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Une journée á la préfecture....

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  • Une journée á la préfecture....

    La lente course d'obstacles des immigrés
    LE MONDE | 09.05.06

    Les lois sur l'immigration se font au Parlement mais s'appliquent dans les services des étrangers des préfectures. Des lieux redoutés par les immigrés, qui savent devoir y patienter des heures et des heures, dans l'inconfort, et craignent les tracasseries de l'administration. Des services également redoutés par les fonctionnaires, qui jugent le public "difficile" et les conditions de travail tendues. La préfecture du Bas-Rhin, à Strasbourg, a exceptionnellement laissé Le Monde circuler librement dans ses locaux et interroger les usagers et les fonctionnaires (sans la présence de leurs supérieurs hiérarchiques). Récit d'une journée d'application du droit des étrangers, avant que la loi Sarkozy ne le modifie.



    6 heures. Dans la vie de tout immigré, il y a des passages réguliers au service des étrangers de la préfecture. Ce vendredi 5 mai, à 6 heures, ils sont déjà une petite dizaine à attendre, deux heures avant l'ouverture des portes du service des étrangers de Strasbourg, pour être sûrs de pouvoir déposer leur dossier ou retirer le titre de séjour tant attendu.

    A 8 heures, ils sont une cinquantaine. Une policière les met en rang pour éviter la cohue. Un jeune Algérien, qui accompagne son oncle, grogne devant le côté militaire de l'organisation , mais, comme les autres, se plie à l'injonction : "Quand on vient ici, on ne sait jamais sur qui on va tomber. Se faire mal voir d'un fonctionnaire, ça peut compliquer toutes nos démarches." Avec le temps, les étrangers ont appris à connaître les fonctionnaires plus souples et à éviter, si possible, ceux qui ont la réputation d'être plus durs - eux disent qu'ils sont "racistes".

    9 heures. Les guichets ne désemplissent pas. Il fait chaud, il y a du bruit, des bébés pleurent, des enfants s'énervent mais tous ceux qui sont là n'ont pas le choix : étrangers, il leur faut fournir toute une paperasse - factures, livret de famille, passeport, etc. - qu'ils trimbalent dans des pochettes plastifiées. Une Vietnamienne vient renouveler son titre de séjour d'étudiante. Un demandeur d'asile albanais, qui ne parle pas français, veut déposer un dossier pour sa fille. Un Algérien souhaite récupérer son titre de séjour plus tôt que prévu pour aller à un enterrement "au pays". La loi Sarkozy sur l'immigration ? Ils craignent le durcissement de la réglementation, bien sûr, mais la préoccupation du court terme, de leur propre devenir, est bien plus forte.

    9 h 45. Un jeune Français, Norberto Izquierdo, et sa femme, Marianna, russe, patientent dans un couloir. Ils ne sont pas à cinq minutes près : depuis juin 2005, ils font la demande d'un titre de séjour pour elle, en tant que conjoint de Français. L'entretien du jour est important : ils doivent signer, ensemble, devant un fonctionnaire, une déclaration de "communauté de vie". L'agent les reçoit, leur rappelle les sanctions pénales en cas de "mariage blanc" et leur fait signer le document. Il sera ensuite transmis au préfet pour qu'il prenne une décision. Le couple voudrait connaître les délais. Réponse lapidaire : "Vous serez convoqués."

    10 h 30. Huseyn Bayazit ne lâche pas l'écran où s'affiche l'ordre de passage aux guichets du service des étrangers. Depuis près de trois heures, cet immigré turc regarde les chiffres défiler avec une lenteur exaspérante. Le numéro 345 vient d'être appelé, lui a le ticket no 370, soit une bonne heure de patience avant de pouvoir déposer la demande de renouvellement de la carte de séjour de sa fille, venue avec lui. Il interroge à voix basse : "Pourquoi ils ouvrent pas plus de guichets ?" La préfecture reconnaît le problème. Mais pour proposer plus de guichets, il faudrait plus d'agents : or, avec 55 fonctionnaires, le service des étrangers occupe déjà 10 % des effectifs de la préfecture.

    11 h 15. Lunettes noires sur le crâne, téléphone portable au cou, baskets et survêtement de marque, Albin, 22 ans, bosniaque, attend devant le bureau des demandes d'asile. Il est arrivé en France, clandestinement, en avril 2005 en payant 2 000 euros à un passeur. Sa demande d'asile a été rejetée une première fois. "J'aime la France. Je peux plus vivre en Bosnie où il n'y a rien à faire pour quelqu'un comme moi", dit-il en anglais. Son titre de séjour provisoire expire en juin. Après, il lui faudra quitter le territoire. Ou plonger dans l'illégalité.

    11 h 30. Au téléphone, Nathalie Laurent, 30 ans, chef de bureau des titres de séjour, tente de rassurer le responsable d'une association de défense des immigrés qui s'inquiète de la lourdeur des démarches pour une famille. "Si le demandeur établit qu'il est bien le parent d'un enfant français, il a droit à un titre de séjour", assure-t-elle à son interlocuteur. Après quatre ans dans le service, elle réfute l'idée d'une "administration aveugle" : "On ne fait pas les lois, on les applique. Mais le droit des étrangers laisse la possibilité d'examiner les dossiers au cas par cas."

    12 h 10. L'ordinateur de Marie-José Macabre, la responsable de l'accueil du public, recense 179 personnes en attente. De quoi occuper les guichets jusqu'à leur fermeture à 16 heures. Elle éteint donc le distributeur de tickets pour éviter que des étrangers fassent la queue inutilement. Un moyen, pour l'administration, de limiter le risque d'énervement de la part des usagers - insultes, voire violences physiques régulières. Une préoccupation qui a conduit le service à équiper chaque bureau d'un bouton d'alerte pour prévenir les agents de sécurité. Des caméras surveillent également le hall. Cela n'efface pas le stress et ne suffit pas à rendre le service attractif : sauf dans de rares exceptions, les fonctionnaires qui travaillent ici ne l'ont pas choisi. "C'est une des explications des tensions avec les usagers. Ils sont nommés dans le service alors qu'ils ne le veulent pas", note Mme Macabre.

    13 h 45. Monsieur X..., secrétaire administratif qui veut absolument garder l'anonymat, termine sa pause déjeuner en lisant, sur le site de l'Assemblée nationale, le compte-rendu des derniers débats sur le projet de loi sur l'immigration. Le législateur modifiant sans cesse les règles, il faut bien tenter de se tenir au courant. Au quotidien, il tente de repérer les tentatives de fraudes - "deux ou trois" chaque semaine. Dans certains cas, l'alerte vient de l'extérieur : des dénonciations anonymes par des voisins ou des connaissances.

    16 heures. La préfecture ferme ses portes. Chaque agent au guichet a vu en moyenne une cinquantaine de personnes. Quelques dizaines des 20 000 titres de séjour délivrés chaque année à Strasbourg ont été attribuées.

    Luc Bronner
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