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Facebook, Twitter, Youtube et Google : nouvelles armes de la politique extérieure américaine

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  • Facebook, Twitter, Youtube et Google : nouvelles armes de la politique extérieure américaine

    Facebook, Twitter, Youtube et Google : nouvelles armes de la politique extérieure américaine au Maroc et dans le Monde arabe.

    Par John TOUTAIN

    L'ascension de Barack Obama qui l'a mené à la présidence des États-Unis en 2009 s'est jouée sur l'impopularité grandissante des deux guerres (Irak et Afghanistan) dans lesquelles le pays était engagé. Aux premiers jours de la mandature d'Obama, et conformément à son programme de candidat, le président demande au Pentagone - ministère de la Défense - de lui proposer des plans de désengagement progressif des conflits irakiens et afghans, et au State Department - le Département d’État , centre névralgique de la diplomatie américaine - de réfléchir à une alternative crédible et innovante pour poursuivre les agendas américains (lutte contre le terrorisme et démocratie au Moyen-Orient) à moindres couts (soft power). "America's image and influence had declined in recent years and the United States have to move from exporting fear to inspiring optimism and hope" comme le résumait Joseph S. Nye, théoricien du Soft Power. C'est avec ce double impératif que l'administration Obama se lance à partir de 2009 à titre expérimental dans l'utilisation des réseaux sociaux.

    Deux ans plus tard, les États-Unis viennent de gagner sous nos yeux deux guerres qu'elles n'ont pas mené, et sans que personne ne s'en aperçoive vraiment : la Tunisie, puis l’Égypte. Voici comment en coulisse la diplomatie américaine et les stars de la Silicon Valley se sont associées pour y arriver.

    Jared Cohen, 27 ans, fonctionnaire au State Department, a-t-il embarrassé ou servi l'administration Obama ?

    L'anecdote est connue de tous.

    Le 15 Juin 2009, Twitter décide de reporter une maintenance de ses services afin de ne pas gêner l'activité des contestataires du régime iranien, qui utilisent l'outil de micro-blogging pour s'organiser et passer outre la censure gouvernementale.

    L'événement aurait pu en rester là. Mais deux jours plus tard, le New-York Times révèle que c'est le gouvernement américain, en la personne d'un haut-fonctionnaire de 27 ans, Jared Cohen, employé par le State Department qui a demandé à Twitter de décaler d'un jour cette opération de maintenance.


    Plus tard, Biz Stone, un des co-fondateurs de Twitter, s'expliquera sur ce report :

    "Nous avons reçu une demande du gouvernement américain, mais en aucun cas un ordre ou une injonction. Cela prouve que le gouvernement reconnaît la valeur de l'outil. Mais c'est nous qui avons pris la décision de retarder de quelques heures l'opération de maintenance et d'en réduire la durée." Le Monde

    A cette époque, Barack Obama prétend ne pas vouloir prendre partie en faveur des contestataires iraniens, ni vouloir faire d'ingérence dans un pays souverain. Le coup de fil tombe mal. Sa médiatisation aussi. L'administration américaine refusera d'admettre puis sera forcé de reconnaître les faits.

    “This was just a call to say: ‘It appears Twitter is playing an important role at a crucial time in Iran. Could you keep it going?’ ” Washington Post

    Au State Department, on vient de lancer les bases du plus ambitieux projet de son histoire : faire rentrer la diplomatie américaine dans le 21ème siècle.

    Quand Jared Cohen demande à Jack Dorsey de décaler la maintenance, les deux hommes se connaissent d'avant : ils sont partis reconstruire ensemble l'Irak, deux mois plus tôt, à l'occasion d'une Technology Delegation (Tech.del) : une tournée de la diplomatie américaine inédite imaginée par Jared Cohen et qui associe exclusivement les CEO d'entreprises stars de la Silicon Valley (Youtube, Google, Facebook et Twitter pour ne citer qu'elles).

    "Now, we [at the State Department] often lead delegations of academics and NGOs to countries around the world, but we hadn't led delegations of people with expertise on tools. So, I thought: Why don't we take a delegation of technology executives to Iraq?" Foreign Policy

    Intérêt pour les entreprises de la Valley qui participent au voyage : aller à la rencontre de nouveaux marchés. Intérêt pour la diplomatie américaine qui organise ces déplacements : répondre de façon innovante à des problèmes que la diplomatie traditionnelle ne sait pas résoudre. Tout le monde y gagne.

