Lakhdar Brahimi en exclusivité à La Tribune :
«L’Algérie a un rôle à jouer dans le règlement du conflit libyen»
04-07-2011
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Entretien réalisé par notre envoyé spécial à Paris
Salah Benreguia
La Tribune : Après une riche et brillante carrière diplomatique, vous êtes maintenant membre du comité des sages constitué par d’anciens présidents et hauts responsables de divers pays. Pourquoi ce groupe et quels sont les objectifs de sa création ? Ce comité peut-il jouer un rôle ou, du moins, contribuer à la facilitation des négociations pouvant mettre fin à certains conflits dans le monde ?
Lakhdar Brahimi : Le groupe s’appelle en anglais Healters qui signifie les anciens. C’est l’ancien président sud-africain qui l’a créé. Une sorte d’anciens et de vieux du village planétaire qui se réunissent de temps en temps pour évoquer les sujets d’actualité et voir ce qu’il faut faire ici et là. Le groupe constitué par Mandela en 1997 est présidé par l’archevêque Dezmond Tutu. Ses membres sont d’anciens présidents et personnalités, tels que Jimmy Carter, les anciens présidents du Brésil (Gartozo), d’Irlande et de Finlande, l’ex-Premier ministre de la Norvège (Mme Brantland), et également la femme de Mandela, ainsi que Kofi Annan et moi. M. Mandela a exigé qu’il soit un membre honoraire d’autant que sa santé ne lui permet plus de voyager et d’activer. L’objectif est de voir si l’on peut être utile. Quand le groupe a été créé, on avait quatre priorités : la question palestinienne au Moyen-Orient, la question du Darfour, du Zimbabwe et de la Birmanie. L’idée est également de s’attaquer aux problèmes les plus compliqués et très difficiles. C’est également faire connaître les problèmes un peu mieux quand ils ne sont pas connus, et voir si l’on peut orienter un peu concernant plusieurs conflits. Nous nous sommes rendus au Moyen-Orient deux fois. Moi, j’y suis retourné une seconde fois avec certains membres à Ghaza, puis en Syrie et en Jordanie. Les autres sont partis à Israël, mais pas moi.
Pourquoi ?
Parce ce que je ne veux pas aller en Israël.
Occupant durant plusieurs années de hautes responsabilités au sein de l’ONU (secrétaire général adjoint puis envoyé spécial de l’ONU), donc un fin connaisseur des rouages et du fonctionnement de cette organisation planétaire, celle-ci est, depuis quelques années, devenue la cible d’attaques de plusieurs pays. On reproche à l’ONU de n’avoir pas pu ou su résoudre certains conflits (les cas du Moyen-Orient et du Sahara occidental sont édifiants). Comment, à votre avis, redonner à l’ONU sa crédibilité ?
Il s’agit, en effet, d’un vrai problème reconnu par les observateurs les plus sérieux et indépendants. Pour ma part, j’ai évoqué le problème publiquement à plusieurs reprises et même dans un document officiel lorsque j’ai présidé la commission relative à la sécurité des Nations unies à la suite de l’attentat qui a visé son siège à Alger en 2007. Dans ce rapport, j’avais souligné que l’un des problèmes qui se posent est que l’ONU ne soit plus reconnue comme une organisation indépendante et impartiale. Elle est perçue, à tort ou à raison, comme étant au service des puissants, notamment les Etats-Unis. Donc l’ONU doit essayer d’améliorer son image. La question maintenant est de savoir ce qui peut être fait par ses membres, notamment les plus puissants. Ce qu’il faut savoir d’emblée est que l’ONU n’est pas le secrétaire général et le secrétariat ou les gens qui, comme moi, ont travaillé pour son compte, mais ce sont les pays membres. Il y a une certaine démission de la part de quelques pays membres qui laissent certains autres dominer l’Organisation. En réalité, les Américains dominent cette Organisation parce qu’on les laisse faire. Si les autres pays se mettaient d’accord, comme c’était le cas dans le temps des non-alignés, les Etats-Unis n’auraient pas pu dominer cette Organisation. En réalité, ce sont les pays membres qui se laissent dominer par les puissants, notamment les membres permanents. Donc, la situation actuelle est une sorte de corollaire de la démission de ces membres, car il suffit seulement de se lever pour dire non pour que les Etats-Unis ne dominent pas cette Organisation.
