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Voyage à bord d'un porte-conteneurs

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  • Voyage à bord d'un porte-conteneurs

    La vie à bord d'un porte-conteneurs


    Une journée ordinaire sur le « Lapérouse »
    Pour l’équipage d’un porte-conteneurs, les tâches sont variées. Le navire est une petite ville, à la fois lieu de travail et de vie, où il faut prendre en compte les différences culturelles




    À bord d’un porte-conteneurs géant comme le « Lapérouse », les journées sont élastiques. Il n’y a ni dimanches ni jours fériés. En haute mer, on peut vite perdre le compte. Alors, pour garder la notion du temps, le repas du dimanche midi est amélioré. Et le petit déjeuner du jeudi est servi avec des croissants. « Le jeudi est un petit dimanche », dit le capitaine, Victor Broi.

    L’équipage compte seulement 29 personnes. La plupart des officiers sont des Français. Le reste du personnel est philippin. Les marins français effectuent un voyage sur deux : ils alternent dix semaines de navigation puis dix semaines de congé. Ils sont salariés de la compagnie. Les marins philippins embarquent pour six à neuf mois. Puis ils se reposent quelques mois à terre, avant de chercher un nouvel embarquement. « Grâce à cette vie, je paie les études de mes enfants », explique Armando Medina, 46 ans, steward philippin et commis de cuisine.

    « J’ai travaillé dans un hôtel, auparavant. Mais en naviguant, je gagne deux fois plus. Quand mes enfants seront diplômés, je reprendrai ma vie à terre. J’essaierai d’avoir ma propre affaire grâce à ce que j’aurais gagné… » Le salaire des marins philippins va de 800 à 2 000 €, ce qui représente des sommes importantes par rapport au salaire moyen local (environ 350 €). Quelques-uns deviennent même officiers, comme Juncie Macawili, lieutenant âgé de 25 ans, diplômé d’une école de marine de son pays et qui peut espérer devenir commandant de navire, d’ici à quelques années. « Aux Philippines, il y a peu de travail, dit-il. Alors les femmes font des études d’infirmières et partent aux États-Unis. Et les hommes deviennent marins. »

    VIVRE ENSEMBLE
    À bord, dans le travail, Français et Philippins se mêlent. La communication se fait en anglais. Mais durant les temps de repos, chacun retrouve les siens. Après le repas du soir, les Philippins se réunissent pour un karaoké ; les Français regardent plutôt un DVD dans le carré des officiers. Il existe aussi une petite piscine au niveau du pont, remplie avec de l’eau de mer dès que le bateau arrive dans les régions chaudes. Ces activités maintiennent une vie sociale. Car chacun sait bien que le danger, à bord, c’est le repli sur soi et l’isolement.

    Les marins ont la possibilité d’écrire à leur famille via une messagerie électronique, qui passe par satellite. Ils peuvent aussi téléphoner. Mais c’est assez cher. Alors, les Philippins profitent plutôt des escales. Ils se rendent au café Internet, dans les ports, pour bavarder, par Skype (1), avec leur femme et leurs enfants. Pour les Français, l’éloignement se fait surtout sentir le soir de Noël. « L’épouse vous glisse un cadeau dans le sac. Vous l’ouvrez tout seul dans la cabine… », raconte Charles Pleintel, second capitaine.

    Pour assurer une présence spirituelle à bord des bateaux, les ports abritent des aumôniers. C’est le cas, au Havre, avec le P. Guy Pasquier. Lui-même a navigué quinze ans. Il connaît parfaitement la vie de ces grands bateaux. Mais la rapidité des escales fait qu’il est difficile de nouer des liens durables.

    « ON A DEUX VIES, L’UNE EN MER ET L’AUTRE À TERRE »
    Les marins ont appris à vivre avec ce rythme. « Quand on rentre chez nous, il y a une masse de courrier qui nous attend », dit le second mécanicien Vincent Guillon. Tous ces marins disent se sentir un peu « décalés » les premiers jours passés à terre. Puis ils se réinstallent dans un quotidien qui leur laisse beaucoup de loisirs. « On a deux vies : une en mer et l’autre à terre… », dit le chef mécanicien Didier Untrau. Les épouses ont dû, elles aussi, apprendre à gérer ce rythme en pointillé : de longues absences, puis une intensité double.

    Ces marins professionnels ne sont pas obligés de vivre dans les ports. Au contraire. Le lieutenant Grégoire Chavanel a choisi la montagne : en Haute-Savoie. « Quand je dis à mes voisins que je conduis un bateau, ils pensent que c’est sur le lac d’Annecy… », dit-il.

