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A l'Ouest, le renouveau libyen (prise du plus gros depot d'arme d'Afrique)

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  • A l'Ouest, le renouveau libyen (prise du plus gros depot d'arme d'Afrique)

    Zintan (Libye) Envoyé spécial - Dans le panthéon bien garni de la révolution libyenne, la petite ville de Zintan, perchée dans les montagnes du Djebel Nefousa, s'est assuré une place de choix : depuis le début de l'insurrection, non seulement l'armée de Mouammar Kadhafi n'est jamais parvenue à vaincre militairement les Zintanais, mais, au fil des combats, l'armada s'est progressivement déconfite au profit des montagnards, comme si le champ de bataille libyen se muait sur les hauteurs en un immense vase communicant.

    Accélérant la tendance, les rebelles sont passés à l'offensive sur plusieurs fronts au cours des dernières semaines : au nord de Zintan, ils ont percé une soixantaine de kilomètres jusqu'aux portes de Bir Ghanam, sur l'axe routier qui conduit à Tripoli ; à l'est, trois villes assiégées ont été libérées, tandis que plusieurs localités loyales au colonel Kadhafi ont été conquises.

    Au sud de Zintan, enfin, en plein désert, les rebelles se sont emparés de l'imposant complexe militaire d'Al-Gaa. Pour la première fois, une continuité territoriale relie les forces révolutionnaires de la frontière tunisienne jusqu'à Kiklah, distante d'environ 300 kilomètres.

    A en juger par le spectacle des campements de l'armée évacués devant l'avancée des rebelles - vêtements épars, caisses de munitions abandonnées -, la retraite tenait plus de la débandade que du repli tactique. "La panique était telle dans les rangs que même les blessés se sont levés pour prendre la fuite !", témoignent deux infirmières ukrainiennes.

    Sans parler de victoire décisive, ces avancées semblent marquer un tournant. Jusqu'à présent, l'attention s'était principalement portée sur la côte méditerranéenne, et plus particulièrement sur la bande côtière qui s'étend de Tripoli à Benghazi. Mais le front de l'Est paraît verrouillé et il se pourrait bien que la clé de la situation se trouve de l'autre côté, quelque part vers les montagnes. Dans ces conditions, comment expliquer l'échec d'une armée bien équipée face à des montagnards privés, pour la plupart, d'armes performantes ?

    L'avantage du terrain, l'intrépidité des villageois, la conviction de livrer une guerre juste sont des éléments de réponse essentiels, mais insuffisants. D'autres raisons sont à rechercher dans le système de solidarité qui a été mis en place entre les différentes villes rebelles du Djebel Nefousa : lorsqu'une cité est menacée, les autres localités envoient des hommes ou du matériel pour lui porter secours. Au plus fort du blocus imposé par Mouammar Kadhafi, Zintan, alors en première ligne, n'a ainsi pu tenir que grâce aux denrées alimentaires et à l'essence de contrebande qui lui parvenaient de Nalout, située près de la Tunisie.

    Pour améliorer la coordination, une assemblée générale du Djebel Nefousa se réunit aussi périodiquement dans une localité de la région. A l'ordre du jour : le sort des prisonniers de guerre, la stratégie militaire ou toute autre question liée à la révolution. Ce système de solidarité est d'autant plus remarquable que, sous son apparente unité géographique, le Djebel Nefousa n'est pas une région de peuplement homogène, mais un patchwork de communautés d'habitants arc-boutés sur leur identité.

    Un premier clivage sépare les Berbères autochtones des Arabes d'immigration plus tardive - Nalout et Yafran sont berbères, alors que Zintan et Ar-Rujban sont arabes. A la réserve près que, du fait de l'arabisation forcée de la région, nombre "d'Arabes" du Djebel Nefousa sont en réalité des Berbères arabisés. En réaction, une grande partie des Berbères "identitaires", quoique arabophones, préfèrent parler entre eux en amazigh, qu'ils sont les seuls à comprendre.

    A ce clivage arabo-berbère se superpose en outre une multitude de petites divisions entre tribus arabes elles-mêmes, en raison de rivalités parfois très anciennes et très obscures, comme celle qui oppose farouchement les Zintanais à la tribu voisine des Mishashia.

