Les protestations populaires à l'assaut des régimes autoritaires : une révolution pour les sciences sociales Publié le jeudi 07 juillet 2011 par Marie Pellen
Résumé
L’objet de ce dossier pour L’Année du Maghreb 2012 (CNRS-Editions), intitulé provisoirement « Les protestations populaires à l’assaut des régimes autoritaires : une "révolution" pour les sciences sociales ?' », est précisément de se décentrer des scènes politiques familières des chercheurs en sciences sociales (les élites, les associations, les ONG internationales, etc.) pour se concentrer sur les acteurs contestataires des années 2010-2011 et, au-delà, sur leur rôle dans les transitions politiques en cours au Maghreb et au Machrek.
Annonce
L’Année du Maghreb
CNRS-Editions
Appel à contribution au dossier de l’année 2012
Les protestations populaires à l’assaut des régimes autoritaires Une « révolution » pour les sciences sociales ?
Coordinateur scientifique : Vincent GEISSER*
La question de l’autoritarisme dans le monde arabe, en général, et au Maghreb, en particulier, a donné lieu à une importante littérature scientifique qui s’est principalement concentrée sur les facteurs de stabilité, cherchant ainsi à expliquer l’exceptionnelle longévité de « régimes » politiques que d’aucuns penser voir dépérir avec les différentes vagues de démocratisation à l’échelle internationale[1]. Dès lors, la majorité des travaux en sciences sociales se sont orientés sur les phénomènes de « consolidation » et de « reproduction » de l’autoritarisme, envisagé sur le temps long, mettant ainsi en évidence ses capacités de mutation et d’adaptation à la nouvelle doxa, inspirée par le « consensus de Washington ». Il convient toutefois de reconnaître que ces recherches ont rarement versé dans l’optimisme néolibéral des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque mondiale, Union européenne, etc.), préférant davantage rendre compte des phénomènes d’hybridation du politique dans le monde arabe[2], à savoir ces régimes « mi-chien mi-chat »[3] que certains auteurs qualifient d’« autoritarismes démocratiques » ou de « démocraties autoritaires »[4]. La transition formelle vers l’économie de marché, la civilisation des forces armées, l’introduction d’un pluralisme constitutionnel (lois sur les partis politiques) et la relative tolérance des régimes à l’égard des Advocacy NGOs n’ont que partiellement affecté l’économie générale des autoritarismes hérités des années 1960-1970, faisant douter les chercheurs eux-mêmes de la capacité réelle des régimes à se réformer de l’intérieur[5]. Mais, de manière paradoxale, ce « doute scientifique » n’a guère entrainé un bouleversement radical des paradigmes en usage, comme si les chercheurs prenaient conscience de leur impuissance, sans être en mesure d’y apporter des éclairages véritablement nouveaux sur le politique au Maghreb et au Machrek, enfermés malgré eux dans l’horizon indépassable de « l’autoritarisme arabe »[6]. Entre l’optimisme de certains qui voyaient dans les « nouveaux acteurs » (femmes, entrepreneurs, ONG, etc.) des vecteurs de démocratisation et le pessimisme des autres qui ne pouvaient que constater l’extraordinaire adaptabilité et mutabilité de la « mécanique autoritaire », peu de place a été accordée aux mouvements de contestation populaire, si ce n’est que pour souligner leur impasse, leur marginalité et, en définitive, leur échec à produire une alternance politique crédible[7]. Il est vrai, que cette relative myopie