Plus de 1500 prostituées travaillent dans la région de Béjaïa
Tichy mène la guerre au tourisme sexuel
Par :Arab Chih
“Halte au tourisme sexuel et au pourrissement de notre ville.” Ce mot d’ordre barrant une banderole accrochée à l’entrée-est de Tichy en dit long sur l’étendue de l’exaspération de ses habitants face à la propagation remarquable du phénomène de la prostitution. Beaucoup d’habitants de cette station balnéaire la plus prisée de la wilaya de Béjaïa ne veulent plus de la présence de ces femmes qui viennent ici vendre leurs charmes. Misogynie ? Accès de puritanisme ? Xénophobie ? Jalousie ?
Rien de tout cela, jurent les membres de la coordination des comités de 3 villages (Baccaro, Maâdhen et Tichy-centre), mise en place dans la foulée du mouvement de protestation lancé en mars dernier. Ils ne nourrissent aucune animosité envers les étrangers ou les propriétaires des hôtels, assurent-ils, surtout que le tourisme est le gagne-pain de bon nombre d’entre eux.
“Nous ne sommes pas contre X ou Y. On n’a aucun problème avec les bars, les hôtels et même les lieux de divertissement. Les familles et les touristes sont les bienvenus à Tichy. Mais le tourisme sexuel et la débauche, non”, explique Boubekeur, un des animateurs de la coordination. “Notre objectif est simple : nous voulons zéro prostitution à Tichy. C’est impossible de vivre ici. On a trop supporté. Le phénomène doit s’arrêter”, lance son ami Mourad, un restaurateur. Il faut dire que, pendant la saison des chaleurs, Tichy reçoit un flux de plus de 80 000 touristes qui y viennent gouter aux plaisirs de la mer. Une belle aubaine pour les amateurs du gain facile : une faune de proxénètes de différentes régions du pays s’amènent ici pour louer des appartements dans lesquels officient leurs prostituées.
Un bon filon pour certaines vieilles originaires de l’ouest du pays qui, elles aussi, y ramènent leurs filles pour s’adonner au plus vieux métier du monde. Et comme elles ne rechignent pas à la dépense, des habitants n’hésitent pas à leur céder leurs appartements sans se soucier de l’usage qui en sera fait ni du profil des locatrices. Même les agences immobilières en profitent de cette manne puisqu’une bonne moitié d’entre elles travaillent avec ces très particulières clientes. Révélation d’une personne très introduite dans le milieu de la nuit : quelque 1500 prostituées “sévissent” dans la région de Béjaïa. “Les prostituées viennent de Annaba, de Batna, de Constantine, de Djelfa, etc. Mais 90% d’entre elles sont de l’ouest du pays, essentiellement de Sidi Bel-Abbès. C’est une véritable filière. On envoie là-bas des gens spécialement pour s’ ‘approvisionner’. Des tas de filles leur sont présentées pour sélectionner celles qui seront du voyage vers le paradis bougiote”, affirme-t-il.
Les Tychiotes se sentent touchés dans leur dignité
Et cette grande concentration de filles de joie dans une petite ville de 17 000 habitants à peine ne peut pas ne pas attirer les regards. Les rancœurs, aussi, car elle n’est pas sans conséquences. La prostitution se pratiquait partout, dans des maisons comme à la plage.
Perspicaces, nombre de prostituées se sont mariées avec de jeunes chômeurs de la région, histoire de s’assurer une résidence et bien sûr une protection. En contrepartie d’une somme d’argent, certains Tychiotes n’hésitent pas à reconnaître leur paternité sur des enfants qui ne sont même pas les leurs. “Elles ont infesté notre ville. Leur rythme de vie ne cadre pas avec nos valeurs culturelles”, déplore Rachid, un enseignant très pondéré et surtout très respecté. Et parce qu’elles ne se sont particulièrement pas appréciées par la population, ces femmes sont accusées de tous les maux du monde. La propagation de la drogue et de la délinquance ? Elles. Les familles qui désertent la région ? C’est encore, elles. Les nouveaux modes comportementaux et vestimentaires adoptés par la jeunesse locale? Le fruit amer de leur influence négative. Et comme le sexe et l’alcool ont toujours fait bon ménage, Tichy a vu les établissements où l’on consomme de l’alcool pousser comme des champignons. Elle compte une quinzaine de bars et une autre quinzaine de débits de boissons sans parler des 8 discothèques.
