La grande bourgeoisie en France
En décembre 2007, Le Monde titrait : « Ils sont 94 970 sur la planète et ils ont faim. Faim d’objets pharaoniques, uniques, extravagants. À la hauteur de leurs fortunes, supérieures à trente millions de dollars. »
Depuis des années, on l’entend sous toutes les formes, la bourgeoisie s’enrichit. Ces chiffres sont des insultes vis-à-vis des populations souffrant de la misère. Mais le pire c’est l’aberration du système qui engendre ces fortunes colossales pour une minorité en faisant grandir la pauvreté. Et le système capitaliste est dirigé par une classe sociale : la bourgeoisie.
L’irrésistible ascension de la bourgeoisie depuis plusieurs siècles n’est pas le conte de fées qu’on essaye de nous faire avaler. Cette histoire n’a rien à voir avec le mythe des jeunes hommes partis de rien, qui par leur inventivité, leur goût du risque, leur persévérance, seraient devenus de grands patrons et auraient ainsi acquis une fortune bien méritée. Non seulement cela est faux, mais cela recouvre une réalité bien plus sauvage. L’histoire de la bourgeoisie est une succession de pillages, de massacres. Puis elle s’est nourrie de l’esclavage, avant d’organiser l’exploitation du travail humain à l’échelle internationale.
Au cours des siècles, la bourgeoisie a toujours su utiliser l’État - et ce malgré tous les discours sur le libéralisme, sur l’initiative privée. L’État a servi le développement du système capitaliste, a aidé cette nouvelle classe dominante à étrangler toute la société, à concentrer toutes les richesses produites.
C’est assez dire que les liens entre les hommes politiques et la bourgeoisie ne sont pas nouveaux. Sarkozy n’est - comme les autres - qu’un valet de la grande bourgeoisie. Il est payé pour appliquer la politique de cette dernière et, surtout, pour la faire accepter par la population.
Mais le véritable pouvoir reste entre les mains d’une poignée d’individus ou de familles qui possèdent et monopolisent tous les moyens de production. Ce sont eux qui forment la grande bourgeoisie.
La bourgeoisie dans son ensemble est une classe sociale plus vaste. Elle regroupe tous ceux qui vivent de l’exploitation, même s’ils ne sont pas pour autant richissimes. Les espèces de bourgeois sont variées : certains vivent de leurs rentes, d’autres du commerce, certains sont à la tête de leur entreprise, d’autres se contentent de coups dans la finance. Mais au-delà de leur diversité, ils ont tous le même cri de ralliement : la défense de la propriété privée, car c’est elle qui leur assure la possibilité de vivre de l’exploitation. Cela fait de tous ces bourgeois petits ou grands des soutiens économiques, politiques et moraux de la grande bourgeoisie.
Mais quel que soit leur poids social et même moral sur toute la société, ce ne sont pas les petits ou moyens possédants qui dirigent la société et donnent leurs ordres au personnel politique. Depuis les débuts du capitalisme, ce sont des grandes familles bourgeoises, des dynasties, qui dominent l’économie - ici, en France, les de Wendel, les Schneider, les Peugeot, la famille Schlumberger, les Rothschild, les Lazard, pour les plus anciens. Bien sûr, dans l’histoire, certaines branches s’éteignent souvent faute de descendants. D’autres parviennent à se hisser aux sommets de la bourgeoisie comme les Bolloré ou les Arnault.
Avec le développement économique, la période impérialiste et aujourd’hui la montée en puissance de la finance, le système s’est complexifié ; la domination de l’économie passe par des réseaux financiers de plus en plus sophistiqués. Mais, malgré tout, la grande bourgeoisie maintient son pouvoir économique avec une remarquable continuité.
La naissance d’une classe exploiteuse
En France, la bourgeoisie fit ses premiers pas modestes en plein Moyen Âge. Peu avant l’an mil, la fin des invasions et des troubles permit aux paysans d’améliorer leurs productions agricoles, en particulier avec les grands défrichements. Dans un monde plus calme, où l’on mangeait mieux, l’augmentation de la population et la reprise des échanges entraînèrent l’essor des villes et avec elles, les habitants des bourgs, les bourgeois : commerçants ou artisans.
La croissance des villes et de la bourgeoisie fut favorisée par la lutte qui opposait les rois de France aux seigneurs féodaux les plus puissants. En effet, il arrivait que la monarchie appuie la volonté d’émancipation des villes pour obtenir le soutien des bourgeois lorsque cela affaiblissait les seigneurs. Les villes surent utiliser ces libertés relatives pour accroître leur autonomie au sein de la société féodale. Leur prospérité était surtout celle des marchands qui reposait sur le commerce et sur l’exploitation du travail des artisans. Bien avant que la lutte des classes entre la bourgeoisie montante et la noblesse féodale soit arrivée à maturité, les villes elles-mêmes étaient déchirées par la lutte entre les bourgeois - les marchands - et le petit peuple des villes. Ainsi à l’intérieur des villes, certains bourgeois devenaient plus bourgeois que d’autres.
