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Pourquoi le spectre de la famine ressurgit en Afrique

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  • Pourquoi le spectre de la famine ressurgit en Afrique

    Face à une sécheresse exceptionnelle et la flambée des prix des matières premières, la Corne de l'Afrique est menacée d'une catastrophe humanitaire. Explications.


    De nouveaux réfugiés fuyant la famine arrivent de Somalie dans l'immense camp de Dadaab, au Kenya, le 16 juillet 2011.
    Reuters/Thomas Mukoya
    Où en est la situation en Afrique de l'Est ?
    Le mot famine n'a pas encore été prononcé, mais les représentants de la communauté internationale, ONU en tête, ne cachent pas leur inquiétude depuis fin juin. Entre 10 et 12 millions de personnes manqueraient déjà de nourriture dans la Corne de l'Afrique, dont 2,6 millions en Somalie et autour de 3,2 millions en Ethiopie et au Kenya. Djibouti et l'Ouganda sont aussi touchés. "Il est difficile d'évaluer la gravité de ce type de situation, certains acteurs ayant tendance à gonfler les chiffres, mais tout laisse cette fois penser à une crise majeure", confirme Philippe Hugon, spécialiste de l'économie africaine à l'Iris, l'Institut de relations internationales et stratégiques.

    Le système d'alerte précoce des famines (USAid/Fews Net) qui scrute le risque des pays en fonction des précipitations, de la production agricole, des prix sur les marchés et de la nutrition, a déjà classé plusieurs régions au niveau 4 : celui de l'urgence alimentaire, dernière étape avant la famine. Plus radicales, les ONG -dont Action contre la faim- parlent déjà d'une "catastrophe humanitaire" en Somalie, où 250.000 enfants souffrent de malnutrition sévère.

    Pourquoi les prix flambent-ils ?
    A l'origine, c'est une sécheresse pérenne -la plus sévère depuis soixante ans selon l'ONU- qui a plongé dans la détresse des milliers de ménages déjà fragiles. Les saisons des pluies qui arrivent normalement à la fin de l'année, puis au printemps, sont passées quasiment inaperçues. Les récoltes agricoles ont fondu, privant les producteurs de ressources, et les éleveurs ont vendu leur bétail menacé de mort.

    L'envol des prix des aliments de base a fini de mettre à terre le pouvoir d'achat des paysans. Selon l'ONU, les prix des céréales dans les zones touchées par la sécheresse au Kenya sont de 30 à 80% supérieurs à la moyenne de ces cinq dernières années. En Ethiopie, l'indice des prix à la consommation pour l'alimentation a flambé de près de 41% en mai sur un an, mais la hausse la plus dramatique frappe la Somalie : 270% d'augmentation des prix sur la même période. S'y ajoutent des conflits régionaux qui empêchent la circulation des produits, gênent l'action des ONG et les politiques de soutien.

    Les spéculateurs sont-ils en cause ?
    Le rôle de la spéculation fait débat. Les spéculateurs avaient été pointés du doigt lors des dernières grandes tensions sur les prix alimentaires, en Afrique du Nord notamment. Interrogé par Libération ce mardi sur la situation dans la Corne de l'Afrique, Jean Ziegler repart à l'attaque. "Il y a aussi les hedge funds qui, ayant perdu des sommes astronomiques au moment de la crise de 2007, se sont littéralement jetés sur la spéculation des matières premières agricoles. Avec à la clé des hausses de cours tellement importantes qu'elles empêchent les Etats les plus faibles d'importer ces matières premières", accuse le vice-président du comité consultatif du Conseil des droits de l'homme des Nations unies.

    "Dans un contexte de vulnérabilité, avec une très grande pauvreté et une insécurité des territoires, la sécheresse est le facteur déclencheur, nuance Philippe Hugon. Mais la spéculation sur les produits alimentaires peut venir s'y ajouter, puisque quand les prix flambent certains acteurs en profitent et des phénomènes spéculatifs apparaissent souvent. D'où la nécessité pour les gouvernements de stabiliser rapidement les prix des produits de première nécessité."

    Que peut faire la communauté internationale ?
    D'abord gérer l'urgence. Après plusieurs semaines d'alertes répétées, la FAO, l'organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, ainsi que les ONG, passent à la vitesse supérieure. Une réunion d'urgence est prévue le 25 juillet pour appeler les pays à venir en aide à la Somalie, la plus gravement atteinte. La FAO, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'ONG Oxfam signent aussi un appel conjoint en appelant à "une assistance alimentaire d'urgence et durable", mais aussi des "outils, semences, engrais (...) pour accroître la production agricole et soutenir les moyens d'existence ruraux". "Remédier à l'urgence par une assistance alimentaire est la première étape, mais il faut aussi sécuriser le travail des producteurs et des éleveurs, explique Philippe Hugon. Le problème de l'aide donnée gratuitement, c'est qu'elle les concurrence directement. L'idéal c'est de la verser à très bas prix pour ne pas casser complètement les logiques économiques du pays."
    Reste à savoir si les promesses internationales seront tenues. Le Royaume-Uni a déjà annoncé qu'il verserait 52,5 millions de livres. Mais l'ONU a régulièrement du mal à financer ses programmes. L'appel de fonds 2011 pour Djibouti n'est d'ailleurs actuellement financé qu'à 30%. Celui pour la Somalie ne l'est qu'à 50% tandis que celui pour le Kenya est rempli à 54%. L'organisation non gouvernementale ONE a rappelé la semaine dernière que, deux ans après le G8 de l'Alquila consacré à la lutte contre la faim, les donateurs n'ont déboursé que 22% des fonds promis pour l'agriculture d'ici à 2012.

    Et les gouvernements locaux ?
    Pour Philippe Hugon, de l'Iris, les gouvernements locaux doivent immédiatement prendre des mesures pour stabiliser les marchés et contenir la hausse du prix des denrées alimentaires. Et ce en subventionnant certains prix des produits de première nécessité, blé et maïs en tête. "Le Kenya, qui a un régime politique relativement stable, peut appliquer des mesures de soutien des prix. L'Ethiopie aussi théoriquement, mais encore faut-il qu'elle le veuille, puisque les régions touchées sont parfois des zones rebelles, et que certaines crises alimentaires sont nées de la volonté des autorités de les affamer", observe-t-il.

    "Une fois sécurisés les territoires, il faudrait aussi des politiques publiques de réinvestissement vers l'irrigation et les techniques agraires, pour protéger des agricultures encore fragiles, conclut-il. L'Ethiopie et le Kenya ont déjà fait beaucoup de progrès depuis plusieurs années." En guerre civile depuis vingt ans, la Somalie est, elle, plongée dans le chaos. Les rebelles islamistes "shebabs" qui avaient poussé au départ la plupart des ONG ont toutefois autorisé la semaine dernière la livraison par l'ONU de cinq tonnes d'aide et de médicaments.
    Par Alexia Eychenne
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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