    LA VIE À BORD
    La sécurité est une obsession. Des consignes sont affichées partout. Il existe une multitude de règles. Pour se rendre sur le pont, il faut porter des chaussures de sécurité et un casque. Le navire est un univers de grues, de palans et de treuils. Tout est si lourd, et si haut, qu’un mauvais geste peut vite provoquer une blessure. Il y a quelques semaines, sur un autre navire de la CMA CGM, deux officiers qui effectuaient un exercice de mise d’une chaloupe à la mer sont tombés à l’eau de 30 m. Ils ont été tués.

    Ces navires ne prévoient pas d’avoir un médecin à bord. Cependant, un des officiers a une formation médicale, en cas d’urgence. Le navire doit être autonome. Il produit sa propre eau potable en dessalant l’eau de mer. Et il fabrique, à pleine puissance, autant d’électricité qu’il en faudrait pour une ville de 10 000 habitants. Cela sert notamment pour les conteneurs réfrigérés qui voyagent à bord. Les déchets sont compactés et déchargés à terre. Rien n’est rejeté à la mer, sauf de l’eau filtrée et des déchets alimentaires, loin des côtes. La compagnie s’efforce ainsi de gagner une image d’entreprise « verte », ce qui est de plus en plus exigé par les clients.

    Deux élèves officiers français sont présents à bord, en plus de l’effectif normal. Ils étudient à l’École de marine marchande de Marseille et sont en stage. La marine marchande offre de nombreux débouchés. Les salaires sont attractifs. Pierre Caritoux est en période de formation. Il explique avoir choisi cette voie car son père a navigué, plus jeune. « Il m’a parlé de ses escales en Australie, à Tahiti. Ça m’a fait rêver. » Depuis, il a lui aussi connu une arrivée dans un petit port du Vietnam, accueilli par des commerçants en pirogue qui sont venus jusque sous la proue du bateau.

    Pourtant, au bout de dix ans d’ancienneté, seulement 10 % des élèves d’une promotion continuent à naviguer. Beaucoup choisissent de bifurquer, sans trop de difficultés. « Un marin a un savoir-faire qui est apprécié partout : il est autonome, il fait face à tous les aléas avec les moyens du bord », explique Charles Pleintel, second capitaine.

    (1) Un logiciel informatique qui permet de discuter gratuitement, d’ordinateur à ordinateur, en vidéo.

    Alain GUILLEMOLES
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Comment conduire la marchandise d’un porte-conteneurs à bon port
    Notre envoyé spécial a passé six jours sur le « Lapérouse », un des plus gros bateaux du monde, qui fait le trajet entre la Chine et l’Europe.

    Dans le golfe d’Aden, l’essor de la piraterie change les conditions de navigation. Mais le principal danger reste les collisions et les hauts-fonds, malgré l’assistance électronique.


    Sur un bateau, il faut s’y habituer, on ne parle plus le même langage qu’à terre. On n’y trouve pas de corde mais des « bouts », des « amarres » ou des « aussières ». On ne parle pas de boussole mais de « compas ». Il n’y a pas de chambre, mais des « cabines », pas de fenêtres mais des « hublots » ou des « sabords ». La cabine de pilotage se nomme la « passerelle ». À l’intérieur de celle du « Lapérouse », on peut croire qu’il ne se passe rien. Deux personnes sont là, regardent la mer, empoignant régulièrement de puissantes jumelles pour scruter l’horizon. Elles ont l’air désœuvrées.

    Pourtant, leur concentration est grande, dans ces eaux de la Manche où la circulation est importante. Le silence est à peine troublé par le bourdonnement de la radio qui diffuse les appels de navires proches ou quelques ordres de barre, lancé par le lieutenant au timonier : « starboard ten » (barre à droite de 10 degrés). Les ordinateurs effectuent aujourd’hui une bonne part du travail : ils maintiennent le cap et la vitesse du bateau. Ils apportent des informations sur l’état du trafic, la hauteur des fonds, la météo. Mais toutes les décisions de changer de cap sont prises par l’homme. Et il ne faut pas se tromper, car la moindre erreur est difficile à rectifier.

    LE RISQUE D’ACCIDENT
    Voilà pourquoi, dans les zones de fort trafic, le capitaine du navire est présent à la passerelle. Sinon, trois lieutenants se relaient, par tranche de quatre heures. En mer, personne n’est jamais seul à la barre. Il se trouve toujours au moins deux personnes à scruter l’horizon. En cas de difficultés, l’équipe est même doublée. La nuit, on éteint toutes les lumières de la cabine. On masque même les écrans d’ordinateurs d’un filtre bleu. Le noir doit être complet pour mieux apercevoir les petites lumières des navires à l’extérieur. Et s’il y a du brouillard, le navire fait sonner la corne toutes les deux minutes.

