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L'appartenance de la Turquie à l'OTAN est devenue plus coûteuse qu'utile

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  • L'appartenance de la Turquie à l'OTAN est devenue plus coûteuse qu'utile

    Bertrand Badie, politologue.

    Julien : Afin de comprendre le débat est-il possible de définir qu'est-ce que l'on entend par "allié" ? De nos jours les économies sont tant interconnectées que le mot n'a peut-être plus de sens ?

    Bertrand Badie. Vous avez raison de noter que l'idée d'alliance renvoie en même temps à celle d'ennemi et à celle de durée. L'alliance était conçue dans une perspective d'équilibre de puissance en même temps pour protéger et dissuader celui qui faisait planer une menace de quelque nature qu'elle fût. Dans un premier temps, dans les deux siècles qui ont suivi la paix de Westphalie, l'alliance était précaire, sujette à des coalitions variables qui pouvaient très vite changer d'orientation et de configuration. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, ces coalitions purent s'inscrire dans la durée et l'alliance se construisait au-delà des conjonctures, comme l'expression d'une association durable entre Etats qui partageaient les mêmes objectifs et percevaient à leur encontre les mêmes menaces.
    Cet accomplissement de l'alliance dans le temps a connu une traduction institutionnelle sous forme de pactes qui, à l'instar du Pacte atlantique ou du Pacte de Varsovie, venaient structurer en profondeur les relations internationales. Aujourd'hui, comme vous l'indiquez, ces idées fondatrices sont remises en question. D'une part, la notion d'ennemi tend à se distendre, voire se dissoudre, par le jeu des interdépendances et aussi du fait des transformations qui affectent la menace, laquelle devient beaucoup plus diffuse et beaucoup plus mobile.
    D'autre part, et en partie pour cette dernière raison, la durée n'a pas la même pertinence : le choc entre Etats peut relever de conjonctures instables, rendant souvent inadapté le modèle de l'alliance institutionnalisée. C'est la raison pour laquelle la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd'hui promeut davantage l'autonomie que l'alliance, et vient quelque peu affadir l'idée d'un engagement structurel liant durablement les Etats entre eux.
    Buchner : Est-ce que les alliés d'un grand pays comme les Etats-Unis peuvent être objectivement ennemis ?

    Bertrand Badie : L'effet de conjoncture tel que nous l'avons décrit et la transformation profonde qui affecte la menace rendent les alliances beaucoup plus vulnérables et les solidarités beaucoup plus incertaines.
    D'autant que la mondialisation complexifie à souhait le jeu des intérêts, plaçant les alliés d'hier en position de rivaux plus ou moins éphémères. C'est probablement là la principale raison qui vient affaiblir ce réseau d'alliances que les Etats-Unis ont tissé autour d'eux qui, paradoxalement, est beaucoup plus inclusif que du temps de la bipolarité, mais, du coup, infiniment plus relâché.
    Cette réalité pèse sur l'avenir même de l'Alliance atlantique, mais elle attaque aussi des solidarités que l'on croyait installées durablement, comme celle unissant entre eux les Etats d'Amérique, ou encore celle qui était censée rattacher plusieurs Etats du Moyen-Orient à l'orbite américaine.
    Au temps de la bipolarité, les Etats-Unis pouvaient réunir ces diverses constellations en faisant valoir la menace que le système soviétique faisait peser sur toutes les parties du monde. Aujourd'hui, il n'y a plus de facteur commun, mais au contraire, un renforcement très substantiel des facteurs de fragmentation.
    Emmanuel : La plupart de ces Etats sont des alliés des Etats-Unis au niveau de leurs gouvernements mais pas nécessairement au niveau de leurs populations, comment expliquer ce paradoxe ?

