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Assia Djebbar: les enfumés du Dahra.

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  • Assia Djebbar: les enfumés du Dahra.

    En ces temps de 8 mai 1945, j'aimerais avoir une pensée pour les enfumés des grottes du Dahra par Pélissier, et en particulier pour cet homme mort dans la grotte en protégeant sa femme et son jeune enfant par un boeuf rendu fou par le manque d'air dans la grotte.

    Lisez ce qu'en écrit Assia Djebbar dans "l'Amour et la fantassia".


    "Il est une heure de l'après-midi. Les corvées de bois n'avaient pas cessé durant les pourparlers.
    Le feu se rallume donc et la fournaise va, sans discontinuer, être alimentée toute cette journée
    du 19 juin et toute la nuit suivante.
    Les fagots sont jetés par la troupe du haut du contrefort El Kantara. Au début, le feu s'élève
    modérément, comme la veille : une mauvaise direction est donnée aux matières combustibles.
    La prévoyance méticuleuse de Pélissier, qui, tôt, le matin, avait fait pratiquer des plates-formes en haut des rochers pour mieux jeter les fascines, se révèle utile. Une heure après la reprise des opérations, les soldats lancent les fagots « avec efficacité ». En plus, le vent qui se lève oriente les flammes; la fumée entre presque totalement à l'intérieur.
    La troupe est heureuse ; la troupe s'active. Elle attisera le feu jusqu'au 20 juin, à six heures du matin, soit durant dix-huit heures d'affilée. Un témoin parmi les Français précisera : « On ne saurait décrire la violence du feu. La flamme s'élevait au haut du Kantara à plus de soixante mètres, et d'épaisses colonnes de fumée tourbillonnaient devant l'entrée de la caverne. »

    (...)
    D'autres soldats sont envoyés — nous sommes dans l'après-midi du 21 juin, premier jour de l'été 1845 ! Parmi eux se trouve l'anonyme de la lettre publiée par P. Christian :
    « J'ai visité les trois grottes ; voici ce que j'ai vu », commence-t-il. A son tour, il découvre, étendus à l'entrée, les bœufs, les ânes, les moutons; leur instinct les a poussés à respirer jusqu'à la fin l'air extérieur qui pouvait encore pénétrer. Au milieu des animaux, souvent même sous eux, gisent des corps de femmes, d'enfants : quelquesuns furent écrasés par l'affolement animal...
    L'anonyme s'attarde particulièrement sur un détail : « J'ai vu un homme mort, le genou à terre, la main crispée sur la corne d'un bœuf. Devant lui était une femme tenant son enfant dans ses bras. Cet homme, il était facile de le reconnaître, avait été asphyxié, ainsi que la femme, l'enfant et le bœuf, au moment où il cherchait à préserver sa famille de la rage de cet animal. »
    Ce second témoin en arrive au même décompte : plus d'un millier de morts, sans compter tous ceux qui, entassés les uns sur les autres, ne forment qu'une bouillie; sans tenir compte des enfants à la mamelle presque tous enveloppés dans les tuniques des mères..."
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