La mécanique infernale
Aujourd’hui que s’amorce un certain redécollage économique, les décideurs avouent que le gros problème auquel ils sont confrontés, dans la conduite des énormes investissements consentis par l’Etat, est la rareté des cadres qualifiés. Et ce fut au cours d’une visite d’un gros chantier dans la capitale que le président de la République, s’apercevant du grave déficit en managers dans le pays, laissa éclater sa colère en direction de son gouvernement. A l’évidence, il y a péril en la demeure. Les projets économiques n’arrivent pas à démarrer ou à assurer leur pérennité, pénalisés par le déficit en personnel de haut niveau. Les entreprises étrangères qui décident de travailler en Algérie sont souvent contraintes de ramener leurs cadres dirigeants dans leurs valises. Le pays est devenu une sorte d’eldorado pour les Tunisiens, Libanais et autres. Les administrations centrales et les collectivités locales, elles aussi, souffrent cruellement du sous-encadrement et n’arrivent pas à élever le niveau de leurs prestations. Le risque est qu’à un moment ou un autre, l’Algérie sera contrainte de recourir massivement, comme durant les décennies 60 et 70, au personnel étranger coopérant. La différence aujourd’hui par rapport à l’après-indépendance est que les diplômés algériens qui sont légion sont soit sous-qualifiés soit tentés par l’exil. Et lorsqu’ils occupent, tant bien que mal, un poste, ils sont misérablement rémunérés. Les conflits sociaux sont d’ailleurs devenus le lot quotidien du pays. On en est arrivé là par l’aveuglement des différents responsables politiques. Tant que l’économie nationale était tributaire de la rente, nul d’entre eux ne se souciait de l’intelligence et du savoir : des décennies durant, les universités, les écoles et les instituts durent fonctionner pour la seule délivrance d’un bout de papier, pratiquement sans valeur aucune, destiné généralement à satisfaire les énormes flux d’étudiants venus des enseignements secondaire et primaire, eux-mêmes gagnés par la clochardisation. Délivrés à la pelle, les diplômes de fin d’études et les licences servaient surtout à enjoliver les tableaux des statistiques. Dans la prédation générale qui avait affecté le pays tout entier, des doctorats furent décernés par décision administrative ou par complaisance des autorités universitaires : la médiocrité a été ainsi autorisée à être reproduite à l’infini à travers une nouvelle race de mandarins chargée « d’encadrer » les étudiants en postgraduation. Il y eut certes d’excellents professeurs et de bons élèves, mais ils se perdirent dans la masse. Le coup de grâce a été asséné durant les années 90 lorsque, pour sauver leur peau, des milliers de cadres durent choisir des horizons plus cléments pour continuer à vivre et travailler dans la paix. A ce jour, rien n’est venu arrêter cette mécanique infernale dont tout le monde semble trouver son compte : aucun diagnostic sérieux n’a été fait et aucune réforme structurelle, profonde et hardie, engagée. Ahurissant.
Ali Bahmane (Edito:El watan du 9 mai 2006)
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Aujourd’hui que s’amorce un certain redécollage économique, les décideurs avouent que le gros problème auquel ils sont confrontés, dans la conduite des énormes investissements consentis par l’Etat, est la rareté des cadres qualifiés. Et ce fut au cours d’une visite d’un gros chantier dans la capitale que le président de la République, s’apercevant du grave déficit en managers dans le pays, laissa éclater sa colère en direction de son gouvernement. A l’évidence, il y a péril en la demeure. Les projets économiques n’arrivent pas à démarrer ou à assurer leur pérennité, pénalisés par le déficit en personnel de haut niveau. Les entreprises étrangères qui décident de travailler en Algérie sont souvent contraintes de ramener leurs cadres dirigeants dans leurs valises. Le pays est devenu une sorte d’eldorado pour les Tunisiens, Libanais et autres. Les administrations centrales et les collectivités locales, elles aussi, souffrent cruellement du sous-encadrement et n’arrivent pas à élever le niveau de leurs prestations. Le risque est qu’à un moment ou un autre, l’Algérie sera contrainte de recourir massivement, comme durant les décennies 60 et 70, au personnel étranger coopérant. La différence aujourd’hui par rapport à l’après-indépendance est que les diplômés algériens qui sont légion sont soit sous-qualifiés soit tentés par l’exil. Et lorsqu’ils occupent, tant bien que mal, un poste, ils sont misérablement rémunérés. Les conflits sociaux sont d’ailleurs devenus le lot quotidien du pays. On en est arrivé là par l’aveuglement des différents responsables politiques. Tant que l’économie nationale était tributaire de la rente, nul d’entre eux ne se souciait de l’intelligence et du savoir : des décennies durant, les universités, les écoles et les instituts durent fonctionner pour la seule délivrance d’un bout de papier, pratiquement sans valeur aucune, destiné généralement à satisfaire les énormes flux d’étudiants venus des enseignements secondaire et primaire, eux-mêmes gagnés par la clochardisation. Délivrés à la pelle, les diplômes de fin d’études et les licences servaient surtout à enjoliver les tableaux des statistiques. Dans la prédation générale qui avait affecté le pays tout entier, des doctorats furent décernés par décision administrative ou par complaisance des autorités universitaires : la médiocrité a été ainsi autorisée à être reproduite à l’infini à travers une nouvelle race de mandarins chargée « d’encadrer » les étudiants en postgraduation. Il y eut certes d’excellents professeurs et de bons élèves, mais ils se perdirent dans la masse. Le coup de grâce a été asséné durant les années 90 lorsque, pour sauver leur peau, des milliers de cadres durent choisir des horizons plus cléments pour continuer à vivre et travailler dans la paix. A ce jour, rien n’est venu arrêter cette mécanique infernale dont tout le monde semble trouver son compte : aucun diagnostic sérieux n’a été fait et aucune réforme structurelle, profonde et hardie, engagée. Ahurissant.
Ali Bahmane (Edito:El watan du 9 mai 2006)
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