    Premier Tech.del : l'Irak, le 20 Avril 2009. Jack Dorsey, co-fondateur de Twitter, fait partie de la délégation américaine, présidée par Jared Cohen. Il en fait même la promotion sur CNN :



    Cela peut paraître anecdotique, mais c'est symptomatique des relations très particulières que le State Department cherchera à développer à partir de 2009 avec les entreprises de la Valley, par l'entremise de Jared Cohen, et de son compère, Alec Ross, 39 ans, conseiller spécial d'Hillary Clinton - et gourou des réseaux sociaux pendant la campagne du candidat Obama.

    Avec les tech.del, au State Department, les deux hommes lancent les bases du plus ambitieux projet de la diplomatie américaine : réinventer la diplomatie à l'heure d'Internet. Le projet a un nom dès 2009, 21st Century Statecraft et sera lancé officiellement début 2010 dans un discours d'Hillary Clinton intitulé Internet Freedom.


    Le 21st Century Statecraft est la nouvelle vision de la diplomatie américaine qui consiste à explorer par les nouvelles technologie d'autres voies pour répondre de façon innovante aux problèmes à l'agenda américain.

    "Maximizing the potential of technology in service of our diplomatic and development goals." US Department State.

    Ainsi de 2009 à 2011, Alec Ross et Jared Cohen emmèneront Facebook, AT&T, Microsoft, Dell, Mozilla, Cisco, Twitter, Google, Youtube, TechCrunch en tournée en Irak, au Mexique, en Russie, en Syrie, en Colombie et en Sierra Leone. On vient d'inventer la diplomatie numérique.

    "La diplomatie numérique consiste surtout à travailler avec les acteurs directs voire clandestins de la société."

    Le 21st century Statecraft promeut une idée forte : alors que la diplomatie traditionnelle consiste à parler de gouvernement à gouvernement, la diplomatie du 21ème siècle consiste à donner plus de pouvoir aux peuples pour qu'ils puissent prendre en main leur destin - quitte à bypasser parfois leurs représentants officiels :

    "No longer is diplomacy conducted purely government to government or government to people. It is now conducted people to people and people to government." US State Department

    Dans le magazine GQ de Juin 2011, Alec Ross explique la visite qu'il a mené avec Jared Cohen en Juin 2010 à Damas en Syrie, pays classé sur la liste des États soutenant les organisations terroristes.

    Le président syrien Bachir El Assad refuse de les rencontrer. C'est le ministre de la Télécommunication qui s'y collera.

    "Avec Jared Cohen, nous pensions alors que nous pouvions mieux travailler avec les jeunes Syriens qu’avec son gouvernement." (GQ)

    Et c'est ce qu'ils feront en allant faire la promotion des média sociaux aux étudiants de l'université de Damas. Et le message semble passer : Alec Ross glanera à cette occasion 30 000 nouveaux abonnés sur Twitter.

    "Trois mois plus tard, des jeunes Syriens contournent la censure du régime en postant sur Facebook des vidéos de deux enseignants qui battent leurs élèves. Ross en est fier, il bafouille devant nous : « Nous avons incité les jeunes Syriens à mener des actions contre leur gouvernement. Euh pardon, nous les avons incités à changer leur vie.(...) La plupart du temps, j’évite de traiter avec les officiels, explique Ross. La diplomatie traditionnelle n’est plus suffisante. La diplomatie numérique consiste surtout à travailler avec les acteurs directs voire clandestins de la société." (GQ)

    Pour accompagner les dissidents dans leur combat pro-démocratie, les États-Unis vont apporter leur aide sur deux volets : la méthodologie d'abord en formant à l'e-activisme les groupes pro-démocratie de différents pays. Et ensuite diplomatiquement, en n'ayant de cesse de promouvoir la liberté d'accès à Internet comme un droit fondamental.

  • #2
    suite

    Quand les e-activistes sont formés par les géants du Web

    En Novembre 2008, le State Department annonce une initiative originale : un sommet intitulé l'Alliance for Youth Movement (AYM) qui se tiendra en décembre de la même année. Selon le sous-secrétaire d'état James K. Glassman l'objectif de ce sommet est le suivant :

    "To use new trends in social networking, as well as the technical aspects of social networking, to help various groups come together to combat extremism.". State of Department

    Le sous-secrétaire Glassman poursuit, et présente l'agenda de ce sommet : le premier AYM fera se rencontrer 17 organisations qui veulent changer les choses dans leur pays, et s'organisent sur les réseaux sociaux pour le faire, et des entreprises du secteur privé, qui sont aussi sponsors de l'événement : Facebook, MTV, Howcast, Google, AT&T.