    Inutile de dire que sur un tel terreau, il est plus facile de semer la discorde que l'harmonie. Le colonel Kadhafi, qui l'a bien compris, a délibérément opté pour la stratégie du pire, en faisant distribuer des armes aux tribus montagnardes loyales à son clan. Comment s'étonner, dans ces conditions, que tel village soutienne les forces rebelles, alors que le village suivant penche pour le Guide libyen ?

    Soucieux d'éviter l'embrasement, les révolutionnaires, lorsqu'ils butent sur un village ennemi, privilégient la négociation, en envoyant inlassablement des barbes blanches pour parlementer. C'est seulement lorsque toutes les voies de dialogue ont été épuisées ou que le village se fait menaçant, qu'ils essaient de s'en emparer par la force. Cette stratégie de la palabre et des petits pas, parfois difficile à suivre, a remporté d'indéniables succès, notamment à Al-Majabirah, près de Nalout.

    La situation qui prévaut dans le Djebel Nefousa est à double tranchant. D'un côté, elle est peu centralisée et risque à tout moment d'échapper au contrôle, de l'autre, la disparité humaine confère à la région une valeur d'exemple pour le reste de la Libye : si les révolutionnaires ont pu fédérer des forces aussi disparates et remporter des victoires, alors tous les espoirs sont permis.

    Mais la dynamique victorieuse des montagnards s'explique aussi, bien entendu, par l'aide qu'ils reçoivent de l'extérieur. L'aide humanitaire tout d'abord, même s'il s'agit d'un phénomène assez classique, celle ensuite de la diaspora, et enfin l'aide militaire.

    Il n'est évidemment pas facile de connaître avec précision l'importance de cette dernière ni les formes qu'elle revêt. Une aide en matériel militaire existe, par le biais notamment de parachutages - des missiles antichars Milan de fabrication française ont fait leur apparition dans les rangs des rebelles -, mais dans le même temps, les combattants, sur le champ de bataille, pâtissent toujours d'un manque manifeste d'armes et de munitions, indispensables à toute offensive d'envergure.

    Quant à l'aide apportée par les bombardements de l'OTAN - tardifs et assez modérés dans la région durant les deux premiers mois des frappes -, elle se montre de plus en plus décisive. La raison est assez simple : l'efficacité des frappes aériennes dépend avant tout de la précision des renseignements, de la réactivité et de la coordination avec les troupes au sol ; trois qualités qui faisaient défaut auparavant, en raison de l'absence de canal de communication direct entre les montagnards et le commandement de l'OTAN.

    Dans le meilleur des cas, les rebelles du Djebel Nefousa devaient se contenter d'envoyer des informations à Benghazi, qui les répercutaient jusqu'aux autorités concernées. Ce bricolage appartient au passé : "Nous avons maintenant de très bons contacts avec l'OTAN", admet benoîtement Moktar, un membre du comité militaire de Zintan.

    Une dernière grande cause de l'ascendant pris par les montagnards se situe dans la faiblesse de l'armée kadhafiste elle-même. Autant les rebelles, malgré leur désorganisation, paraissent hardis et déterminés, autant la soldatesque kadhafiste semble combattre à l'ouest sans but précis ni véritable intelligence militaire, se contentant généralement de bombarder avec des armes lourdes.

    Ce manque d'audace résulte-t-il des frappes de l'OTAN ou bien s'agit-il là du handicap structurel d'une armée dictatoriale ? A moins que l'explication ne soit tout simplement que le front de l'Est, prioritaire pour le colonel Kadhafi, continue de mobiliser ses meilleures troupes.

    Quoi qu'il en soit, il semble bien que l'armée du dictateur se trouve dans l'incapacité de soutenir deux fronts majeurs en même temps. Renforcer l'un, c'est découvrir l'autre. Les dernières avancées des montagnards en direction de Tripoli risquent donc de poser un problème insurmontable aux troupes de Mouammar Kadhafi en les forçant à se découvrir.

    Militairement, rien n'est encore joué et les rebelles ne sont pas à l'abri d'un revers, mais un vent de victoire souffle assurément à l'Ouest. Certains signes ne trompent pas : désertés par leurs habitants, des villages se sont repeuplés en quelques jours, et il n'est plus rare de croiser sur les routes de montagne des véhicules bondés de familles en provenance de Tripoli. "La vie là-bas est de plus en plus difficile, ironisent les montagnards. Aujourd'hui, c'est Kadhafi qui est le rat !"

    Florent Marcie, Le Monde

    Dernière modification par logone, 05 juillet 2011, 15h36.
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