de la recherche en sciences sociales à l’égard des modes de résistance et des « contre-conduites » populaires dans le monde arabe doit aussi pour beaucoup à la focalisation quasi obsessionnelle sur l’islamisme, reproduisant de manière involontaire la rhétorique anxiogène des régimes, l’autoritarisme ou la mort, ce qui est une autre manière de dire : la « dictature éclairée » ou la « dictature obscurantiste ». Sans verser nécessairement dans les visions culturalistes et essentialistes produites sur les mouvements islamistes, tels qu’ils étaient donnés à voir par les médias et par certains politiques européens ou nord-américains, les chercheurs – majoritairement des politologues – ont souvent contribué à conforter cette idée que l’islamisme constituait la seule alternance politique possible, tantôt appréhendé sous un angle favorable, tantôt sous un registre catastrophiste, mais toujours sur le registre de l’hégémonie[8]. Dès lors, comprend-on les raisons qui ont fait que la recherche en sciences sociales sur le monde arabe a éprouvé tant de difficultés à s’extraire des débats normatifs (pour ou contre les islamistes) et à prendre ses distances à l’égard des schémas binaires (régimes autoritaires versus islamismes contestataires). En dehors de l’islamisme, des ONG et des quelques partis autorisés, dont les élites dirigeantes sont souvent familières des chercheurs, force est de constater qu’il existe une forme d’impensé scientifique de la contestation radicale dans le monde arabe. Du coup, nombre de chercheurs et d’universitaires n’ont pas vu venir les mouvements de protestation de l’hiver 2010-2011, tout simplement parce qu’ils ignoraient ou qu’ils connaissaient mal leurs principaux animateurs qui échappent, il est vrai, à leurs sociabilités scientifiques habituelles (les élites urbaines, les leaders islamistes, les responsables associatifs, etc.).
L’objet de ce dossier pour L’Année du Maghreb, intitulé provisoirement « Les protestations populaires à l’assaut des régimes autoritaires », est précisément de se décentrer des scènes politiques familières des chercheurs en sciences sociales pour se concentrer sur les acteurs contestataires des années 2010-2011 et, au-delà, sur leur rôle dans les transitions politiques en cours au Maghreb et au Machrek. Bien sûr, il ne s’agit pas de légitimer un nouveau schéma binaire qui consisterait à opposer les « purs » de la contestation aux « ralliés » de la dernière minute, les acteurs « spontanés » aux acteurs « organisés », en oubliant au passage que les situations révolutionnaires sont souvent « labiles » et « fluides », productrices d’alliances protestataires à la fois originales et paradoxales[9].
Résumé
L’objet de ce dossier pour L’Année du Maghreb 2012 (CNRS-Editions), intitulé provisoirement « Les protestations populaires à l’assaut des régimes autoritaires : une "révolution" pour les sciences sociales ?' », est précisément de se décentrer des scènes politiques familières des chercheurs en sciences sociales (les élites, les associations, les ONG internationales, etc.) pour se concentrer sur les acteurs contestataires des années 2010-2011 et, au-delà, sur leur rôle dans les transitions politiques en cours au Maghreb et au Machrek.
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L’Année du Maghreb
CNRS-Editions
Appel à contribution au dossier de l’année 2012
Les protestations populaires à l’assaut des régimes autoritaires Une « révolution » pour les sciences sociales ?
