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Comment les riches détruisent la planète

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  • Comment les riches détruisent la planète

    Parlant à Copenhague, Hugo Chavez a présenté un livre qui confirme ses propos sur la nécessité de changer de système social si nous voulons sauver la planète. Voici la transcription d’une interview de l’auteur de ce livre. 
Selon lui, écologie et politique sont étroitement liés. L’inégalité grandissante et le gaspillage du Nord doivent être combattus en redistribuant les richesses accaparées par une oligarchie qui dépense et pollue sans aucun souci. Hervé Kempf nous parle du mouvement écolo, du 11 septembre, des milliardaires, de la démocratie en danger...

    Ruth Stégassy : On va commencer par une bonne nouvelle : la prise de conscience a fait un bond en matière d’écologie.

    Hervé Kempf : Oui quand même, si on regarde la question du changement climatique, l’évolution des idées, aussi bien parmi les scientifiques que dans la population en général ; si on compare avec le début des années 1990, quand la problématique émergeait, on a une évolution énorme. A la fois, parce qu’il n’y a plus vraiment de contestation scientifique sur le changement climatique ; que le thème entre dans la réflexion politique ; et que surtout, c’est un thème très partagé. Quand on parle avec des amis, nos voisins, tout le monde sait que quelque chose est là.

    Ceci dit, je ne suis pas aussi optimiste. Quand tout le monde est unanime pour dire quelque chose, c’est que ça n’avance pas vraiment. Il faut qu’il y ait débat, il faut qu’il y ait contradiction. Et je pense que nous tous, dans les sociétés européennes notamment, avons intégré la question du changement climatique, mais pas encore celle de la crise écologique, qui l’englobe et la dépasse. Nous n'avons pas encore traduit ce que cela pouvait représenter dans le changement des modes de vie, de l'économie et de la société.

    Ce pas là n’est pas encore fait, notamment auprès des responsable politiques qui continuent à raisonner comme si la question écologique pouvait être séparée de ce qui pour eux est essentiel : le maintien de nos structures économiques.


    Vous dites : « il y a nécessité de débat ». Le consensus serait finalement un obstacle supplémentaire à prise en compte des problèmes que vous évoquez. Pour la crise écologique, il y a quand même une prise de conscience. Mais en même temps, vous dites qu’il n’y a plus de contestation. Alors le débat, sur quoi devrait-il porter ?


    Il n’y a plus de contestation sur la réalité du changement climatique. En revanche, il n’y a pas vraiment de discussion sur ce qu’il faut faire pour éviter une évolution dangereuse, et qui risque d’être rapide, du changement climatique. C’est-à-dire qu’il n’y a pas encore vraiment de remise en cause du système de transport, des systèmes énergétiques, du système de consommation ou de surconsommation généralisé, de la publicité.

    Je veux dire que cette remise en cause est faite par des écologistes, par des mouvements, par des associations. Elle n’est pas encore réellement intériorisée par des forces politiques d’ampleur importante. Et je suis désolé de mettre là de côté les Verts, Corinne Lepage, voire même Nicolas Hulot. Ce n’es pas encore pris en charge par les couches des décideurs.
    Il y a un consensus sur le diagnostic, mais pas sur les actions difficiles à entreprendre. Parce que ça va être dur.

    Je vais prendre un seul exemple. La semaine dernière, Alain Juppé, maire de Bordeaux tient un discours tout à fait superbe sur la croissance : « arrêter les gaspillages, faire attention au changement climatique... » En même temps, la région Aquitaine prévoit 6 projets d’autoroutes. D’excellents discours, mais en France 2500 km d’autoroutes sont prévus. Les responsables politiques ne se disent pas : « il y a un changement climatique, cela risque d’être dangereux, il faut diminuer les émissions de gaz, le transport automobile et chercher d’autres modes de transport ». Or, construire des autoroutes, c’est favoriser l'automobile. Il n'y a pas encore de vrais débats sur la construction de nouvelles autoroutes.


    Alors en fait, dans votre livre, vous vous employez à décortiquer ce paradoxe : les militants écologiques ne comprennent pas qu'on puisse reprendre leurs propos, les confirmer, et en même temps que l'on continue à aller contre le bon sens.