    Le sommet doit aboutir à la production de best practice disponibles en ligne (www.movements.org).

    Le sommet a trois fondateurs : Jared Cohen, qu'on ne présente plus. Jason Liebman, qui a travaillé chez Google pendant 4 ans avant de créer Howcast.com. Et Roman Tsunder, fondateur de gen-next.org une ONG qui se bat pour accompagner le changement dans la jeune génération.

    Personne n'est dupe sur l'objectif de ce sommet. Il suffit de voir l'intitulé des fiches pratiques et des business case rassemblés sur movements.org pour comprendre de quoi on y parle : Comment lancer une campagne de dissidence sur Twitter - Comment surfer anonymement sur le Web ? - Comment agir sur Facebook en toute sécurité ? - Comment créer le changement avec votre blog ?.

    La liste des organisations qui font partie de ce réseau trois ans après sa création est elle aussi assez claire. On retrouve par exemple le Shabah 6 of April, un mouvement pro-démocratie dont les 4 fondateurs seront à la pointe du combat pour faire chuter Housni Moubarak, le mouvement du 20 février (Maroc) et le Lybian Youth Movemenent (Lybie).

    A l'étranger aussi, côté autorités, personne n'est vraiment dupe. Au premier sommet de décembre 2008, sont invités des représentants du Shabah 6 of April. Dans un cable diplomatique confidentiel, rendu publique par Wikileaks, on apprend qu'à leur retour du sommet, les représentants de ce mouvement sont arrêtés par la police égyptienne et leurs documents et notes personnelles sont confisquées. Difficile d'imaginer que les autorités égyptiennes n'aient pas compris l'objectif de ce voyage aux États-Unis...

    #netfreedom


    La clé de voûte de cet édifice, c'est la liberté d'accès à Internet. Sans Internet pas possible pour les activistes de se connecter entre eux.

    "The only way that will actually work though is if there are access to your tools and ressources. And so the appropriate role then of the State Department is to very agressively engage on topics like Internet Freedom." Alec Ross

    L'angle d'attaque du State Department sera de faire valoir que si l'on s'attaque à la liberté d'accès à Internet, c'est aux États-Unis que l'on s'attaque :

    "Quand un État coupe Internet, il s’attaque aux États-Unis ? Oui, il attaque un réseau global que les États-Unis protègent au nom de la liberté et nous riposterons à chaque attaque. Quand Ben Ali a volé les mots de passe de plus d’un million d’utilisateurs Facebook, nous sommes intervenus immédiatement." Alec Ross

    Quand le président Ben Ali en Tunisie essaie de hacker les comptes Facebook d'un million de personnes, les États-Unis réagissent aussitôt :

    "In Tunisia, the country blocked access to certain websites and it attempted to hack the Facebook accounts of more than a million people, literally more than 10 percent of the Tunisian population. That did not end up going well for them. And the United States was the first to speak out publicly and we spoke out aggressively. We convoked the Tunisian ambassador. " Alec Ross

    Parfois, le lobbying est plus souterrain. Ainsi, dans un câble diplomatique confidentiel rendu publique par Wikileaks, on apprend que lors d'une rencontre à Bahreïn, entre Alec Ross et le ministre de la télécommunication, ce dernier exprime sont enthousiasme à l'idée de voir Google s'installer un datacenter dans son pays. Alec Ross l'avertit : Google n'accepte pas de s'installer dans les pays où la liberté d'accès à Internet n'est pas garantie. La messe est dite ...

    Et parfois enfin la réponse est juste technologique. Quand l'Egypte bloque l'accès à Internet, Twitter et Google s'associent pour créer Twitter's Speak2Tweet, un service qui permet de Tweeter via des messages vocaux. Autre projet : l'Internet fantôme, qui consiste à bâtir des réseaux de téléphonie et Internet parallèles échappant au contrôle des gouvernements dictatoriaux et à la censure, projet jusque là confidentiel, financé par le State Department à hauteur de 2 millions de $ et révélé par le New-York Times en Juin 2011.

    La nouvelle proximité entre gouvernement américain et réseaux sociaux, est une composante à prendre en compte en 2011 dans l'analyse qu'on peut faire des révolutions. Non pas que ce soit les États-Unis ou les géants du Web qui aient mis les manifestants dans la rue. Mais juste que désormais, nul doute ni ne connaît mieux qu'au State Department le pouvoir des réseaux sociaux pour promouvoir la démocratie à l'extérieur du pays.

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