Le développement économique allait finir par entraîner la chute de la société féodale. Car avec l’essor des échanges et la montée de la bourgeoisie, la noblesse, la classe dominante, devenait de plus en plus inutile, parasitaire. Engels écrivait : « Dès le XVe siècle, les bourgeois des villes étaient devenus plus indispensables à la société que la noblesse féodale. Sans doute l’agriculture était-elle l’occupation de la grande masse de la population, et par suite, la branche principale de la production. Mais (…), dans l’agriculture, l’essentiel n’était pas la fainéantise et les exactions du noble, mais le travail du paysan. D’autre part, les besoins de la noblesse elle-même avaient grandi et s’étaient transformés au point que, même pour elle, les villes étaient devenues indispensables ; ne tirait-elle pas des villes le seul instrument de sa production, sa cuirasse et ses armes ? Les tissus, les meubles et les bijoux indigènes, les soieries d’Italie, les dentelles du Brabant, les fourrures du Nord, les parfums d’Arabie, les fruits du Levant, les épices des Indes, elle achetait tout aux citadins - tout, sauf le savon. »
La bourgeoisie continuait à prospérer à l’ombre de la monarchie absolue. Elle lui servait de comptable, de banquier, finançait ses armées ou encore faisait fonctionner son administration. Pour ceux qui entraient au service de l’État royal, l’anoblissement n’était pas loin. On parlait alors de noblesse de robe, de noblesse bourgeoise en quelque sorte. Les anoblis, en achetant des terres, réalisaient leur rêve d’intégration aux sommets de la société. Car pendant des siècles, la bourgeoisie montante, issue du monde féodal, chercha à se fondre dans la noblesse et pas à lui contester le pouvoir.
À partir du XVIIe siècle, l’histoire de la bourgeoisie prit une autre tournure. Le développement du commerce international bouleversa l’économie.
Après la conquête de l’Amérique par les conquistadors, après l’extermination des Indiens dans les mines d’or et d’argent du sous-continent, les marchands européens inventèrent une nouvelle source de richesses : les plantations de canne à sucre dans les Antilles produisant pour le marché européen. Ces plantations avaient besoin de main-d’oeuvre. Le commerce d’esclaves répondit donc à cette demande. Les bourgeois européens se lancèrent avec frénésie dans ce qu’on a appelé le commerce triangulaire. Il s’agissait d’aller arracher des hommes et des femmes d’Afrique pour les revendre comme esclaves en Amérique et revenir avec des cargaisons de sucre, de coton et de café.
En décembre 2007, Le Monde titrait : « Ils sont 94 970 sur la planète et ils ont faim. Faim d’objets pharaoniques, uniques, extravagants. À la hauteur de leurs fortunes, supérieures à trente millions de dollars. »
Depuis des années, on l’entend sous toutes les formes, la bourgeoisie s’enrichit. Ces chiffres sont des insultes vis-à-vis des populations souffrant de la misère. Mais le pire c’est l’aberration du système qui engendre ces fortunes colossales pour une minorité en faisant grandir la pauvreté. Et le système capitaliste est dirigé par une classe sociale : la bourgeoisie.
L’irrésistible ascension de la bourgeoisie depuis plusieurs siècles n’est pas le conte de fées qu’on essaye de nous faire avaler. Cette histoire n’a rien à voir avec le mythe des jeunes hommes partis de rien, qui par leur inventivité, leur goût du risque, leur persévérance, seraient devenus de grands patrons et auraient ainsi acquis une fortune bien méritée. Non seulement cela est faux, mais cela recouvre une réalité bien plus sauvage. L’histoire de la bourgeoisie est une succession de pillages, de massacres. Puis elle s’est nourrie de l’esclavage, avant d’organiser l’exploitation du travail humain à l’échelle internationale.
Au cours des siècles, la bourgeoisie a toujours su utiliser l’État - et ce malgré tous les discours sur le libéralisme, sur l’initiative privée. L’État a servi le développement du système capitaliste, a aidé cette nouvelle classe dominante à étrangler toute la société, à concentrer toutes les richesses produites.
C’est assez dire que les liens entre les hommes politiques et la bourgeoisie ne sont pas nouveaux. Sarkozy n’est - comme les autres - qu’un valet de la grande bourgeoisie. Il est payé pour appliquer la politique de cette dernière et, surtout, pour la faire accepter par la population.
Mais le véritable pouvoir reste entre les mains d’une poignée d’individus ou de familles qui possèdent et monopolisent tous les moyens de production. Ce sont eux qui forment la grande bourgeoisie.
La bourgeoisie dans son ensemble est une classe sociale plus vaste. Elle regroupe tous ceux qui vivent de l’exploitation, même s’ils ne sont pas pour autant richissimes. Les espèces de bourgeois sont variées : certains vivent de leurs rentes, d’autres du commerce, certains sont à la tête de leur entreprise, d’autres se contentent de coups dans la finance. Mais au-delà de leur diversité, ils ont tous le même cri de ralliement : la défense de la propriété privée, car c’est elle qui leur assure la possibilité de vivre de l’exploitation. Cela fait de tous ces bourgeois petits ou grands des soutiens économiques, politiques et moraux de la grande bourgeoisie.