    Pourquoi les écologistes disent ça, et n’arrivent pas à vraiment faire en sorte que la société transforme cette alerte en action concrète. Il y a deux réponses. D’une part, le mouvement écologiste n’a pas encore été capable d’articuler ce qu’elle observe dans l’écologie avec la crise sociale, qui se traduit dans nos sociétés développées, comme à l’échelle mondiale de la société humaine, et qui se traduit par une inégalité croissante, tout à fait surprenante - l’inégalité à recommencer à croître fortement depuis une trentaine d’années – et par aussi une appropriation de plus en plus croissante de la totalité des revenus et des patrimoines par une couche assez mince, que j’appelle moi l’oligarchie. Une couche de la société, dans nos sociétés européennes occidentales et dans la société mondiale, qui s’approprient et qui bloquent le système.

    L’écologie doit faire ce double travail : articuler son propos avec la crise sociale qui est un autre relais de la crise écologique, et désigner ceux qui ont plus de responsabilités que d’autres, même si ça n’exclut pas évidemment notre propre responsabilité, et notre propre capacité d’action en tant qu’individu.
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

  • #2
    suite ...

    Vous dites qu’il ne faut jamais oublier qu’il y a un lien entre changement climatique, perte de la biodiversité, et pollution des écosystèmes. Des groupes de scientifiques tout à fait différents, mais ne se connaissaient pas les uns les autres, sont arrivés à ces conclusions au même moment, qui aujourd’hui se rejoignent et convergent.

    Aujourd’hui, faire le pont vers le social, c’est une petite révolution, une entrée par effraction dans un domaine jusque là réservé aux militants politiques, syndicalistes.

    Oui ; alors sans doute parce qu’une grande part de ceux qui s’intéressent à l’écologie sont partis souvent d’un sentiment d’émotion personnel devant la beauté du monde, et parfois d’effroi, devant sa dégradation. Quand on a cette attitude d’esprit, elle est individuelle. Il s’établit une relation entre l’individu et ce monde magnifique qui l’entoure. Une grande partie du mouvement de l’écologie, souvent parti au départ de l’inquiétude des naturalistes par rapport à la disparition ou à l’affaiblissement de la vie sauvage qu’ils observaient, fait que cette interrogation sociale et politique était absente.

    Un autre mouvement a joué : l’écologie est née dans les années 1970, du refus du marxisme, à cette époque le modèle dominant de contestation du capitalisme. Donc, les écologistes ont peu développé de discours politique, alors qu’ils étaient à la fois dans un double refus, du capitalisme et de la société de consommation (c’étaient leurs termes, que je m’approprie tout à fait), et par ailleurs le refus du marxisme. Ils étaient en manque d’interprétation politique.

    Ceci dit, l’évolution d’un mouvement, comme les Amis de la Terre ou le Soldwel Network, autour du Gatt (General Agreement of Trade, ancêtre de l’OMC), au début des années 1990, s’est faite au départ par des mouvements qui étaient inquiets de la libéralisation commerciale sur les forêts tropicales et sur le commerce du bois. Il y a là une conjonction très étrange où la critique de la mondialisation s’est faite en bonne partie de gens qui venaient de l’écologie.

    Assez rapidement, les pays du Sud se sont retrouvés dans cette critique là. Cette jonction là s’est faite assez rapidement.

    On revient vers quelque chose plus proche de l’effraction, une vraie partie prenante de ce qui représente le renouveau de la contestation du système capitaliste dans les années 1990 avec la chute de l’URSS. Après Seattle et le mouvement altermondialiste, la question écologique a été très présente. Mais à présent, ça patine. On a un échec à l’heure actuelle du mouvement d’altermondialisation. Attac a eu une évolution triste et dramatique, et n’a pas été réellement capable d’intégrer la question écologique. Inversement, des mouvements comme Greenpeace, qui dans les années 1999-2001 était en accord avec les mouvements d’altermondialisation, reviennent plus sur des bases écologiques stricto sensu. Donc on patine, le lien entre la question politique ou sociale, et la question écologique a du mal à se faire.