Alors, dans ce cas, pourquoi ils se sont laissés faire ?
La réponse est que chaque pays essaye de régler ses propres problèmes. Et le règlement de ses propres problèmes passe par des relations «correctes» avec ces puissants. Si vous avez besoin, par exemple, d’un prêt de la part de la Banque mondiale, même si la BM est une organisation internationale indépendante, il suffit seulement d’avoir l’accord des Etats-Unis pour bénéficier de ce prêt.
Justement, on parle depuis quelques années de la réforme de l’ONU. Entamée par Boutros-Ghali, puis durant Kofi Annan, celle-ci n’est toujours pas achevée. Pourquoi, à votre avis, la réforme de l’ONU tarde à se concrétiser ?
Cette situation est due à ces mêmes raisons. En réalité, beaucoup de choses ont été faites. Quand on évoque la réforme de l’ONU, on parle souvent du Conseil de sécurité. Pour le reste, beaucoup de choses ont été faites. Les Etats-Unis avaient, par exemple, un personnel pléthorique, et ce n’est plus le cas maintenant. Les différents organes des Nations unies fonctionnent mieux.
L’un des principaux points de ladite réforme concerne le Conseil de sécurité et son éventuel élargissement à d’autres pays. Ne pensez-vous pas que le désaccord affiché entre certains pays du Sud (on voit par exemple les pays de l’Amérique latine qui ne sont pas d’accord pour que le Brésil les représente ; pour les Asiatiques, il y a des pays qui s’opposent à la candidature de l’Inde) contribue au maintien de cette actuelle situation, une situation qui arrange les cinq pays membres permanents (5P) qui possèdent une influence décisionnelle avec notamment le droit de veto ?
Vous savez que les 5P disent, à l’unisson, que nous sommes d’accord pour la réforme du Conseil de sécurité. Mais cette option doit impérativement avoir le consensus des autres pays qui veulent intégrer cette organisation. Maintenant, la question est de savoir si l’on veut qu’elle devienne un organe de 20 ou de 25 membres, alors que maintenant nous sommes à 15, et aussi qui seront les autres membres et surtout qui seront membres permanents ? Donc les 5P disent aux autres pays de se mettre d’accord. Mais le désaccord affiché au niveau des pays du Sud arrange parfaitement les 5P. Et en réalité, les 5P sont très heureux de cette situation. Les pays du Sud, comme les Latinos, ne veulent pas que le Brésil les représente ; on peut citer l’Argentine. En Afrique, on parle de l’Afrique du Sud et du Nigeria, mais les Africains ne sont pas d’accord. Dans le cas du continent africain, on parle même d’une troisième place, même si au sein de l’ONU, cette option est rejetée. Mais il y a une partie qui dit que l’Afrique a ses spécificités, donc on va faire une représentation tournante comme les sièges non permanents. Concernant les Asiatiques, on a actuellement l’Iran qui commence à exprimer sa volonté d’y accéder, et il y a aussi l’Indonésie qui est le plus grand pays musulman. Même en Europe, l’Italie et l’Espagne ne sont pas d’accord pour que l’Allemagne soit un membre permanent. Toutefois, les observateurs académiques disent que déjà avec quinze membres, c’est très difficile de prendre une décision, alors imaginez avec vingt ou vingt-cinq membres. Un autre point important : ces futurs membres permanents auront-ils le droit de veto ou non ? Retirer un droit de veto à un membre des 5P est inimaginable, surtout pour des pays comme la France ou le Royaume-Uni dont il est le dernier signe de la puissance étrangère. Mais en somme, ce statu quo arrange parfaitement les 5P.