Mais ce qui touche le plus les habitants de Tichy est que leur ville soit perçue comme symbole de la dépravation.
“Certains se laissent aller à des actes d’incivisme et quand tu essaies de rappeler quelqu’un à l’ordre, il te rétorque : on est à Tichy non. Une zone affranchie quoi”, s’offusque Rachid. “Nous avons honte de dire que nous sommes les habitants de Tichy. Je préfère perdre une saison que de perdre mon honneur. Je n’ai pas où aller sinon je l’aurais fait”, peste Mourad, un restaurateur qui assure : “On est un mouvement citoyen décidé à nettoyer Tichy et à restaurer notre dignité.” Rétablir l’honneur et la dignité de la région, voici donc la grande cause des révoltés de Tichy. Pour certains, cela passe inévitablement par le départ des prostituées. Mais la revendication ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 1993, la population locale n’a pas cessé d’interpeller les autorités sur le phénomène de la prostitution. “Par le passé, on fait une action de protestation, des rafles sont entreprises dans le milieu de la prostitution et dès que la pression populaire baisse, on relâche les prostituées et le phénomène repart de plus belle”, explique Fatseh, un diplômé en psychologie de Baccaro reconverti en agriculteur.
Actions citoyennes contre la prostitution
Mais à partir de mars dernier la donne a radicalement changé. Les habitants de trois villages ont décidé alors de se réunir au sein d’une coordination. Et ce n’est plus les feux de paille des années précédentes mais une protesta inscrite dans la durée que menait ce nouveau venu de la scène locale. Et, depuis trois ans, elle a à son actif toute une panoplie d’actions de protestation. Plusieurs sit-in ont été tenus devant le siège de l’APC et ceux du commissariat de police et de la gendarmerie. La RN9 a été coupée à plusieurs reprises.
Des marches sont organisées pour exiger le départ des intrus. Toutes les autorités, civiles et militaires, ont été saisies. En vain. La nuit du 5 mai un énième sit-in est organisé devant le commissariat de police. L’action de protestation ayant échappé au contrôle de ses initiateurs, de jeunes excités et vindicatifs ont décidé de faire des descentes punitives dans plusieurs établissements hôteliers (Club Aloui, le Syphax, le Golf, l’Albatros, La Grande terrasse, Saphyr bleu et Villa d’est). Mais l’établissement le plus endommagé est le Saphir bleu.
Son propriétaire, M.Kaabache, témoigne : " 16 voitures, dont 13 appartenant à des clients, sont saccagées et 68 vitres cassées. Coût des dégâts : 400 millions de centimes. On a fait appel à un expert pour constater les dégâts et une plainte a été déposée contre 26 personnes". De son point de vue, " la solution est simple si les protestataires avaient privilégié la voie du dialogue. Oui, j’ai une douzaine d’entraineuses qui mangent et dorment ici. Mieux, elles sont déclarées et fichées par la police. Les hôtels n’y sont pour rien dans la propagation de la prostitution et le problème est ailleurs", explique-t-il. " J’avais quelques projets mais maintenant je suis indécis ", confie cet ancien émigré revenu au bercail en 1993 pour investir l’argent amassé pendant son exil parisien de 46 ans.
Parti de rien pour bâtir un petit empire, Hocine Mercel, le propriétaire de ‘’ Villa d’est’’ et enfant de Tichy, ne veut pas trop remuer le couteau dans la plaie même si son établissement a été pris pour cible. " On m’a cassé quelques vitres sans plus. Ils ont tenté de s’introduire à l’intérieur et on s’est interposés", lâche-t-il. Prenant à témoin un de ses employés, il assure avoir pris la décision, bien avant les derniers événements, de fermer la discothèque ce mois d’août. Mais il compte inaugurer, à la mi-juillet, un nouvel hôtel de 36 chambres et 3 studios qu’il a baptisés ‘’Les Deux rochers’’.