    Vous décortiquez ce qui s’est passé dans les milieux écologistes, mais il faudrait aussi voir ce qui s’est passé dans les milieux politiques, et cette incapacité à penser l’écologie dans les mouvements sociaux.


    Cette incapacité parallèle des mouvements de gauche, qui quand ils viennent du marxisme sont accrochés aux vieux schémas, les mêmes que ceux des libéraux : « toujours plus de production. Pour satisfaire les besoins humains, il faut toujours produire plus, et ensuite on verra comment on organise la répartition ». Donc ils sont toujours sur ce vieux schéma matérialiste, qui les empêche de penser l’écologie et de l’intégrer. Par ailleurs, pour une gauche moins marxiste, qui serait celle du socialisme, qui vit dans l’idée du progrès du XIXème siècle, du progrès qui avance, il y a une vraie difficulté à s’articuler sur l’écologie, souvent présentée comme un luxe de riche. « Nous, on s’occupe des pauvres, des prolétaires ; vous les écologistes, vous ne vous occupez que des riches ». On a là un blocage.

    Il faut avancer, en comprenant d’une part que social et écologie se renvoient l’un à l’autre ; ce sont les mêmes problématiques : il y a des dégâts écologiques qui sont d’abord subis par les plus pauvres. Qui vit près des périphériques, qui subit le plus la pollution atmosphérique, la pollution sonore, qui va devoir se nourrir à faible prix, dans des magasins qui fourniront des produits de l’agriculture industrielle, pleins de conservateurs et de produits chimiques ? Ce sont les plus pauvres. On peut tenir le même raisonnement en faisant une comparaison Nord-Sud. Qui subit le plus les effets du changement climatique, de la destruction des écosystèmes ? Ce sont les populations des pays du Sud les plus pauvres, au Sahel pour la sécheresse.

    Alors que nous avons maintenant des informations précises, et sur l’amplitude de la crise écologique, et sur la réalité de la crise sociale, pourquoi est-ce que ça bloque ? Ça n’avance pas parce qu’il y a un système d’intérêts au sein de la société qui bloque l’évolution du système. Je reviens à ce que j’appelle l’oligarchie, c’est-à-dire une couche assez mince de gens, qui s’approprient à la fois des revenus tout à fait considérable, qui profitent du système, en vivant luxueusement et hors de propos par rapport aux enjeux qui se posent à l’heure actuelle, et qui par ailleurs tiennent les leviers de pouvoir économiques, politiques et médiatiques et donc empêchent une véritable évolution du système.

    Qu’on arrive à transformer ces signaux d’alarme en actions concrète, cela remettrait en cause leur système de pouvoir, et leur appropriation des revenus, ou de la plus value.

    Vous n’êtes pas là dans une théorie du complot : vous êtes dans une affirmation tout à fait politique qu’on est de nouveau dans la lutte des classes.

    Je ne suis absolument pas dans la théorie du complot.
    On a peur de revisiter la question de la lutte des classes. Ce n’est pas les mots que j’emploierais car on pourrait me dire que je ressers de vieilles idées marxistes. Alors je tiens à préciser que je ne suis pas marxiste. Je suis venu à l’écologie politique, à une interrogation de l’écologie par la politique, en dehors du marxisme. C’est important, parce que renvoyer la critique sociale, ceux qui critiquent le système néo-libéral, au marxisme, c’est les renvoyer du coup à l’URSS, à un système destructeur de la liberté, qui est pour moi une valeur essentielle. C’est pour cela que j’étais opposé au marxisme.

    Maintenant, on peut porter une critique du capitalisme, du néo-libéralisme, d’un point de vue qui n’est absolument pas marxiste. En revanche, il n’y a aucun problème à employer le mot de plus value ; c’est un concept tout à fait utile. On peut éventuellement employer le mot de lutte des classes, un certain nombre de concepts qui nous viennent de Marx et de la critique sociale, sans pour autant être dans ce schéma de pensée, auquel je n’adhère pas globalement. Mais en revanche, il n’est plus question de s’interdire de faire la critique sociale et la critique du néo-libéralisme, sous prétexte qu’on pourrait être marxiste. Cela n’a plus lieu d’être.

