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La Tunisie à la croisée des chemins

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  • La Tunisie à la croisée des chemins

    Les Tunisiens ont lancé le Printemps arabe. Pour pérenniser une démocratie conquise de haute lutte, ils doivent désormais faire face à la résurgence des mouvements islamistes, au chômage et à d'autres défis.

    Washington est bien loin de la maison de Jamel Bettaieb à Sidi Bouzid, la ville où le jeune Mohamed Bouazizi, 26 ans, s'était immolé par le feu et avait déclenché la révolution.

    Bettaieb, un cyber-militant de 29 ans, est rentré en Tunisie lundi 27 juin après avoir rencontré le Président américain Barack Obama à la Maison blanche et avoir reçu le Prix de la démocratie 2011 de la fondation National Endowment for Democracy (NED). Zahraa Said, l'autre lauréate, est la soeur de Khaled Said, un jeune homme d'affaires égyptien battu à mort par la police.

    "Au travers de ces deux jeunes gens, nous rendons hommage à tous ceux qui, en Egypte et en Tunisie, ont lutté et ont donné leur vie pour la liberté et la dignité", a déclaré le président de la NED Carl Gershman mercredi dernier lors de la cérémonie de remise des prix à Washington.

    "Le combat pour la démocratie sera encore long", a-t-il affirmé.

    Lors de son voyage, Bettaieb a rencontré des dirigeants syndicaux américains et demandé au Président américain d'aider la Tunisie à consolider sa démocratie en favorisant le tourisme et l'investissement.

    "Je dois augmenter ma contribution au succès de la transition démocratique, parce que si elle réussit en Tunisie, elle réussira partout", a déclaré Bettaieb.

    Bettaieb poursuit le combat lancé par son compatriote de Sidi Bouzid, Bouazizi. Le jeune militant représente la "nouvelle" Tunisie, mais un lourd travail l'attend, lui et ses pairs.

    La fin du conte de fée ?

    La situation en Tunisie est loin d'être une démocratie parfaite. Plus de cinquante partis politiques ont été créés depuis la révolution de janvier.

    L'intellectuel maghrébin Pierre Razoux se dit particulièrement préoccupé par l'impact du conflit en Libye sur les affaires intérieures de la Tunisie, au vu notamment de la fragilité de l'actuelle structure politique du pays.

    Il est aussi inquiet de la résurgence du mouvement islamiste. "Le bourgeonnement des partis politiques en Tunisie n'est pas un bon signe", a-t-il expliqué lors d'une conférence organisée à Rome mi-juin.

    Le leader du Mouvement Ennahda Rachid Ghannouchi est rentré en Tunisie le 30 janvier après avoir passé 22 années en exil. Ce parti islamiste était interdit sous le régime de Zine El Abidine Ben Ali, mais le départ de l'ancien Président a ouvert la porte au renouveau de ce mouvement.

    Les membres du Mouvement Ennahda ont assis leur crédibilité auprès des habitants plus conservateurs des régions rurales du pays. Malgré des assurances répétées de sa modération, la percée du mouvement a donné lieu à des rumeurs d'attaques contre des femmes non voilées, des bars et des maisons closes, ainsi que contre des Juifs tunisiens.

    Dimanche 26 juin, un groupe d'islamistes a fait irruption dans un cinéma de Tunis pour interrompre la projection d'un film controversé sur la laïcité, réalisé par la réalisatrice tunisienne et athée déclarée Nadia El Fani. Plusieurs dizaines d'hommes s'en sont pris aux spectateurs à l'aide de barres de fer, de gaz lacrymogènes et de matraques.

    Le parti Ettajdid a critiqué les auteurs de ces actes pour s'être auto-désignés "protecteurs de l'Islam et directeurs des consciences et des esprits" et pour avoir terrorisé les citoyens "par désir d'imposer de force la censure".

    La romancière sud-africaine Gretchen Wilsenach se dit toutefois optimiste quant à l'avenir de la Tunisie. Interrogée sur les raisons de cet optimisme, elle explique : "Je ne suis pas optimiste, j'espère seulement que les mêmes personnes qui souhaitent la démocratie sauront empêcher les islamistes de les priver de leur liberté."

    Les facteurs qui seront certainement déterminants pour façonner l'évolution politique de la Tunisie seront l'économie et le nouveau courant islamiste légal, explique Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste du Maghreb au centre Moshe Dayan de l'université de Tel Aviv.

    "Les évolutions dans la sphère économique pourraient fort bien avoir une incidence sur le niveau d'attractivité du courant islamiste, c'est-à-dire que plus l'économie sera forte, moins les islamistes seront en mesure d'emporter un large soutien, et vice versa", explique-t-il. "Et naturellement, les réactions des autres composantes de la société tunisienne à l'influence croissante des islamistes seront susceptibles d'être négatives."

    "Mais il est encore bien trop tôt pour prédire quelle direction prendront les choses", conclut-il.

    Le récent départ de certains responsables gouvernementaux pourrait également être le signe d'un mécontentement plus profond de la direction prise par le pays. Le secrétaire d'Etat pour la Jeunesse, Slim Amamou, a quitté le gouvernement de transition, tandis que Samir Feriani, responsable au ministère de l'Intérieur, a été arrêté le 29 mai pour avoir critiqué les actions de son ministère à Kasserine, où plus de soixante manifestants ont perdu la vie durant la révolution. Des blogueurs et des rappeurs ont également été arrêtés.

    Est-ce la fin du "conte de fée" démocratique tunisien ?

    Une victoire des islamistes pourrait entraîner une guerre civile, écrivait en janvier le correspondant au Moyen Orient du quotidien britannique The Independant.

    "Rappelons-nous comme nous souhaitions voir une Algérie démocratique au début des années 1990", affirmait Robert Fisk dans on éditorial intitulé "La vérité brute sur la Tunisie".

    "Quand il est apparu que les islamistes pourraient bien remporter le second tour des élections", écrivait-il, le "gouvernement appuyé par les militaires avait alors annulé les élections."

    La guerre civvile qui s'en est suivie a fait quelque 150 000 morts parmi les Algériens, ajoutait-il.

    "Non, dans le monde arabe, nous voulons la loi, l'ordre et la stabilité", écrivait-il.

    Mais il convient de ne pas se précipiter pour évaluer le succès ou l'échec de la révolution tunisienne, affirme le Dr Stephen Zunes, professeur de politique et d'études internationales à l'université de San Francisco.

    La révolution "a été un succès en ce qu'elle a permis de renverser un dirigeant impopulaire, corrompu et autocrate et autonomisé le peuple tunisien", explique-t-il à Magharebia.

    "Elle a appris aux Tunisiens que même sans fusils ni postes officiels de pouvoir, le sort du pays est entre leurs mains et qu'il leur appartient, à eux et non aux responsables en costumes en haut de l'échelle du pouvoir, de faire les changements nécessaires", a-t-il expliqué.

    La Tunisie a seulement besoin de temps.

    "La grande majorité des dictatures renversées par des insurrections civiles non armées comme cela a été le cas en Tunisie se sont transformées en démocraties dans les cinq ans qui sont suivis", a-t-il conclu.

    Source: Magharebia
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