"On m’a causé une perte de plus 50 millions de centimes. C’est une catastrophe. On est à la mi-juin et pas un seul estivant. Les clients ont peur ", déplore le gérant d’une autre discothèque. " J’ai 40 ans et je n’ai jamais vu de prostitution dans la rue. C’est du sabotage. Il y a des jeunes de 15-16 ans qui ont été payés . On a peur et l’Etat doit faire son travail sinon on sera dans l’obligation de nous défendre", ajoute-t-il.
Rien de tout cela, jurent les membres de la coordination des comités de 3 villages (Baccaro, Maâdhen et Tichy-centre), mise en place dans la foulée du mouvement de protestation lancé en mars dernier. Ils ne nourrissent aucune animosité envers les étrangers ou les propriétaires des hôtels, assurent-ils, surtout que le tourisme est le gagne-pain de bon nombre d’entre eux.
“Nous ne sommes pas contre X ou Y. On n’a aucun problème avec les bars, les hôtels et même les lieux de divertissement. Les familles et les touristes sont les bienvenus à Tichy. Mais le tourisme sexuel et la débauche, non”, explique Boubekeur, un des animateurs de la coordination. “Notre objectif est simple : nous voulons zéro prostitution à Tichy. C’est impossible de vivre ici. On a trop supporté. Le phénomène doit s’arrêter”, lance son ami Mourad, un restaurateur. Il faut dire que, pendant la saison des chaleurs, Tichy reçoit un flux de plus de 80 000 touristes qui y viennent gouter aux plaisirs de la mer. Une belle aubaine pour les amateurs du gain facile : une faune de proxénètes de différentes régions du pays s’amènent ici pour louer des appartements dans lesquels officient leurs prostituées.
Un bon filon pour certaines vieilles originaires de l’ouest du pays qui, elles aussi, y ramènent leurs filles pour s’adonner au plus vieux métier du monde. Et comme elles ne rechignent pas à la dépense, des habitants n’hésitent pas à leur céder leurs appartements sans se soucier de l’usage qui en sera fait ni du profil des locatrices. Même les agences immobilières en profitent de cette manne puisqu’une bonne moitié d’entre elles travaillent avec ces très particulières clientes. Révélation d’une personne très introduite dans le milieu de la nuit : quelque 1500 prostituées “sévissent” dans la région de Béjaïa. “Les prostituées viennent de Annaba, de Batna, de Constantine, de Djelfa, etc. Mais 90% d’entre elles sont de l’ouest du pays, essentiellement de Sidi Bel-Abbès. C’est une véritable filière. On envoie là-bas des gens spécialement pour s’ ‘approvisionner’. Des tas de filles leur sont présentées pour sélectionner celles qui seront du voyage vers le paradis bougiote”, affirme-t-il.
Les Tychiotes se sentent touchés dans leur dignité
Et cette grande concentration de filles de joie dans une petite ville de 17 000 habitants à peine ne peut pas ne pas attirer les regards. Les rancœurs, aussi, car elle n’est pas sans conséquences. La prostitution se pratiquait partout, dans des maisons comme à la plage.
Perspicaces, nombre de prostituées se sont mariées avec de jeunes chômeurs de la région, histoire de s’assurer une résidence et bien sûr une protection. En contrepartie d’une somme d’argent, certains Tychiotes n’hésitent pas à reconnaître leur paternité sur des enfants qui ne sont même pas les leurs. “Elles ont infesté notre ville. Leur rythme de vie ne cadre pas avec nos valeurs culturelles”, déplore Rachid, un enseignant très pondéré et surtout très respecté. Et parce qu’elles ne se sont particulièrement pas appréciées par la population, ces femmes sont accusées de tous les maux du monde. La propagation de la drogue et de la délinquance ? Elles. Les familles qui désertent la région ? C’est encore, elles. Les nouveaux modes comportementaux et vestimentaires adoptés par la jeunesse locale? Le fruit amer de leur influence négative. Et comme le sexe et l’alcool ont toujours fait bon ménage, Tichy a vu les établissements où l’on consomme de l’alcool pousser comme des champignons. Elle compte une quinzaine de bars et une autre quinzaine de débits de boissons sans parler des 8 discothèques.
Mais ce qui touche le plus les habitants de Tichy est que leur ville soit perçue comme symbole de la dépravation.