    Bertrand Badie : Vous avez tout à fait raison d'insister sur ce point. Avec la montée en force des sociétés au sein même de l'arène internationale, l'alliance devient plus difficile car les gouvernements ont de moins en moins le monopole de la construction de relations de ce type, qui dépendent de plus en plus des choix sociaux, des orientations de l'opinion publique et du jeu des acteurs transnationaux les plus performants.
    Le phénomène est renforcé par le jeu d'un double facteur. D'une part, la dénonciation des Etats-Unis ou de l'hégémonie américaine est souvent une forme d'expression de la fonction d'opposition au sein de systèmes encore peu démocratiques et dont la participation est faiblement institutionnalisée.
    Le langage de l'antiaméricanisme devient un élément banal du débat politique. En outre, la mondialisation conduit à une internationalisation des enjeux de contestation : les revers économiques, les déboires sociaux, les chocs culturels sont aisément mis au compte des jeux de domination qui s'accomplissent à l'échelle internationale, faisant de la dénonciation des Etats-Unis un instrument presque mécanique du jeu politique intérieur. Le phénomène est évident en Amérique latine et a joué un rôle considérable dans le retrait de celle-ci de l'orbite américaine. Il se retrouve de manière aggravée au Moyen-Orient, où l'antiaméricanisme atteint des taux records dans les pays alliés de Washington et plombe peu à peu la diplomatie de ces derniers.
    Yannick : Les Etats-Unis ont-ils le même poids diplomatique qu'aux époques antérieures ?

    Bertrand Badie : C'est bien tout le problème. A titre personnel, je ne souscris pas du tout à la thèse du déclin américain. Mais j'adhérerais davantage à celle du déclin de la puissance, au moins dans sa forme classique.
    Quel que soit le niveau atteint par la puissance américaine, celle-ci perd, avec l'effondrement de la bipolarité, sa faculté d'attraction. Ce qui a conduit le monde à un processus remarquable de dépolarisation. Autrement dit, on peut être puissant, et même plus puissant qu'hier, avoir des ressources, des atouts, sans pour autant garder la même capacité d'attraction pour une raison au demeurant très simple : l'autonomie est aujourd'hui une conduite beaucoup plus rationnelle qu'hier, et on est davantage gagnant à gouverner de façon libre de toute tutelle a priori, en choisissant, voire en modifiant, ses alignements au gré des circonstances.
    Rester dépendant d'une puissance qui perd une part substantielle de son efficacité constitue aujourd'hui un handicap qui a notamment pour effet de tenir l'Etat qui s'y prête hors du jeu de la mondialisation, de sa fluidité et de ses interdépendances. L'Arabie saoudite au Moyen-Orient, le Brésil en Amérique du Sud, la Turquie en Méditerranée orientale en sont l'illustration la plus convaincante : leur politique étrangère est davantage dépendante des fluctuations conjoncturelles et des enjeux rencontrés, voire des opportunités offertes, que de l'impeccable alignement qu'impliquait jadis le risque d'un conflit généralisé entre l'Est et l'Ouest
    Albert : Est-ce que les Etats-Unis ne doivent pas repenser leurs alliances dans leurs fondements ?

    Bertrand Badie : Dès l'effondrement de la bipolarité, le président George H. Bush a tout fait pour s'en dispenser, se hâtant de confirmer l'Alliance atlantique et de l'élargir, comme pour construire un monde unipolaire qui serait ordonné par un vaste système d'alliances partant de Washington.
    L'idée n'a pas été remise en cause par ses successeurs : le démocrate Clinton choisissant la continuité, tandis que les néoconservateurs autour de George W. Bush ne firent que renforcer le postulat de départ. L'échec des néoconservateurs a incontestablement ouvert un débat : l'idée d'unipolarité, celle de leadership, mais surtout celle d'un monde unique sont de plus en plus remises en cause aux Etats-Unis.
    Le discours du Caire de Barack Obama optait pour un monde plural dont l'Alliance n'était évidemment plus l'élément constitutif. Son discours devant l'assemblée générale des Nations unies en septembre 2009 ouvrait de façon intéressante l'hypothèse d'une reconversion de ces alliances unipolaires en un système multilatéral qui ne demandait qu'à revivre. La pratique évoluait, mais probablement de façon plus discrète : les choix de la diplomatie américaine lors de la crise tunisienne et de la crise égyptienne indiquaient que l'idée d'alliance n'était peut-être plus la colonne vertébrale de la politique étrangère élaborée à Washington.
    Depuis, il semblerait qu'on soit redescendu d'un cran : dans son discours prononcé en mai devant le département d'Etat, Obama réintroduisait l'idée "d'intérêt à court terme" des Etats-Unis, qui semblait exiger le gel des logiques d'alliances. Dans son allocution prononcée devant la Chambre des communes quelques jours plus tard, il replaçait l'axe Washington-Londres au centre de sa diplomatie. On est donc sur une ligne de crête, mais il est clair que l'idée taboue d'alliance, déjà sérieusement escamotée par les alliés, commence à être rediscutée chez le patron américain lui-même.
    « N’attribuez jamais à la malveillance ce qui s’explique très bien par l’incompétence. » - Napoléon Bonaparte

  • #2
    Suite

    Hassan : Le Printemps arabe remet-il en cause le mode d'alliance entre les pays arabes et les Etats-Unis mis en place jusque-là ?

