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Qatar. La nouvelle «Babylone» du Golfe

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  • Qatar. La nouvelle «Babylone» du Golfe

    Il a encore fait l'actualité cette semaine, avec le rachat par Al-Jazira d'une partie des droits du foot français. Le Qatar, émirat du Golfe persique dont la télévison arabophone est l'étendard, est aussi petit qu'ambitieux. Et il se donne les moyens de parvenir à ses fins.

    De notre envoyé spécial. De son palais posé sur la corniche, l'émir du Qatar, cheikh Hamad bin Kalifa al-Thani, peut constater chaque matin que la forêt de gratte-ciel s'épaissit un peu plus dans le quartier des affaires situé de l'autre côté de la baie de Doha... Des tours plus futuristes les unes que les autres, symboles des rêves de modernité de l'émirat, sortent de terre comme des champignons. Jour et nuit, une armée d'ouvriers venus d'Inde, du Pakistan, du Bengladesh ou du Népal construisent cette Babylone du troisième millénaire. Les bulldozers sont tellement voraces que le quartier diplomatique sera bientôt rasé et transféré plus loin. L'ambassade de France, désormais cernée de tours, devra elle aussi évacuer les lieux.

    Une vie politique atone

    Alors que dans le monde arabe, y compris dans le Golfe, l'heure est aux révolutions et aux contestations, au Qatar, on s'enorgueillit d'avoir anticipé ce mouvement historique grâce à Al-Jazira, la chaîne satellitaire porte-drapeau de l'émancipation des peuples arabes. «Ici, la révolution n'a pas de sens, explique un observateur local. Les Qataris croulent sous l'argent. Des appels à manifester ont bien circulé sur Facebook mais rien ne s'est passé.»Ici, la vie politique est atone. Le pouvoir est concentré entre les mains de la famille régnante. Lors des dernières élections municipales, le 10mai dernier, sur les 32.000 électeurs enregistrés dans la capitale, seuls un peu plus de 13.000 se sont rendus aux urnes.

    18,5% de croissance

    200.000 Qataris, sur les deuxmillions d'habitants que compte l'émirat, figurent parmi les plus riches de la planète. Grâce à ses gigantesques ressources de gaz (troisième réserve au monde après la Russie et l'Iran), le Qatar affiche une croissance économique à faire pâlir les Occidentaux: +18,5% en 2010 selon le FMI. Qui dit mieux? Ici, le chômage n'existe pas...

    Ce «miracle» qatari est autant spectaculaire que paradoxal. Sur cette minuscule langue de désert cohabitent le wahhabisme, l'une des tendances les plus rigoristes de l'islam, et une ouverture politique remarquable encouragée par l'émir. «Avant d'être wahhabites, l'élite qatarie est d'abord pragmatique», analyse un diplomate occidental. Pour autant, poursuit-il, «les secteurs traditionnels et conservateurs de la société qatarie commencent à grogner. Certains se demandent: à quoi bon construire toutes ces tours? Quel est l'intérêt? Ils ont le sentiment que tout va trop vite et qu'ils perdent leurs valeurs tribales.»

    Objectif zéro ennemi

    Dans un environnement régional aussi complexe que dangereux, le Qatar a choisi la surexposition comme police d'assurance, notamment par le biais d'Al-Jazira et d'une diplomatie dynamique. Dans sa politique étrangère à 360°, l'émirat parle avec tout le monde: aux Américains, qui disposent d'une base aérienne dans la péninsule, aux Israéliens qui ont un bureau commercial, ou encore aux Iraniens avec qui il partage les gisements de gaz offshore. Doha se veut aussi une terre d'asile et accueille Sajida, la femme de feu Saddam Hussein, ou encore le fondateur du Front islamique du salut (FIS), l'Algérien Abassi Madani. Médiateur dans la question du Darfour, dans les querelles interpalestiniennes ou dans le dossier libanais, la diplomatie qatarie n'a qu'un seul objectif: zéro ennemi.

    La sécurité à marche forcée

    La grande affaire de l'émirat, c'est bien sûr l'organisation de la coupe du monde de football en 2022. Avant, il y aura les mondiaux de handball en 2016 et peut-être, espère-t-on à Doha, les championnats du monde d'athlétisme en 2018! Autant d'événements sportifs qui vont mobiliser le Qatar et surtout accélérer l'équipement du pays en infrastructures en tous genres. À commencer par les hôtels: l'émirat compte environ 20.000 chambres... il a pour objectif d'en construire 80.000 en dix ans!

    Côté sécurité, l'émirat avance à marche forcée. Un «bouclier national» est en cours de réalisation avec EADS: il s'agit d'installer un système radar de surveillance des côtes et des frontières. Sur le plan humain, une académie de sécurité intérieure est en passe d'être créée en coopération avec la France. L'idée est de former des forces de maintien de l'ordre et une police de proximité pour gérer l'afflux de visiteurs et de supporters. Vu l'exposition médiatique et politique du Qatar, pas question de tolérer le moindre dérapage sécuritaire.

    Trop peu de ressources humaines

    Après l'invasion du Koweit par Saddam Hussein en 1990, certains pays du Golfe, comme l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, avaient opté pour une politique de nationalisation de leurs forces armées. Le Qatar, lui, a maintenu une forme de «mercenariat»: les officiers sont qataris, la troupe est majoritairement composée d'étrangers. C'est le talon d'Achille de l'émirat: une immense fortune mais peu de ressources humaines tant dans l'armée que dans l'administration ou l'économie.

    Sans la main-d'oeuvre étrangère non qualifiée ou haut de gamme, le «miracle» qatari serait resté dans les sables... Indiens et Pakistanais forment les plus gros bataillons de ces fourmis qui bâtissent le pays. Pour qu'ils soient encore un peu moins visibles, un projet de ville pour accueillir les travailleurs asiatiques est prévu à côté de la zone industrielle de Doha: ils pourraient y vivre, avec leurs lieux de culte, leurs commerces, leurs écoles, etc.

    À long terme, cette situation est une bombe à retardement: «Si elle explose un jour, la révolte viendra de ces travailleurs immigrés qui réclameront leurs droits de citoyens et le partage du pouvoir», analyse un diplomate occidental. En attendant, c'est avec leur sueur que la nouvelle Babylone sort des sables...

    Christian Chesnot
    Le Télégramme
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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