“Certains se laissent aller à des actes d’incivisme et quand tu essaies de rappeler quelqu’un à l’ordre, il te rétorque : on est à Tichy non. Une zone affranchie quoi”, s’offusque Rachid. “Nous avons honte de dire que nous sommes les habitants de Tichy. Je préfère perdre une saison que de perdre mon honneur. Je n’ai pas où aller sinon je l’aurais fait”, peste Mourad, un restaurateur qui assure : “On est un mouvement citoyen décidé à nettoyer Tichy et à restaurer notre dignité.” Rétablir l’honneur et la dignité de la région, voici donc la grande cause des révoltés de Tichy. Pour certains, cela passe inévitablement par le départ des prostituées. Mais la revendication ne date pas d’aujourd’hui. Depuis 1993, la population locale n’a pas cessé d’interpeller les autorités sur le phénomène de la prostitution. “Par le passé, on fait une action de protestation, des rafles sont entreprises dans le milieu de la prostitution et dès que la pression populaire baisse, on relâche les prostituées et le phénomène repart de plus belle”, explique Fatseh, un diplômé en psychologie de Baccaro reconverti en agriculteur.
Actions citoyennes contre la prostitution
Mais à partir de mars dernier la donne a radicalement changé. Les habitants de trois villages ont décidé alors de se réunir au sein d’une coordination. Et ce n’est plus les feux de paille des années précédentes mais une protesta inscrite dans la durée que menait ce nouveau venu de la scène locale. Et, depuis trois ans, elle a à son actif toute une panoplie d’actions de protestation. Plusieurs sit-in ont été tenus devant le siège de l’APC et ceux du commissariat de police et de la gendarmerie. La RN9 a été coupée à plusieurs reprises.
Des marches sont organisées pour exiger le départ des intrus. Toutes les autorités, civiles et militaires, ont été saisies. En vain. La nuit du 5 mai un énième sit-in est organisé devant le commissariat de police. L’action de protestation ayant échappé au contrôle de ses initiateurs, de jeunes excités et vindicatifs ont décidé de faire des descentes punitives dans plusieurs établissements hôteliers (Club Aloui, le Syphax, le Golf, l’Albatros, La Grande terrasse, Saphyr bleu et Villa d’est). Mais l’établissement le plus endommagé est le Saphir bleu.
Son propriétaire, M.Kaabache, témoigne : " 16 voitures, dont 13 appartenant à des clients, sont saccagées et 68 vitres cassées. Coût des dégâts : 400 millions de centimes. On a fait appel à un expert pour constater les dégâts et une plainte a été déposée contre 26 personnes". De son point de vue, " la solution est simple si les protestataires avaient privilégié la voie du dialogue. Oui, j’ai une douzaine d’entraineuses qui mangent et dorment ici. Mieux, elles sont déclarées et fichées par la police. Les hôtels n’y sont pour rien dans la propagation de la prostitution et le problème est ailleurs", explique-t-il. " J’avais quelques projets mais maintenant je suis indécis ", confie cet ancien émigré revenu au bercail en 1993 pour investir l’argent amassé pendant son exil parisien de 46 ans.
Parti de rien pour bâtir un petit empire, Hocine Mercel, le propriétaire de ‘’ Villa d’est’’ et enfant de Tichy, ne veut pas trop remuer le couteau dans la plaie même si son établissement a été pris pour cible. " On m’a cassé quelques vitres sans plus. Ils ont tenté de s’introduire à l’intérieur et on s’est interposés", lâche-t-il. Prenant à témoin un de ses employés, il assure avoir pris la décision, bien avant les derniers événements, de fermer la discothèque ce mois d’août. Mais il compte inaugurer, à la mi-juillet, un nouvel hôtel de 36 chambres et 3 studios qu’il a baptisés ‘’Les Deux rochers’’.
"On m’a causé une perte de plus 50 millions de centimes. C’est une catastrophe. On est à la mi-juin et pas un seul estivant. Les clients ont peur ", déplore le gérant d’une autre discothèque. " J’ai 40 ans et je n’ai jamais vu de prostitution dans la rue. C’est du sabotage. Il y a des jeunes de 15-16 ans qui ont été payés . On a peur et l’Etat doit faire son travail sinon on sera dans l’obligation de nous défendre", ajoute-t-il.
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