    Pour un porte-conteneurs géant, le principal danger, c’est la collision. Le « Lapérouse » en a connu une, il y a quelques mois. Elle n’a pas fait de victimes, mais le navire a dû être immobilisé quinze jours pour réparer. La compagnie propriétaire n’aime pas cela. Les enjeux financiers sont trop importants. Alors le capitaine a été privé de son commandement. Dans la marine marchande, la moindre erreur, voire malchance, se paie cher.

    En haute mer, le bateau n’a pas de réelle possibilité de freiner. « Ralentir le régime du moteur prend déjà une demi-heure », indique le capitaine en charge de cette rotation, Victor Broi, 51 ans, un homme calme au visage fin. « Alors, s’il y a une urgence, le navire va plutôt effectuer une boucle, ou bien un demi-tour ». Il faudra environ 1,2 mile, soit 2 km, pour qu’il revienne à son point de départ. Mais cela lui fera prendre de la gîte. Le Lapérouse peut certes supporter une inclinaison de 40° mais des conteneurs risquent de chuter à la mer. Une telle manœuvre ne sera donc décidée que dans un cas extrême. La règle, pour l’homme de quart, c’est d’anticiper sur tous les dangers potentiels.

    Les prévisions météo permettent de connaître l’état de la mer. Si une tempête s’annonce, le « Lapérouse » va se dérouter. « Nous faisons tout pour ne pas nous approcher d’un cyclone, explique le capitaine. Dans les ports asiatiques, quand un typhon s’annonce, ils nous demandent de partir. Nous sommes mieux en mer. Nous sortons de la zone, ou bien allons nous abriter derrière une île. »

    LES PIRATES NE SONT PAS DES MYTHES
    Avant d’être sur porte-conteneurs géant – un « 13 800 » –, Victor Broi a navigué sur un méthanier qui chargeait du gaz en Algérie. Il est dans la marine marchande depuis 30 ans. Tandis que l’on remonte l’estuaire de l’Elbe, vers Hambourg, le Lapérouse avance au milieu des voiliers. Le porte-conteneurs réduit l’allure et le capitaine évoque quelques souvenirs de navigation en Chine où il faut parfois tailler sa route au milieu des pêcheurs, plus indisciplinés que les plaisanciers allemands.

    Un autre risque est apparu pour la marine marchande avec l’essor de la piraterie. Une fois sortis de la mer Rouge, dans le golfe d’Aden, tous les bateaux sont vulnérables, d’autant que la zone d’action des pirates s’étend. Un corridor sous surveillance militaire existe désormais au large de la Somalie. Les cargos l’empruntent à pleine vitesse. Ils s’informent les uns les autres des attaques pour se dérouter. « En ce moment, beaucoup de navires militaires ont quitté le golfe d’Aden pour la Libye. Il y a donc une recrudescence de la piraterie », observe le second du capitaine, Charles Pleintel.

    De nombreux officiers du « Lapérouse » ont vu les pirates de près. Le lieutenant Romain Normant, par exemple. « Nous avons été poursuivis. Mais les pirates n’ont pas pu nous rattraper. Leur bateau était bien plus léger. On a mis le cap contre le sens des vagues et ils ont été ralentis, tandis que nous non ». Pour l’instant, il n’est pas question de mettre des hommes armés à bord des bateaux. Il faut dire qu’aucun porte-conteneurs géant n’a encore été capturé. Il se trouve protégé par la hauteur de sa coque et la puissance de ses moteurs. « Mais rien ne nous dit qu’un jour, les pirates ne réussiront pas… », prévient un officier.

    A QUAI, « LA LENTEUR EST LA CLÉ DU SUCCÈS »
    Pour l’arrivée ou le départ d’un port, un pilote local monte à bord afin d’aider à la manœuvre. Et deux remorqueurs viennent s’arrimer au bateau, à l’avant et à l’arrière. Un porte-conteneurs géant se dirige mal à basse vitesse. Les remorqueurs l’aident à faire demi-tour dans des bassins qui n’ont pas été prévus pour des monstres pareils. Le mouvement s’effectue mètre par mètre. La lenteur est la clé du succès.

    Le navire doit venir se placer parallèlement au quai, avant de lancer ses amarres à des lamaneurs qui viennent les attraper jusque sous la coque, dans de minuscules embarcations. Le capitaine, lui, dirige la manœuvre en grand uniforme. « Aussitôt arrivé à quai, je dois recevoir les autorités », explique-t-il. L’agent de la compagnie, les douanes, l’immigration… L’activité ne s’arrête pas aux escales. Au contraire, une autre vie commence…

    Alain GUILLEMOLES
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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