    En fait, si j’ai employé l’expression de lutte des classes, c’était pour vous inviter de nous parler de cette classe, qui n’est pas encore reconnue comme telle, et que vous épinglez de manière à ce qu’elle devienne véritablement apparente : l’oligarchie des puissants d’aujourd’hui, une classe sans patrie, ni frontières, mais qu’on peut tout à fait repérer par un certain nombre de signes.


    Déjà par des statistiques : les économistes nous montrent que l’inégalité à recommencé à croître dans les pays occidentaux, particulièrement aux Etats Unis et en Angleterre. Les statisticiens reconnaissent aussi cet écart grandissant entre les riches et les pauvres à l’échelle de la planète. On repère déjà cette classe par cette distinction de revenus, cet élargissement de l’inégalité.

    On ne donnera qu’un chiffre. Forbes a fait un recensement depuis 1985 du nombre de milliardaires. En 1985, ils étaient 140 ; en 2002, 476 ; et en 2005, 793. Le nombre de milliardaires a relativement peu augmenté. En revanche, ces 793 individus possèdent ensemble 2600 milliards de dollars.

    On la repère aussi dans le fait qu'elle se renferme de plus en plus. Selon The economist, les systèmes d’ascension sociale ne fonctionnent pas, y compris aux Etats Unis, souvent présentés comme l’endroit où on commence comme vendeur de journaux à 14 ans pour finir possesseur d’une compagnie de chemins de fer, et milliardaire, à 50 ans. Ça ne fonctionne plus. Le château dans le quel vivent les oligarques se referme.

    Les grandes écoles et les universités deviennent de plus en plus coûteuses et de plus en plus inaccessibles aux enfants des classes populaires ou des classes moyennes qui pourraient monter dans la hiérarchie. Sauf que quand vous avez des droits d’inscription de 10000 $ par an, c’est tout simplement impossible.

    Et puis, 3ème chose, on les voit, et c’est tout à fait flagrant, par une prodigalité, par un gaspillage tout à fait extraordinaire, de voitures, de yachts, de voyages en avion privé... un mode de consommation extraordinairement dispendieux.


    A quoi il faut rajouter le côté dynastique de ce système : une classe qui transmet à ses héritiers, pouvoir, argent, patrimoine.

    Comme elle s’enferme dans son château, les enfants d’hyper riches deviennent à leurs tours hyper riches. Le capital se transmet, la propriété d’entreprise se transmet. En France par exemple, les grands noms du capitalisme sont beaucoup du capitalisme familial. Mr Boloré est le fils d’un industriel, qui lui-même était le fils d’un industriel. Mr Pinault transmet les rênes de son petit empire à son fils...

    Avec tout un imaginaire qui retrouve les vieux poncifs de l’aristocratie d’avant la Révolution. On aime côtoyer les grands de ce monde, les particules, les anciens empereurs déchus.

    Ils veulent effectivement être entre eux. Ils se sentent manifestement comme en dehors du monde du commun, en dehors de la plèbe. Ils vivent entre eux. Ils ne voient du monde qu’à travers les vitres de leurs voitures climatisées, ils fréquentent des halls d’aéroports, ils se retrouvent dans des grands centres d’affaires, de grands hôtels. Ils sont dans un autre monde.
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
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    • #3
      suite ...

      J’avais pointé la fête de Mr Pinault, l’inauguration de sa collection d’œuvres d’art à Venise. C’était dans un palais à Venise. Il avait invité le gratin de ses amis. Alors ils sont tous venus en avion. L’aéroport de Venise a été embouteillé, à tel point qu’il a fallu trouver des hélicoptères, ou faire atterrir des avions ailleurs. C’était une débauche de prodigalités. Cette petite anecdote montre qu’ils se coupent du monde, et se coupant du monde, ils ne s’intéressent plus au monde.

      Pour voir des SDF, des gens qui font la manche, voir tout simplement des gens pauvres, il faut prendre le métro le matin, aller dans les banlieues, aller dans d’autres lieux. Et si on prend sa voiture climatisée, ou son avion, on ne voit pas ces gens, on ne voit pas cette réalité sociale. Il en va de même pour la température ou pour la destruction de l’environnement.

