Logés sur les chantiers, sans loisirs et travaillant sept jours sur sept, les ouvriers venus de Chine concurrencent les Africains. Exemple au Gabon.
Libreville correspondance
Comme tous les matins, une longue file d'attente s'étire devant le chantier de Shanghai Construction. Comme tous les matins, Salim, le gardien, devra renvoyer ces hommes en quête d'un emploi, en tentant d'apaiser les mécontents. «Il n'y a pas de travail pour les Africains ici ! Les Chinois n'emploient que leurs frères !» lance l'un des postulants accueilli par les murmures approbateurs de ses compagnons d'infortune.
A savoir.
Gisement. Le travail manque au Gabon, jadis qualifié d'émirat africain, mais qui souffre aujourd'hui, en dépit de la hausse des cours du pétrole, d'une mauvaise situation économique et d'un faible taux de croissance pour la région. L'absence de diversification de l'économie entraîne un taux de chômage élevé : 20 % en moyenne, 30 % chez les jeunes. Une cinquantaine d'Africains travaillent pourtant sur le chantier de la future Cité de l'information, dans le coeur administratif de la capitale gabonaise, Libreville. Un nombre qui paraît dérisoire à côté de la centaine d'employés chinois qui s'affairent sur les fondations du bâtiment principal. Une centaine d'autres viendront épauler leurs compatriotes au fur et à mesure de l'avancée des travaux. Après l'Assemblée nationale, le Sénat, un palais pour le président Omar Bongo et des hôpitaux, les Chinois se voient confier de plus en plus de chantiers importants au Gabon. Il faut dire que Pékin, qui lorgne sur les richesses minières et pétrolières de ce pays d'Afrique centrale, prête au gouvernement, à des taux très avantageux, les fonds nécessaires pour ses grands travaux... A l'affût de matières premières, la Chine est présente dans le secteur du bois, dont elle est le principal importateur, dans celui du pétrole et des minerais. Plusieurs dizaines de millions d'euros ont été investis par Pékin ces derniers mois en vue de l'exploitation d'un gisement de fer prometteur du nord du pays.
Le gardien, d'origine malienne, s'estime chanceux, même si les conditions de travail sont difficiles. Sept jours sur sept, des employeurs exigeants, mais un salaire correct pour le Gabon : 150 euros par mois (1). «Le plus difficile, c'est de ne pas pouvoir se parler. Ils sont toujours entre eux, il n'y en a que trois qui parlent français», déplore le jeune homme. Alors, pour communiquer sur le chantier, les mains ont la parole. Des livreurs viennent déposer les marchandises. Le prix se discute avec les doigts. Pas la peine de déranger la jeune interprète, les gestes suffisent pour guider les livreurs. Mademoiselle Zhou, vêtue d'une légère robe à fleur, apparaît pourtant dans l'embrasure du minuscule bureau qu'elle partage avec trois collègues. Agée de 24 ans, cette diplômée en médecine, originaire de Shanghai, est arrivée au Gabon il y a quatre mois. Elle ne semble pas encore remise du voyage. Accablée par une chaleur moite, Mlle Zhou accueille, avec le sourire, les visiteurs sur le chantier de Shanghai Construction, l'une des plus importantes entreprises chinoises du secteur. Elle est venue parfaire son français et gagner de l'argent, mais ne s'attendait pas à une telle expérience. A peine débarquée en terre tropicale, la jeune Chinoise est terrassée par la malaria. La convalescence sera de courte durée : il n'y a pas de jours de repos sur le chantier. Son collègue, Liang, ingénieur civil et responsable technique du chantier, renchérit : «Il faut raconter comme notre travail est fatigant !»
«Ultrarapides». Cela fait trois ans que Liang est au Gabon. Il en est à son troisième chantier. Les Gabonais, dont le niveau de vie est supérieur à la moyenne des autres pays du continent, travaillent rarement dans le BTP. Ce sont essentiellement des Africains de l'Ouest (Burkinabés, Maliens, Ivoiriens, Sénégalais) qui exercent les emplois de manoeuvres non qualifiés. Les expatriés chinois font tout le reste : architectes, soudeurs, mécaniciens, électriciens, docteurs, cuisiniers. Quant aux rumeurs qui circulent en ville sur la présence de prisonniers politiques chinois sur les chantiers, la majorité des diplomates, observateurs étrangers et responsables gabonais interrogés, faute de preuves, n'y apportent pas beaucoup de crédit.