    Bertrand Badie : En fait, c'est une histoire forte, mais qui se joue en trois temps. Le premier précède le printemps arabe de quelque dix ans : avec le 11-Septembre, le jeu des alliances entre les Etats-Unis et les pays arabes dits pro-occidentaux a commencé à se brouiller.
    L'Arabie saoudite révélait ainsi qu'elle avait toujours gardé une part d'autonomie, qui s'exprimait à travers ses liens privilégiés avec les mouvements de type salafiste. Mais en mettant l'enjeu islamiste radical au centre des relations internationales, les Etats-Unis n'ont fait que hâter ce processus d'autonomisation et l'aggraver. Riyad était désormais en situation de concilier de façon subtile l'alliance américaine et les connexions fondamentalistes au centre desquelles se trouvait bien souvent le royaume wahabite. D'autant plus que le blocage du conflit israélo-palestinien imposait à l'Arabie saoudite de garder ses distances avec un allié américain qui pouvait lui être encombrant.
    Le projet de "Grand Moyen-Orient" promu naïvement par l'administration néoconservatrice rendait cette alliance encore plus problématique, et cette fois-ci, le royaume n'était plus seul, mais rejoint par l'Egypte, plusieurs monarchies du Golfe, et même la Jordanie, qui n'entendaient nullement soumettre l'avenir de leurs régimes à une alliance dont les avantages leur paraissaient de moins en moins évidents. Du coup, le printemps arabe n'intervient que dans un troisième temps, alors que plus aucun régime de la région ne misait franchement sur l'alliance américaine. Peut-être est-ce là l'une des raisons pour lesquelles Barack Obama a choisi courageusement de prendre le risque de lâcher ses alliés d'hier, en poussant Ben Ali, puis Moubarak, vers la porte.
    Cette dynamique, qu'on croyait alors bien partie, a connu cependant ses limites à mesure que la crise se précisait : Washington ne lâchera pas Bahreïn pour ne pas offrir un avantage unilatéral à l'Iran chiite, mais s'accommodera des répressions sanglantes menées par Ali Abdallah Saleh, qui constituait un allié utile dans une région réputée vulnérable à Al-Qaida. On a cru ainsi un moment assister à la renaissance du principe d'alliance dans cette région du monde en pleine ébullition. On notera pourtant que la prudence américaine à l'égard du régime de Damas n'obéit pas tant à la rationalité de l'alliance qu'à l'adhésion des diplomates américains à l'idée de stabilité, voire de statu quo, ce qui montre bien qu'on est déjà dans une autre histoire.
    Tutti frutti : Faut-il considérer que la relation stratégique entretenue avec Israël cause du tort à l'image globale des Etats-Unis dans le monde ?

    Bertrand Badie : Elle cause un tort certain aux relations entre les Etats-Unis et les pays arabes. C'est incontestablement la source première de l'antiaméricanisme qu'on perçoit de Damas à Nouakchott.
    D'autant que l'alliance israélo-américaine a une double face : d'une part, celle, très classique, de deux Etats liés profondément et durablement pour faire face à une menace clairement identifiée par eux ; d'autre part, celle d'une asymétrie de plus en plus forte qui rend le plus puissant des deux totalement dépendant de la volonté et des choix stratégiques du plus petit. Preuve supplémentaire que le modèle d'alliance classique est de moins en moins pertinent, que la réciprocité qui le fondait est passée de mode, et que le plus puissant n'est pas nécessairement le plus fort...
    Cette dépendance de Washington à l'égard de Tel-Aviv ne peut qu'aviver les critiques, voire le rejet, qui se banalisent au sein des sociétés arabes et dont les gouvernements doivent de plus en plus tenir compte. En fait, Washington doit payer le prix d'une alliance qui n'en est plus une et d'une soumission de fait qui passe de plus en plus mal.
    Florian : Peut-on encore considérer le Pakistan comme étant un allié aux Etats-Unis ?

