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Mohammed VI et Abdallah II : deux rois dans la révolution

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    Mohammed VI et Abdallah II : deux rois dans la révolution

    04/07/2011 à 17h:05 Par François Soudan

    Abdallah II et Mohammed VI sont confrontés à des changements majeurs dans leurs pays. © Rafael Ricoy, pour Jeune Afrique.

    Les souverains hachémite et alaouite, Abdallah II et Mohammed VI, ont le même âge et sont montés sur le trône la même année. Depuis six mois, en Jordanie et au Maroc, ils font face à un mouvement de contestation similaire. Avec le même objectif : concéder, sans céder sur l’essentiel.

    Enquête.
    Alors que les « printemps arabes » semblent balbutier entre l’été de la démocratie et l’hiver de la répression, deux rois font face à la contestation avec plus de bonheur que bien des présidents républicains. Abdallah II de Jordanie et Mohammed VI du Maroc, 49 ans et 48 ans, descendant l’un et l’autre en ligne directe du prophète Mohammed, arrivés la même année, en 1999, sur le trône, fils de Hussein et de Hassan, ont tous deux prononcé en cette mi-juin l’un des discours majeurs de leur règne. Objectif : accompagner par un contenu politique résolument réformiste une protestation diffuse qui ne les vise pas personnellement, mais dont ils ont perçu le message suffisamment tôt pour pouvoir en quelque sorte se l’approprier.

    Confronté depuis février à des manifestations de rue sporadiques, hostiles aux services de renseignements, à l’état-major de l’armée et à son entourage le plus proche (son bras droit, le ministre Bassem Awadallah, sa propre épouse Rania et le frère de cette dernière), Abdallah II a annoncé, le 12 juin, une profonde réforme politique, avec un Premier ministre désormais élu par le Parlement, un gouvernement issu de la majorité et de prochaines élections législatives.

    Manifestations contenues avec retenue

    Comme au Maroc, le mouvement contestataire en Jordanie est minoritaire, très éclaté puisqu’il regroupe aussi bien des « facebookers » que des enseignants ou des militaires retraités, et à forte coloration islamiste. À Amman comme au Maroc, les manifestants ont refusé de participer à la commission mise en place pour synthétiser les projets de réforme, mais les pouvoirs en place ont répondu avec retenue à l’occupation de la rue : l’intervention de la police est jusqu’ici restée marginale et en général peu violente. En ce domaine, on est très loin de Bahreïn et de Damas, tant il est vrai que, dans ces deux royaumes pro-occidentaux et dépourvus de pétrole, on se soucie beaucoup du regard extérieur.

    Certes, la comparaison a ses limites. La monarchie hachémite, d’implantation récente, est infiniment moins ancrée que la dynastie alaouite, dont l’installation dans le Sud marocain remonte au milieu du XIIIe siècle, donc moins légitime et plus fragile. Quatre fois moins peuplée que le Maroc, la Jordanie est, en outre, le produit d’un assemblage approximatif entre les Palestiniens – plus de la moitié de la population, mais politiquement sous-représentés – et les tribus transjordaniennes, piliers traditionnels du régime, mais fers de lance de la contestation actuelle. Ce paradoxe explique en partie pourquoi Abdallah II, qui, il y a douze ans, avait semblé tenté par l’instauration progressive d’une monarchie constitutionnelle de type britannique, a vu ses velléités vite contrecarrées par une élite politico-bureaucratique heureuse de prospérer dans un système de rente, de corruption et de surveillance, sous la houlette de moukhabarat (services de renseignements) omniprésents. Même s’il sait que les mois à venir seront aussi complexes à gérer que la montée en puissance des frères du Front de l’action islamique, le roi vit donc la situation actuelle comme une sorte de retour aux sources. « Dans un sens, a-t-il confié le 16 juin au Washington Post, le « printemps arabe » m’a donné l’occasion que j’attendais depuis douze ans. »

    Dans un sens, le « printemps arabe » m’a donné l’occasion que j’attendais depuis douze ans.

    Réforme marocaine, plus loin, plus vite

    Mohammed VI pourrait-il souscrire à cette dernière phrase ? Officiellement, non. Ses discours du 9 mars et du 17 juin s’inscrivent, assure-t-on au Palais, dans le droit fil d’une pleine décennie de réformes. Mais le roi est allé loin dans son projet de révision constitutionnelle, plus loin et plus vite qu’Abdallah et, sans le Mouvement du 20 février, sans doute n’aurait-il pas donné un tel coup d’accélérateur. Le texte, qui sera soumis à référendum le 1er juillet, concède de larges pans du pouvoir royal au gouvernement, formalise une méthodologie démocratique qui existait déjà dans les faits (le Premier ministre avait besoin d’une majorité parlementaire pour gouverner), désacralise les actes du souverain, lesquels seront désormais susceptibles de recours, et crée des institutions, telle la Cour constitutionnelle, que les citoyens pourront saisir directement. Globalement, et à un demi-siècle de distance, il s’agit là d’une réponse positive donnée aux principales revendications de la gauche marocaine du début des années 1960, ainsi que de l’acte de décès officiel de l’ère Hassan II.


