Elles s'appellent Cassidy, Solomon, Livingston ou Edelman. Ce sont toutes des firmes de « relations publiques » américaines à qui le Maroc verse depuis quelques années des millions de dollars pour obtenir le soutien stratégique de Washington sur le Sahara. A la veille d'un Conseil de Sécurité crucial devant lequel le Maroc devrait, a priori, défendre son plan d'autonomie élargie, le recours à ce lobbying à l'impact discutable, a-t-il encore des chances, d'être payant ?
Dans les années 70, quand Hassan II a voulu remettre sur pied une armée étêtée par deux tentatives de coup d'Etat et se lancer dans l'aventure du Sahara, il a demandé le soutien de son vieil ami Vernon Walters, ex-patron de la CIA, pour convaincre le Congrès américain de lui permettre de moderniser son arsenal militaire. À l'époque, le lobbying marocain à Washington n'avait besoin que d'un coup de fil à la Maison-Blanche, la logique de la « guerre froide » s'occupait du reste. Depuis, la donne géostratégique a beaucoup changé et la monarchie n'a plus les coudées franches avec son chaperon de toujours. Un an avant sa disparition, Hassan II avait déjà assimilé que la solution référendaire comme issue favorable au conflit enlisé du Sahara était sérieusement compromise et que l'idée d'un Maroc, tête de pont du « monde libre » au Maghreb avait, depuis la chute du mur de Berlin, fait son temps. Les rapports d'Amnesty International comparant le roi du Maroc aux plus infréquentables dictateurs de la planète, jusqu'ici inaudibles aux oreilles de Washington, assuraient le vent en poupe au Polisario dans les arcanes du Congrès. Le succès d'un seul homme, Mouloud Saïd, représentant presque esseulé des séparatistes en terre américaine et qui a fait de la cafétéria du Capitole son quartier général, allait sortir la diplomatie chérifienne de sa douce torpeur. Saïd était devenu en peu de temps la coqueluche du gotha diplomatique et la bête noire d'un Mohamed Benaïssa, alors ambassadeur du Maroc, dont les gazettes du « Hill » se plaisaient à narrer le faste désuet de ses cocktails dînatoires.
Cassidy à la rescousse
En juillet 1998, un article dévastateur du très influent « Legal Times », la bible des faiseurs d'opinion à Washington, a relaté comment Benaïssa avait perdu pied face au « nomade » Mouloud Saïd. Certain de se suffire de l'appui inconditionnel de l'Exécutif américain, Benaïssa avait laissé le champ libre au Polisario au Congrès. L'erreur fut presque fatale pour ses accointances avec le complexe militaro-industriel US . Depuis 1995, plus d'une centaine de Congressmen avaient fait le déplacement dans les camps de Tindouf grâce à l'entregent de la Defence Forum Foundation de l'activiste Suzanne Sholte, une petite mais très efficace antenne des conservateurs, proche du clan Reagan, que l'Algérie choyait à coups de pétrodollars depuis sa création en 1989 et via le Sahara Fund de Teresa Smith de Cherif, une icône des « minorités opprimées » d'Afrique. Le soutien algérien était devenu si prégnant que Mohamed Abdelaziz ne pouvait se déplacer à Washington sans être flanqué de l'ambassadeur d'Algérie. « C'était une vraie opération de missionnaires, ceux qui partaient dans ce coin de désert revenaient convertis aux thèses du Polisario », se rappelle aujourd'hui un staffer du Congrès. Les réseaux d'intérêt traditionnels bâtis autour de personnalités comme André Azoulay ou les nombreuses amicales, réminiscences du Peace Corps pour certaines, et d'universitaires proches du Maroc ne suffisaient plus. Accusant le retard, le Maroc décide enfin de faire appel à des professionnels des relations publiques. Il engage Cassidy and Associates, une des plus grosses firmes de lobbying de K-Street, l'avenue de Washington où ces officines de choc ont pignon sur rue. Un contrat de 1,2 million de dollars sera signé pour un an, mais la manœuvre bien tardive n'aura pas vraiment le résultat escompté. Et pour cause, le Maroc n'avouera jamais qu'il s'agissait de convaincre les élus du Congrès de la « marocanité » du Sahara. « Une stratégie en pure perte, imaginez un instant Israël requérant un soutien similaire face aux Palestiniens sans jamais mentionner les bribes du processus de paix ! », commentera un proche du dossier. Malgré le recours à Boland & Madigan et à Powell-Tate, proches de Baker, et d'une petite escouade d'élus républicains, Cassidy fera chou blanc. « C'est Benaïssa lui-même qui a enrayé la machine. Il disait tout le temps que c'est une simple opération de charme pour attirer des investisseurs au Maroc. Il n'avait d'yeux que pour le Prince Bandar Ibn Sultan ou tout au plus pour des croulants comme le californien Tom Lantos qui ne savait défendre le Maroc qu'en citant le traité d'amitié qu'avait paraphé Mohammed III et George Washington en 1789 ! », explique une source du ministère des Affaires Etrangères. Au final, Cassidy organisera quelques escapades à La Mamounia pour des membres du Congrès en mal d'exotisme et Benaïssa se gargarisera d'une missive au style baroque adressée au Président Bill Clinton par le Comité des Relations Extérieures du Congrès affirmant benoîtement que le « Maroc est un allié vital des Etats-Unis ». Une lettre sans lendemain, dont sera d'ailleurs expurgée toute mention du Sahara, et que l'on dira inspirée par Henry Kissinger pour contenter Hassan II. En 2003, Kissinger confiera à un journaliste marocain venu l'interviewer que « le réseau d'influence du Maroc à Washington est moribond », et d'ajouter « dites au jeune roi que je suis toujours là pour aider ». L'information aurait été transmise à Fouad Ali El Himma…