    Guest : Peut-on considérer que le Pakistan fut, est ou sera un allié des Etats-Unis ?
    Bertrand Badie : Le Pakistan est effectivement un exemple très intéressant. L'alliance de départ était presque le fruit du hasard : la rivalité indo-pakistanaise, qui remonte à la partition de 1947, combinée aux options neutralistes, tiers-mondistes, et en fait antiaméricaines, du premier ministre indien J. Nehru, a conduit les dirigeants pakistanais à se tourner très vite vers les Etats-Unis et la Chine, pour équilibrer les bonnes relations entre Delhi et Moscou. Il n'y avait ni choix de valeurs ni choix géopolitiques, mais une sorte de réflexe de protection dont le paradoxe se mesurait au fait que Pékin et Washington étaient la main dans la main, y compris au temps de la Révolution culturelle, pour protéger Islamabad...
    Cette alliance sans racines est devenue encore plus étrange lorsque l'évolution du conflit afghan a rapproché le Pakistan des talibans, alors que le jeu de ses leaders était de renforcer, pour des raisons de politique intérieure, l'orientation islamique, voire islamiste, du régime. Alors qu'on sortait de la bipolarité, l'Inde s'est très vite rapprochée des Etats-Unis, tandis que l'URSS, devenue Russie, perdait de sa pertinence dans la région. Des régimes, au demeurant fort peu démocratiques, faisaient du Pakistan une dictature face à une Inde démocratique : voilà qui rendait l'alliance avec les Etats-Unis pour le moins fragile dans ses valeurs.
    On peut considérer que depuis la dictature de Musharraf, les relations entre Washington et Islamabad n'étaient que pragmatiques, voire cyniques : obtention d'une aide économique d'un côté, tentative de contenir le terrorisme de l'autre. L'alliance ne devenait qu'un marchandage instable et incertain dont le prolongement aujourd'hui paraît sans cesse plus artificiel quand on connaît l'évolution antiaméricaine de l'opinion publique pakistanaise, les connexions toujours aussi fortes entre les services pakistanais et les réseaux fondamentalistes, la corruption incroyable des dirigeants du Pakistan... Cet exemple montre bien que tous les facteurs qui jadis fixaient les politiques d'alliance ont aujourd'hui disparu, et que celles-ci voguent un peu comme un bateau ivre.
    Mariana : La victoire de l'AKP d'Erdogan va-t-elle changer les rapports entre les Etats-Unis et la Turquie ?

    Mortimer : Suite aux dernières élections, la Turquie s'est nettement détournée des perspectives européennes tout en revendiquant une sorte de leadership régional. Le refroidissement diplomatique avec Israël se prolonge. Comment percevez-vous la pérennité du liens stratégiques Turquie-Etats-Unis ? Les Etats-Unis auront-ils à choisir entre leur allié idéologique israélien et le propriétaire du Bosphore ?