    Certes, si la sacralité de la personne du roi disparaît au profit des notions d’inviolabilité et de respect dû, comme dans toutes les monarchies européennes, son statut de Commandeur des croyants demeure, tout comme celui de chef suprême des armées. Mais aucun Marocain responsable ne saurait exiger que ces deux piliers essentiels, garanties contre les aventures islamistes et militaires, passent à la trappe.

    Le boycott des intégristes et "dé-jeûneurs"

    Bien au contraire : les partis dans leur ensemble demandaient leur maintien, le contraire n’ayant jamais été envisagé que par les disciples du cheikh Yassine et les militants d’extrême gauche, réunis dans un curieux attelage de barbus intégristes et de « dé-jeûneurs » adeptes d’une société libertaire. Ces derniers, queue de comète d’un Mouvement du 20 février incapable de présenter des propositions claires, mais prisme unique à travers lequel les médias étrangers semblent percevoir l’évolution du Maroc, boycotteront le référendum. Le décalage entre les « févriéristes », privés de leur composante berbère (langue désormais reconnue comme officielle), et le reste de la population est clairement apparu le 19 juin, à Rabat et à Casablanca. Pour la première fois, les manifestants se sont heurtés à des contre-manifestants dans un climat tendu. Commentaire d’un responsable du ministère de l’Intérieur : « Nous ne favorisons aucune contre-manifestation, ce n’est pas dans notre intérêt que les choses dégénèrent alors que s’ouvre la campagne pour le référendum. Le moindre dérapage nous sera reproché. Mais comment interdire les uns, alors que nous autorisons les autres, ceux du 20 février, à défiler ? »

    La balle dans le camp des partis politiques

    À Rabat comme à Amman, il appartient désormais aux partis politiques de relayer les initiatives royales et d’investir les boulevards que les monarques ont ouverts devant eux. À eux de faire le job, de donner corps à la réforme des institutions et de traduire dans le champ du raisonnable la contestation originelle de la rue. Y parviendront-ils ? C’est un autre problème. En Jordanie, où le roi rêve d’un système tripartite (droite-centre-gauche), les islamistes constituent la seule force ascendante, et leur agenda n’est pas le sien. Au Maroc, à l’exception là aussi des islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD), la classe politique s’est montrée, ces derniers mois, à la fois peu exigeante et peu crédible, comme si le nouvel habit taillé pour elle par le roi lui paraissait trop ample.

    Tout se jouera donc dans un premier temps entre les deux souverains et leurs peuples respectifs dans un face-à-face finalement très gaullien – la seule différence entre le roi du Maroc et un président français de la Ve République résidant désormais dans le fait que le premier n’est pas soumis à élection. Or les peuples « parlent » aujourd’hui, et ce phénomène nouveau n’échappe pas aux observateurs de passage. Dans une récente chronique du New York Times, Nicholas D. Kristof, de retour de Casablanca, s’étonnait du fait que les jeunes cybermilitants qu’il avait rencontrés, après lui avoir confié à quel point le Maroc était, selon eux, « un État policier » et « une fausse démocratie », insistaient pour que leurs noms soient cités en toutes lettres dans l’article, pièces d’identité à l’appui. « Dans les États policiers, en général, les témoins ne donnent pas leur nom », conclut Kristof. La même scène aurait sans doute pu se dérouler à Amman : comme les politiciens, les « facebookers » semblent hésiter face à l’inconnu, et le « printemps arabe » prend parfois des allures schizophréniques.

    La voie étroite, sans larmes, ni sang

    Pour les rois aussi, même quand ils font preuve de sagesse, rien n’est simple. Les visages d’Abdallah II et de Mohammed VI, lors de leurs discours historiques, exprimaient la même gravité et la même tension. « Ce printemps, c’est une bonne chose, confiait le souverain jordanien au Washington Post, mais c’est aussi une affaire de sang, de sueur et de larmes. Dans certains pays, il n’y a que de la sueur, ailleurs de la sueur et des larmes, ailleurs encore, beaucoup de sang. » Une chose est sûre : si l’autre jour à la télévision l’un et l’autre paraissaient avoir chaud, ce n’était pas uniquement à cause des spots. Pour eux, qui ne ménagent pas leur sueur, l’essentiel est que le processus de profondes réformes dans lequel ils se sont engagés pour le bien de leurs citoyens et la pérennité de leur trône se fasse sans larmes ni sang. La voie est étroite, mais c’est la seule.

    Jeune Afrique
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