Sur le chantier, les Africains gagnent en moyenne 7 euros par jour, les Chinois au moins deux fois plus. Quel intérêt dans ce cas pour l'employeur de faire venir d'Extrême-Orient des travailleurs qui coûtent plus cher et qu'il faut nourrir et loger ? «Un Chinois fait le travail de trois Africains et en plus le travail est mieux fait», rétorque Liang sans la moindre hésitation. Une jeune architecte européenne confirme la capacité de travail hors normes des Asiatiques. «Ils sont ultrarapides ! Un jour, nous leur avions confié des plans à réaliser, le travail a été fait en huit jours à peine alors qu'il aurait fallu à notre équipe européenne trois fois plus de temps !» Une ardeur au travail qui se comprend mieux au regard de leurs horaires : sept jours sur sept, du lever au coucher du soleil * de 6 h 30 à 18 h 30 *, les Asiatiques, qui logent à quelques mètres du chantier, sans loisirs à leur portée, ne cachent pas leur entière disponibilité à faire des heures supplémentaires.
Argent de poche. Les frais de nourriture et de logement sont des plus modique pour l'entreprise qui rémunère ses employés directement en Chine, à raison d'une quinzaine d'euros en moyenne par jour. Très embarrassée, Mlle Zhou accepte de faire voir les lieux où les Chinois passent l'essentiel de leur temps libre, juste à côté des grues, des Caterpillar et de l'atelier de soudure. Les petites chambres sommaires accueillent jusqu'à huit travailleurs, souffrant de la chaleur sous un toit de tôle. Deux salles d'eau seulement pour l'ensemble du «camp». Un réfectoire aux tables et chaises en nombre insuffisant. Des conditions comparables à celles qui se pratiquent en Chine. «Ce sont des conditions difficiles, confirme l'ingénieur, mais nous gagnons de l'argent.» Pour ces travailleurs chinois, l'intérêt est d'économiser un petit pactole, puisqu'ils ne touchent pas à leur salaire pendant ces années de labeur en Afrique. «Nous sommes logés et nourris à Libreville et recevons une dizaine d'euros d'argent de poche par mois. C'est peu mais cela suffit pour vivre», poursuit le jeune homme. L'ingénieur Liang n'a pratiquement jamais franchi la palissade de tôle ondulée qui entoure le chantier.
(1) Un gardien gagne 70 euros, un fonctionnaire, 450 euros.
par Pauline SIMONET
Liberation : lundi 15 mai 2006
Libreville correspondance
Comme tous les matins, une longue file d'attente s'étire devant le chantier de Shanghai Construction. Comme tous les matins, Salim, le gardien, devra renvoyer ces hommes en quête d'un emploi, en tentant d'apaiser les mécontents. «Il n'y a pas de travail pour les Africains ici ! Les Chinois n'emploient que leurs frères !» lance l'un des postulants accueilli par les murmures approbateurs de ses compagnons d'infortune.
A savoir.
Gisement. Le travail manque au Gabon, jadis qualifié d'émirat africain, mais qui souffre aujourd'hui, en dépit de la hausse des cours du pétrole, d'une mauvaise situation économique et d'un faible taux de croissance pour la région. L'absence de diversification de l'économie entraîne un taux de chômage élevé : 20 % en moyenne, 30 % chez les jeunes. Une cinquantaine d'Africains travaillent pourtant sur le chantier de la future Cité de l'information, dans le coeur administratif de la capitale gabonaise, Libreville. Un nombre qui paraît dérisoire à côté de la centaine d'employés chinois qui s'affairent sur les fondations du bâtiment principal. Une centaine d'autres viendront épauler leurs compatriotes au fur et à mesure de l'avancée des travaux. Après l'Assemblée nationale, le Sénat, un palais pour le président Omar Bongo et des hôpitaux, les Chinois se voient confier de plus en plus de chantiers importants au Gabon. Il faut dire que Pékin, qui lorgne sur les richesses minières et pétrolières de ce pays d'Afrique centrale, prête au gouvernement, à des taux très avantageux, les fonds nécessaires pour ses grands travaux... A l'affût de matières premières, la Chine est présente dans le secteur du bois, dont elle est le principal importateur, dans celui du pétrole et des minerais. Plusieurs dizaines de millions d'euros ont été investis par Pékin ces derniers mois en vue de l'exploitation d'un gisement de fer prometteur du nord du pays.