      J’étais en reportage au Niger, il y a quelques semaine. Là, tous ces phénomènes sont particulièrement visibles. Ils sont vraiment sentis par les gens et les paysans, même si, ils ont du mal à formuler et à mettre des mots sur ces phénomènes. Et là effectivement, cette oligarchie est étrangère à ça.

      Et alors ? Ne pourrait-on pas les laisser s’amuser entre eux, s’ils ont envie de s’amuser à coup de yacht et de collections privées d’art. Le problème, c’est que comme vous le dites très justement, ce sont ces gens qui empêchent que l’on passe à l’action, qu’on essaye de résoudre ces problèmes qui pour eux, sont des bêtises.

      Alors ils l’empêchent de deux manières. D’une part parce qu’ils détiennent les leviers de pouvoir. Prendre en charge la crise écologique et la crise sociale, c’est remettre en cause la distribution des revenus dans les sociétés. Donc fatalement, c’est remettre en cause le fait que des milliardaires soient des milliardaires, que des gens extrêmement fortunés puissent planquer leur argent dans des paradis fiscaux. Vous avez employé le mot de lutte de classe. Ce n’est pas le mot que j’emploierais spontanément, mais c’est cela aussi que ça veut dire : je ne bouge pas d’où je suis, parce que je défends ma position économique.

      Le 2ème levier de blocage, c’est quelque chose d’important et je vais essayer de le mettre en mots simples. Je me suis appuyé pour l’exprimer sur la pensée d’un économiste très passionnant de la fin du XIXème siècle, Torstein Weblen, qui était un économiste américain, qui a une grande importance dans la pensée économique, même s’il est oublié. Il est cité parmi les grands auteurs économistes au même titre que Smith, Ricardo ou Kent.

      Que dit Torstein Beblen ? Schématiquement : la société, à partir d’un certain niveau, n’a plus besoin de produire plus. Elle satisfait les besoins humains, et pas seulement les besoins vitaux, mais les besoins humains de convivialité, de la fête. Qu’est-ce qui fait que la société veuille toujours produire plus ? Parce ’il y a un mécanisme fondamental dans les sociétés humaines : la rivalité. La rivalité de signes, d’ostentation. Tout individu ou tout groupe social est en rivalité de statut ; il veut montrer à ses voisins qu’il vaut un peu plus qu’eux, qu’il possède un peu plus qu’eux, qu’il a de plus beaux objets. C’est l’ostentation tout simplement.

      Weblen bâtit toute sa théorie sur ce principe. Cela se reproduit entre les classes sociales, entre les groupes sociaux : les groupes sociaux vont se différencier les uns par rapport aux autres, par cette capacité à l’ostentation. Cette rivalité va pousser les individus et les groupes sociaux à avoir toujours plus. On veut toujours avoir plus que ce que l’on a, parce qu’on veut rejoindre celui qui est au-dessus de nous. Cela se traduit par toujours plus de consommation.

      On parlait d’avion tout à l’heure, on pourrait prendre les téléphones portables. Beaucoup d’objets qui nous environnent ne correspondent pas en fait à un vrai besoin, mais correspondent à une pression sociale. Un objet va avoir de la valeur, non par la fonction qu’il remplit, mais par le fait que c’est un signe que nous envoyons à nos voisins, à nos rivaux, de notre position sociale. Cela fonctionne tout à fait sur cette classe sociale, que l'on repère par sa prodigalité, par cette accumulation de biens qu’il faut montrer.

      Mr Pinault qui invite des têtes couronnées. Que doit-il dire à tous ses amis ? Regardez combien je suis riche, regardez combien je suis au-dessus de vous, puisque je suis capable de vous montrer des œuvres réputées, dans mon somptueux palais ! On est dans cette course à l’ostentation.