Dans les années 70, quand Hassan II a voulu remettre sur pied une armée étêtée par deux tentatives de coup d'Etat et se lancer dans l'aventure du Sahara, il a demandé le soutien de son vieil ami Vernon Walters, ex-patron de la CIA, pour convaincre le Congrès américain de lui permettre de moderniser son arsenal militaire. À l'époque, le lobbying marocain à Washington n'avait besoin que d'un coup de fil à la Maison-Blanche, la logique de la « guerre froide » s'occupait du reste. Depuis, la donne géostratégique a beaucoup changé et la monarchie n'a plus les coudées franches avec son chaperon de toujours. Un an avant sa disparition, Hassan II avait déjà assimilé que la solution référendaire comme issue favorable au conflit enlisé du Sahara était sérieusement compromise et que l'idée d'un Maroc, tête de pont du « monde libre » au Maghreb avait, depuis la chute du mur de Berlin, fait son temps. Les rapports d'Amnesty International comparant le roi du Maroc aux plus infréquentables dictateurs de la planète, jusqu'ici inaudibles aux oreilles de Washington, assuraient le vent en poupe au Polisario dans les arcanes du Congrès. Le succès d'un seul homme, Mouloud Saïd, représentant presque esseulé des séparatistes en terre américaine et qui a fait de la cafétéria du Capitole son quartier général, allait sortir la diplomatie chérifienne de sa douce torpeur. Saïd était devenu en peu de temps la coqueluche du gotha diplomatique et la bête noire d'un Mohamed Benaïssa, alors ambassadeur du Maroc, dont les gazettes du « Hill » se plaisaient à narrer le faste désuet de ses cocktails dînatoires.
Cassidy à la rescousse
En juillet 1998, un article dévastateur du très influent « Legal Times », la bible des faiseurs d'opinion à Washington, a relaté comment Benaïssa avait perdu pied face au « nomade » Mouloud Saïd. Certain de se suffire de l'appui inconditionnel de l'Exécutif américain, Benaïssa avait laissé le champ libre au Polisario au Congrès. L'erreur fut presque fatale pour ses accointances avec le complexe militaro-industriel US . Depuis 1995, plus d'une centaine de Congressmen avaient fait le déplacement dans les camps de Tindouf grâce à l'entregent de la Defence Forum Foundation de l'activiste Suzanne Sholte, une petite mais très efficace antenne des conservateurs, proche du clan Reagan, que l'Algérie choyait à coups de pétrodollars depuis sa création en 1989 et via le Sahara Fund de Teresa Smith de Cherif, une icône des « minorités opprimées » d'Afrique. Le soutien algérien était devenu si prégnant que Mohamed Abdelaziz ne pouvait se déplacer à Washington sans être flanqué de l'ambassadeur d'Algérie. « C'était une vraie opération de missionnaires, ceux qui partaient dans ce coin de désert revenaient convertis aux thèses du Polisario », se rappelle aujourd'hui un staffer du Congrès. Les réseaux d'intérêt traditionnels bâtis autour de personnalités comme André Azoulay ou les nombreuses amicales, réminiscences du Peace Corps pour certaines, et d'universitaires proches du Maroc ne suffisaient plus. Accusant le retard, le Maroc décide enfin de faire appel à des professionnels des relations publiques. Il engage Cassidy and Associates, une des plus grosses firmes de lobbying de K-Street, l'avenue de Washington où ces officines de choc ont pignon sur rue. Un contrat de 1,2 million de dollars sera signé pour un an, mais la manœuvre bien tardive n'aura pas vraiment le résultat escompté. Et pour cause, le Maroc n'avouera jamais qu'il s'agissait de convaincre les élus du Congrès de la « marocanité » du Sahara. « Une stratégie en pure perte, imaginez un instant Israël requérant un soutien similaire face aux Palestiniens sans jamais mentionner les bribes du processus de paix ! », commentera un proche du dossier. Malgré le recours à Boland & Madigan et à Powell-Tate, proches de Baker, et d'une petite escouade d'élus républicains, Cassidy fera chou blanc. « C'est Benaïssa lui-même qui a enrayé la machine. Il disait tout le temps que c'est une simple opération de charme pour attirer des investisseurs au Maroc. Il n'avait d'yeux que pour le Prince Bandar Ibn Sultan ou tout au plus pour des croulants comme le californien Tom Lantos qui ne savait défendre le Maroc qu'en citant le traité d'amitié qu'avait paraphé Mohammed III et George Washington en 1789 ! », explique une source du ministère des Affaires Etrangères. Au final, Cassidy organisera quelques escapades à La Mamounia pour des membres du Congrès en mal d'exotisme et Benaïssa se gargarisera d'une missive au style baroque adressée au Président Bill Clinton par le Comité des Relations Extérieures du Congrès affirmant benoîtement que le « Maroc est un allié vital des Etats-Unis ». Une lettre sans lendemain, dont sera d'ailleurs expurgée toute mention du Sahara, et que l'on dira inspirée par Henry Kissinger pour contenter Hassan II. En 2003, Kissinger confiera à un journaliste marocain venu l'interviewer que « le réseau d'influence du Maroc à Washington est moribond », et d'ajouter « dites au jeune roi que je suis toujours là pour aider ». L'information aurait été transmise à Fouad Ali El Himma…
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