Le gardien, d'origine malienne, s'estime chanceux, même si les conditions de travail sont difficiles. Sept jours sur sept, des employeurs exigeants, mais un salaire correct pour le Gabon : 150 euros par mois (1). «Le plus difficile, c'est de ne pas pouvoir se parler. Ils sont toujours entre eux, il n'y en a que trois qui parlent français», déplore le jeune homme. Alors, pour communiquer sur le chantier, les mains ont la parole. Des livreurs viennent déposer les marchandises. Le prix se discute avec les doigts. Pas la peine de déranger la jeune interprète, les gestes suffisent pour guider les livreurs. Mademoiselle Zhou, vêtue d'une légère robe à fleur, apparaît pourtant dans l'embrasure du minuscule bureau qu'elle partage avec trois collègues. Agée de 24 ans, cette diplômée en médecine, originaire de Shanghai, est arrivée au Gabon il y a quatre mois. Elle ne semble pas encore remise du voyage. Accablée par une chaleur moite, Mlle Zhou accueille, avec le sourire, les visiteurs sur le chantier de Shanghai Construction, l'une des plus importantes entreprises chinoises du secteur. Elle est venue parfaire son français et gagner de l'argent, mais ne s'attendait pas à une telle expérience. A peine débarquée en terre tropicale, la jeune Chinoise est terrassée par la malaria. La convalescence sera de courte durée : il n'y a pas de jours de repos sur le chantier. Son collègue, Liang, ingénieur civil et responsable technique du chantier, renchérit : «Il faut raconter comme notre travail est fatigant !»
«Ultrarapides». Cela fait trois ans que Liang est au Gabon. Il en est à son troisième chantier. Les Gabonais, dont le niveau de vie est supérieur à la moyenne des autres pays du continent, travaillent rarement dans le BTP. Ce sont essentiellement des Africains de l'Ouest (Burkinabés, Maliens, Ivoiriens, Sénégalais) qui exercent les emplois de manoeuvres non qualifiés. Les expatriés chinois font tout le reste : architectes, soudeurs, mécaniciens, électriciens, docteurs, cuisiniers. Quant aux rumeurs qui circulent en ville sur la présence de prisonniers politiques chinois sur les chantiers, la majorité des diplomates, observateurs étrangers et responsables gabonais interrogés, faute de preuves, n'y apportent pas beaucoup de crédit.
Sur le chantier, les Africains gagnent en moyenne 7 euros par jour, les Chinois au moins deux fois plus. Quel intérêt dans ce cas pour l'employeur de faire venir d'Extrême-Orient des travailleurs qui coûtent plus cher et qu'il faut nourrir et loger ? «Un Chinois fait le travail de trois Africains et en plus le travail est mieux fait», rétorque Liang sans la moindre hésitation. Une jeune architecte européenne confirme la capacité de travail hors normes des Asiatiques. «Ils sont ultrarapides ! Un jour, nous leur avions confié des plans à réaliser, le travail a été fait en huit jours à peine alors qu'il aurait fallu à notre équipe européenne trois fois plus de temps !» Une ardeur au travail qui se comprend mieux au regard de leurs horaires : sept jours sur sept, du lever au coucher du soleil * de 6 h 30 à 18 h 30 *, les Asiatiques, qui logent à quelques mètres du chantier, sans loisirs à leur portée, ne cachent pas leur entière disponibilité à faire des heures supplémentaires.
Argent de poche. Les frais de nourriture et de logement sont des plus modique pour l'entreprise qui rémunère ses employés directement en Chine, à raison d'une quinzaine d'euros en moyenne par jour. Très embarrassée, Mlle Zhou accepte de faire voir les lieux où les Chinois passent l'essentiel de leur temps libre, juste à côté des grues, des Caterpillar et de l'atelier de soudure. Les petites chambres sommaires accueillent jusqu'à huit travailleurs, souffrant de la chaleur sous un toit de tôle. Deux salles d'eau seulement pour l'ensemble du «camp». Un réfectoire aux tables et chaises en nombre insuffisant. Des conditions comparables à celles qui se pratiquent en Chine. «Ce sont des conditions difficiles, confirme l'ingénieur, mais nous gagnons de l'argent.» Pour ces travailleurs chinois, l'intérêt est d'économiser un petit pactole, puisqu'ils ne touchent pas à leur salaire pendant ces années de labeur en Afrique. «Nous sommes logés et nourris à Libreville et recevons une dizaine d'euros d'argent de poche par mois. C'est peu mais cela suffit pour vivre», poursuit le jeune homme. L'ingénieur Liang n'a pratiquement jamais franchi la palissade de tôle ondulée qui entoure le chantier.
(1) Un gardien gagne 70 euros, un fonctionnaire, 450 euros.
par Pauline SIMONET
Liberation : lundi 15 mai 2006
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