      Pourquoi ça pose problème à l’heure actuelle ? Nous pourrions penser qu'après tout, l’inégalité sociale, elle existait au Moyen Age, à la Renaissance, au XIXème siècle. Ce mécanisme décrit par Weblen a toujours bien fonctionné dans la société ; et alors ? Et alors justement, nous sommes dans une situation nouvelle. Le problème qui se pose, c’est que nous ne sommes pas simplement contre l’inégalité par le sentiment d’injustice, pas seulement parce que nous sommes contre cette ostentation incroyable parce que nous aspirons à une vie plus simple et plus sereine. C’est parce que cela pose un problème aujourd’hui à l’humanité, parce que tous ces mécanismes d’inégalité sociale qui est de plus en plus pénible, et qui pourrait conduire une partie des gens à la révolte, et à un chaos social d’une certaine manière. Et que par ailleurs, la question écologique, et ça va de pair, peut nous emmener vers une situation réellement désastreuse de la biosphère. Par réchauffement climatique, par des épidémies liées à la chute de la biodiversité, par tous ces phénomènes désastreux que nous pouvons commencer à percevoir.

      La situation devient assez glaçante, lorsque vous faite un recensement de tous les dispositifs que cette oligarchie a mis en place depuis une quinzaine d’années pour affaiblir les moyens de résistance ou de contestation, pour finalement diminuer les libertés individuelles, diminuer la démocratie.

      L’oligarchie se dit que finalement, la démocratie ne lui est plus nécessaire. L’oligarchie, les classes dirigeantes, ont eu un idéal de la démocratie, des libertés publiques au XIXème siècle. Les capitalistes, les couches dirigeantes, n’étaient pas seulement animés par l’âpreté aux gains, mais aussi les idéaux de progrès, l’idée d’une société meilleure, l’idée que cette évolution pouvait aller avec plus de libertés, et avec la promotion de la démocratie. Parce qu’il y avait une jonction philosophique entre le libéralisme économique et la liberté de penser.

      Ensuite, cette construction philosophique et cet idéal réel a joué un rôle important dans les grands traumatismes politiques du XXème siècle. On était contre le nazisme au nom de la liberté. Ensuite, pendant la guerre froide, contre l’URSS, à nouveau au nom de la liberté. Et quand l’Amérique qui était à la tête de ce qu’on appelait le monde libre – et qui l’était -, le capitalisme de l’époque était aussi animé par cette fois et cet idéal. Il plaçait la démocratie, l’expression des citoyens, le respect des droits des minorités, au cœur de sa construction politique.

      Après la chute de l’URSS. il n’y en a plus besoin. Le capitalisme perd son challenger dans les années 1990. Puis, il y a eu une évolution qui s’est faite en oubliant cette nécessité de la démocratie. Ce qui va se traduire par la prise de pouvoir des néoconservateurs aux Etats Unis, qui s’appuient sur le choc du 11 septembre pour dire : l’essentiel, c’est de nous protéger. Et donc ils font passer l’idée qu’on peut battre en brèche un certain nombre de libertés.

      Et puis par ailleurs, l’observation qu’en Chine, on peut avoir un système économique extrêmement dynamique sans libertés.


      Ces trois mouvements se conjuguent : aucun challenger, un motif au nom du terrorisme pour battre en brèche les libertés, l’observation de ce nouveau grand avec économie dynamique et sans libertés. Cette évolution va vers le fait que la démocratie n’est plus absolument nécessaire, n’est plus consubstantielle à l’évolution d’un système économique.

      La démocratie n’est plus nécessaire et elle devient gênante.

      Pour l’oligarchie, oui. Tout à fait, elle devient gênante. Et on voit beaucoup de signes par lesquels des processus démocratiques sont mis en brèche, un certain nombre de libertés sont discutées, et puis des systèmes de fichage généralisés, des systèmes de surveillance généralisés, de contrôle individuel généralisé, permis par l’essor des technologies, où on ne sent pas assez de contre-pouvoirs pour empêcher cette évolution.
      Rebbi yerrahmek ya djamel.
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      • #4
        suite et fin

        Les contre-pouvoirs, quels sont-ils aujourd’hui ? Vous les citez, sans pour autant méconnaître leurs points faibles.

        D’abord, la conscience des phénomènes qu’on a évoqués au début est de plus en plus forte. Ce qu’on observe sur la crise écologique est aussi en train de se produire sur la crise sociale : on est en train de comprendre qu’il n’y a pas de mondialisation heureuse, et que le système coince.

