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Stocks pétroliers : le virage stratégique de l'AIE

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  • Stocks pétroliers : le virage stratégique de l'AIE

    L'annonce a pris les marchés à revers. La semaine dernière, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) a décidé de puiser dans ses stocks stratégiques et de mettre 60 millions de barils de pétrole et de produits pétroliers sur le marché au cours des trente jours à venir. Les Etats-Unis devraient fournir la moitié des volumes requis. La France contribuera à cet effort à hauteur de 3,2 millions de barils. Cette intervention, qui a lieu juste avant le départ du directeur de l'AIE, Nobuo Tanaka, a fait chuter les cours du pétrole de plus de 7 dollars à New York jeudi et d'environ 4 dollars à Londres. Elle a de quoi susciter des interrogations car elle a lieu quatre mois après le début du conflit en Libye et alors que les prix du pétrole étaient inférieurs de 15 dollars à leur plus haut niveau de l'année. Pourquoi, alors, agir maintenant ?
    L'organisation, qui défend les intérêts des pays de l'OCDE, affirme avoir voulu éviter une flambée des prix alors que les vacances d'été vont doper la consommation de carburants dans l'hémisphère Nord et que la production de pétrole libyen reste au point mort. L'AIE souligne aussi qu'un grand nombre de raffineries ont redémarré en Europe, ce qui devrait augmenter les besoins en brut. Dans ce contexte, elle a jugé nécessaire d'intervenir sur les marchés afin d'assurer une sorte de « transition », en attendant que l'Arabie saoudite n'augmente progressivement sa production de pétrole. En soi, cette approche constitue un changement de doctrine pour l'Agence.
    Mis en place dans les années 1970, les stocks stratégiques représentent au minimum l'équivalent de 90 jours d'importations de pétrole pour l'ensemble des 28 pays membres de l'AIE. A l'origine, ces stocks ont été créés pour faire face à d'éventuelles ruptures d'approvisionnement, ou à une situation d'embargo. Mais leur objectif n'a jamais été de réguler les prix. Dans le passé, ces stocks n'ont d'ailleurs été utilisés qu'à deux reprises : lors de l'invasion du Koweit par l'Irak en 1990-1991 et à la suite de la destruction d'une partie des installations pétrolières du golfe du Mexique par l'ouragan Katrina en 2005.
    Evalués à 4,1 milliards de barils, les stocks ont toujours fait office « d'arme nucléaire ». Autrement dit, leur effet était essentiellement dissuasif et leur utilisation exceptionnelle. L'Agence aurait pu y avoir recours lors de la deuxième guerre d'Irak en 2003 ou à l'occasion de l'effondrement de la production nigériane en 2005. Cela n'a pas été le cas.
    Au regard du passé, l'annonce de la semaine dernière apparaît donc d'un nouveau type. Elle est très clairement politique et souligne l'inquiétude des pays industrialisés quant à l'impact des prix du brut sur la croissance économique. En France, le gouvernement s'est d'ailleurs empressé d'annoncer que cette décision allait entraîner une baisse des prix à la pompe et améliorer le pouvoir d'achat des ménages. Aux Etats-Unis, l'administration s'est dite prête à puiser davantage dans ses réserves stratégiques si nécessaire, alors que le prix de l'essence s'approche des 4 dollars le gallon.
    Ce virage stratégique est d'autant plus frappant qu'en 2008, l'AIE s'était bien gardée d'intervenir lorsque les prix du brut avaient dépassé les 147 dollars en juillet. Mais c'était avant Lehman Brothers... Aujourd'hui, les perspectives économiques apparaissent beaucoup plus moroses, tant en Europe qu'aux Etats-Unis.
    Quel va être l'impact de cette décision à moyen terme ? Celle-ci va modifier les relations entre pays producteurs et consommateurs de pétrole, et marquer un net durcissement du bras de fer entre l'Agence et l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), au lendemain de la décision du cartel de ne pas augmenter ses quotas de production le 8 juin. Elle souligne l'influence intacte de l'AIE, alors même que la consommation de pétrole marque le pas dans les pays de l'OCDE, mais progresse fortement en Chine et en Inde.
    Cette intervention va également affaiblir la relation entre les Etats-Unis et l'Arabie saoudite. Jusqu'à présent, c'était au Royaume wahhabite de gérer les situations de crise sur les marchés pétroliers grâce à des capacités de production évaluées à plus de 12 millions de barils par jour. A la suite de l'échec du sommet de Vienne, le Royaume avait d'ailleurs continué à jouer son rôle et annoncé sa volonté d'augmenter la production nationale. L'intervention de l'AIE, qui marque peut-être un changement d'époque, a placé le Royaume dans une position délicate. La plupart des analystes estiment qu'elle va pousser le pays à limiter la hausse de ses volumes de production dans les mois à venir.
    Sur les marchés, l'impact de cette annonce risque néanmoins d'être limité à moyen terme. La décision de l'AIE est une décision de court terme. Elle va s'étaler sur un mois alors que l'Agence estime elle-même que la production libyenne ne retrouvera pas son niveau d'avant-guerre avant 2013 (1,6 million de barils par jour). Si l'Arabie saoudite ne prend pas le relais, le marché pourrait devenir très tendu dès 2012, estiment beaucoup d'analystes. Pour Barclays Capital, cette décision envoie même « un mauvais signal » alors que l'Arabie saoudite s'était engagée à augmenter ses volumes. Beaucoup estiment qu'elle crée plus d'incertitudes qu'elle n'en résout.
    Mais sur le long terme, elle va peut-être changer la psychologie des marchés, en introduisant la notion d'un prix plafond à partir duquel les grands pays consommateurs ne sont plus prêts à jouer. Cette épée de Damoclès va peser sur les marchés et limiter les velléités des spéculateurs. Une façon, peut-être, de désamorcer l'éternel débat sur le poids de ces derniers dans le paysage pétrolier.
    Emmanuel Grasland est journaliste en charge de l'énergie, au service industrie des « Echos ».
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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