développés». Normal ! Dans les pays en développement, il faut surtout des politiques de l’offre qui vont créer leur propre demande (avec des précautions techniques que nous ne pouvons détailler). Les politiques de demande échouent toujours dans le contexte des pays en voie de développement. Nous sommes l’un des rares pays dans le monde qui fait encore ce genre de confusion.

    Implications pratiques pour l’Algérie
    Les conséquences sont énormes pour notre pays. Pour mieux comprendre la non validité du schéma keynésien, et donc des choix de notre pays, situons-nous au niveau microéconomique. Prenons une entreprise de réalisation de logements dans un pays sous-développé : elle a un encadrement peu formé, des travailleurs peu qualifiés et démotivés, une organisation désarticulée, des chefs de projet peu compétents.Son management est si pauvre qu’elle produit un logement à trois ou quatre fois son coût normal avec des multiples malfaçons. C’est le cas de nombreuses entreprises publiques chez nous. Le logement social ne nous coûte pas 3 à 4 millions de dinars. C’est une illusion d’optique. Si on intégrait les multitudes d’assainissements et de créances bancaires impayées nous arriverions à 7 ou 8 millions de dinars par logement. Si on pratiquait du keynésianisme ; nous allons injecter beaucoup d’argent pour créer des marchés à cette entreprise et lui donner l’illusion qu’elle est fiable. Nous l’encourageons à demeurer inefficace. Nous recevons un logement pour le prix de trois.

    Plus on lance les projets de ce genre plus les entreprises se complaisent dans une culture anti-efficacité. Maintenant, supposons que nous pratiquions la thérapie schumpétérienne. Les priorités seraient diamétralement opposées. On forme les ressources humaines d’abord, on réorganise l’entreprise, on crée une multitude d’autres pour encourager la compétition et la faillite, on stimule la recherche et le développement, on introduit un management de classe mondiale d’abord, on modernise l’environnement (climat des affaires). Ce n’est qu’après avoir réussi à rendre l’entreprise performante qu’on lui alloue des marchés et tout le monde y gagnerait. Dans les pays développés, les entreprises existent en nombre et en qualité managériale.

    En Algérie, nous avons 450 000 entreprises au lieu de 1500 000 et 90% ont des pratiques managériales défaillantes. Il faut donc corriger ces défaillances au lieu d’allouer des ressources à des entreprises malades. L’analyse microéconomique – fortement simplifiée - nous explique l’erreur commise. Généralement, on donne les métaphores suivantes : si vous avez un moteur de véhicule défectueux, allez-vous le réparer d’abord ou lui ajouter de l’huile et de l’essence ? Si un sportif est malade, allez-vous le soigner d’abord ou le sur-doser en vitamines pour améliorer ses résultats ? Nos experts sont en train de mettre de l’essence dans un moteur détérioré et/ou de doper un sportif malade.

  • #2
    Que faire à l’avenir ?
    A la fin de 2014, après avoir injecté 500 milliards de dollars (dont plus de 90% consacrés aux infrastructures), nous aurions sur notre sol l’équivalent de 120 à 150 milliards de dollars d’équipements. La différence avec les 500 milliards sera les restes à réaliser, les surcoûts, un sous- management des projets, etc. Ceci arrive dans tout pays sous-géré qui fait de la politique conjoncturelle au lieu de régler ses problèmes structurels. L’échec de ces plans n’est pas dû au fait que la croissance moyenne hors hydrocarbure est de 6% au lieu d’être de plus de 12%.Elle est liée au fait qu’après avoir dépensé plus de 500 milliards de dollars, nos entreprises seront toujours non compétitives, le climat des affaires détérioré, les exportations hors énergie en régression, les importations en pleine expansion et aucune économie hors hydrocarbure ne se dessine. Si on cesse d’injecter des ressources, nous aurons tout de suite une terrible récession et un taux de chômage de plus de 30% (les travailleurs des chantiers seront libérés).

    La maîtrise du sous-développement demeure un rêve lointain malgré les énormes ressources mobilisées. L’idée selon laquelle l’essentiel est d’avoir des infrastructures que l’on peut utiliser par la suite n’est pas recevable. L’économie est une science de l’allocation efficace des ressources aux meilleures fins possibles. Le fait que nous obtenions trois ou quatre fois moins d’équipements que ce qui est normal avec les sommes dépensées est inadmissible. Mais ce qui nous intéresse, c’est l’avenir et comment sortir de cette dépendance pétrolière ? Il nous faut alors un autre plan. Probablement l’équivalent en termes de volume de ressources, mais affectées autrement. Imaginons que l’on puisse concevoir un plan «schumpétérien» cette fois-ci, c’est-à-dire plus en rapport avec nos réalités. Que ferions-nous avec les 500 milliards de dollars ? On va les répartir à peu près de la manière suivante (les chiffres sont illustratifs et très approximatifs).

    Nous aurons 120 à 130 milliards de dollars qui seront dépensés pour améliorer qualitativement notre système éducatif – en privilégiant l’université - parce qu’elle aura un effet multiplicateur sur la formation professionnelle et l’ensemble du système éducatif. Il s’agit de recycler l’ensemble des Algériens de moins de 50 ans en plus de former les nouvelles générations. Au moins 100 milliards de dollars iront à la modernisation managériale : TIC, e-government, fiabilisation des données statistiques, simulateurs, amélioration de l’environnement des affaires, management administratif par objectifs, création de milliers d’incubateurs et d’un réseau d’entreprises de conseil de classe mondiale pour accompagner la ré-ingénierie de nos institutions, etc.

    Nous aurons besoin d’injecter au moins 150 milliards pour créer un million de nouvelles entreprises en plus d’accompagner celles qui réussissent actuellement. On peut alors disposer d’une centaine d’autres milliards pour parachever les infrastructures. Au final, nous aurons presque le même volume d’équipements supplémentaires. Mais nous aurons créé une économie hors hydrocarbure et des capacités de croissance intensive (sans injection de ressources par l’Etat). Nous serons alors en phase avec les caractéristiques des nouveaux régimes de croissance qui reposent sur :l’économie de la connaissance, les TIC, l’innovation et les nouvelles technologies (nano, environnement, énergies vertes).

    Avec un tel plan mais bien ordonnancé et exécuté, l’Algérie aurait une croissance à deux chiffres, un taux de chômage inférieur à 3% et deviendrait un dragon économique. Il reste que le diable est dans les détails. La conception et l’exécution d’un tel plan peuvent déraper à cause d’un mauvais ordonnancement ou d’une institution qui retarde tout le processus ou de tout autre détail important. Pour cela, l’organisation économique de l’Etat doit évoluer vers plus de considérations stratégiques (créer cette institution cerveau et les think tanks qui nous manquent), de concertation, de professionnalisation et de responsabilisation des personnes et des institutions. Il nous reste à peu près quinze ans, juste le timing qui coïncide avec l’arrêt de nos exportations d’énergie, selon les experts dans le domaine. Nous n’avons donc plus le droit à l’erreur. Il est toujours possible de réintégrer l’élite des pays émergents. Mais la chirurgie nécessaire est si complexe qu’on ne peut être optimiste qu’à la condition d’opérer une ré-ingénierie globale et méticuleuse de toutes les institutions du pays par des experts avérés qui dialoguent en permanence avec tous les acteurs économiques.

    Abdelhak Lamiri (PH. D. en sciences de gestion)

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