        Le fait de reconnaître une situation fait beaucoup avancer : on réagit différemment. Par ailleurs, il y a eu dans le mouvement d’altermondialisation et dans le mouvement écologique beaucoup de choses positives. Malgré les difficultés que l’on reconnaît en ce moment en France à ce que ça se manifeste bien, malgré tout, ce mouvement est là. Il y a un effort énorme, une énergie énorme, de millions de gens. Cela va se concrétiser, d’une manière ou d’une autre.

        Il faut voir aussi que l’oligarchie n’est pas complètement homogène. Et là, je ne suis pas du tout dans une théorie du complot. Je ne pense quand même pas que l’oligarchie est constituée à 100% de gens cupides, totalement inconscients, égoïste, et assez décérébrés. Je pense que leur capacité de réflexion est de retrouver un idéal et un bien public. Cette oligarchie peut en quelque sorte se fractionner, se diviser. Il faut absolument que ce soit le cas, parce que les systèmes de pouvoir sont tellement puissant, que si effectivement on n’a pas une partie des couches dirigeantes qui change le sens, effectivement, ça sera très difficile.

        Une des choses que vous proposez, c’est le RMA, le Revenu Maximal Admissible. Pour arriver à imposer un revenu maximum aux oligarques, ça va être très difficile.

        Pourquoi c’est important de réduire le train de vie des oligarques ? Parce que il va falloir que nous aussi, nous réduisions notre train de vie. Or, comment allons-nous accepter de ne plus avoir de voiture, d’avoir un revenu peut-être inférieur, de ne plus prendre l’avion si souvent, voire pas du tout, etc. Comment allons-nous accepter une diminution de la consommation matérielle absolument indispensable ?

        Il ne suffirait pas que les oligarques gaspillent moins, et tout irait mieux. Non, il faut que l’ensemble des sociétés riches change de mode de consommation. C’est un effort concret de diminuer notre consommation matérielle, mais ça, on ne peut pas le faire si on a l’impression qu’en haut, les gens continuent. Donc il est absolument indispensable, pour répondre à cette conscience que beaucoup de gens sont en train de prendre, de diminuer cette consommation matérielle. Donc il est indispensable que ceux d’en haut voient aussi leur consommation réduite, et plus que celle de ceux d’en bas. Il faut effectivement passer par le Revenu Maximal Admissible.

        Mais ça sert aussi à une meilleure distribution, non pas de la consommation, mais de ces énormes sommes monétaires, qui pourraient aller à des services de bien public.

        Selon un rapport de 2005 des Nations-Unies : "Le montant pour faire passer 1 milliard de personnes au-dessus du seuil de pauvreté de 1 $ par jour s’élève à 300 milliards de dollars. En valeur absolue, ce chiffre paraît exorbitant. Néanmoins, il équivaut à moins de 2% du revenu de 10% des plus riches de la population mondiale." Ces 10% des plus riches sont tellement riches, que si on prend 2% de leurs revenus, on couvre l’essentiel des besoins minimum de ceux qui vivent avec moins de 1 $ par jour.

        Il y a cet abaissement de la richesse maximale, qui est nécessaire pour nous faire accepter cette diminution de la consommation. Et puis pour une 3ème raison aussi, qui recouvre l’écologie et le social. On emploierait cet argent pour développer des services collectifs, transports, que ce soit dans l’éducation, les biens de base, la santé ; qui à la fois aiderait les plus pauvres à progresser, et à vivre dignement, et aussi qui consommerait moins de matière. Cela serait aussi un changement de la consommation matérielle. Il faut consommer moins. Ça doit être une idée forte que nous devons avoir en tête : il faut diminuer la consommation matérielle. Cette société qui chercherait plus d’égalité sociale, plus de justice, certainement irait dans le sens d’avoir plus de services collectifs, d’avoir plus de biens communs, moins d’appropriation privée, et moins de consommation individuelle.

        Source: Terre à Terre
        Rebbi yerrahmek ya djamel.
        "Tu es, donc je suis"
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