«L’Algérie a un rôle à jouer dans le règlement du conflit libyen»
04-07-2011
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Entretien réalisé par notre envoyé spécial à Paris
Salah Benreguia
La Tribune : Après une riche et brillante carrière diplomatique, vous êtes maintenant membre du comité des sages constitué par d’anciens présidents et hauts responsables de divers pays. Pourquoi ce groupe et quels sont les objectifs de sa création ? Ce comité peut-il jouer un rôle ou, du moins, contribuer à la facilitation des négociations pouvant mettre fin à certains conflits dans le monde ?
Lakhdar Brahimi : Le groupe s’appelle en anglais Healters qui signifie les anciens. C’est l’ancien président sud-africain qui l’a créé. Une sorte d’anciens et de vieux du village planétaire qui se réunissent de temps en temps pour évoquer les sujets d’actualité et voir ce qu’il faut faire ici et là. Le groupe constitué par Mandela en 1997 est présidé par l’archevêque Dezmond Tutu. Ses membres sont d’anciens présidents et personnalités, tels que Jimmy Carter, les anciens présidents du Brésil (Gartozo), d’Irlande et de Finlande, l’ex-Premier ministre de la Norvège (Mme Brantland), et également la femme de Mandela, ainsi que Kofi Annan et moi. M. Mandela a exigé qu’il soit un membre honoraire d’autant que sa santé ne lui permet plus de voyager et d’activer. L’objectif est de voir si l’on peut être utile. Quand le groupe a été créé, on avait quatre priorités : la question palestinienne au Moyen-Orient, la question du Darfour, du Zimbabwe et de la Birmanie. L’idée est également de s’attaquer aux problèmes les plus compliqués et très difficiles. C’est également faire connaître les problèmes un peu mieux quand ils ne sont pas connus, et voir si l’on peut orienter un peu concernant plusieurs conflits. Nous nous sommes rendus au Moyen-Orient deux fois. Moi, j’y suis retourné une seconde fois avec certains membres à Ghaza, puis en Syrie et en Jordanie. Les autres sont partis à Israël, mais pas moi.
Pourquoi ?
Parce ce que je ne veux pas aller en Israël.
Occupant durant plusieurs années de hautes responsabilités au sein de l’ONU (secrétaire général adjoint puis envoyé spécial de l’ONU), donc un fin connaisseur des rouages et du fonctionnement de cette organisation planétaire, celle-ci est, depuis quelques années, devenue la cible d’attaques de plusieurs pays. On reproche à l’ONU de n’avoir pas pu ou su résoudre certains conflits (les cas du Moyen-Orient et du Sahara occidental sont édifiants). Comment, à votre avis, redonner à l’ONU sa crédibilité ?
Il s’agit, en effet, d’un vrai problème reconnu par les observateurs les plus sérieux et indépendants. Pour ma part, j’ai évoqué le problème publiquement à plusieurs reprises et même dans un document officiel lorsque j’ai présidé la commission relative à la sécurité des Nations unies à la suite de l’attentat qui a visé son siège à Alger en 2007. Dans ce rapport, j’avais souligné que l’un des problèmes qui se posent est que l’ONU ne soit plus reconnue comme une organisation indépendante et impartiale. Elle est perçue, à tort ou à raison, comme étant au service des puissants, notamment les Etats-Unis. Donc l’ONU doit essayer d’améliorer son image. La question maintenant est de savoir ce qui peut être fait par ses membres, notamment les plus puissants. Ce qu’il faut savoir d’emblée est que l’ONU n’est pas le secrétaire général et le secrétariat ou les gens qui, comme moi, ont travaillé pour son compte, mais ce sont les pays membres. Il y a une certaine démission de la part de quelques pays membres qui laissent certains autres dominer l’Organisation. En réalité, les Américains dominent cette Organisation parce qu’on les laisse faire. Si les autres pays se mettaient d’accord, comme c’était le cas dans le temps des non-alignés, les Etats-Unis n’auraient pas pu dominer cette Organisation. En réalité, ce sont les pays membres qui se laissent dominer par les puissants, notamment les membres permanents. Donc, la situation actuelle est une sorte de corollaire de la démission de ces membres, car il suffit seulement de se lever pour dire non pour que les Etats-Unis ne dominent pas cette Organisation.
