C’est l’histoire d’un revenant d’un lointain exilé, dans son village natal Tasta-Guilef, sur la terre de ces ancêtres. Ce revenant on ne sait d’où s’appelle Moh-Ammar Ammar. Il est loin d’être un simple narrateur qui raconte une histoire «tragique et douloureuse», plusieurs fois millénaires, d’un village qu’il avait quitté depuis longtemps. «Me voila de retour chez moi, au village. (…), dit, d’emblée Moh-Ammar Ammar en arrivant devant la porte de sa maison, à la tombée de la nuit de la dernière journée hivernale. Il songe aux siens, à tous ces hommes qui «seraient déjà partis, dispersés, laissant derrière eux des vies nulles, hors saison».
Comme un être qui délire, Moh-Ammar pense à tous ceux qu’il a connu et qui sont déjà morts, à ceux qui le seraient à son retour à Tasta-Guilef dans un an, le prochain printemps. Il se parle, réfléchi et médite devant l’«incessante irruption des milles chapitres qui pourraient être leur histoire libérée des entraves linéaires et millénaires, coupée d’accès de mille longs silences».
Comme des fantômes qui surgissent d’outre-tombe, ces hommes, les siens évidemment, il entend leur voix, la voix de son grand-père lui intimer l’ordre d’avancer vers lui, une fois arrivé chez lui à la maison, «la plus grande, la plus belle et la plus ancienne au village». Cette maison était là, «avant ma naissance, avant la naissance de grand-père et de l’autre, le grand-père de l’autre, arrivé au village une ou deux saisons avant les autres Larabi», raconte Moh-Ammar, convaincu que cette demeure «sera toujours là» et qu’elle restera toujours la sienne, celle des ancêtres. Mais cet exilé est devant un village en ruine, une maison poussiéreuse, «une sorte de ruines géantes, si puantes» que le Malveillant, comme dirait son grand-père, avait «rasé (…), au-dedans comme en dehors, rasant au vol la moindre respiration, la moindre apparition».
Enfant, Moh-Ammar, maintenant allongé dans son lit, fait un songe, un mauvais songe au milieu d’une nuit froide et très sombre, dit-il en maudissant son grand-père qui avait décidé d’appeler, comme lui, tous les enfants de son âge. Il pense soudainement à cet «inconnu» qu’il ne voit pas qui était comme les autres, dans les histoires racontées par ces Pieux les Ammar. «Il (l’inconnu) avait un nom, un nom glorieux, une figure impériale et un royaume d’histoires», se rappelle encore Moh-Ammar qui enchaîne anecdote sur anecdote pour parler du destin tragique des Ammar et du paradis qu’était Tasta-Guilef avant l’arrivée d’«une armée qu’on croyait amie» et qu’il pensait n’être là que pour deux ou trois saisons.
Puis, il y a la voix d’une femme qui s’appelait Zelgoum, «l’immaculée, la dormeuse des sources noires, porteuse d’eau, travailleuse au mépris des hommes affamés de sa chair». Cette femme habitait une forêt déracinée de l’esprit des Ammar qui voulaient «voir (sa» nudité brûlante et imberbe». Mais là encore, c’était un songe, celui des Ammar, «fous, perdus, parlant dans la nuit noire, parlant à l’aube, à l’inconnu».
Le printemps passe, laissant place aux chaleurs suffocantes l’été, puis aux pluies torrentielles de sombres nuits hivernales. Moh-Ammar, toujours allongé dans son lit, demeure immobile, pensif. Son grand-père habite son esprit, habite les moindres recoins de Tasta-Guilef, dans ce pays d’aucun mal, un pays qui n’est autre que cette Algérie, traversée par des siècles d’histoires, marquées par les guerres d’invasions vandale, byzantine, arabe, romaine, ottomane et française.
Dans Pays d’aucun mal, paru aux Edition Aden (France), en 2008, El-Mahdi Acherchour nous fait remonter loin dans l’histoire ancienne de ce qui est devenu l’Algérie d’aujourd’hui. Usant de sa verve de poète, El-Mahdi Acherchour nous a offert un roman qui se lit et se relit d’une seule traite. Mais avant tout, il s’agit d’un texte qui réconcilie l’Algérie avec son histoire, un pays qui n’émerge pas du néant.
El-Mahdi Acherchour
Natif de Béjaïa, en Kabylie, El-Mahdi Acherchour (38 ans) a su donner un nouveau souffle à la littérature algérienne avec une poésie et des romans à l’écriture à la fois incisive et pleine de tendresse. Avec Lui, le livre (roman, éditions Barzakh, 2005), Pays d’aucun mal (édition Aden, sélectionné du Prix Femina en 2010), ce jeune auteur qui vit depuis quelques années aux Pays-Bas a adopté une voie singulière : Ecrire de la poésie ne prose pour raconter de petites gens ordinaires, rendre compte avec un enchaînement d’anecdotes d’un passé aussi bien récent que lointain, et surtout pour exprimer sa profonde passion pour les siens, c’est-à-dire les hommes.