    Bertrand Badie : Tout ceci a évolué de façon remarquable, mais déjà depuis longtemps. En fait, depuis la fin de la bipolarité. L'arrivée au pouvoir de l'AKP n'a fait que rendre visible une mutation profonde qui a accompagné l'émergence de la Turquie comme puissance moyenne. Celle-ci dispose d'atouts diplomatiques considérables qui ruinent l'hypothèse de son insertion dans une alliance durable qui ne pourrait désormais que l'entraver.
    Un pied au nord, un autre au sud, la Turquie a gagné ses galons d'intermédiaire, voire de médiateur. Vu la manière dont elle est placée sur la carte du monde, de tels atouts lui donnent une vertu de puissance régionale que son appartenance à l'OTAN ne peut à terme qu'embarrasser.
    Les Etats-Unis, comme d'ailleurs l'Europe qui a totalement manqué le coche, ne peuvent adopter dans cette affaire qu'une attitude réactive, suivre passivement l'évolution diplomatique d'une puissance comme celle d'un gouvernement dont le chef, le soir de sa victoire électorale, présente celle-ci comme une bonne nouvelle non seulement pour Istanbul, mais aussi pour Sarajevo, non seulement pour Ankara, mais aussi pour Damas.
    Emmanuel : Que reste-t-il de la doctrine Monroe dans un monde ouvert ?
    Bertrand Badie : Il n'en reste absolument rien. C'est probablement là l'une des mutations majeures des vingt dernières années. Une menace castriste de moins en moins crédible avait figé cette relation intime entre Washington et les régimes d'Amérique latine. L'effondrement de cette menace a été parallèle à celui des dictatures latinoaméricaines : il a ouvert la voie à une entrée des pays concernés dans la mondialisation.
    Les plus forts d'entre eux, et en tout premier lieu le Brésil, ont découvert les ressources diplomatiques qu'ils pouvaient en retirer et l'autonomie qu'ils pouvaient conquérir par rapport au patron du Nord. Aujourd'hui, le cycle ouvert par Monroe est donc définitivement clos : le Brésil, en gagnant son autonomie et en sortant d'une logique d'alliance, atteint le niveau de la diplomatie la plus performante du monde en étant capable d'entretenir de bonnes relations autant avec les Etats-Unis de George W. Bush qu'avec l'Iran d'Ahmadinejad.
    Nikolaz : Sur le dossier libyen, peut-on dire que l'OTAN s'est émancipée des Etats-Unis ? (ou que la Grande-Bretagne agit pour une fois de manière autonome ?)
    Bertrand Badie : D'un certain point de vue, oui. Très clairement, France et Grande-Bretagne avaient un jeu proactif dans le lancement de cette opération, forçant et contraignant d'une certaine manière, sinon la diplomatie américaine, du moins celle d'Obama. On peut sérieusement émettre l'hypothèse que l'un des facteurs ayant encouragé Britanniques et Français à agir de la sorte était de dépasser le leadership américain sur l'Alliance et de montrer que c'était possible. C'est une manifestation comme une autre des logiques d'autonomie que je pointais tout à l'heure. C'est peut-être aussi le début de la fin de l'Alliance, puisque c'est la conduire vers des formes de réalisation centrifuges.
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    • #3
      suite et fin

      Tewfik : La Turquie pourrait-elle alors décider de sortir de l'OTAN pour les raisons que vous avez évoquées ?
      Bertrand Badie : Oui, j'en fais le pari. Surtout si l'AKP reste durablement au pouvoir. On a aujourd'hui dépassé un certain cap : l'appartenance d'Ankara à l'OTAN est devenue plus coûteuse et entravante que productive et utile. Si Erdogan persiste dans son projet régional ou "ottoman", son appartenance à l'Alliance atlantique ne pourra que lui sembler de plus en plus insupportable.
      Raphael : Les pays d'Asie du Sud-Est peuvent-ils devenir de véritables alliés des Etats-Unis, en réaction à la montée d'une Chine qui ne cesse d'affirmer ses ambitions ?

      Bertrand Badie : Les pays de l'Asie du Sud-Est ont plutôt fait le chemin inverse. L'Asean a été créée en 1967 sur un schéma d'alliances rigide et exigeant, liant intimement ces pays aux Etats-Unis, qui combattaient alors au Vietnam.
      Depuis, bien des choses ont changé : certains de ces "alliés" sont devenus des émergents et ont tenté de renforcer leur autonomie. C'est vrai de l'Indonésie, mais aussi de la Thaïlande, et bien sûr de la Malaisie. L'entrée dans le jeu régional du Vietnam et des anciens pays de l'Indochine a probablement renforcé cette logique d'autonomisation. Si les Philippines restent un des pays dont l'opinion publique est la plus proaméricaine, sa sortie de la dictature a atténué la rigueur de ses liens avec Washington.
      Quant à la Chine, il me paraît un peu simple de la construire sous forme d'une opposition frontale aux Etats-Unis. Certes, les Etats d'Asie du Sud-Est craignent une domination chinoise qu'ils cherchent à équilibrer, mais en même temps, notamment à travers l'Asean + 3, ils s'inscrivent de plus en plus dans un processus d'intégration régionale et d'interdépendance, non seulement avec le géant chinois, mais aussi avec la Corée, le Japon, et peut-être bientôt l'Inde. Je ne crois pas que la simplicité du jeu d'alliance puisse organiser les relations au sein de l'Asie de demain.
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