Alors, dans ce cas, pourquoi ils se sont laissés faire ?
La réponse est que chaque pays essaye de régler ses propres problèmes. Et le règlement de ses propres problèmes passe par des relations «correctes» avec ces puissants. Si vous avez besoin, par exemple, d’un prêt de la part de la Banque mondiale, même si la BM est une organisation internationale indépendante, il suffit seulement d’avoir l’accord des Etats-Unis pour bénéficier de ce prêt.
Justement, on parle depuis quelques années de la réforme de l’ONU. Entamée par Boutros-Ghali, puis durant Kofi Annan, celle-ci n’est toujours pas achevée. Pourquoi, à votre avis, la réforme de l’ONU tarde à se concrétiser ?
Cette situation est due à ces mêmes raisons. En réalité, beaucoup de choses ont été faites. Quand on évoque la réforme de l’ONU, on parle souvent du Conseil de sécurité. Pour le reste, beaucoup de choses ont été faites. Les Etats-Unis avaient, par exemple, un personnel pléthorique, et ce n’est plus le cas maintenant. Les différents organes des Nations unies fonctionnent mieux.
L’un des principaux points de ladite réforme concerne le Conseil de sécurité et son éventuel élargissement à d’autres pays. Ne pensez-vous pas que le désaccord affiché entre certains pays du Sud (on voit par exemple les pays de l’Amérique latine qui ne sont pas d’accord pour que le Brésil les représente ; pour les Asiatiques, il y a des pays qui s’opposent à la candidature de l’Inde) contribue au maintien de cette actuelle situation, une situation qui arrange les cinq pays membres permanents (5P) qui possèdent une influence décisionnelle avec notamment le droit de veto ?
Vous savez que les 5P disent, à l’unisson, que nous sommes d’accord pour la réforme du Conseil de sécurité. Mais cette option doit impérativement avoir le consensus des autres pays qui veulent intégrer cette organisation. Maintenant, la question est de savoir si l’on veut qu’elle devienne un organe de 20 ou de 25 membres, alors que maintenant nous sommes à 15, et aussi qui seront les autres membres et surtout qui seront membres permanents ? Donc les 5P disent aux autres pays de se mettre d’accord. Mais le désaccord affiché au niveau des pays du Sud arrange parfaitement les 5P. Et en réalité, les 5P sont très heureux de cette situation. Les pays du Sud, comme les Latinos, ne veulent pas que le Brésil les représente ; on peut citer l’Argentine. En Afrique, on parle de l’Afrique du Sud et du Nigeria, mais les Africains ne sont pas d’accord. Dans le cas du continent africain, on parle même d’une troisième place, même si au sein de l’ONU, cette option est rejetée. Mais il y a une partie qui dit que l’Afrique a ses spécificités, donc on va faire une représentation tournante comme les sièges non permanents. Concernant les Asiatiques, on a actuellement l’Iran qui commence à exprimer sa volonté d’y accéder, et il y a aussi l’Indonésie qui est le plus grand pays musulman. Même en Europe, l’Italie et l’Espagne ne sont pas d’accord pour que l’Allemagne soit un membre permanent. Toutefois, les observateurs académiques disent que déjà avec quinze membres, c’est très difficile de prendre une décision, alors imaginez avec vingt ou vingt-cinq membres. Un autre point important : ces futurs membres permanents auront-ils le droit de veto ou non ? Retirer un droit de veto à un membre des 5P est inimaginable, surtout pour des pays comme la France ou le Royaume-Uni dont il est le dernier signe de la puissance étrangère. Mais en somme, ce statu quo arrange parfaitement les 5P.
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