El-Mahdi Acherchour a aussi publié des recueils de poésie dont on peut citer entre autres L’œil de l’égaré (Marsa Edition, 1997), Chemins des choses nocturnes (éditions Barzakh, 2003) et Hallaj à Alger (éditions El-Ikhtilef, 2005).
Par Lyes Menacer, La Tribune
Comme un être qui délire, Moh-Ammar pense à tous ceux qu’il a connu et qui sont déjà morts, à ceux qui le seraient à son retour à Tasta-Guilef dans un an, le prochain printemps. Il se parle, réfléchi et médite devant l’«incessante irruption des milles chapitres qui pourraient être leur histoire libérée des entraves linéaires et millénaires, coupée d’accès de mille longs silences».
Comme des fantômes qui surgissent d’outre-tombe, ces hommes, les siens évidemment, il entend leur voix, la voix de son grand-père lui intimer l’ordre d’avancer vers lui, une fois arrivé chez lui à la maison, «la plus grande, la plus belle et la plus ancienne au village». Cette maison était là, «avant ma naissance, avant la naissance de grand-père et de l’autre, le grand-père de l’autre, arrivé au village une ou deux saisons avant les autres Larabi», raconte Moh-Ammar, convaincu que cette demeure «sera toujours là» et qu’elle restera toujours la sienne, celle des ancêtres. Mais cet exilé est devant un village en ruine, une maison poussiéreuse, «une sorte de ruines géantes, si puantes» que le Malveillant, comme dirait son grand-père, avait «rasé (…), au-dedans comme en dehors, rasant au vol la moindre respiration, la moindre apparition».
Enfant, Moh-Ammar, maintenant allongé dans son lit, fait un songe, un mauvais songe au milieu d’une nuit froide et très sombre, dit-il en maudissant son grand-père qui avait décidé d’appeler, comme lui, tous les enfants de son âge. Il pense soudainement à cet «inconnu» qu’il ne voit pas qui était comme les autres, dans les histoires racontées par ces Pieux les Ammar. «Il (l’inconnu) avait un nom, un nom glorieux, une figure impériale et un royaume d’histoires», se rappelle encore Moh-Ammar qui enchaîne anecdote sur anecdote pour parler du destin tragique des Ammar et du paradis qu’était Tasta-Guilef avant l’arrivée d’«une armée qu’on croyait amie» et qu’il pensait n’être là que pour deux ou trois saisons.
Puis, il y a la voix d’une femme qui s’appelait Zelgoum, «l’immaculée, la dormeuse des sources noires, porteuse d’eau, travailleuse au mépris des hommes affamés de sa chair». Cette femme habitait une forêt déracinée de l’esprit des Ammar qui voulaient «voir (sa» nudité brûlante et imberbe». Mais là encore, c’était un songe, celui des Ammar, «fous, perdus, parlant dans la nuit noire, parlant à l’aube, à l’inconnu».
Le printemps passe, laissant place aux chaleurs suffocantes l’été, puis aux pluies torrentielles de sombres nuits hivernales. Moh-Ammar, toujours allongé dans son lit, demeure immobile, pensif. Son grand-père habite son esprit, habite les moindres recoins de Tasta-Guilef, dans ce pays d’aucun mal, un pays qui n’est autre que cette Algérie, traversée par des siècles d’histoires, marquées par les guerres d’invasions vandale, byzantine, arabe, romaine, ottomane et française.
Dans Pays d’aucun mal, paru aux Edition Aden (France), en 2008, El-Mahdi Acherchour nous fait remonter loin dans l’histoire ancienne de ce qui est devenu l’Algérie d’aujourd’hui. Usant de sa verve de poète, El-Mahdi Acherchour nous a offert un roman qui se lit et se relit d’une seule traite. Mais avant tout, il s’agit d’un texte qui réconcilie l’Algérie avec son histoire, un pays qui n’émerge pas du néant.
El-Mahdi Acherchour
Natif de Béjaïa, en Kabylie, El-Mahdi Acherchour (38 ans) a su donner un nouveau souffle à la littérature algérienne avec une poésie et des romans à l’écriture à la fois incisive et pleine de tendresse. Avec Lui, le livre (roman, éditions Barzakh, 2005), Pays d’aucun mal (édition Aden, sélectionné du Prix Femina en 2010), ce jeune auteur qui vit depuis quelques années aux Pays-Bas a adopté une voie singulière : Ecrire de la poésie ne prose pour raconter de petites gens ordinaires, rendre compte avec un enchaînement d’anecdotes d’un passé aussi bien récent que lointain, et surtout pour exprimer sa profonde passion pour les siens, c’est-à-dire les hommes.
El-Mahdi Acherchour a aussi publié des recueils de poésie dont on peut citer entre autres L’œil de l’égaré (Marsa Edition, 1997), Chemins des choses nocturnes (éditions Barzakh, 2003) et Hallaj à Alger (éditions El-Ikhtilef, 2005).
Par Lyes Menacer, La Tribune