Coordinateur scientifique : Vincent GEISSER*
La question de l’autoritarisme dans le monde arabe, en général, et au Maghreb, en particulier, a donné lieu à une importante littérature scientifique qui s’est principalement concentrée sur les facteurs de stabilité, cherchant ainsi à expliquer l’exceptionnelle longévité de « régimes » politiques que d’aucuns penser voir dépérir avec les différentes vagues de démocratisation à l’échelle internationale[1]. Dès lors, la majorité des travaux en sciences sociales se sont orientés sur les phénomènes de « consolidation » et de « reproduction » de l’autoritarisme, envisagé sur le temps long, mettant ainsi en évidence ses capacités de mutation et d’adaptation à la nouvelle doxa, inspirée par le « consensus de Washington ». Il convient toutefois de reconnaître que ces recherches ont rarement versé dans l’optimisme néolibéral des bailleurs de fonds internationaux (FMI, Banque mondiale, Union européenne, etc.), préférant davantage rendre compte des phénomènes d’hybridation du politique dans le monde arabe[2], à savoir ces régimes « mi-chien mi-chat »[3] que certains auteurs qualifient d’« autoritarismes démocratiques » ou de « démocraties autoritaires »[4]. La transition formelle vers l’économie de marché, la civilisation des forces armées, l’introduction d’un pluralisme constitutionnel (lois sur les partis politiques) et la relative tolérance des régimes à l’égard des Advocacy NGOs n’ont que partiellement affecté l’économie générale des autoritarismes hérités des années 1960-1970, faisant douter les chercheurs eux-mêmes de la capacité réelle des régimes à se réformer de l’intérieur[5]. Mais, de manière paradoxale, ce « doute scientifique » n’a guère entrainé un bouleversement radical des paradigmes en usage, comme si les chercheurs prenaient conscience de leur impuissance, sans être en mesure d’y apporter des éclairages véritablement nouveaux sur le politique au Maghreb et au Machrek, enfermés malgré eux dans l’horizon indépassable de « l’autoritarisme arabe »[6]. Entre l’optimisme de certains qui voyaient dans les « nouveaux acteurs » (femmes, entrepreneurs, ONG, etc.) des vecteurs de démocratisation et le pessimisme des autres qui ne pouvaient que constater l’extraordinaire adaptabilité et mutabilité de la « mécanique autoritaire », peu de place a été accordée aux mouvements de contestation populaire, si ce n’est que pour souligner leur impasse, leur marginalité et, en définitive, leur échec à produire une alternance politique crédible[7]. Il est vrai, que cette relative myopie de la recherche en sciences sociales à l’égard des modes de résistance et des « contre-conduites » populaires dans le monde arabe doit aussi pour beaucoup à la focalisation quasi obsessionnelle sur l’islamisme, reproduisant de manière involontaire la rhétorique anxiogène des régimes, l’autoritarisme ou la mort, ce qui est une autre manière de dire : la « dictature éclairée » ou la « dictature obscurantiste ». Sans verser nécessairement dans les visions culturalistes et essentialistes produites sur les mouvements islamistes, tels qu’ils étaient donnés à voir par les médias et par certains politiques européens ou nord-américains, les chercheurs – majoritairement des politologues – ont souvent contribué à conforter cette idée que l’islamisme constituait la seule alternance politique possible, tantôt appréhendé sous un angle favorable, tantôt sous un registre catastrophiste, mais toujours sur le registre de l’hégémonie[8]. Dès lors, comprend-on les raisons qui ont fait que la recherche en sciences sociales sur le monde arabe a éprouvé tant de difficultés à s’extraire des débats normatifs (pour ou contre les islamistes) et à prendre ses distances à l’égard des schémas binaires (régimes autoritaires versus islamismes contestataires). En dehors de l’islamisme, des ONG et des quelques partis autorisés, dont les élites dirigeantes sont souvent familières des chercheurs, force est de constater qu’il existe une forme d’impensé scientifique de la contestation radicale dans le monde arabe. Du coup, nombre de chercheurs et d’universitaires n’ont pas vu venir les mouvements de protestation de l’hiver 2010-2011, tout simplement parce qu’ils ignoraient ou qu’ils connaissaient mal leurs principaux animateurs qui échappent, il est vrai, à leurs sociabilités scientifiques habituelles (les élites urbaines, les leaders islamistes, les responsables associatifs, etc.).
L’objet de ce dossier pour L’Année du Maghreb, intitulé provisoirement « Les protestations populaires à l’assaut des régimes autoritaires », est précisément de se décentrer des scènes politiques familières des chercheurs en sciences sociales pour se concentrer sur les acteurs contestataires des années 2010-2011 et, au-delà, sur leur rôle dans les transitions politiques en cours au Maghreb et au Machrek. Bien sûr, il ne s’agit pas de légitimer un nouveau schéma binaire qui consisterait à opposer les « purs » de la contestation aux « ralliés » de la dernière minute, les acteurs « spontanés » aux acteurs « organisés », en oubliant au passage que les situations révolutionnaires sont souvent « labiles » et « fluides », productrices d’alliances protestataires à la fois originales et paradoxales[9].
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