Mais quel que soit leur poids social et même moral sur toute la société, ce ne sont pas les petits ou moyens possédants qui dirigent la société et donnent leurs ordres au personnel politique. Depuis les débuts du capitalisme, ce sont des grandes familles bourgeoises, des dynasties, qui dominent l’économie - ici, en France, les de Wendel, les Schneider, les Peugeot, la famille Schlumberger, les Rothschild, les Lazard, pour les plus anciens. Bien sûr, dans l’histoire, certaines branches s’éteignent souvent faute de descendants. D’autres parviennent à se hisser aux sommets de la bourgeoisie comme les Bolloré ou les Arnault.
Avec le développement économique, la période impérialiste et aujourd’hui la montée en puissance de la finance, le système s’est complexifié ; la domination de l’économie passe par des réseaux financiers de plus en plus sophistiqués. Mais, malgré tout, la grande bourgeoisie maintient son pouvoir économique avec une remarquable continuité.
La naissance d’une classe exploiteuse
En France, la bourgeoisie fit ses premiers pas modestes en plein Moyen Âge. Peu avant l’an mil, la fin des invasions et des troubles permit aux paysans d’améliorer leurs productions agricoles, en particulier avec les grands défrichements. Dans un monde plus calme, où l’on mangeait mieux, l’augmentation de la population et la reprise des échanges entraînèrent l’essor des villes et avec elles, les habitants des bourgs, les bourgeois : commerçants ou artisans.
La croissance des villes et de la bourgeoisie fut favorisée par la lutte qui opposait les rois de France aux seigneurs féodaux les plus puissants. En effet, il arrivait que la monarchie appuie la volonté d’émancipation des villes pour obtenir le soutien des bourgeois lorsque cela affaiblissait les seigneurs. Les villes surent utiliser ces libertés relatives pour accroître leur autonomie au sein de la société féodale. Leur prospérité était surtout celle des marchands qui reposait sur le commerce et sur l’exploitation du travail des artisans. Bien avant que la lutte des classes entre la bourgeoisie montante et la noblesse féodale soit arrivée à maturité, les villes elles-mêmes étaient déchirées par la lutte entre les bourgeois - les marchands - et le petit peuple des villes. Ainsi à l’intérieur des villes, certains bourgeois devenaient plus bourgeois que d’autres.
Le développement économique allait finir par entraîner la chute de la société féodale. Car avec l’essor des échanges et la montée de la bourgeoisie, la noblesse, la classe dominante, devenait de plus en plus inutile, parasitaire. Engels écrivait : « Dès le XVe siècle, les bourgeois des villes étaient devenus plus indispensables à la société que la noblesse féodale. Sans doute l’agriculture était-elle l’occupation de la grande masse de la population, et par suite, la branche principale de la production. Mais (…), dans l’agriculture, l’essentiel n’était pas la fainéantise et les exactions du noble, mais le travail du paysan. D’autre part, les besoins de la noblesse elle-même avaient grandi et s’étaient transformés au point que, même pour elle, les villes étaient devenues indispensables ; ne tirait-elle pas des villes le seul instrument de sa production, sa cuirasse et ses armes ? Les tissus, les meubles et les bijoux indigènes, les soieries d’Italie, les dentelles du Brabant, les fourrures du Nord, les parfums d’Arabie, les fruits du Levant, les épices des Indes, elle achetait tout aux citadins - tout, sauf le savon. »
La bourgeoisie continuait à prospérer à l’ombre de la monarchie absolue. Elle lui servait de comptable, de banquier, finançait ses armées ou encore faisait fonctionner son administration. Pour ceux qui entraient au service de l’État royal, l’anoblissement n’était pas loin. On parlait alors de noblesse de robe, de noblesse bourgeoise en quelque sorte. Les anoblis, en achetant des terres, réalisaient leur rêve d’intégration aux sommets de la société. Car pendant des siècles, la bourgeoisie montante, issue du monde féodal, chercha à se fondre dans la noblesse et pas à lui contester le pouvoir.
À partir du XVIIe siècle, l’histoire de la bourgeoisie prit une autre tournure. Le développement du commerce international bouleversa l’économie.
Après la conquête de l’Amérique par les conquistadors, après l’extermination des Indiens dans les mines d’or et d’argent du sous-continent, les marchands européens inventèrent une nouvelle source de richesses : les plantations de canne à sucre dans les Antilles produisant pour le marché européen. Ces plantations avaient besoin de main-d’oeuvre. Le commerce d’esclaves répondit donc à cette demande. Les bourgeois européens se lancèrent avec frénésie dans ce qu’on a appelé le commerce triangulaire. Il s’agissait d’aller arracher des hommes et des femmes d’Afrique pour les revendre comme esclaves en Amérique et revenir avec des cargaisons de sucre, de coton et de café.
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